map of your head (alex)

Depuis le début de l’été, le Summergarden proposait une sélection de films joués en extérieur. Une sorte de ciné-parc, mais sans les voitures. Tous les spectateurs avaient pris l’habitude d’amener des chaises pliantes ou de grosses couvertures à étendre au sol, et tous prenaient place devant le grand écran où étaient projetés des films surtout indépendants. August adorait ces films qu’on ne trouvait pas dans les cinémas habituels. Cela faisait différent des films de box-office, à gros budgets et sortant tout droit d’Hollywood avec les mêmes acteurs trop parfaits qui revenaient sans cesse au grand écran. Ne croyez pas qu’August ne savait pas apprécier ce genre de films, il savait certes les aimer aussi, mais il trouvait que le cinéma indépendant n’avait pas assez sa place dans les écrans de la population moyenne et c’était bien décevant. Il avait donc été très ravi de découvrir la programmation estivale du cinéma en plein air du Summergarden. Les films habituels roulaient toujours dans les salles intérieures, mais les plus passionnés ou intéressés trouvaient leur bonheur à l’extérieur, dans l’herbe. Il était possible de s’offrir un popcorn et quelques boissons dans un stand installé non loin de la verdure. Pour la soirée, August avait amené une couverture et était allé se chercher un popcorn. Il ne savait pas trop à quelle heure le film débuterait, la programmation indiquait que le départ était donné au crépuscule, mais c’était si vague qu’il était arrivé une bonne demi-heure trop tôt. Au moins, cela lui avait permis d’obtenir une bonne place devant l’écran. Pendant qu’il attendait, il scrutait les alentours, regardant les visages, le type de personnes présentes, jusqu’à ce que son regard tombe sur une jeune femme blonde qui le détaillait du regard, l’air un peu plus insistante que la normale. Il lui sourit, gêné par cet échange inattendu, et ne la lâcha pas du regard puisqu’elle ne le faisait pas non plus.

August était là. Alex l'avait reconnu, au loin, installé devant l'écran géant avec une couverture et du popcorn dans les mains. La barbe bien rasée, correcte, le regard plus sombre que la veille mais tout aussi brillant et une carrure imposante – qu'Alexandra avait d'abord trouvé déstabilisante, elle qui paraissait si petite à côté. Il avait un regard dans lequel se perdre était un plaisir, un sourire amusant et elle s'était demandée, la veille, dans ce bar, comment il était possible qu'ils se rencontrent que maintenant. Elle le regarda un long moment de l'autre côté de la pelouse, hésitant à le rejoindre pour venir le saluer. Après tout, leur rencontre remontait à quelques heures, mais ils avaient passé une soirée si bonne ensemble, qu'elle voulait déjà le revoir. Ils avaient discuté, ils avaient beaucoup ris, beaucoup bu aussi. Depuis son accident, ça avait été sa première vraie sortie, dans son esprit, c'était sa première soirée depuis son vingtième anniversaire. Alex se tenait à quelques mètres de August, une couverture sous le bras, un dépliant de la programmation dans une main et un pot en carton rempli de popcorn dans l'autre main. Une nouvelle fois elle consulta la brochure, se cachant presque derrière pour observer August et voir si quelqu'un finirait par le rejoindre. Un ami ou peut-être avait-il une copine. Elle ne savait même pas si c'était une bonne idée de venir le déranger, inviter Cliff aurait été plus simple, mais lorsque son regard croisa celui de August, elle lui offrit un sourire timide. La fin d'après-midi était plutôt chaude, le soleil entamait sa descente, les gens envahissaient doucement la grande pelouse et elle réalisa que sa mère avait eu raison de lui parler du Summergarden et de sa programmation d'été. Ses pas la menèrent presque par réflexe jusqu'à la couverture du professeur. « August. » Elle était détendue, heureuse de le retrouver malgré qu'ils ne se connaissent pas si bien. Son regard naviguait de August jusqu'aux autres gens installés plus loin, scrutant une place où s'installer plus tard. « Je vois qu'on a les mêmes idées pour occuper nos soirées. Le réveil n'a pas été trop difficile ce matin ? » Après tout, ils avaient beaucoup consommé, autant qu'ils s'étaient amusés. C'était un bon souvenir. « Tu es venu seul toi aussi ? »

Un sourire s’était dessiné sur les lèvres de cette blonde, qui le dévisageait depuis un moment déjà, semblant hésiter. August, incertain de la réaction qu’il devait avoir, esquissa à son tour un sourire. Disons qu’il ne vivait pas trop dans le monde de la séduction, alors il ne pensa pas directement qu’elle ait pu tout simplement avoir un œil sur lui. Cependant, quand elle se leva de son emplacement et qu’elle se dirigea vers lui, il se dit que c’était soit ça, soit elle le prenait pour quelqu’un d’autre. C’est la deuxième option qui l’aurait emporté vu comment elle lui parlait, si seulement elle n’avait pas donné le bon prénom. Et un prénom comme celui d’August, ça ne se devine pas aussi facilement. Il fronça d’abord les sourcils, déstabilisé par la situation. Il n’avait franchement aucun souvenir de cette femme, et essaya rapidement de la replacer, en vain. En même temps, au festival de la mangue, il avait rencontré pas mal de nouveaux visages. En tant que professeur toutefois, il avait toujours eu bonne mémoire pour ceux-ci et les prénoms qui y étaient associés. N’avoir aucun souvenir de cette jeune femme était donc loin d’être normal dans sa situation. « Euh, bonjour ! » Répondit-il avec une voix autant chaleureuse que confuse. La blonde le regarda avec un sourire avant de balayer la pelouse du regard. Cela donna un peu de temps à August pour accélérer sa réflexion et chercher à la replacer, en vain. Elle reprit la parole et lui parla de son réveil, ce qui plongea August dans le noir total, car en repensant à la veille au soir, c’était justement ça qu’il voyait. Le noir total. Il n’avait aucune idée, aucun souvenir, de ce qu’il avait fait de sa soirée. Ne voulant pas tout de suite s’alarmer, et aussi avoir l’air complètement perdu, il sourit encore à la jeune femme inconnue à ses yeux. « Non, non, pas trop mal ! Et toi ? » Plus il arrivait à lui soutirer des informations, plus grandes étaient les chances de se souvenir de cet épisode qu’il avait visiblement loupé. Elle lui demanda alors s’il était venu seul. « Oui, oui. Je me suis décidé à venir à la dernière minute, alors je n’ai pas cherché à me trouver quelqu’un avec qui venir. » Et de la façon dont elle avait posé sa question, elle aussi, était seule. « Tu veux t’asseoir ? » Proposa-t-il, désignant la place libre sur sa couverture trop grande pour une seule personne de toute façon. Si elle acceptait, là, August n’aurait pas le choix. Il ne pourrait plus faire semblant de la connaître alors qu’elle n’était qu’un point d’interrogation dans sa tête. C’était flippant.

Sa mère lui répétait qu'il était temps de retrouver une vie normale, de tisser des nouvelles relations, de se relever. Cela faisait deux mois qu'Alex était sortie de l'hôpital, mais elle ne se sentait toujours pas prête à affronter le monde extérieur. Le plus souvent, elle restait dans son appartement et n'en sortait que pour faire des courses et se rendre au café où elle avait trouvé un emploi comme serveuse. Sortir dans un bar, toute seule, avait été étrange – parce que dans sa tête, elle sortait seulement de l'adolescence et ignorait quoi dire, quoi faire, quoi boire, une fois installée face au comptoir. Mais pour une première fois, elle en gardait un excellent souvenir. Indéniablement August était l'un des facteurs qui avait rendu sa soirée meilleure, plus belle, plus drôle aussi. Et Alexandra espérait revivre la même expérience ce soir. « Disons que la prochaine fois que je bois autant de rhum, rappelle-moi de m'arrêter. » La migraine au réveil, ça n'avait rien d'agréable. Mais elle n'était pas certaine de l'écouter. Il avait suffit d'une minute, que August parle de sa rhumerie pour que Alex décide que goûter tous les rhums du bar serait une bonne idée. Elle haussa les sourcils, le regard rieur, resserrant son étreinte autour de sa couverture qui manquait de tomber dans l'herbe. S'assoir sans qu'il ne l'invite à le rejoindre aurait été mal placé mais elle avait hâte de poser ses affaires et ainsi avoir les mains libres pour manger son popcorn. Elle se demanda encore, la même question qu'elle s'était posée la veille, le regard braqué sur lui, comment un homme comme August pouvait se retrouver seul et venir ici. Elle n'avait aucune intention, aucun but, parce que dans son esprit, elle était trop novice pour décider de jouer la séductrice. Elle préférait discuter avec lui, ça lui plaisait. « Tu veux t’asseoir ? » C'était une offre qu'Alexandra semblait avoir longtemps attendu. Son visage s'illumina, trop contente de pouvoir enfin s'assoir. « Avec plaisir. » August avait l'air moins détendu que la veille, comme si il était méfiant, curieux, malgré le sourire affiché sur ses lèvres. Elle ne voulait pas croire que l'alcool pouvait le rendre plus ouvert. Mais elle s'assura de laisser de la distance entre leurs deux corps, pour ne pas le mettre mal à l'aise et son regard l'évitait. Un rire s'échappa d'entre ses lèvres une fois assise sur la couverture, repoussant ses tongs plus loin pour glisser ses pieds dans l'herbe. « Tu viens souvent ici ? Je savais même pas qu'ils diffusaient des films en extérieur, j'ai l'impression que c'est récent comme idée. » Elle s'adressait à lui, d'une voix lente, presque douce, à l'image du soleil qui déclinait. « J'ai oublié de prendre un truc à boire, tu veux que je te ramène quelque chose ? »

Boire autant de rhum était un autre indice permettant à August d’essayer de se situer. Ils s’étaient sans doute rencontrés à la rhumerie, ce qui faisait du sens puisque techniquement, il devait aller travailler la veille. Sa seconde barmaid avait pris congé et donc il avait prêté main forte à Neela, pour qu’elle ne soit pas assaillie de commandes et de clients trop bourrés et sans respect. Il préférait toujours être là plutôt que de savoir ses employés dans une situation difficile à gérer. C’est donc pourquoi il était maintenant persuadé qu’il avait passé la soirée à la rhumerie. Cette jeune femme-là aussi, apparemment, et ils devaient avoir beaucoup discuté. « Promis. Je t’arrêterai au moment où t’auras rentabilisé ma soirée. » Blagua-t-il, espérant que la veille il avait découvert une femme avec un humour développé et non pas une femme trop sérieuse. Parce que ça, il aurait dû être au courant, à l’heure qu’il était. Malheureusement, il n’avait aucun souvenir de la personnalité de la jeune femme. Ressentant toutefois planer une certaine attente entre eux, et devant le regard de la jeune femme toujours posé sur lui, August lui proposa finalement de venir s’asseoir. De toute façon, il avait beau avoir honte de ne pas se souvenir d’elle, il savait aussi que ce n’était de la faute de ni l’un ni de l’autre et que tôt ou tard, il faudrait qu’il se jette dans le vide devant cette étrangère, cherchant des explications à ses interrogations. Soit il avait trop bu, soit c’était encore des séquelles de son accident de vélo durant son dernier triathlon. Cet accident qui avait fait en sorte que sa mémoire lui faisait parfois faux bond, que ses souvenirs ne s’enregistraient pas toujours comme il le fallait. Et comme il ne s’était pas réveillé ce matin avec une haleine de fond de tonneau de rhum et sans mal de crâne, il se disait que c’était sans doute la seconde option qui justifierait la situation. La blonde s’assit finalement à côté de lui, visiblement très ravie de l’offre. Elle garda une certaine distance entre eux, et August en conclut donc qu’ils n’avaient pas été plus loin qu’une discussion. Du moins, c’était le sentiment que ça lui laissait. La jolie demoiselle lui demanda alors s’il venait souvent ici. « Ils le font toujours durant les mois de juin et de juillet, depuis quelques années. J’dirais trois ou quatre ans. » Lui apprit-il avec un sourire. Puis, la jeune femme réalisa qu’elle n’avait rien à boire, et lui proposa de lui ramener quelque chose. « Euh, un coca, pourquoi pas. Merci ! » Lança-t-il alors qu’elle se levait pour aller leur chercher leurs consommations. Pendant ce temps, August essayait de se préparer une phrase toute faite dans sa tête, mais rien ne sonnait juste. Quand la blonde revint, August la remercia de nouveau puis la regarda avec un regard hésitant, confus et désolé. « Écoute, euh … Je sais pas trop comment te dire ça mais … je … on s’est rencontrés hier soir ? Je suis désolé je … je n’en ai aucun souvenir. » Déclara-t-il, bien franchement, ne sachant pas s’il devait davantage tourner autour du pot.

« A une condition, que tu viennes au café où je travaille. T'es pas le seul à devoir faire du profit. » Elle plaisantait, sur le même ton, son sourire toujours au coin des lèvres. Alex n'aurait pas su expliquer pourquoi elle aimait autant la compagnie de August. Ils ne se connaissaient pas et n'avaient partagé que quelques verres au comptoir d'un bar. Mais lorsque Alexandra le regardait, c'était comme retrouver un vieil ami. Un ami devant lequel elle aurait pu raconter la chose la plus idiote, la plus gênante, la plus drôle, qu'elle se sentirait toujours à l'aise après. Il avait apporté de la couleur à sa vie le temps d'une soirée, elle qui avait toujours aimé être entourée mais qui se sentait seule depuis sa sortie de l'hôpital. Elle espérait qu'il partage le même sentiment, mais n'en était plus si sûre. Lui proposer de boire quelque chose, c'était un échappatoire. Le Summergarden organisait ce genre d'événement depuis quatre ans et elle n'en avait plus aucun souvenir. Les dix dernières années de sa vie étaient tombées dans un trou noir et August venait de lui rappeler sans le savoir. Elle sauta tristement sur ses jambes, toujours pieds nus, pour rejoindre le stand plus loin sur la pelouse et y acheter deux coca. A son retour, elle se remit à sa place. Autour d'eux, il y avait plus de monde, plus de bruit. Son attention se reporta sur August et son sourire disparu en croisant son regard étrange. « Écoute, euh … Je sais pas trop comment te dire ça mais … je … on s’est rencontrés hier soir ? Je suis désolé je … je n’en ai aucun souvenir. » Elle le regarda de longues secondes, soudainement muette, incapable de prononcer le moindre mot, battant seulement des paupières comme un poisson dans son bocal face à un humain. « Tu te souviens pas de moi ? » Il avait eu l'air de l'apprécier hier, pourquoi faire semblant de pas la reconnaître ? Sa main passe sur son front, et elle baisse la tête en s'imaginant avoir inventé leur rencontre ou en réalisant que c'était peut-être un souvenir vieux de dix ans. Dans sa tête, tout s'embrouillait et son expression de poisson dans un bocal disparu lorsqu'elle tourna le visage une seconde pour ne plus supporter le regard désolé du jeune homme. « Alexandra. On s'est rencontrés au bar sur la plage... Tu vois toujours pas ? » Hier soir ou dix ans plus tôt, c'était le mystère. Elle cru devenir subitement folle. « Enfin, heureusement qu'on a seulement discuté, j'aurais été vexée que tu m'oublies si on avait... » Elle roula des yeux sans prononcer l'allusion sexuelle à laquelle elle pensait. Sa mémoire chassait le souvenir de leur soirée alors qu'elle regroupait ses affaires tout en offrant un sourire amusé à August. « Je suis désolée, j'ai dû me tromper de personne. » Elle avait prononcé les mots si vite, qu'elle était certaine que sa phrase en avait perdu son sens.

Un rire s’échappa d’entre les lèvres d’August. Quel dommage de ne pas se souvenir d’une femme aussi belle, drôle et charismatique. « Je pense que ça peut se faire, oui. » Avait-il répondu avec son sourire bien sincère aux lèvres, parce que tout d’un coup il avait bien envie de venir prendre un café face au comptoir derrière lequel cette belle blonde travaillait. Si seulement il savait de quel café il s’agissait. Le truc c’était qu’à Bowen, il y avait autant d’accros à la caféine qu’à l’alcool, alors ces deux endroits pullulaient à travers la ville, dans toutes les rues. August se voyait bien mal aller s’acheter un café dans un endroit différent pendant toute une journée, à la recherche de la crinière dorée de cette belle étrangère qui, sur son horaire, ne travaillerait peut-être même pas cette journée précise. C’était un casse-tête qui ne cessait de gagner des pièces et August commençait sérieusement à en avoir mal à la tête, comme quoi ce nom était bien trouvé. Son petit moment de répit fut bien reçu, lorsque la jeune femme se leva pour aller leur chercher quelque chose à boire, au même stand où le popcorn était distribué. Ce n’était que deux minutes d’attente, mais August eut le temps de réfléchir à un plan pour sortir de l’ombre, pour révéler la vérité au grand jour. Pour cesser de faire semblant face à cette femme si innocente qui n’avait rien demandé d’une telle méchanceté. August était un homme honnête, et il se sentait affreusement coupable de lui faire croire qu’il se souvenait d’elle, d’eux, alors que c’était le noir total quand il essayait de se remémorer une quelconque image sur laquelle elle figurait. Il lui avoua donc, bien franchement, ne pas se souvenir d’elle, et ce dès qu’elle eut retrouvé sa place auprès de lui. Parce qu’au fond, elle n’était pas auprès de lui, pas vraiment. Elle était auprès d’un inconnu, encore une fois, et elle se devait de le savoir. « Non … non, je suis désolé … » Répéta-t-il quand elle le questionna, surprise. Il secoua la tête, grimaçant légèrement pour souligner toute sa culpabilité, sa déception face à lui-même. Alexandra, rencontrée au bar sur la plage. Alors déjà, ce n’était pas à sa rhumerie, alors sa blague d’un peu plus tôt tombait directement à l’eau. « Non, je ne vois pas. » Il y voyait encore moins, en fait. Parce qu’il ne comprenait pas pourquoi il avait préféré aller traîner au bar de la plage plutôt qu’à sa propre entreprise. Peut-être était-il allé après sa fermeture ? Peut-être la soirée avait-elle été calme alors il avait laissé Neela gérer à elle seule l’endroit ? C’était possible. À la prochaine remarque d’Alexandra, August fronça les sourcils, fâché contre lui-même qu’elle puisse avoir de telles pensées. « Non, ne dis pas ça, s’il-te-plaît … Je suis déjà assez vexé moi-même de ne pas me souvenir de qui tu es … » Déclara-t-il, essayant de poser sa main sur l’avant-bras d’Alexandra, mais celle-ci avait commencé à ramasser ses affaires et déclara s’être trompée de personne, prête à partir. Son geste s’accéléra donc et il posa bel et bien sa main sur le bras de la jeune femme, cette fois pour la retenir. « Non, je ne crois pas. Des August, ça ne court pas les rues à Bowen. Même que je pense être le seul. » Il marqua une pause et attendit d’avoir l’attention d’Alexandra, soit son regard sur le sien. Il soupira. « Écoute, je … j’ai une certaine condition … une sorte de … de dérèglement mnésique. J’oublie, parfois. J’oublie certains moments. Comme si je n’étais pas là. Ce n’est pas la première fois. Et j’pense bien que c’est ce qui est arrivé hier … je ne vois pas d’autres explications … » Il était rare qu’August en parle aussi directement, lâchant une bombe sur les autres, mais avec Alexandra, c’était quitte ou double. Soit il le lui disait maintenant, soit il la laissait partir à tout jamais.

Elle était tombée sous son charme, sans arrière pensée, sans rien désirer de plus que sa présence sur le tabouret à côté du sien. Alexandra n'avait aucune honte à penser ainsi, parce qu'elle n'était pas dans l'optique de séduire le professeur ou de lui passer la bague au doigt. Elle savait seulement apprécier les gens au naturel, discuter simplement, rire de tout, rire de rien, sans chercher à finir dans les draps de l'autre. August était attirant, certes, mais ce n'était pas ça qu'elle recherchait chez lui. Elle avait tout aimé de leur soirée, leurs interminables conversations, leurs fous rires, l'alcool, et elle s'était endormie, en rentrant à son appartement, en s'imaginant qu'August pensait la même chose de son côté. En l'espace de quelques heures, il lui avait donné plus de lumière et plus de couleurs, que n'importe qui d'autre. A l'exception de sa famille. Et plus ils discutaient, plus elle avait ressenti le désir de le revoir très vite. Jusqu'à maintenant. Au fond, même si il était désolé, Alex était triste qu'August ait pu l'oublier, ça lui rappelait comment elle avait oublié Cliff, Neveah, tout le monde. Et si le problème venait d'elle, alors son souvenir remontait à très loin dans le temps. Ses migraines se faisaient de plus en plus fréquentes et ses problèmes de mémoire de s'arrangeaient pas. August ne savait pas qui elle était alors que paradoxalement, Alexandra, elle, était impatiente d'en apprendre encore plus sur lui. Elle souriait toujours, cherchant un moyen pratique pour réussir à tenir sa couverture, en plus de son coca et son carton de popcorn sans les renverser. Elle s'arrêta dans son action en sentant les doigts du jeune homme sur sa peau, tournant le visage pour braquer son regard dans le sien. Elle était triste. Triste de le sentir si proche physiquement alors que leurs têtes les éloignaient mutuellement l'un de l'autre. Il n'était pas vraiment là, et elle non plus. Il était peut-être le seul August de tout Bowen, ou peut-être pas. Elle posa sa main sur la sienne, comme un réflexe naturel, l'écoutant sans l'interrompre avant de s'installer à genoux face à August. « Ça arrive souvent ? Que tu oublies, que tu te réveilles sans te souvenir. » Elle avait parfois l'impression de vivre la même chose mais sans être certaine, mettant tout sur le compte de son accident. Sa voix était désolée, son regard compatissant, parce qu'elle partageait le même sentiment désagréable qui l'envahissait peut-être. « Ou peut-être que ça vient de moi, j'ai eu un accident il y a quelques semaines. Mes derniers souvenirs remontent à 2006. C'est bizarre mais ça expliquerait que tu te souviennes pas si on s'est rencontrés il y a plus de dix ans. Tu vis à Bowen depuis longtemps ? » Elle détestait parler de son accident, mais comme la veille, en présence de August, elle avait l'impression de pouvoir tout dire, tout confier. Et soudainement, sans que ni l'un, ni l'autre n'ait raconté de blague, elle éclatait de rire. Un rire triste, sans joie. « On peut même pas savoir qui a raison, on perd la tête tous les deux. » Prenant un air faussement embêtée et désireuse de détendre l'atmosphère à sa manière, elle décidait de rejouer la carte de l'humour. « Donc, t'as oublié ma demande en mariage ? »

Le regard empli de tristesse d’Alexandra serra le cœur d’August, qui s’en voulait tellement de briser ses attentes et ses espoirs d’une telle façon. C’était cruel, alors que ce n’était même pas voulu. Il avait vu dans ses yeux toute la lumière s’éteindre quand il lui avait dit ne pas se souvenir d’elle. Il avait vu toute la déception s’emparer de son corps, de son cœur. Il ne savait pas trop ce qui s’était passé la veille, mais il avait l’impression qu’Alexandra et lui avaient réellement connecté, d’une façon qu’il ne s’expliquait pas encore étant donné qu’il ne pouvait mettre le doigt sur ce qui les avait tant touché chez l’un et l’autre. Heureusement, lorsqu’il lui expliqua un peu mieux les raisons de son oubli impardonnable, Alexandra sembla plus réceptive et cessa de chercher à fuir. Elle s’arrêta, le regarda, et posa sa main sur la sienne. August baissa les yeux vers ce contact, puis regarda de nouveau la belle inconnue, qui au fond, ne l’était pas. Pas tant que ça. Alexandra s’installa finalement à genoux devant lui, prête à l’écouter, prête à le questionner et à le laisser s’expliquer. Elle lui demanda d’ailleurs si ça lui arrivait souvent, d’oublier ainsi. Il secoua la tête, lentement, de gauche à droite. « Non … C’est assez rare. Ça fait un an que je vis avec ce … ce trouble. Et ça m’est arrivé cinq fois, en tout. Celle-ci comprise. » Mais, Alexandra ne sembla pas si certaine que le problème venait réellement de lui, vu le regard hésitant qu’elle arborait maintenant. Elle reprit la parole et expliqua alors qu’elle avait également des troubles mnésiques, mais dans son cas, ses derniers souvenirs remontaient à dix ans avant aujourd’hui. August haussa les sourcils, réalisant à quel point sa situation était peut-être handicapante par moment, mais qu’elle était loin d’être aussi à plaindre que celle d’Alexandra. « Tu n’as aucun, mais alors aucun souvenir des dix dernières années ? Alexandra … ça doit être … horrible. » De se faire voler sa vie de cette façon. De se faire voler ses plus belles années. Il n’arrivait même pas à imaginer la souffrance. Lui qui était troublé d’avoir oublié la veille, il n’aurait pas su gérer perdre les dix dernières années de sa vie. Sa mémoire, ses souvenirs, étaient ce qu’il avait de plus précieux. « Je ne vivais pas à Bowen il y a dix ans. J’y suis né, par contre. J’y ai vécu jusqu’à mes douze ans. » Avoua-t-il. C’est alors qu’Alexandra éclata de rire, un rire des plus douloureux à entendre, et August n’arriva pas à la suivre dans sa nervosité. Il la regarda avec le regard brillant de tristesse, et serra sa main dans la sienne, l’écoutant parler d’eux deux qui perdaient la tête. Il sourit. « Je doute qu’on se soit rencontré au bar de la plage quand j’avais treize ans et toi … toi tu dois être bien plus jeune que moi. Alors je pense qu’on peut conclure que cette fois, c’est ma mémoire à moi qui nous a joué un tour. » Déclara-t-il avec un sourire triste. Triste d’apprendre la condition d’Alexandra. Triste de ne pas se souvenir de tout ce qu’il avait appris d’autre hier, tout ce qu’il aurait pu savoir de bien plus beau et joyeux sur elle. La belle blonde se permit finalement une blague, sans doute pour les apaiser tous les deux, et parla de la demande en mariage. August éclata de rire, puis la regarda sérieusement. « Ça dépend, qu’est-ce que j’ai répondu ? » Continua-t-il, avec humour. Quelle rencontre inopinée. Deux êtres dont les mémoires avaient été égratignées par la vie, deux êtres qui s’accrochaient au présent comme personne d’autre. C’était beau et triste à la fois.

Elle était attentive, le menton relevé, ses yeux verts observant August, oubliant un instant où ils étaient, ce qu'ils étaient venus faire ici et les gens tout autour d'eux. Comme la veille, il accaparait toute son attention. Il était captivant. Mais il était naturel aussi pour Alexandra d'offrir son attention et son aide aux autres. Elle ne manquait jamais un moment d'être là pour quelqu'un. Pour l'écouter, lui offrir son temps, sa présence à l'autre bout du monde si on lui demandait. Peu importe que leur rencontre remonte à vingt ans ou seulement quelques heures finalement. August avait su la toucher en plein cœur et elle ressentait le besoin d'être à ses côtés maintenant. Elle prenait peut-être tout ça trop à cœur, elle n'en savait rien, mais sa condition d'amnésique et sa mémoire défaillante la poussaient à vivre chaque relation, chaque nouvelle rencontre, chaque événement, comme si c'étaient les derniers de son existence. Elle prenait tout ce que le monde avait à lui offrir avec l'euphorie d'un enfant qui découvrait ses cadeaux le soir de Noël. « C'est pas facile, on va dire. Le seul souvenir que j'ai, c'est l'adresse d'une maison sur la plage. Sinon, c'est le trou noir. Aucun souvenir. » Elle abandonna son regard pour s'attarder sur leurs mains liées. Le contact chaud de la main d'August ne lui déplaisait pas. C'était rassurant. Sans sous-entendu. « T'as voyagé ? » Elle demandait, curieuse, en apprenant qu'il n'avait pas vécu ici dix ans plus tôt. Son regard s'illumine tout à coup, trop fascinée par les voyages pour être capable de rester insensible. Si c'était vrai, sa tête grouillait de questions à lui poser. Elle aussi avait déjà voyagé, mais n'en avait plus aucun souvenir. A présent, elle le regardait pleinement, le regard mêlé de tristesse et brillant de curiosité. « Hé! T'as répondu oui évidemment. » Faussement contrariée à propos de cette demande en mariage inexistante, elle lui donne une tape sur l'épaule avec la force d'un moineau. « Mais t'as décidé de partir quand t'as vu que j'avais pas de bague pour toi. Fin de notre histoire. Ça a brisé mon cœur. » Une fois sa main retirée de son étreinte, elle superpose ses doigts sur sa poitrine, à l'endroit où est son cœur. D'un geste, elle repoussait sa couverture pour venir se rassoir face l'écran qui s'allumerait bientôt, plus détendu, s'attardant sur l'expression confuse qui ne quittait plus le visage de August. Loin du regard rieur qu'il arborait hier soir. « Un an, c'est long. Les médecins n'ont aucune solution pour t'aider ? » Elle repensait à ce qu'il avait dit. Son côté protecteur voulait s'assurer que August finirait par aller mieux, qu'il irait bien une fois que leurs chemins seraient séparés. C'était sincère, chaleureux, plein de soutien pour cet homme. Et ainsi, ça lui donnerait peut-être de l'espoir, à elle aussi, d'un jour ne plus souffrir de perte de mémoire. « Ils disent toujours que ça va s'arranger, mais je vois pas d'amélioration. »

Les grands yeux d’Alexandra étaient rivés sur August, et il aurait pu jurer qu’à ce moment-là, il n’y avait qu’eux deux. Elle l’écoutait tellement avec une attention désarmante qu’il avait l’impression que tous ces gens autour d’eux n’avaient aucune importance, qu’ils n’étaient pas réellement là. Et ça ne lui déplaisait pas. Cette femme avait une énergie très particulière qui le mettait tout de suite à l’aise, et ce malgré la situation des plus étranges dans laquelle ils se retrouvaient bien malgré eux. Elle lui raconta un peu ce qui se passait avec ses souvenirs, elle lui parlait de son état, et August l’écoutait avec toute l’attention du monde, parce que même si leurs conditions étaient à des kilomètres l’une de l’autre, il se sentait tout de même très proche de ce qu’elle vivait. « Une maison sur la plage ? La tienne ? » Demanda-t-il en fronçant les sourcils. C’était mystérieux, quand même, de ne se souvenir que d’une adresse. Si c’était son adresse à elle, de la maison qu’elle avait habituée durant toutes ces années perdues, c’était sans doute normal en un sens. Mais si ce n’était pas le cas, August avait froid dans le dos en se disant que c’était exactement comme ça que débutaient les romans policiers en général. Puis, quand elle avait appris au fil de la conversation qu’August ne vivait pas à Bowen il y avait dix ans de cela, mais qu’il y était né et qu’il était maintenant visiblement de retour, Alexandra lui demanda s’il avait voyagé. Avec tout l’enthousiasme et la curiosité d’une enfant, et August fit le calcul dans sa tête, et réalisa qu’en fait, à son réveil, elle n’était encore que ça, la belle Alexandra. Une toute jeune adulte, adolescente encore peut-être. Il sourit en la regardant. « Je suis retourné vivre dans le pays natal de mes parents, l’Autriche. Toute ma grande famille y vit, encore aujourd’hui. J’ai fait mon lycée et mon université là-bas, avant de revenir enseigner ici. » Il n’avait aucune idée de s’il lui avait déjà raconté un peu de son histoire la veille, si elle savait qu’il était professeur. Il allait sans doute radoter toute la soirée, si ça se trouve. « Avais-tu déjà voyagé, pendant ton adolescence ? » Demanda-t-il. Si elle pouvait au moins se raccrocher à ses vieux souvenirs, c’était déjà ça. Ils parlèrent finalement un peu plus de la veille, mais plutôt d’une façon humoristique, à propos de la demande en mariage d’Alexandra à August. Il continuait de rire à chaque mot qui sortait de sa bouche. « Ah, c’est tout à fait mon genre, ça. J’suis trop superficiel. » Ajouta-t-il en riant, alors que s’ils avaient réellement pris le temps de discuter la veille, Alexandra avait sans doute bien vite compris qu’August était loin d’être superficiel ou matérialiste. Leurs mains se relâchèrent finalement, et August la regarda la joindre contre sa poitrine, avant de la regarder avec un léger sourire alors qu’elle le questionnait sur son état. Il secoua la tête de gauche à droite. « Non, aucune solution … ils attendent de voir, avec le temps, surtout. » Déclara-t-il. Heureusement que sa condition n’était pas comme celle d’Alexandra, car ne pas savoir si sa mémoire lui reviendrait un jour le tuerait à petit feu. Là, au moins, il avait encore la plupart de ses souvenirs, seules quelques heures manquaient à l’appel. Alexandra lui parla alors de ce que ses médecins à elle lui disaient. Il fit une moue désolée, attristée. « Mais tu as dit que ça ne faisait que quelques semaines ? Peut-être que ça prendra un peu plus de temps ? Après tout, si mes médecins y croient encore après un an, d’une certaine façon, alors il y a encore espoir pour toi aussi. » Dit August, essayant de la rassurer, même si dans ce monde médical où tout était encore à découvrir, rien n’était moins sûr pour tous les deux. « Et hier, j’t’ai pas trop raconté de bêtises, j’espère ? » Demanda August avec un sourire, surtout dans l’espoir de savoir ils se situaient où, à peu près, dans la connaissance l’un de l’autre. De son côté, tout serait à recommencer pour connaître Alexandra, mais cela ne voulait pas dire qu’elle devait l’entendre lui de nouveau.

« Non. Elle appartient à un ami. Moi, je vis dans un appartement en travaux et en ruine, c'est pas le grand luxe à côté. » Elle avait répondu avec un sourire tout en haussant les épaules. Désigner Cliff comme un ami lui paraissait déplacé mais elle ne voulait pas labelliser leur relation alors qu'elle ignorait toujours où ils mettaient les pieds. Elle ne se considérait pas en couple avec lui mais elle se sentait inévitablement proche de cet homme. Avec August, c'était différent, comme un vent de fraicheur malgré qu'ils se redécouvraient une seconde fois. Se retrouver avec lui sur une couverture à la tombée de la nuit, Alex aurait pu voir quelque chose d'intimiste dans leur situation, si seulement le professeur s'était souvenu d'elle. Elle ne savait pas pourquoi, instinctivement, en le voyant assis au milieu de la pelouse, elle avait senti le besoin de le rejoindre. Elle lui portait une attention particulière et elle aurait été incapable d'expliquer ce qui la poussait à s'intéresser à cet homme. Au-delà de son physique, c'est son esprit, toute sa conversation et son humour qui lui plaisaient et qui l'avaient déjà attiré l'autre soir. Il lui avait même parlé de sa rhumerie pendant si longtemps, qu'elle avait fini par faire semblant de s'y connaître dans cet alcool qui lui était pourtant inconnu. Juste pour plaisanter, parce qu'il avait dû remarquer combien elle était nulle pour mentir. Ses yeux restèrent accrochés aux siens encore quelques secondes, puis elle se décida enfin à regarder ailleurs, vers son verre de coca. « C'est comment l'Autriche ? J'imagine que ta famille doit te manquer. » Après tout, à l'entendre, toute sa vie était là-bas. Et elle ajouta, pour répondre à sa question : « Ouaip, pour des compétitions de surf principalement. J'ai fait le tour de l'Australie et la Californie. » A vrai dire, elle le lui avait déjà dit la veille. Alors, plus ils parlaient, plus son trouble grandissait. Elle ne voulait pas que August pense qu'elle ne l'appréciait soudainement plus, mais maintenant qu'il avait mis en lumière son dérèglement mnésique ou l'avis des médecins, Alexandra se sentait comme une étrangère qui empiétait dans son espace vital. Une fois que le film aura commencé, elle se disait que prendre la fuite pour le laisser tranquille serait plus facile. Elle ressemblait à un pot-de-colle, à lui faire la conversation alors qu'il n'avait pas le moindre souvenir de qui elle était. Malgré tout, Alexandra émit un léger rire en l'écoutant plaisanter et se considérer comme superficiel. Pour autant, elle dû se retenir de surenchérir malgré qu'elle en ressentait l'envie. « Oui, tu as raison. Il y a toujours de l'espoir. » Elle hochait la tête avec un sourire, prenant une poignée de popcorn qu'elle fourra aussi vite dans sa bouche. Mais quand il lui demande si il n'a pas raconté trop de bêtises la veille, sa première pensée est de le faire tourner en rond. « Pfiou, des tas. » Son sourire s'agrandit automatiquement avant qu'elle ne fasse un geste vague de la main. Comme pour balayer ses derniers mots, son regard revenant aussitôt se braquer dans celui de August. « Tu m'as dit être prof d'Histoire. On a beaucoup parlé de sport, d'art aussi quand j'ai avoué être capable de faire des statuettes en poterie. Ma mère tient une galerie en plus. Et ensuite tu as parlé de ta rhumerie. C'est à partir de là que j'ai commencé à boire, histoire de pouvoir comparer avec le rhum que tu fabriques. Sinon, je te rassure, j'ai pas essayé de te draguer. » Elle disait ça comme si elle avait pu le trouver repoussant. « Oh et on a remarqué qu'on appartenait à la même équipe verte, pour la compétition de la fête de la mangue. »

La maison en question appartenait à un ami, tout simplement. C’était étrange qu’Alexandra ne se souvienne que de cette adresse, qui n’était même pas la sienne qui plus est. Parfois, notre mémoire nous joue des tours et nous envoie certains messages, même lorsque celle-ci est défaillante. « T’as une idée de pourquoi c’est cette adresse qui t’es restée en tête ? T’as demandé à ton ami ? » S’intéressa August, franchement curieux et intéressé par ce mystère. Après tout, peut-être que l’explication était logique, peut-être qu’Alexandra avait passé le plus clair de son temps, durant les dernières années, dans cette maison au bord de la mer. Avec une pareille location, August aussi aurait délaissé son appartement pour la maison d’un autre. Mais peut-être était-ce également un mystère qui était fait pour en rester un. Il n’osait même pas imaginer comment se sentait Alexandra, à se poser une myriade de questions qui n’auraient peut-être jamais de réponse. Ça lui faisait peur, à quelque part, de se l’imaginer. La blonde lui demanda finalement comment c’était, l’Autriche, et releva le fait que sa famille devait lui manquer. « L’Autriche c’est … des paysages à couper le souffle, grâce aux Alpes qui sont omniprésentes dans le décor. C’est ce qui me fait encore rêver quand j’y repense. » Il sourit, pensant par exemple à Innsbruck, à Hallstatt ou à Wachau, où les villes étaient bâties au bas des montagnes, offrant une vue spectaculaire à ses habitants. « Et ma famille me manque, c’est certain. On communique par Skype ou Face Time, mais … ça ne suffira jamais à remplacer leur présence physique. » Et avec son horaire plus que chargé en raison de ses deux emplois à temps plein, August n’avait que quelques jours par années pour y aller, soit pendant Noël ou pendant les quelques jours de pause entre les différents trimestres scolaires. Bref, le professeur d’histoire demanda à son tour si Alexandra avait voyagé durant les années dont elle avait encore quelques souvenirs. Il apprit avec surprise qu’elle avait fait des compétitions, même si elle l’avait sans doute mentionné la veille. « Wow ! Je sais pas comment vous faites, les surfers, pour tenir sur une planche. Je pense que je serais incapable. C’est comment, la Californie ? C’est comme ce qu’on voit à la télévision ? » Il se demandait si ses réactions à chaque affirmation d’Alexandra étaient les mêmes que la veille, ou si le contexte et l’ambiance modifiaient sa façon de réagir. Il espérait que ce n’était pas un copier-coller, car si c’était le cas, Alexandra devait vraiment regretter d’être venu lui parler. Ils parlèrent brièvement de l’avis des médecins sur leurs cas, pour ensuite parler de la veille, de ce qu’ils s’étaient dits. Comme August avait peur de se répéter, il demanda à Alexandra ce qu’ils s’étaient dit, en gros. Il l’écouta avec attention, souriant à ses blagues, et hochant la tête face aux informations qu’il apprenait pour une seconde fois. « Ah c’est vrai ? J’ai lu qu’on aurait un défi à réaliser tous ensemble, le plus grand mangeur de mangues, je crois … Tu vas participer ? » Demanda-t-il avec un sourire, sachant fort bien que lui ne serait pas capable d’en avaler plus de deux ou trois, alors c’était perdu d’avance.

Elle ignorait si August était curieux, réellement intéressé ou seulement trop poli pour lui dire de dégager mais sa question la fit sourire. « Je voudrais pas t'ennuyer avec mes histoires. » Elle replaça inutilement une mèche de cheveux derrière son oreille avant de reporter son regard sur les popcorns dans son carton. Pourtant, c'était à August, à cet instant, qu'Alexandra voulait se confier. Avec lui, depuis qu'ils s'étaient croisés la veille dans ce bar, elle se sentait en confiance, bien et en sécurité. Et l'aura bienveillante du professeur lui donnait le sentiment qu'il ne la jugerait probablement pas, peu importe ce qu'elle dirait. C'était assez pathétique de penser ça, alors qu'ils n'étaient même pas amis et ne se reverraient sûrement pas après cette soirée. « L’Autriche c’est … des paysages à couper le souffle, grâce aux Alpes qui sont omniprésentes dans le décor. C’est ce qui me fait encore rêver quand j’y repense. » Il avait un sourire communicatif et elle fut frapper par son élégance, son côté un peu rêveur lorsqu'il parlait du pays de ses parents. « Ça a l'air magnifique. » Il n'avait pas besoin d'en dire beaucoup pour que Alex ait soudainement envie de partir à l'autre bout du monde voir les paysages dont il parlait. Elle songea que ses cours d'Histoire devaient être particulièrement fascinants si il en parlait avec autant d'admiration. « C'est quoi FaceTime ? Tu sais, je viens seulement de découvrir que les téléphones tactiles existaient, alors... » dit-elle en roulant des yeux, riant avec légèreté, parce qu'elle se rappelait surtout de l'expression choquée de ses frères quand ils l'avaient vu reprendre son vieux Nokia 3310. Et si August lui expliquait, Alex repartirait d'ici moins bête. Elle se redressa sur la couverture pour reprendre une poignée de popcorn dans le creux de sa main, tout en écoutant August. « Wow ! Je sais pas comment vous faites, les surfers, pour tenir sur une planche. Je pense que je serais incapable. C’est comment, la Californie ? C’est comme ce qu’on voit à la télévision ? » Son sourire s'agrandit naturellement parce qu'elle s'intéressait à sa vie autant que lui s'intéressait à la sienne. « C'est grand. J'avoue, je suis un peu déçue de pas avoir croisé Scarlett Johansson, tout le monde croise toujours des stars là-bas mais j'ai vu personne. Et il faut absolument s'arrêter à San Francisco. » Elle hausse les épaules pour donner un air dramatique. Elle n'y était pas restée longtemps, mais assez pour tomber amoureuse de cette ville. De son charme. « T'as jamais fait de surf ? Fais attention, ta réponse peut changer le cours de notre amitié. » lança-t-elle, amusée, les yeux rieurs. Surtout parce que leur relation n'avait rien d'amicale, ils étaient des connaissances, peut-être. Des coéquipiers aussi, pour la compétition organisée par la ville. Elle ne savait même pas pourquoi elle lui disait ça d'ailleurs, ce n'était pas le plus important à savoir sur ce qu'ils s'étaient dit la veille. Avec fierté, Alex hoche la tête à sa question sur sa participation à l'épreuve. « Évidemment. C'est un bon entrainement si un jour je veux participer à Survivor. » Et aussi parce que son frère était convaincu qu'une femme ne pourrait pas gagner. « Et toi ? »

De nature curieux à la base, August désirait connaître tout sur tout, et pas seulement dans les domaines éducatifs, mais aussi de la vie des autres. Ce n’était pas mal placé ou malsain, c’était un intérêt pour l’autre, une ouverture sur autrui. « Je voudrais pas t'ennuyer avec mes histoires. » Il fronça légèrement les sourcils avec un sourire se dessinant sur ses lèvres alors qu’il secouait la tête. « Non-sens. Tu as piqué ma curiosité avec tout ce mystère. Si tu veux bien me dire la suite, j’aimerais beaucoup. » On avait l’impression qu’August était en train de parler d’un film inspiré d’un roman policier, et il avait également l’impression d’être en train d’écouter le récit d’un thriller, mais il ne s’intéressait pas d’une façon mauvaise à son histoire. Alex avait vécu une expérience bien unique, et August aurait aimé en partager un bout avec elle. Peut-être cela la soulagerait-elle, même, et il l’espérait du fond du cœur. Alex se confia donc, et August l’écouta et la relança au fil de ses paroles déversées. Ils parlèrent ensuite de l’Autriche, l’Autriche d’August, celle qu’il chérissait tant. « Ça a l'air magnifique. » Le professeur d’histoire hocha la tête, la passion pour son pays dans les yeux. « Ça l’est. » Il aurait aimé promettre à Alex, à ce moment-là, qu’ils la verraient ensemble, cette Autriche. Parce qu’elle lui inspirait une telle confiance qu’il avait déjà l’impression de la connaître. Peut-être était-ce sa mémoire qui se souvenait, elle aussi, sans pour autant en laisser l’accès à August. « C'est quoi FaceTime ? Tu sais, je viens seulement de découvrir que les téléphones tactiles existaient, alors... » Le jeune homme ne put retenir un rire, même si en soi ce n’était pas très drôle qu’Alex se réveille dans un monde qu’elle ne reconnaissait plus. Il reprit son sérieux et sortit son téléphone portable, et démarra l’application FaceTime. « C’est une application qui permet de parler en audio et en vidéo avec une personne, peu importe où elle se trouve. Alors ici j’ai mes contacts … qui se résument à mes parents. » Avoua-t-il avec un rire gêné. En même temps, il n’y avait qu’avec eux qu’il avait besoin de cette application. « Et on peut se parler comme si on était en face à face, en quelque sorte, même si on ne voit que nos visages sur l’écran … » Enfin, les visages ou peu importe ce que la caméra filmait. Les parents d’August lui montraient toujours comment les rénovations de la maison avançaient, les nouvelles bouteilles acquises pour leur cave à vin, etc. Bref, ils parlèrent ensuite des compétitions de surf auxquelles Alex avait participé il y avait de cela des années maintenant, même si ça devait sembler si proche pour elle. « C'est grand. J'avoue, je suis un peu déçue de pas avoir croisé Scarlett Johansson, tout le monde croise toujours des stars là-bas mais j'ai vu personne. Et il faut absolument s'arrêter à San Francisco. » August hocha la tête ; c’était à son tour d’avoir un air rêveur. Il aurait aimé voyager davantage. « T'as jamais fait de surf ? Fais attention, ta réponse peut changer le cours de notre amitié. » August rigola, mais ne changerait pas sa réponse pour autant. Il se montrait toujours honnête. « Eh non … même que je n’ai jamais essayé … Y’a tellement de bons surfeurs, ici, j’ai pas envie d’aller me ridiculiser dans l’eau. » Avoua-t-il en haussant les épaules. Alex lui apprit finalement qu’ils avaient découvert, la veille, qu’ils faisaient partie de la même équipe pour la compétition du festival de la mangue. August lui parla de ce défi de consommation de mangues auquel ils étaient conviés. « Évidemment. C'est un bon entrainement si un jour je veux participer à Survivor. » August eut un court éclat de rire, amusé par la référence. « Et toi ? » Il secoua la tête. « Je ne pense pas. Je ne mange que quelques morceaux de mangues et j’en ai mal au cœur, alors être malade pour un défi, ça me réjouit pas trop. » Puis il la regarda, un air malicieux au visage. « Par contre maintenant que je sais que t’y participes, je viendrai sans doute voir ça. » En se penchant vers elle, il la poussa légèrement de son épaule, pour la taquiner davantage. Il se sentait tellement complice avec elle, c’était inexplicable.