you may say I'm a dreamer but I'm not the only one + Jake

Je n’ai pas peur de toi, je n’ai pas peur de toi, je n’ai pas peur… Ahhhhhhhh !!!! Paf, dans ta figure !!! Je me redressais, mon livre de recettes à la main, alors que j’entendais la porte d’entré de ma boutique se refermer derrière moi. On était en milieu de mâtiné, c’était une heure creuse, en théorie personne n’aurait dû entrer à ce moment là alors que j’étais dans une position plus que gênante, juchée sur mon comptoir pour assassiner une araignée énorme qui se baladait sur le mur de droite. Et en effet, en me retournant je ne trouvais non pas un client, mais Jake, qui me regardait d’une drôle de manière, alors que j’avais encore le bras en l’air, je devais être ridicule. Tu n’as vu et rien entendu n’est-ce pas ? …Elle était énoooorme ! Et visiblement je n’ai pas encore totalement vaincu ma peur. Je tentais de faire preuve de grâce pour descendre de mon perchoir et me donner une contenance, reposais le livre sur la caisse en l’essuyant avec un chiffon pour effacer toute trace du crime. Puis m’approchais du pâtissier avec un mince sourire. Je ne pouvais pas dire que j’étais ravie de le voir, en pensant à notre dernière entrevue il fallait avoir que nous n’étions peut-être pas en très bon terme. Moi j’estimais avoir fait un pas vers lui, maladroit, certes, mais ce n’était pas évident, compte tenue que je ne savais pas comment me présenter à lui après deux ans de silence. Mais qui sait, peut-être venait-il pour hisser le drapeau blanc, peut-être avait-il réfléchit à notre discussion et mis un peu d’eau dans son vin pour qu’on puisse faire avancer ensemble notre commerce. J’avais encore espoir. Lissant le pli de mon pantalon, soudainement nerveuse face au regard froid qu’il me lançait je me décidais à reprendre la parole. Tu voulais quelque chose Jake ? Il aurait pu m’appeler, mais il s’était présenté ici, dans ce magasin où je venais de remettre la décoration à neuf, un coup de peinture, quelques bouquets de fleurs fraîches et une atmosphère chaleureuse qui manquait cruellement quand je l’avais retrouvé quelques semaines plus tôt.

En règle générale je n'étais pour la non violence animale mais une araignée aussi grosse dans ma boutique ça ne faisait pas correcte, alors j'avais eu recourt à une méthode un peu radicale. Je comptais désinfecter ce mur après le crime pour éviter tout problème d'hygiène, oui, on m'avait déjà dit que j'avais un soucis avec la propreté, chez moi c'était quelque chose de maladif, tout devait être parfaitement net, dans mes pâtisseries comme dans ma maison, on se moquait gentiment de moi parfois mais je n'en avais rien à faire, l'hygiène était primordiale, j'embêtait suffisamment mes salariés avec ça. Jake mentait mal, il avait tout vu de la scène, en témoignait son air consterné. Mais ça m'était égale, je n'était plus à ça près avec lui. Je lui demandais alors ce qu'il venait faire ici, non sans penser qu'il avait sûrement une bonne raison sinon il ne prendrait pas la peine de se déranger, il avait toujours mieux à faire que de passer voir sa collaboratrice favorite. Oui, collaboratrice, ça faisait mieux que chef, parce qu'il semblait tiquer sur le fait que je sois encore sa supérieure hiérarchique quelque part. Alors s'il n'y avait que ça pour lui faire plaisir, je ne serais pas embêtante, autant se mettre au même pied d'égalité, il avait tout de même bien tenu la barre des boutiques sans moi. D'ailleurs il faudrait peut-être que je lui propose de retravailler les termes de notre contrat histoire de tout mettre à plat et de repartir sur de bonnes bases, s'il voulait on pourrait être associés, à parts égales, il méritait bien ça. Parce que pour l'instant, s'il avait fait beaucoup et si son nom était sur de nombreux papiers, il était encore officiellement mon employer, il ne fallait pas l'oublier. Enfin je lui en parlerais plus tard, une autre fois, quand le ton serait plus favorable. Parce que celui qu'il employait pour me donner la raison de sa venue était tout sauf cordial. Il s'emporterait presque, le garçon ! L'entreprise Smith, pour les quarante ans d'ouverture de la maison, c'est bien ça ? Je roulais des yeux, monsieur Smith était venu me voir quelques jours plus tôt, fidèle client de la première heure, il avait été un des premiers à apprendre que j'étais revenu et à se présenter à mon comptoir pour acheter des pâtisseries. Evidemment sa présence m'avait fait monter les larmes aux yeux, je l'appréciais tellement. Il m'avait parlé du contact qu'il avait passé avec Jake et j'avais répondu qu'il n'avait pas à s'en faire, qu'il était entre de bonnes mains. Mais je ne pensais pas qu'il irait jusqu'à demander mon accord ou quoi que ce soit. Je le verrai demain, il m'a commandé deux gâteaux pour l'anniversaire de sa fille, je lui glisserai un mot ne t'en fais pas. Par cette réponse j'avouais qu'il était revenu vers moi et qu'il n'allait donc plus dans sa pâtisserie. Mais je ne voyais pas le mal, loin de là, je ne voyais jamais le mal en fait. Je lui offris un sourire contrit, en espérant que ça lui suffise parce qu'il avait l'air contrarié, était-ce vraiment la raison de sa visite ? Il semblait zieuter tout l'intérieur du magasin, comme s'il voulait vérifier quelque chose. Ca sentait la peinture fraîche, j'étais contente du résultat qui se rapprochait de l'ambiance que j'avais toujours aimé. Tu as bien fait, Smith est un homme adorable mais il me connait depuis toujours, il voulait juste se rassurer, rien de plus. Si je pensais qu'il lambinait entre deux livraisons ? L'idée ne m'effleura même pas, je savais trop combien Jake était travailleur, il pouvait bien prendre cinq minutes pour venir me voir, prendre un café ou que sais-je, ce n'était pas une perte de temps.

Evidemment qu’il s’agissait de monsieur Smith, cet homme, il ne se referait pas, je le connaissais depuis des années, il me faisait une confiance aveugle et puis il me suivait depuis toujours, il était l’un des premiers à m’avoir fait confiance à l’époque ou j’avais ouvert ma première boutique. Alors oui, il avait continué à venir durant mon absence, parce fidélité et aussi parce que Jake était un excellent pâtissier également. Mais je l’avoue, j’étais tellement heureuse de le voir débarquer, à peine quelques jours après que je sois revenue, lui, toujours aussi attentionné, toujours aussi fidèle. Donc sa demande ne m’étonnait pas plus que ça, tout comme l’agacement de Jake, il tentait peut-être de le cacher mais je voyais bien qu’il en avait gros sur le cœur. Néanmoins je prenais cette affaire à la légère, parce que c’était plus simple, parce qu’il n’y avait pas tant de mal que ça finalement. Je souris discrètement au jeune homme alors qu’il se remémorait le nom du client. C’était là l’une des plus grosses différences entre lui et moi, il était sympa, avenant, drôle parfois avec les clients, mais il était bien moins sentimental que moi, il ne cherchait pas forcément à se rappeler le nom des gens, ni leurs petites habitudes ou leurs préférences. Alors que moi ça me tenait à cœur, j’aimais m’impliquer, j’aimais être présente dans leurs vies comme l’une des personnes qui leur rendait la vie plus douce de manière subtile, avec mes gâteaux et mon sourire et parfois mon oreille attentive. Même si, pour le sourire, en ce moment il était plus forcé qu’autre chose, mais ça personne ne semblait s’en être rendu compte et c’était tant mieux. Je ne veux pas te voler ton travail, tu as le contrat, tu vas le garder ne t’en fais pas. Je lui parlerai sans faute et il te rappellera pour que vous voyez ensemble les derniers détails. Je ne cherchais pas à entrer dans le conflit avec lui, malgré notre dernière entrevue quelque peu froide, je n’avais rien contre Jake et j’espérais qu’à force il finirait par le comprendre. Mais vu la tête qu’il tirait et les regards qu’il lançait à la boutique, j’avais comme l’impression que ce n’était pas encore gagné, tout comme la petite pique qu’il ne manqua pas de me lancer pour me faire comprendre que la Terre ne s’était pas arrêté de tourner en mon absence, merci Rockhold, merci du soutient ! J’espère bien qu’il a continué à venir, il était l’un de mes clients les plus réguliers et si je t’ai engagé à l’époque c’est parce que tu étais le meilleure pâtissier de la ville alors ça m’aurait vexée qu’il aille à la concurrence ! J’avais mon orgueil, je savais que j’étais douée et j’entendais avoir du personnel tout aussi qualifié que moi. Mais j'étais consciente que mes cupcakes faisaient la différence, ça pouvait paraître anodin, ces petits gâteaux que tout le monde pensait savoir faire même les amateurs, mais c’était tout un art et j’en étais la maîtresse, ici à Bowen, j’avais bossé dur pour le devenir alors j’en étais fière et je gardais mes recettes jalousement. Il ne cherche pas de réduction ne t’en fais pas, il n’est pas à quelques centaines de dollar près. Je ne sais pas… il pensait peut-être me faire plaisir, sans vouloir faire mal. Je vais arranger ça. Petit sourire en sa direction, le sujet était clôt de mon côté, même s'il continuait à ruminer dans sa bile. Tu voulais autre chose Jake ? Tu as l’air tendu. S'il y a un souci on peut en parler. Et ce ne devait pas être simplement à cause de cette histoire de commande, je ne pouvais pas y croire.

J’avais la prétention de bien connaître Jake. Nous avions travaillé quelques années ensembles et j’étais du genre observatrice, si je lui avais confié les rênes de mon bébé c’était aussi parce que je savais qui il était, quelles étaient ses valeurs, ses qualités, ses défauts. C’était un travailleur, un homme droit et sérieux, passionné aussi, comme moi. Il avait de nombreuses qualités mais il avait un sacré mauvais caractère ! Ca je l’avais toujours su, il ne s’en cachait pas et entre nous il y avait souvent eu des étincelles, rien de bien méchant, de toute façon il était mon employé et il respectait mon autorité. A l’époque… parce qu’aujourd’hui la donne avait changé, nous étions sur le même pied d’égalité, pire, j’avais besoin de lui et il le savait bien. Cependant j’aurais pensé qu’il me faciliterait la tâche, qu’il m’accompagnerait dans mon retour au travail, qu’il serait ce pilier dont j’avais si cruellement besoin et pas qu’il m’enfoncerait comme il le faisait depuis nos retrouvailles. Je n’étais même pas sûre qu’il soit conscient de ce qu’il faisait, il semblait juste avoir peur que je lui vole son précieux du, alors que les choses étaient claires pour moi depuis le départ, je ne comptais pas récupérer ma boutique, juste travailler main dans la main avec lui, comme on l’aurait fait si je n’étais jamais parti. Alors ce matin je remarquais bien qu’il y avait quelque chose, truc qui clochait et ce n’était pas la simple histoire de Mr Smith et son gâteau, c’était autre chose qu’il n’avait pas l’air de vouloir me dire. Et moi j’avais horreur de ça, qu’on tourne autour du pot. Fronçant les sourcils, j’encaissais sa nouvelle pique en essayant de ne pas me démonter, je n’avais aucune envie de me prendre la tête avec lui ce matin. C’est vrai, t’as raison, la meilleure c’était moi, mais t’étais doué, pour un gamin ! Quand j’avais rencontré Jake il était tout nouvel arrivant à Bowen, il avait trouvé un job dans une pâtisserie industrielle infâme et j’avais remarqué son savoir-faire, j’avais fait des pieds et des mains pour le débaucher et le récupérer dans mon équipe. A l’époque j’étais une vraie lionne, je me battais pour ce que je voulais, à présent je n’étais plus sûre d’avoir autant d’aplomb, ni même d’envie et ça me désolait. Quant aux raisons qui m’avaient poussé à lui confier ma boutique, elles étaient simples, il était le meilleur de mon équipe et je savais qu’il n’aurait pas peur de relever ce défi, avant même les soucis de santé d’Axten on avait parlé de lui donner plus de responsabilités et c’était mérité. Laisse-moi m’en occuper, ne t’en fais plus pour cette histoire, tout rentrera dans l’ordre et tu auras toujours ta commande. Si c’était ce qui le chagrinait à ce point, je pouvais le rassurer mais c’était un grand garçon et moi je n’étais pas sa concurrente. Oh vraiment, il venait juste faire le curieux, j’en doutais étrangement. Voilà que je n’avais plus confiance en lui, le monde tournait à l’envers. La peinture s’écaillait par endroit, les employés avaient vraiment fait n’importe quoi dans l’entretien des lieux durant deux ans, l’intérieur avait besoin d’un bon coup de propre. Et puis c’est ma façon de repartir à zéro. J’esquissait un sourire, quand on me connaissait on savait que j’adorais la déco, j’aimais me sentir bien où je vivais et où je travaillais. Je me concentre sur celle-ci pour l’instant, je ne sais pas si les finance suivront pour l’autre, chaque chose en son temps. Pourquoi ? J’ai besoin de ton autorisation pour le faire ? C’était sorti tout seul, je ne voulais pas paraître hautaine ou pincée, mais sa réflexion m’avait piqué et je n’en pouvais plus de cette tension malsaine qu’il instaurait entre nous. Si je n’avais rien à redire à son travail ou à son professionnalisme, le caractère de Jake me tapait sur le système.

De l’amour propre j’en avais à revendre. Je m’étais faite toute seule dans un monde relativement masculin, on disait volontiers que les femmes avaient de la sensibilité pour être pâtissières mais qu’elles n’avaient pas le sens des affaires, j’avais largement prouvé que j’étais capable de gérer mon business sans soucis. A l’époque où j’ai ouvert ma première boutique on n’a pas manqué de railler le fait que j’étais issue d’une bonne famille et que l’argent de mes parents avait largement contribué à ma réussite. On n’avait pas tort, ils m’avaient donné la somme et les garanties nécessaires pour que je me lance, mais après ça j’avais tout fait par moi-même, remboursé leur générosité au centime prêt, j’étais celle qui se levait à quatre heure du matin et qui ne comptait pas ses heures, celle qui travaillait d’arrache pied et je savais que je  les avais rendu fiers. Autant que j’étais fière de moi. A ce moment là il n’y avait pas de Jake ou quiconque pour me faire descendre mon piédestal et si j’étais si fière, je ne m’en cachais pas, j’avais de quoi. A présent tout était différent, j’avais perdu l’homme de ma vie et avec lui cette flamme qui me rendait si combative, je n’avais plus beaucoup de forces pour me battre mais je ne baissais pas les bras. Pour ne pas tout perdre, parce que j’avais des employés à payer et des charges qui tombaient. Je devais redresser la barre alors face à Jake je tendais de garder bonne figure, je tentais la douceur, l’humour, un peu de dérision pour lui prouver que je n’étais pas devenue ce dragon qu’il semblait voir face à lui. Mais il fallait croire que rien n’y faisait. Il était en rogne et il était tenace. Mon sourire perdit un peu de son panache mais je tentais de le garder vissé à mes lèvres. T’étais plus jeune que moi ! Je savais que j’avais perdu, mais je ne m’avouais pas totalement vaincue. Le sujet Smith fut enfin clôt et il attaquait déjà sur celui de ma nouvelle décoration. Il me semblait que j’avais encore le droit de me plaindre de la façon dont mes employés avaient laissé se détériorer la boutique, même si j’aurais dû être là, j’estimais que je les payais assez cher pour qu’ils aient un minimum de considération pour leur lieu de travail. Mais visiblement ça ne plaisait pas au pâtissier. Tu as raison, je n’ai aucune autorisation à demander à personne, je dans ma pâtisserie. Et je pense que je n’avais pas intérêt à te parler de ta boutique parce que tu m’as bien fait comprendre que je n’ai plus rien à faire là-bas. Maintenant que les choses sont dites, je suis ici chez moi, retourne travailler dans ton magasin Jake. A moins que tu finisses par me dire vraiment la raison qui t’a poussé à venir me voir ce matin ? Tu me surveilles ? Je devenais suspicieuse à présent, j’avais horreur de ça mais il me poussait dans mes retranchements. Je me tournais pour retourner vers mon comptoir, mettre quelques gâteaux en vitrine histoire de m’occuper les mains alors qu’il me mettait hors de moi. Parce que je te rappelle qu’on n’est pas concurrents toi et moi. On est sensé travailler ensemble. Et si ça te dérange on peut toujours revoir les termes de notre arrangement. Mais qu’il n'essaie pas, j’avais toujours une solide équipe juridique derrière moi et assez de poids dans cette entreprise pour le faire plier, bien que je n’en avais aucune envie.

Fut un temps où on rigolait pour un rien, Jake et moi, où la complicité qui nous liait était presque palpable. J’étais toujours resté très professionnelle avec mon pâtissier mais on était animés par la même passion pour notre travail et c’était toujours un plaisir de se retrouver à créer ensemble. A cette époque il ne manquait pas d’humour et il était plutôt bon public avec mes propres blagues pas toujours drôles. Mais il fallait croire que tout changeait, j’avais perdu pas mal de ma lumière en chemin, de cette joie de vivre qui me caractérisait à l’époque, les épreuves de la vie m’avaient laissée ainsi, plus tellement à ma place. Pourtant je cherchais à la retrouver, cette flamme, cette envie de croquer la vie et ça devait commencer avec Imogen. C’était ici que je me sentais le mieux, les mains dans la farine à laisser parler mon imagination et j’avais espéré avoir le soutien de Jake comme moteur, malheureusement je devais faire sans, pire il était contre moi et mon humour douteux ne fonctionnait plus. J’haussais les épaules en essayant une dernière fois la méthode douce pour ramener un peu de sympathie entre nous mais finalement sans m’en rendre compte le ton monta d’un cran, mon agacement avec et ça pouvait se voir dans mes yeux qui le fixaient avec une flamme nouvelle, ils lanceraient presque des éclairs. J’en avais assez de me faire attaquer de tous les côtés, juger pour ce que je faisais et ce que je ne faisais pas, de recevoir des leçons de morale et de conduite de toute part. Et voilà que Rockhold se mettait à m’en faire sous mon propre toit, en vérité je réalisais qu’il était arrivé avec sa tête des mauvais jours et qu’il n’en démordrait pas, il l’avait mauvaise et toutes mes tentatives pour arrondir les angles il s’en foutait pas mal. Alors je laissais parler ma colère et visiblement il ne s’y attendais pas. Et oui Jacky, je peux être mauvaise quand je veux ! Il ne fallait pas me chercher longtemps, surtout quand on m’attaquait sur mes bébés. Oui c’est ça, fiche-moi la paix, on sera bien mieux chacun à un bout de la ville. Une fois à l’abri derrière mon comptoir, je remettais de l’ordre dans mes gâteaux, alignais la présentation en vitrine pour que tout soit parfait, j’étais maniaque en temps normal mais lorsque j’étais énervée ça en devenait maladif. Sans le regarder j’écoutais pourtant le brun qui s’agaçait sur cette histoire de termes, alors j’avais vu juste, il m’en avait fallu du temps mais c’était bien ça, il avait peur que je lui fasse de l’ombre. Ma meilleure amie avait raison quand elle avait pointé cette idée du doigt le jour où je lui en avais parlé. Soupirant doucement, toujours le nez dans ma vitrine, je repris la parole. C’est toi qui vois les problèmes là où il n’y en a pas, Jake. La seule chose que j’ai fait et qui  n’était pas correcte, c’est de venir faire mes gâteaux cette fameuse nuit où tu m’as surpris. Je n’aurais pas du parce que je n’étais pas chez moi et parce que j’aurais dû te prévenir de ton retour au lieu de te faire cette mauvaise surprise. Je relevais la tête, j’étais prête à admettre les torts que j’avais, mais je ne comptais pas tout porter sur mes épaules, s’il  s’imaginait du mal là où il n’y en avait pas ce n’était pas de ma faute. Maintenant oui, j’ai commencé une campagne de pub pour relancer la machine, pour annoncer mon retour, il le fallait bien pour que les clients reviennent à nouveau. Ce n’est pas contre toi Jake, on porte le même nom, ce qui me profite te profite à toi aussi mais ça tu ne sembles pas le comprendre. Depuis deux ans trois autres salons de thé/pâtisseries se sont montés à Bowen, c’est une folie douce ! Avant on était les seuls ici, on avait le monopole. Aujourd’hui je perds de l’argent parce que j’ai été négligeante et parce que la concurrence se fout bien que j’ai été la première à me lancer. Il y a même un coffee-shop vegan ! On se fait dépasser. Alors je suis contente que ton magasin fonctionne, ça me fait des soucis en moins, mais je ne compte pas me faire manger par les autres. Essuyant mes mains sur un chiffon je retournais devant pour lui faire face, je m’étais apaisée et j’espérais sincèrement que nos relations finiraient par aller mieux. Se tenir aux relations professionnelles... comme si on avait été plus que ça ou qu'on comptait devenir amis en dehors du travail ! On n’a jamais été que des collègues toi et moi. Mais c’était mieux quand on ne se fâchait pas pour des bêtises. On veut la même chose tous les deux. Et un jour tu comprendras que je ne veux pas te planter de couteau dans le dos ou te reprendre ce qui est à toi. Alors vas travailler, tu as raison, c’est le mieux à faire. Et arrête de me surveiller, tu perds ton temps.Il n’était pas encore midi et après cette altercation j’étais déjà épuisée pour ma journée.

Peut-être que je me voilais la face, peut-être que je ne voulais pas voir que j’avais tout fichu en l’air, c’était sûrement plus simple. Ou peut-être que j’avais raison et Jake se faisait trop d’idées. Arrivé à un certain point, j’avais beau avoir fait tous les efforts possibles pour rendre notre relation confortable et nos rapports plus agréables, j’avais aussi ma fierté et je refusais d’être ce tapi sur lequel il s’essuyait les pieds. Alors je n’avais pas envie qu’il me prenne pitié, je voulais juste qu’il me prenne au sérieux. Je ne jouais pas la malheureuse, j’étais simplement moi-même. Je roulais des yeux à l’écoute de son ton un brin moqueur. Puis je lui faisais part de mon plan pour redresser la barre, celui qui visait à relancer les boutiques, autant que faire la pub de la sienne. Lui exposant mes craintes que je trouvais réellement fondées. Mais lui semblait minimiser la situation, je l’écoutais, selon lui ce n’était pas grave, tous ces salons de thé et autres pâtisseries qui poussaient comme des champignons. Je n’étais pas de cet avis, il ne fallait jamais sous-estimer la concurrence sinon on se faisait dépasser sans même s’en rendre compte. Pourtant tout ce qu’il répondait n’était pas faux, il y avait des choses à prendre, ça pouvait me rassurer un peu, même si je ne comptais pas changer mes plans. L’espace d’un instant je retrouvais ce que j’aimais chez Jake, cette facilité qu’on avait à parler de notre entreprise, son éternel optimisme, même teinté d’arrogance. Je n’avais pas envie de perdre ça, pourtant le mal était déjà fait et j’allais devoir ramer pour le retrouver. On a pensé ça d’Imogen au départ, tu le savais ? Que je ne tiendrais pas six mois, que j’allais fermer boutique ou bien endetter mes parents avec mon caprice de gosse de riches. Au départ on snobait ma boutique, on me pensait incapable d’être commerçante, juste douée à faire de bons gâteaux pour le dimanche. Mais j’ai su prouver le contraire. J’dis pas ça pour me faire mousser encore. Mais juste parce que d’autres pourraient avoir la même fougue que moi, le même succès. Elles sont bonnes, leurs pâtisseries vegan… je les ai testé, c’est surprenant, même sans beurre et sans œufs. Faut pas sous-estimer la concurrence. Je lui souriais à demi en haussant les épaules, je comptais me battre pour mes boutiques, mes bébés, même si les autres étaient sympas, je m’en fichais bien, si mes clients allaient chez eux c’était moins d’argent qui rentrait dans mes caisses. Et j’avais besoin d’argent. La conversation prenait fin, c’était tant mieux, je n’en pouvais plus, j’avais besoin de me concentrer sur mon job, sur le positif, sans me laisser parasiter par le négatif et pour l’instant Jake comptait comme la seconde catégorie. Je hochais la tête en croisant les bras pour le regarder partir, d’humeur amer. Bonne journée Jake.