A smile relieves a heart that grieves (Ella)

Elle cliquait une énième fois que le bouton envoyer de sa boîte mail. Il ne lui restait que 150 messages non lus, un calvaire parfois ce travail. Toujours interrompu, elle n’arrivait pas à cocher le cases de sa to do list, agacée par la charge de travail. Pourtant, c’était ce qu’elle rechercher Jo, une surcharge professionnelle pour avoir une bonne raison pour rentrer le plus tard possible chez elle. Parfois le Maire de Bowen, devait lui rappeler de rentrer, de se nourrir, de peur qu’elle ne s’évanouisse un jour dans son bureau. Surtout qu’aujourd’hui, il manquait du personnel au cabinet, alors Jo essayait de palier à l’absence d’un de ses collaborateurs, acceptant de rencontrer une personne qui voulait parler d’un projet personnel. L’ouverture d’une école d’art. Sur le papier ça sonnait bien, imaginant déjà une inauguration avec le Maire, peut-être la presse et valoriser la culture. Jo adorait les nouveaux projets, puis rencontrer les personnes faisait partie de son travail. Jamais trop enjoué, jamais trop sur la défensive, elle allait à ce rendez-vous sans vraiment d’attente. Son collaborateur lui avait envoyé un message, lui précisant seulement l’objet de la rencontre sans mentionner le nom de la personne qu’elle allait rencontrer. Son téléphone sonnait, l’informant que son rendez-vous était arrivé. Un dernier coup d’œil, Jo se dirigeait vers la salle de réunion, un endroit plus formel que son bureau beaucoup trop passant pour chercher de la tranquillité. Il ne lui fallait que quelques secondes pour se retrouver devant Ella. Son cœur à Jo, il s’arrêtait un instant. Son passé venait perturber le seul endroit où le drame ne l’avait pas touché, son travail. Mais tout prenait sens, connaissant la passion de son ancienne amie pour l’art. « Bonjour Ella. » Disait Joséphine avec un professionnalisme sans faille, comme si ces lieux la protégeait de ce passé et de cette rencontre imprévue. Elle l’invitait à entrer dans la salle de réunion. « Je te sers quelque chose à boire ? » Il savait accueillir à Bowen, entre café, thé, jus de fruit ou un simple verre d’eau.

Après une longue réflexion, Ella s’est peut-être lancée. Enfin, lancée reste un grand adjectif, elle se déplace, pour l’instant, seulement à la mairie pour échanger, discuter, et voir ce qui est réalisable, si l’idée pourrait plaire ou non. Elle a été motivée un peu par son frère qui lui a répété qu’elle était capable de ça, que ce n’est pas ridicule. Et elle ne veut pas le décevoir. Au contraire, elle cherche plutôt à le rendre fier. Pour cela, elle a préparé quelques petites feuilles d’explication sur son projet en amont pour qu’il puisse prendre un peu plus forme, qu’il soit un peu plus concret afin d’être au plus vite validé par la mairie. Au fond d’elle, elle aimerait vraiment qu’il aboutisse et qu’elle puisse voir un jour tout ça sous ses yeux. Mais elle ne se sent pas non plus aussi forte que ça pour supporter tout le poids d’une aussi grande idée. Pourtant, sur le papier tout semble assez simple : un lieu où chaque personne pourrait accéder à la fois à tous les arts : la musique, la peinture, la sculpture, le cinéma, le théâtre, la littérature, etc.. Elle souhaite pouvoir faciliter la communication entre les différentes branches artistiques et ouvrir tous les horizons à tout le monde. Elle voit un espace où tout s’échange, où la création, l’imagination se développent plus vite que possible, où l’impossible est possible, où tous les projets peuvent prendre vie. Les murs entre les disciplines n’ont jamais plu à Ella qui a touché un peu à tout. Elle aurait aimé qu’on lui dise plus jeune que tout peut s’entremêler, que tout peut se créer à la fois. C’est avec la tête dans ses pensées, dans ses rêveries qui la rendent si joyeuse, qu’elle attend qu’on vienne l’accueillir. Mais cela n’empêche pas son cœur de battre si fort de peur, de stress, et de tout à la fois. Elle a hâte et est angoissée d’y être, des sentiments si opposés. Puis des pas s’approchent coupant net alors toutes ses réflexions. Alors, Ella, elle tourne la tête pour saluer la personne. Et… elle ne s’attendait pas à la voir. Jo. Joséphine. Son cœur se serre alors, ses mains deviennent plus moites, et le stress prend le dessus sur son corps. Pourtant, il reste une touche de bonheur, une petite touche qui est contente de la retrouver, Joséphine. Ella ne sait plus comment se comporter, et sa timidité et sa peur ont le contrôle de tout actuellement. Puis, son ancienne amie brise le silence. Ella sourit et la suit dans la salle de réunion. Elle aurait aimé ouvrir la bouche, elle aurait aimé la saluer, et une petite partie d’elle aurait aimé la prendre dans ses bras, aussi. Mais tout ça, ça reste bloqué, tétanisé. Tellement qu’elle ne remarque même pas que les salutations de Joséphine restent professionnelles. Elle tourne la tête vers elle une seconde fois quand elle lui propose à boire. Ella acquiesce d’un signe de tête. « Un… un thé.. s’il te plaît » prononce-t-elle avec un sourire avant de marquer une longue pause silencieuse. « vert, s’il te plaît. » finit-elle par dire. Elle en a mis du temps avant de le préciser car autrefois, Joséphine l’aurait servi machinalement, tellement c’est une habitude d’Ella. Mais elle ne sait plus si elle s’en souvient. Comme elle ne sait plus si elle connaît encore si bien la personne en face d’elle.

Il y avait parfois des jours qui se déroulaient de la pire des façons. Ce jour en était un pour Joséphine. Tout la ramenait à sa vie passée. Depuis plusieurs heures maintenant, elle essayait de régler des problèmes qui se passaient dans une école de la ville, l’école où sa fille avait été. Evidemment, ça la replongeait dans cet état de tristesse qu’elle préférait oublier avec un café et une dose excessive de travail. Elle travaillait sans relâche, oubliant même parfois de manger. Ses collègues la connaissaient, lui apportant toujours de quoi se restaurer. Mais depuis quelques semaines, tout le monde s’arrachait au travail, on ressentait le manque d’une personne. C’était pour cette raison qu’elle allait à ce rendez-vous qui n’était de base pas pour elle. En voyant Ella, elle se rendait compte que cette journée s’acharnait sur elle. Tout la ramenait à sa famille, à sa fille, à son passé si beau mais qui ne faisait naitre que douleur en elle. Jo avait quand même prit le temps de travailler sur ce rendez-vous. Le projet avait l’air viable, doux, poétique, inclusif. Elle ne s’étonnait donc pas que ce soit Ella qui le porte. Revoir sa meilleure amie, ou son ancienne meilleure amie, ça lui fit quelque chose à Jo. Dans l’accident, elle n’avait pas perdu que sa fille. Jo avait mit, par elle-même, une croix sur la famille O’Brian. C’était d’autant plus vrai que maintenant divorcée de Tommy, il n’y avait plus rien qui la reliait à eux. S’il n’y avait pas eu cet accident, Jo aurait été surement une des premières à encourager Ella dans ce projet, en parlant directement aux élus. Aujourd’hui, Ella passait par tous les échelons, et ça commençait par rencontrer Jo. Elle l’invitait à rentrer dans la salle de réunion, lui proposant à boire. Jo ne savait pas vraiment se comporter. Ella n’était pas une inconnue, loin de là. C’était peut-être même une des personnes qui auparavant la connaissait le mieux. Mais d’un autre côté, leur amitié existait-elle toujours ? Elle ne se souvenait même plus de la dernière fois où elles s’étaient parlées, peut-être après le divorce. Par contre, elle n’avait pas changé. Sans réfléchir, Joséphine prit un sachet de thé vert, comme toutes les fois où elle lui avait servit cette boisson dans son salon. Auparavant, Jo aurait préparé deux tasses, une pour elle et une pour Ella. Cette fois-ci elle ne l’accompagna pas, préférant le café qui la faisait tenir. Jo avait maigrit, mais elle ne paraissait pas affaiblie. Elle souriait à la précision d'Ella, se retournant pour lui déposer la tasse et s'installa face à elle. « Je te prie d’excuser mon collègue, c’était lui que tu devais rencontrer, mais en ce moment il n’est pas là. » La seule chose qu’elle modifiait c’était le tutoiement, mais sinon elle restait tout autant professionnelle qu’avec n’importe qui. « De ce que j’ai lu c’est un bon projet, est-ce que tu as envie de m’en dire plus ? » Jo évitait les contacts visuels trop longs, passant son temps à regarder le dossier en face d’elle.

Porter ce projet jusqu’à la mairie est déjà une petite victoire pour Ella qui a longtemps hésité, qui a longtemps eu peur de cette idée. Elle ne se sent pas assez forte pour porter ce qu’elle souhaite monter, elle a besoin de soutien, Ella. Et peut-être que la mairie pourra lui apporter tout ça. Peut-être que la mairie pourra lui dire ce qui est réellement faisable. Ella avait donc préparé tout un pitch, tout un petit discours, studieuse comme elle est. Elle ne laisse pas trop de place au hasard pour ce coup-ci, elle a trop peur de bafouiller.. et bégayer, revenir à ses démons, à son enfer. Alors tout est bon, et cela lui permettra de vaincre sa timidité. Enfin, tout est bon, elle le pensait jusqu’à ce que la personne qui l’accueille soit Joséphine. Ce n’était pas prévu comme ça, sur sa convocation était écrit le nom d’un homme. Elle ne sait plus lequel, mais ce n’était pas Joséphine, elle en est certaine. Elle n’aurait pas pu sinon. Son cœur n’aurait pas pu. Joséphine, elle la connaissait bien. Son ancienne meilleure amie, son ancienne belle-sœur. Cela fait du mal de se dire le mot ancienne. Elle ne voudrait pas, elle ne voudrait pas voir cette réalité en face. Cette réalité qui blesse. Elle aurait aimé la prendre dans ses bras, montrer qu’une part d’elle est heureuse de la revoir. Elle aurait aimé tout ça, mais tout reste figé. Même lorsqu’il faut lui demander un simple thé. « Merci » Voilà tout ce dont elle se sent capable de dire. Voilà tout ce qui lui reste. La cordialité. Le cœur d’Ella bat plus vite, et les pensées s’embrouillent. « Ce… ce n’est.. ce n’est pas grave. » prononce-t-elle, en bégayant légèrement. Son esprit est flou, impossible de parler correctement. Son esprit divague, il se rappelle des bons souvenirs, et des mauvais. Ella, elle aurait voulu être à ses côtés, pour l’aider à traverser tout ça. Mais quelque chose a bloqué. Elle ne sait plus si c’est de sa faute, de la faute de Joséphine, ou celle de son frère. Ou de personne à la fois. Peut-on vraiment blâmer quelqu’un pendant ces moments ? Non, trop horrible, elle ne devrait pas. C’est la faute de personne, et c’est dur d’accepter que le futur doit se construire en ignorant ce passé, ces sentiments. Car des sentiments, elle en a toujours pour Joséphine. Des beaux sentiments d’amitié, car c’était fort entre les deux. Impossible ne pas y repenser maintenant. Impossible de vraiment se concentrer sur son sujet. Elle a laissé sûrement un trop grand blanc entre sa question et la réponse qu’elle s’apprête à faire. Est-ce étrange ? Est-ce que Joséphine a remarqué tout ça, toutes ses pensées ? Elle la connait si bien, elle devrait savoir peut-être ? Ella ne sait plus quoi penser, elle ne sait plus si elle a une vieille connaissance en face ou une totale inconnue. « Exc.. Excuse-moi. » répond-elle en soufflant. Elle boit dans sa tasse, pour reprendre ses esprits, et essaye de se reconcentrer. « C’est.. c’est une école d’art où chacun est libre d’exprimer ce qu’il souhaite. » Elle y tient à ce projet, et elle tient aussi à exprimer ce qu’elle ressent actuellement. « A travers tous les arts, possibles. » et peut-être même la parole, ce qui manque à Ella, là, pour exprimer exactement ce qu’elle ressent. Peut-être que ça viendra après. Et ça viendra sûrement, elle n’arrivera pas à jouer ce jeu pendant longtemps.

Bowen était une si petite ville. Joséphine n’arrivait pas à faire abstraction de sa vie, sauf quand elle se trouvait dans cette mairie. Ici, il n’y avait pas de deuil, de divorce, de relation perdue. Elle était juste Gibson. Cette directrice, bras droit du maire, connaissant tous les projets, les aménagements et les problématiques de la ville. Elle était du en affaire, à l’écoute sur les projets, pas facile à convaincre. Aujourd’hui, elle savait qu’elle allait voir Ella. Son amie. Son ancienne amie. Depuis Amélia et le divorce, Joséphine s’était isolée blâmant la famille de son ex-mari. C’était plus facile, lui donnant une excuse de ne pas penser à sa propre culpabilité. Puis Ella, c’était la sœur de Tommy. Ils avaient des souvenirs communs qui remontaient à des années. Aujourd’hui, elle se demandait si après tout ce temps, elles pourraient être encore amie. Jo avait changé. Elle avait perdu son sourire, sa joie de vivre, sa bienveillance. Il ne restait que son côté sombre. Devant son ancienne amie, Joséphine avait décidé de revêtir de sa casquette de directrice de cabinet et pas de Joséphine qu’Ella connaissait. Sauf que ça n’était pas aussi facile, parce qu’elles se connaissaient depuis toujours. A une époque, Ella pouvait comprendre Jo d’un seul regard et inversement. Elle n’avait même pas besoin de la précision d’Ella pour lui servir un thé vert. Elle aurait aimé lui dire que cet entretien allait bien se passer, que son projet était viable, mais Joséphine se refermait sur elle. Initialement, ç’aurait dû être Julian qui devait la rencontrer, mais parfois il fallait gérer d’autres urgences. Ella paniquait. Joséphine connaissait les signes. Les tremblements dans la voix montrait son inconfort. Ça lui faisait mal à Jo, et en même temps elle n’arrivait pas à faire le pas en avant pour l’apaiser. Elle n’avait plus le droit, il y avait eu trop de temps passés. A la place, elle lui offrait la possibilité de raconter son projet. Sauf qu’Ella n’était plus là, pendant quelques secondes. Peut-être était-elle plongée dans les souvenirs communs ? Jo refusait d’y réfléchir, parce que ça lui faisait trop de mal. Réfléchir au bon souvenir l’emmenait malheureusement vers les mauvais. La rancœur était toujours là, la tristesse aussi et son incapacité à gérer cette peine trop immense. « C’est rien. » Répondait-elle tout simplement, alors qu’elle prit une gorgée de son café. Pendant les explications d’Ella, Jo avait les yeux plongés sur le dossier. C’était plus simple pour éviter de trop penser, plus simple pour ne pas sombrer dans cette nostalgie. « Et tu as besoin de quoi pour ce projet en terme de financement ? De local ? De la mairie ? » Pour Jo, ces questions étaient basiques. Le projet était top, inédit à Bowen mais il y avait des détails à régler.

A la mort d’Amélia, Jo s’est fermée sur elle-même, ne laissant transparaitre sa tristesse et ses émotions que dans l’enclos de sa maison. Les cachets l’aidaient à dormir, à ne plus penser et le travail la focalisait sur d’autres sujets. Elle a toujours été carriériste, prête à battre les fers pour atteindre ses ambitions parfois trop grandes. Dans le passé, Joséphine s’ouvrait au monde, et particulièrement à sa famille et ses amis qui la connaissaient. De cette carapace rigide, ils connaissaient les points sensibles, le regard brillant qui leur permettait d’entrer dans son monde. C’était une femme joyeux, pleine de vie qui s’exprimait par des rires communicatifs et un désir de partager des moments. Aujourd’hui, elle se sentait seule, si seule repliée dans son bureau de la mairie ou dans sa chambre si froide. Seul son professionnalisme était resté de sa vie passée, la rendant encore plus concentrée et plus compétentes, mais également moins humaine. Son collaborateur ne pouvant pas être présent à son rendez-vous, Jo l’avait remplacé, même si elle savait qu’en face se trouverait un des fantômes de son passé. Il n’y avait pas que Tommy qu’elle avait laissé derrière lui. Toute sa famille avait disparu, parce qu’ils ne comprenaient pas la peine qu’elle avait ressenti en se réveillant de savoir qu’elle ne reverrait plus sa fille. Ce dernier adieu lui avait été volé et elle leur en voulait. Mais au lieu de les blâmer trop durement, elle avait décidé de quitter ce monde, préférant mettre toute la culpabilité sur son ex mari. Ella c’était sa meilleure amie, celle qui l’avait connu tout au long de sa vie, celle qu’il l’avait intégré à sa famille avec une grande facilité. Aujourd’hui, les deux femmes se trouvaient l’une en face de l’autre avec comme unique sujet le projet de la jeune femme. Jo suivait les formalités, cette fiche de route qu’elle connaissait par cœur à force de l’avoir répété encore et encore. La Mairie avait les moyens de l’aider, et évidement que Jo croyait au projet parce qu’elle connaissait Ella et connaissait les besoins de la ville sur le sujet. Il ne serait pas difficile de convaincre l’équipe municipale pour faire passer cette idée, mais il lui fallait des information, connaître l’avancée d’Ella sur ce chouette projet. Elle voyait son ancienne amie perdre le fil, se perdre dans sa timidité légendaire que Jo n’avait presque pas connu. Quand elles étaient amies, la conversation coulait de source, il n’y avait pas de blanc, pas de timide Ella, pas de fermée Joséphine. Elle répondait à ses questions avec hésitations et Jo lâchait ses feuilles. « Ella, ce n’est pas un entretien d’embauche. Ton projet est très chouette, et je serai le vendre au Maire. » Disait calmement et doucement Joséphine. Il y a bien longtemps qu’elle n’avait pas parlé avec une telle douceur. « J’ai juste besoin de cerner un peu tout pour voir ce que la Mairie peut proposer en terme de lieu et de budget. » Elle souriait timidement, l’encourageant à se détendre et à reprendre le fil de sa pensée et de ses documents.