awake among the sleeping (isling)

Elle était grande, elle était forte. Un rocher qui s'élève dans la plus troublée des mers. Les vagues se fracassant sur ses parois. Le vent sifflant à travers ses imperfections. Elle n'avait besoin de l'aide de personne, elle savait se tenir contre vents et marées, et pourtant, depuis cette nuit, depuis cette chute, Isaiah ne pouvait s'empêcher de croire que même le plus robuste des rochers dans le plus calme des océans avait besoin qu'on le soutienne de temps à autre. Et si la vie d'Aisling semblait avoir repris un cours à peu près normal, aussi normal qu'il puisse l'être suite à une fausse couche et un court séjour à l'hôpital, Isaiah se disait que l'air n'était peut-être pas le même dans sa tête. En tout cas, il ne l'était pas dans la sienne. Il conservait son air positif, il maintenant la tête haute, l'esprit ouvert et lumineux. Isaiah avait toujours eu le don de mettre l'accent sur le beau et sur le bon, et de ne laisser que peu de place pour la souffrance. Mais ça, c'était quand il s'agissait de celle des autres. Mais la sienne, et celle d'Aisling, il ne les chassait plus aussi bien de sa propre lumière. Le savait-elle ? Le voyait-elle ? Il faisait tout ce qu'il pouvait pour que non. Pas parce qu'il ne voulait pas s'ouvrir à elle. Pas parce qu'il ne voulait pas qu'elle sache tout de lui. Mais parce qu'il ne voulait pas qu'elle croit qu'il puisse lui en vouloir, ou qu'il puisse ne plus vouloir se contenter de ce qu'ils avaient. Isaiah avait été confronté à des pensées auxquelles il n'était sans doute même pas prêt à songer, mais maintenant qu'elles étaient là, difficile de les faire partir. Toutefois, il lui semblait trop tôt pour revenir là-dessus avec Aisling, alors il préférait seulement s'assurer de son rétablissement. Comme ce soir, cette heure encore une fois tardive à laquelle il alla cogner à la fenêtre de sa chambre pour ne pas réveiller les autres en passant par l'entrée. Un adolescent en fuite. « Hey. » Lâcha-t-il avec un doux sourire quand elle ouvrit la fenêtre. « Je sais pas si t'as reçu le message de mon pigeon voyageur qui disait que je passerais ? Me voilà. » Ça n'était pas trop son genre de s'annoncer, mais elle savait de toute façon, que depuis quelques nuits, il serait là. À tous les coups.

Aisling se remettait doucement de sa fausse couche. C'était quand même plus facile de s'en remettre quand on avait jamais voulu de l'enfant. Elle n'avait pas besoin de faire un deuil. Mais, la situation était évidemment loin de lui faire plaisir. Déjà, elle avait eu des saignements pendant plusieurs jours, et ce n'était clairement pas agréable. Et puis... même si elle n'en avait pas voulu, il s'agissait quand même d'une perte. On lui avait dit qu'elle devrait voir un psy, mais elle avait immédiatement refusé. Ce qui lui faisait sans doute le plus mal, c'était d'avoir vu la peine dans le regard d'Isaiah, l'inquiétude alors qu'il était entré dans sa chambre d'hôpital. Elle n'aimait pas l'idée de lui faire du mal, surtout autant involontairement. Elle savait qu'elle serait capable de lui en faire assez sans ça.

La sortant de ses pensées, elle entendit taper à sa fenêtre. Elle se leva alors, un sourire sur les lèvres avant d'ouvrir.

-Tu sais que tu pourrais juste passer par la porte et m'envoyer un message pour que je vienne t'ouvrir.

Elle l'aida à se hisser jusque dans la chambre avant de se rapprocher de lui, déposant un baiser sur ses lèvres.

-On dirait que t'es mon amant secret. Mais j'me demande bien de qui on pourrait se cacher.

Elle eut un petit sourire en coin des lèvres avant de se glisser sur son lit.

-Tu sais, je vais bien, faut pas que tu te sentes obligé de venir tous les soirs...

Utiliser l’humour, tenter de reprendre un train-train normal, c’était Isaiah qui essayait de faire comprendre à Aisling qu’il allait bien, lui aussi. Qu’il s’était inquiété pour elle, qu’il avait eu de la peine pour ce qui s’était produit, mais qu’ils arriveraient à passer par-dessus. Que tout cela ne signait pas une quelconque fin à ce qu’ils avaient. Il le savait, Isaiah, que la blonde avait eu mal surtout par sa faute. Parce qu’il avait peut-être laissé trop paraître sa déception, lui qui était pourtant toujours aussi positif. Mais n’avait-il pas le droit de faire un doigt d’honneur à la vie, lui aussi, de temps à autre ? Quand ladite vie poussait un peu trop loin les limites, quand elle jouait un peu trop avec sa patience. Malgré tout, Isaiah aimait Aisling plus que tout, et il voulait lui faire comprendre que ça ne changerait rien entre eux. Malheureusement, à trop essayer, il passait effectivement pour celui qui s’inquiète encore un peu trop. Après tout, il n’avait jamais eu l’habitude de passer à chaque nuit. « C’est un processus plus long, non ? Là, t’as pas à quitter ta chambre, et pour moi ça revient au même. C’est juste un peu moins agréable quand le gazon est mouillé mais bon, c’est ton plancher qui en paie le plus le prix. » Aisling l’aida alors à se hisser jusque dans la chambre pendant qu’il racontait ses conneries. Une fois à l’intérieur, elle lui vola un baiser, réellement comme dans une scène de film pour adolescents. « En même temps, dois-je te rappeler que notre relation est encore un tout petit peu secrète ? » Fit-il remarquer. Mis à part Jim, personne dans l’entourage d’Isaiah n’était au courant. Il ne savait pas ce qu’il en était pour Aisling. Disons qu’ils n’avaient pas encore eu la discussion. Go with the flow, oui, mais à un moment, il faudrait bien se fixer un peu. « Je me sens pas du tout obligé, j’ai envie de te voir … Mais si tu commences déjà à t’en plaindre, c’est bon, j’vais repartir … » Dit-il d’un ton faussement vexé, un petit sourire amusé au coin des lèvres même s’il continuait de jouer le jeu en repartant vers la fenêtre.    

La blonde eut un léger sourire amusé alors qu'il lui démontrait que sa méthode était tout aussi bien que ce qu'elle lui proposait. C'était juste moins conventionnel, plus Isaiah en somme. Elle secoua doucement la tête avant de lever les yeux vers lui.

-Disons que ça t'éviterait aussi de faire de l'escalade.

Alors qu'elle lui volait un baiser, il fit remarquer que leur relation était plutôt secrète. Elle réfléchit quelques instants à la question, avant de hausser doucement les épaules.

-Bof, maintenant, Aino doit le savoir, ou au moins s'en douter et je l'ai dis à Cupidon et Ciàran alors... Je ne sais pas s'il reste encore grand monde à mettre au courant.

Aisling leva les yeux au ciel alors qu'il prenait un air boudeur pour repartir vers la fenêtre. Elle savait qu'il le faisait exprès, mais elle n'arrivait pas à s'empêcher de réagir. Elle ne savait pas trop si c'était l'attitude d'Isaiah ou la sienne qui l'énervait le plus à vrai dire. Elle se leva, attrapant son bras pour l'empêcher de repartir.

-Arrête tes bêtises...

Elle tira jusqu'à son lit, le forçant plus ou moins à s'installer dessus avant de prendre sa main dans la sienne pour jouer avec ses doigts.

-Tu sais, j'ai beaucoup réfléchi, à tout ça.

Isaiah pencha légèrement la tête sur le côté, pensif, avant de finalement la hocher, en accord avec les propos d’Aisling. Par chance, il n’avait pas la gouttière comme seule option. « C’est un peu comme mon seul exercice physique de la semaine, alors … » Bon, ce n’était pas tout à fait vrai, considérant qu’Isaiah se déplaçait essentiellement à pied ou à vélo, mais niveau musculation, c’était certainement le plus d’effort qu’il faisait. Après qu’Aisling lui ait volé un baiser, elle lui apprit qu’elle avait annoncé leur nouvelle situation à CJ et à Ciàran, et qu’Aino devait s’en douter. « Jim, mais … je l’ai aussi mis au courant. Enfin, surtout parce qu’on avait déjà parlé de toi, comme ça, avant même que ça se passe. » Avoua Isaiah avec un sourire amusé et doux aux lèvres. « Donc ça fait le tour, je pense, ouais. Et les autres, ils le devineront bien par eux-mêmes, hein … » Puis il marqua une pause, repassant dans sa tête les prénoms qu’avaient énoncés Aisling. « Alors, Ciàran, hein ? Il ne doit pas avoir été très … ravi. » Ce n’était un secret pour personne, cette animosité qu’il y avait entre Ciàran et Isaiah. Ce dernier avait beau avoir le cœur le plus grand et pur qui soit, cet homme n’avait su qu’envenimer son parcours jusqu’à la tête de l’ébéniste. Par la suite, voyant qu’Aisling remarquait ses allers et venues plutôt fréquents depuis la fausse-couche, il tenta de détourner le sujet par un air faussement vexé et un mouvement de recul. Elle ne tarda pas à le rattraper, et à le tirer jusqu’au lit pour qu’il y reste. « À tout quoi ? » Demanda Isaiah d’une voix douce et calme, plongeant les yeux dans les siens alors qu’elle jouait avec ses doigts, presque nerveusement.  

Aisling secoua doucement la tête, amusée, à son argument.

-Tu vas me faire culpabiliser de pas en faire.

Niveau sport, la blonde n'en faisait plus depuis très longtemps. Faut dire qu'avec ses poumons, y avait pas mal de trucs qu'elle préférait éviter. Mais la flemme y était aussi pour beaucoup.
Alors qu'ils énuméraient les gens qui étaient au courant, Aisling fronça les yeux, penchant doucement la tête sur le côté. Elle n'était pas sûre de comprendre. De quoi est-ce qu'ils avaient parlé ?

-Comme ça ?

Elle haussa les épaules alors qu'il fit remarquer que Ciàran ne devait pas en être ravi. Ça ne le regardait pas. Elle gérait seule les problèmes qu'elle pouvait avoir avec lui, et même si le jour de l'annonce ça s'était plutôt mal passé, et ça ne pouvait que mal se passer vu leur état d'esprit à tous les deux à ce moment-là, la dernière conversation qu'ils avaient eu avait été bien plus douce.

-Il a été égal à lui-même.

Elle n'avait pas l'intention de s'étendre sur le sujet.
Alors qu'elle jouait avec ses doigts, ne sachant pas trop comment aborder le sujet, elle sentit l'intensité du regard d'Isaiah dans le sien. Elle baissa les yeux, perdant ses moyens, enfin, le peu qu'elle avait.

-A ma fausse couche, à ce qu'il pourrait se produire si je faisais pas plus attention à ma contraception, enfin, tout ça.

Elle finit par lui lâcher la main, s'éloignant de lui pour caler son dos contre son mur.

-Au début je... Je pensais me faire ligaturer les trompes. J'ai pas beaucoup d'argent, mais j'aurais trouvé, j'aurais demandé à Lennox de faire des heures sup'... J'en ai parlé à Ciàran, on a discuté et... et finalement j'ai changé d'avis. Je sais pas ce que je veux pour le futur mais j'ai pas envie de me fermer à l'idée de fonder une famille avec toi.

Ce n'était pas facile pour Aisling de parler de ça. Son avenir, même professionnellement, c'était le flou artistique, et jamais, au grand jamais, elle ne s'était imaginé une vie de famille. Et pourtant, la conversation qu'elle avait eu avec Ciàran l'avait obligé à se projeter. Mais, plus spectaculaire que ça, maintenant elle devait réfléchir en fonction de quelqu'un d'autre dans sa vie, et ça ce n'était pas très naturel pour elle.

Il esquissa un sourire. « Alors tu sais ce qu’il te reste à faire … n’amène plus jamais les clés de la maison. À partir de maintenant, tu escalades à chaque fois que tu veux rentrer. » Évidemment, c’était une blague. C’était une méthode assez casse-cou, quand même, et avec les bras d’Aisling, Isaiah se doutait quand même fortement qu’elle finirait par dormir dans l’herbe. Ce qui n’était pas vraiment souhaitable. En plus, si elle devait escalader avec Siobhan dans les bras, c’était la catastrophe qui les attendait. Bref. Ils parlèrent alors du peu de gens qui étaient au courant de leur situation amoureuse, et des autres qui le devineraient bien assez tôt. Et puis, on s’en foutait un peu, pas vrai ? Sauf qu’Isaiah laissa maladroitement savoir à Aisling qu’il avait parlé à Jim de tout cela, même avant que ça ne se produise. « Bah, je veux dire … Je lui avais parlé de … de ce que je ressentais pour toi, de l’évolution de mes sentiments. » Un sourire un peu gêné se dessina sur son visage. « J’avais un peu cherché conseil auprès de lui, quoi. » Cela brisait peut-être la magie de ce moment passé sur le toit de la caravane, cette minute précise où tout semblait s’être parfaitement emboîté, comme les planètes sur un axe parfait. Mais elle devait bien s’en douter, Aisling, que ça ne sortait pas carrément de nulle part. Que ça ne tombait pas du ciel sous lequel ils se trouvaient magnifiquement ce soir-là. Isaiah revint ensuite sur le cas de Ciàran, qui était au courant de leur relation et qui devait certainement avoir eu son mot à dire là-dessus. La blonde lui répondit brièvement, distante, et l’ébéniste devina bien vite que ça ne le regardait pas. Ou plutôt, qu’Aisling ne voulait pas que ça le regarde. « Ok. » Dit-il tout simplement, pas vraiment vexé ou contrarié, juste las. Et ça n’alla qu’en s’empirant, pas pour les dires d’Aisling, mais bien parce qu’elle avait d’abord partagé ses doutes avec Ciàran plutôt qu’avec lui. Et du fait qu’Aisling s’était tout d’un coup éloignée pour aller s’appuyer le dos contre le mur. « Tu en as parlé à Ciàran … avant même de m’en glisser un mot à moi ? » Demanda-t-il. Cette fois, il était déçu, et son ton de voix ne le cachait qu’à moitié. « N’est-ce pas le genre de conversation que tu devrais avoir avec moi, plutôt, avant de prendre une décision ? » Certes, la décision qu’elle avait prise était celle qui allait davantage en son sens, mais il aurait aimé être celui à remercier pour cela, et pas Ciàran.  

Aisling arqua un sourcil, légèrement amusé, aux bêtises d'Isaiah.

-Bien sûr, bien sûr. Si je me casse quelque chose je t’appellerait.

Doucement, Aisling acquiesça d'un mouvement de tête. Elle, elle n'avait eu personne à qui en parler. Enfin, si elle avait cherché, elle aurait trouvé, mais son confident avait toujours été Isaiah, alors parler de ses sentiments pour lui à lui-même... Bah c'est ce qu'elle avait fini par faire. Mais elle ne pouvait pas lui en vouloir d'avoir trouvé quelqu'un à qui lui en parler avant de le faire avec elle. Mais, même si elle essayait de se convaincre que c'était normal, elle ne pouvait s'empêcher de tiquer.

-Je comprends.

Il n'insista pas au sujet de Ciàran, et ça la rassura plutôt. Même si cela le contrariait peut-être un peu, elle préférait ne pas en parler avec lui. Elle savait que leur relation était complexe et malsaine mais elle n'était pas capable d'y mettre fin. Et à sa grande surprise, elle avait réussi à être réconfortée par sa présence sans qu'il ne se passe quoi que ce soit de sexuel entre eux la dernière fois qu'ils s'étaient vus.

Mais elle se retrouva totalement démunie face à sa réaction. Elle le regarda quelques secondes, désarmée. Ses yeux se baissèrent alors, elle ne savait pas réagir face aux reproches qu'on pouvait lui faire. Généralement elle se contentait d'envoyer un pique pour y mettre fin. Mais il s'agissait d'Isaiah, pas de n'importe qui.

-Je... j'aurais jamais rien fait avant de t'en parler.

Le regard de la blonde était devenu fuyant, mais comment pouvait-il s'imaginer qu'elle aurait prit une décision d'une si grande ampleur sans même lui en toucher un mot ? Et puis, de toute façon, il s'agissait de son corps, alors même si elle avait décidé de le faire sans en parler à personne, c'était son droit, et on n'aurait rien eu à lui reprocher.

-C'est juste que c'est plus facile d'en parler à quelqu'un qui n'est pas concerné.

Mais est-ce qu'elle avait vraiment besoin de s'expliquer ? Ou plutôt, est-ce qu'Isaiah écouterait ses justifications d'une oreille bienveillante ? Finalement, la blonde se leva de son lit, s'approchant du lit de Siobhan pour la regarder dormir, caressant son petit poing fermé du bout des doigts.

-Tu fais par de tes doutes à Jim, moi je le fais avec Ciàran, ça me paraît honnête.

Les paroles d'Isaiah l'avait blessée plus qu'elle ne le laissait entendre. Enfin, à vrai dire, c'était plutôt ce qu'il n'avait pas dit qui la blessait. Alors qu'elle lui avait exposé la plus grande décision qu'elle avait prise de sa vie par amour, il ne voyait que le fait qu'elle en avait parlé avec quelqu'un d'autre. Ça ne lui ressemblait. Elle aurait seulement voulu qu'il soit heureux. A croire qu'elle n'était pas capable de ça.

Il hocha la tête, déterminé, un sourire aux lèvres. « J’essaierai de répondre. » On sait tous qu’en cas d’urgence, Isaiah n’était sans doute pas le meilleur candidat à essayer de joindre. Il répondait une fois sur trente, à peu près. Il l’oubliait souvent, son téléphone, ou encore le mettait en mode silencieux pour ne pas être dérangé. Certes, justement, ce n’était pas pratique quand l’urgence en était réellement une, et si Aisling se cassait quelque chose et qu’il ne l’apprenait que bien plus tard par sa propre faute, il s’en voudrait énormément. Il faisait des efforts, le petit, mais il avait difficilement été convertissable. Il aurait besoin d’un peu plus de temps et de patience de la part de ses amis.

Si seulement la discussion avec Aisling avait pu rester aussi simple et légère, pour le reste de la soirée. Malheureusement, avec ce qu’ils avaient vécu récemment, ils avaient des discussions sérieuses à avoir. Et ce n’était pas un secret que tous les deux n’avaient pas forcément la même vision des choses, pas toujours du moins. S’ils arrivaient en général à faire des compromis lorsqu’il s’agissait de banalités, là, le morceau était plus difficile à faire passer. « Je te crois, et je suis content que ce soit le cas. Mais … plus que ça, j’aurais aimé être celui vers qui tu te tournes pour être écoutée. » Pensait-elle qu’il n’essaierait pas de comprendre son point de vue ? Pensait-elle qu’il l’obligerait à laisser tomber l’idée ? Isaiah ne s’était jamais caché de son envie de vouloir des enfants, mais il avait aussi toujours bien mis au clair qu’il n’imposerait jamais à une femme de devenir mère contre son gré. Juste parce que lui désirait des enfants. Certes, une impasse s’érigerait à un certain point, mais jamais il ne l’aurait forcée. Aisling se justifia en mentionnant que c’était plus facile d’en parler à quelqu’un qui n’était pas concerné, justement. Isaiah soupira. « C’est peut-être plus facile, oui, mais … Si tu parles à Ciàran à chaque fois qu’une discussion importante s’impose plutôt entre nous deux … je sais pas, ça me donnerait l’impression que tu n’as pas confiance en notre capacité de se comprendre. Pourtant, on s’est toujours compris, Ais. » Pourquoi le fait d’être en couple viendrait-il tout changer, tout d’un coup ? C’était de ça dont il avait peur. Dont ils avaient peur. La jeune femme se leva et alla jusqu’au lit de Siobhan, caressant doucement son petit poing. Et dire qu’elle ne croyait pas en elle en tant que mère. « Ce n’est pas vraiment la même chose, hein … » Fit remarquer Isaiah, vexé par la comparaison d’Aisling. Il avait parlé de ses sentiments, à lui, à Jim. Aisling, elle, avait demandé conseil à Ciàran pour une décision qui aurait pu leur retirer complètement une avenue possible pour leur avenir à deux.
 

Isaiah avait toujours été celui qui l'écoute, l'épaule sur laquelle elle pleurait. Il savait très bien qu'il resterait son confident quoiqu'il arrive. Mais disons que les choses étaient différentes quand il s'agissait directement de lui. Elle avait besoin que ce soit une autre oreille qui l'écoute. Elle ne doutait pas qu'il soit objectif sur leurs problèmes, qu'il la comprenne, qu'il fasse de son mieux pour améliorer la situation. Mais elle avait besoin d'autres choses. Enfin, elle ne se sentait pas de parler d'Isaiah à lui-même. Et de toute façon, beaucoup de choses étaient confuses dans sa tête au sujet de sa fausse couche et de ce qu'elle voulait pour son avenir. Alors peut-être que sa décision d'en parler avec Ciàran était contestable, et même mauvaise, mais elle aurait voulu que ce ne soit pas le sujet sur lequel ils s'attardent.

-Ce n'est pas ça. Je sais très bien que tu me comprends mais lui aussi.

Et, c'est vrai, peut-être que sur le point des enfants, il y avait plus de chance que Ciàran la comprenne. Peut-être que c'était pour ça qu'elle s'était ouverte plus facilement à lui.
Elle était aller jusqu'au lit de Siobhan, caressant sa main. Ça la rassurait, un peu du moins. Elle haussa doucement les épaules quand il lui fit remarquer que ce n'était pas la même chose. Peut-être. Elle était aussi nulle avec les sentiments que le reste des relations sociales de toute façon. Elle finit par se tourner vers Isaiah.

-Est-ce que ta priorité c'est de me faire la morale ou on peut passer à quelque chose de plus important ?

En fait, peut-être qu'elle devrait juste lui demander de partir parce qu'elle était dans un état qui la déstabilisait elle-même. Désappointée de la réaction d'Isaiah, triste, en colère un peu, confuse surtout.

Ça n’aurait pas dû l’atteindre autant, Isaiah. Ça ne l’atteignait jamais autant. Ces histoires de jalousie, ces histoires d’amour, de peine, de cœur, ça ne lui ressemblait pas. Probablement réagissait-il ainsi parce que c’était la première fois qu’il vivait un amour comme celui-là. Avec Ezekielle, c’était l’amour par les idéaux, ils se rejoignaient spirituellement, ils semblaient surfer la même vague, se poser les mêmes questions et laisser passer les autres, celles qui pour eux n’avaient point d’importance puisqu’ils laissaient le courant les guider. Avec Aisling, c’était différent, c’était une vraie relation d’humain à humain, avec le lot de complications que cela pouvait entraîner. Et si Isaiah accueillait à bras ouverts ce magnifique défi à deux, il savait aussi qu’à certains moments, il se perdrait. Il était perdu. « Fine. Je ne pensais juste pas, j’imagine, que Ciàran et toi étiez aussi proches de cette manière-là. » Ce qu’il sous-entendait, Isaiah, c’était qu’il savait fort bien qu’Aisling et Ciàran avaient partagé les mêmes draps, à plusieurs reprises. Il avait été son meilleur ami avant d’être son amoureux, alors forcément, il détenait ces informations-là. Toutefois, il ne s’était jamais imaginé qu’il y avait une relation bien plus profonde en-dessous, et que peut-être, il se trouvait face à quelque chose de bien plus grand que ce à quoi il avait pu penser jusque-là. Aisling, maintenant debout à côté de Siobhan, se tourna de nouveau vers Isaiah quand ils atteignirent un point trop haut, trop sensible. « Je ne te fais pas la morale ! Je communique, c’est tout. Je te communique comment je me sens. Et ne pense pas que je n’ai rien écouté de ce que tu m’as dit et que j’ai fait le sourd. Je comprends que tu puisses avoir besoin de parler à d’autres personnes. » Nul besoin de spécifier, par contre, qu’il s’agirait de Ciàran. « Et je comprends aussi que … qu’en bout de ligne … tu ne fais pas une croix sur l’agrandissement de notre famille ? » Demanda Isaiah, tendant une main vers elle pour qu’elle lui revienne.

Aisling se mordit la joue. Avec Isaiah, ils s'étaient toujours parlé ouvertement, ils ne s'étaient jamais rien caché. Mais aujourd'hui, elle essayait d'interpréter ses mots et se préparait à marcher sur des œufs. Ça ne lui ressemblait pas. Ça ne leur ressemblait pas.

-C'est juste que... Ciàran est une des personnes qui me connait le mieux, avec toi.

Elle s'était senti obligé de rajouter la dernière partie alors que d'ordinaire elle ne l'aurait sûrement pas fait. Mais ce soir elle avait l'impression qu'elle devait le rassurer sur la place qu'il occupait. Et pourtant, comment pouvait-il en douter une seconde ? Il était la seule personne sur Terre avec qui elle avait eu ce degré d'intimité et surtout de relation. Avec Perry ça n'avait été qu'un pseudo couple et ça seulement parce qu'elle avait accepté pour ne pas le perdre. En soit, une relation dont la base était déjà bancale. Alors que celle qu'elle avait avec Isaiah reposait sur des bases solides, inébranlables, ou en tout cas c'est ce dont elle avait toujours été convaincue.

Communiquer. Quand on y réfléchissait bien, Aisling n'en avait pas l'habitude et elle s'était braquée dés qu'elle avait senti un quelconque mécontentement. Elle s'en voulait de ne pas réagir le mieux qu'elle le puisse avec Isaiah, mais elle était vraiment trop confuse pour réussir à faire de son mieux. En voyant sa main tendue, elle ne put résister à revenir vers lui. Elle se rapprocha, levant son regard bleu, un peu honteux vers lui, avant de prendre sa main, jouant nerveusement avec ses doigts. Si ça avait été Ciàran, tous les meubles sans exception auraient volé à travers la pièce, et elle l'aurait poussé par la fenêtre pour qu'il parte et la laisse tranquille. Mais il n'était pas Ciàran. Et c'était une des raisons pour lesquelles elle ne s'était pas fermée à cette idée d'enfants.

-Non, je... Je sais que ça compte pour toi et je n'ai plus vraiment cette aversion pour les enfants que j'avais avant, je crois.

Cette fois, elle baissa les yeux, hésitante.

-J'ai pris comme excuse, d'abord, que je ne le faisais pas, pour toi, mais en fait... C'est surtout pour moi. Je... je voudrais, au moins une fois, me donner la chance d'être une bonne mère, ou au moins une mère correcte, dés le début.

Isaiah hocha la tête, relevant la légère pause avant qu’elle n’ajoute que lui aussi figurait parmi les personnes qui la connaissaient le mieux. Il le savait, ça, Isaiah. Tout comme Aisling savait qu’elle aussi le connaissait mieux que tellement de gens. Et jamais il ne dirait, jamais même il ne penserait, vouloir être le seul à la connaître. Isaiah n’était pas de ces personnes possessives et jalouses qui s’accaparaient les êtres aimés. Il ne comptait pas isoler Aisling de son réseau social, il ne comptait pas l’avoir que pour lui. Au contraire, mieux ils étaient tous les deux entourés, mieux se portait Isaiah. Parce qu’il avait besoin de contacts humains, diversifiés, pour vivre. Il n’avait jamais été bien, quand il était seul trop longtemps. Il avait besoin de monde. Pourtant, s’il avait pu remplacer Ciàran par n’importe quelle autre personne, il l’aurait fait. Aisling avait beau voir en lui quelque chose de plus beau, Isaiah n’arrivait pas à faire abstraction de ce qu’il connaissait de lui. En même temps, Ciàran ne lui avait jamais donné la chance de voir une autre facette de lui. Et si Isaiah le faisait habituellement par lui-même, sans jugement, sans sauter aux conclusions, avec lui c’était plus difficile. Les imperfections du néozélandais ressortaient plus que jamais. « Ok. » Dit-il, et pas d’un ton qui fermait la discussion abruptement, pas d’une manière à seulement balayer du revers la main tout ce qu’ils venaient de se dire. Il comprenait. Il acceptait – plus ou moins. « Je m’y habituerai. » Ajouta-t-il quand même, essayant lui-même d’y croire. Et sans doute y arriverait-il, oui. Ça n’était pas le genre d’obstacle insurmontable pour Isaiah. Au contraire, avec le temps, la relation d’Aisling et Ciàran deviendrait sans doute plus claire aux yeux de l’ébéniste, et il gérerait mieux son ressentiment. Pour le moment, Isaiah désirait en revenir à une douceur entre eux, et il tendit donc sa main vers la jeune femme pour la retrouver près de lui. Et là, il aborda enfin ce qui était réellement important : sa décision de ne pas fermer complètement la porte à une éventuelle famille pour eux deux. « Je suis vraiment heureux de t’entendre dire que c’est pour toi. Parce que comprend moi bien, Aisling : je ne veux jamais que tu fasses quoi que ce soit pour moi. Pas si ça va contre toi-même. Ok ? » Il sourit, jouant à son tour avec les mains de la blonde, mais pas nerveusement. Heureux. « On ferait de très beaux bébés, je pense. » Ils en avaient déjà fait un, d’ailleurs, mais la vie le leur avait enlevé bien trop tôt. Avant même qu’ils puissent avoir la chance de le connaître. Isaiah ne croyait pas au destin ou aux signes, mais peut-être qu’au final, ça leur aurait permis de faire un peu d’ordre dans ce qu’ils voulaient tous les deux pour leur avenir.
 

Il s'y habituerait, ça avait un léger goût d'échec. Enfin, elle savait parfaitement qu'il faisait du mieux qu'il pouvait, pour tout. Et si les rôles avaient été inversés, si elle "sortait" avec Ciàran, elle savait qu'il lui aurait purement et simplement interdit de voir Isaiah. Mais Isaiah ne lui interdisait jamais rien, sans doute parce qu'il était ouvert d'esprit et plus libre que n'importe qui, peut-être aussi parce qu'il l'aimait, vraiment, purement.

-Je ferais attention à t'en parler en premier, à l'avenir.

Et même si elle ne prononçait pas les mots "je te promets" pour ne pas être amenée à le décevoir, elle le pensait vraiment fort.

Elle eut un sourire en coin en l'écoutant mais surtout en le voyant si content. C'était ça ce qu'elle voulait pour Isaiah, le rendre heureux. Et Dieu sait qu'elle était loin d'être la plus adroite des femmes dans le domaine. Mais il la rendait tellement heureuse, chaque jour, qu'elle ne pouvait qu'essayer de faire des efforts surhumain pour lui rendre la moitié de ce qu'il lui donnait. Du bout des doigts, elle caressa doucement sa main.

-Ok, ok.

Elle avait soufflé doucement sa réponse avant de passer ses bras autour de lui, enfouissant son visage dans le creux de son cou.

-Beaux sûrement et intelligents au moins à moitié.

Isaiah voyait bien qu’Aisling faisait elle aussi des efforts. Ça avait quelque chose de réconfortant, d’ailleurs, de voir que tous les deux étaient prêts à s’écouter de cette manière. Ça n’était certainement pas tous les couples qui fonctionnaient ainsi, c’était d’ailleurs ce qu’Isaiah déplorait souvent des relations. Quand ça devenait presque à sens unique, quand la personne ne prenait que ses propres intérêts en compte, quand on oubliait le côté humain et le partage qui résultait d’une relation amoureuse. « Only if you feel like it.» Il s’était presque pris la tête avec elle, Isaiah, parce qu’elle avait décidé de parler à Ciàran de quelque chose d’aussi personnel avant de lui en parler à lui. Et voilà qu’il lui disait de lui en parler en premier que si elle le désirait, que si elle sentait que c’était ce qu’elle voulait. Incohérence, ou bien signe qu’il comprenait que son attitude avait été quelque peu égoïste ? Venant d’Isaiah, c’était indubitablement la deuxième option. Il lui arrivait de sembler se contredire, mais il avait toujours une explication derrière. Les deux néozélandais parlèrent ensuite de cet avenir maintenant un peu plus possible d’avoir un ou des enfants ensemble. Aisling enfouit son visage dans le creux du cou de l’ébéniste, et elle faisait bien de se cacher, oui, avec ce qu’elle lui sortit ensuite. « Et lequel de nous deux n’a pas le gêne de l’intelligence à transmettre, là-dedans ? » Demanda-t-il avec un sourire au coin des lèvres. Si ça avait été à lui de répondre, bien sûr qu’il aurait répondu qu’Aisling détenait ce cadeau à offrir. Elle était une femme brillante, elle rayonnait de par son intelligence, et de par tellement plus encore. « Je sais qu’on parle de tout cela pour l’avenir, sur le long terme, mais … tu n’auras qu’à m’en parler, Ais’. Quand tu voudras peut-être retenter. Si tu te sens prête à ce qu’on essaie. » Des si, des peut-être, Isaiah ne voulait tellement pas la brusquer, lui mettre une pression quelconque. Mais il voulait aussi qu’elle sache qu’il l’attendrait.