turn off the music +18 (concho)

Le cœur légèrement battant et les doigts tremblant Alba est prête pour affronter la soirée. Elle a eu à peine une semaine pour organiser son premier vernissage dans cette galerie. Un petit artiste local vient exposer, ce soir, ses différentes œuvres qui sont principalement de la peinture et quelques photos. Les petits fours prêts et les coupes de champagne servies Alba attend nerveusement le début du vernissage. L’artiste est déjà présent entouré de ses proches et Alba guette la porte d’entrée. Tout est planifié à la moindre minute, rien ne peut être laissé au hasard et cela jette un énorme stresse sur la blonde.
Une vingtaine de minute plus tard, la soirée commence. Un sourire figé sur son visage Alba salut tout le monde recevant les compliments sur l’organisation et vendant les qualités de l’artiste. Cette opportunité de travail a été l’élément déclencheur de son retour ici et elle ne peut pas tout foirer. Elle veut rendre Jonah fière et s’investir ici. Elle ne boit pas ce soir Alba. Toute sa tête doit être concentrée sur une seule mission, faire que cette soirée soit parfaite. Elle doit être au maximum de sa concentration Alba. Malheureusement pour la jolie blonde, il y a toujours quelques choses qu’on ne peut pas prévoir. Les voisins qui font un boucan pas possible. Une demie heure. C’est la temps qui s’est passé entre le début paradisiaque et la tempête qui se profile. Une musique. Elle envahit la galerie empêchant les conversations. Toutes les têtes se retournent vers elle et la rouge monte aux joues d’Alba. Une musique en soit pas désagréable mais en total désaccord avec l’ambiance de sa soirée. Alors Alba elle quitte sa soirée et traverse la rue. Pour qui se prennent-ils ? Qui est assez bête pour mettre une musique aussi forte ? Le niveau de décibel est tellement élevé que ça doit réveiller tout Bowen. Elle entre dans le local qu’elle ne connaît pas et pourtant c’est en face de sa galerie. Habillée de son petit tailleur rose pastel elle fait tâche au milieu de tous ces danseurs. Quelques-uns la regardent. Ce sont principalement des enfants ou des adolescents. Elle cherche Alba celui qui serait un peu le chef ou leader de cet endroit. Elle accoste le premier qu’elle croise. « Hé, c’est qui le responsable ici. » Dit-elle en élevant la voix. Il lui montre un homme dansant au milieu des jeunes, plus âgé. Sans remercier la personne qui l’a aidé, et énervée Alba avance en sa direction. Normalement, Alba est polie et gentille mais pas ce soir. Elle se faufile au milieu du groupe. « Hé, vous vous pensez seul au monde ou quoi ? » Elle s’égosille pour que sa voix puisse être entendue mais la musique est tellement forte qu’elle n’est même pas sûr qu’il l’entende. Mais son visage lui ne trahit ses pensées.

Le spectacle de Noël approchait. C’était un spectacle pour lequel les jeunes répétaient depuis le mois de juillet. À chaque année, je trouvais le moyen de réserver une plage horaire pour les participants de Head Ahead lors des festivités de la place de la ville. Ils étaient libres de participer ou pas. Certains de mes jeunes venaient ici surtout pour décompresser ou fuir un milieu familial toxique. Ils n’avaient pas forcément comme objectif de danser devant des spectateurs. Malgré tout, j’avais toujours une bonne quinzaine de jeunes qui voulaient faire entendre leur voix silencieuse, celle qui passait le message à travers les mouvements. Pendant des mois, ces jeunes-là restaient donc au centre après les ateliers à heure fixe, et répétaient encore et encore les chorégraphies. Ce soir, parce que je les sentais particulièrement motivés et énergiques, j’avais décidé de mettre l’ambiance comme lors d’un vrai soir de spectacle, c’est-à-dire avec le son de la musique quasi au max. La structure du bâtiment vibrait, et tout d’un coup je n’avais plus l’impression d’avoir des jeunes un peu paumés face à moi, j’avais des combattants. Ils donnaient tout ce qu’ils avaient. Je ne pouvais d’ailleurs pas me résoudre à seulement les regarder, alors je me joignis à eux, relâchant toute la tension des dernières semaines avec eux. Les musiques s’enfilaient, on ne voyait rien d’autre autour, ni le temps qui passait, ni les passants dans la rue qui regardaient à travers les vitres, ni cette femme qui rentra carrément dans l’organisme pour nous faire connaître son mécontentement. Ce ne fut que lorsqu’elle se planta devant moi et que tous les regards se tournèrent vers elle que je me stoppai. « Euh .. QUUOOII ? » Demandais-je à voix haute parce que je n’avais effectivement rien compris de ce qu’elle venait de dire. Je croyais cependant deviner. Je lui fis alors signe de me suivre et, au passage, je baissai le son d’une ou deux coches, laissant les jeunes continuer à danser. De l’autre côté de la porte, je croisai les doigts. « Vous êtes la mère de qui ? » Demandais-je, les yeux froncés. Ce n’était pas rare qu’un parent retontisse dans les locaux pour venir chercher son enfant de force, et ça ne passait généralement pas trop bien de mon côté.

Les regards dérangés, les sourcils relevés et Alba se sentait mal. Elle lui avait promis à Jean de s’occuper de sa galerie comme elle l’avait fait pendant plus de trente ans. Sauf que ce soir, sa petite soirée mondaine, tranquille remplie de champagne et de petits fours tournait au cauchemar. Cette musique trop forte empêchait les convives de se concentrer sur leur discussion et leur œuvres. Et le rythme cardiaque d’Alba s’élevait bien trop vite. Dans ce milieu, il suffisait d’un article de presse pour mettre clé sous porte. Une mauvaise pub et aucun artiste ne voudrait être exposé ici et personne ne viendrait acheter les œuvres. Alors en s’excusant, Alba fuyait cette soirée quelques instants pour trouver le trouble-fête. Un fête, il y en avait une en face de la galerie. Des jeunes qui dansaient oubliant le temps et l’espace. Des sourires larges animaient la salle. Et Alba, qui tirait la tête, les sourcils froncés, et des rides de contrariété. Se faisant parfois bousculer par un danseur, Alba traçait son chemin vers le plus vieux de cette soirée. Innocent, il dansait parmi les jeunes, haletant de cette danse effrénée. Avec son tailleur beaucoup trop cintré et coloré elle se pointa devant lui et elle les sentit les yeux curieux se poser sur elle. Elle s’énerva mais sa voix n’était pas assez forte pour qu’on puisse l’entendre et ça l’énervait encore plus. Elle n’avait vu que ses lèvres bouger et entendu un léger « quoi ». Alba fronçait encore plus ses sourcils, frustrée que sa soirée tournait à la catastrophe et énervée par cette musique. D’un signe de la main, elle comprit la blonde qu’elle devait le suivre. Sûrement à un endroit plus calme où Alba pourrait décharger sa frustration et sa colère. En chemin, il baissa la musique mais pas non plus de manière exponentielle. Alba était presque sûre que ses invités l’entendaient encore. Une fois dans la salle, Alba allait lui dire ce qu’elle pensait mais la question de l’homme la stoppèrent d’incompréhension. « Pardon … quoi ? » Puis les indices se mettaient en place, il devait penser qu’elle était la mère d’un jeune qui dansait. « Je veux juste que vous baissiez ce son, BORDEL … vous n’êtes pas seul dans ce quartier. » Pas très avenante, Alba voyait cette soirée comme la fin de son business qu’elle venait à peine d’ouvrir.

Cette fête, c’était des mois et des mois d’efforts et de travail de la part d’enfants pour qui la persévérance était pourtant un mot qui ne rimait avec pas grand-chose depuis le début de leur vie. Des gamins qui avaient eu beau tomber et se relever, on les attendait toujours au détour d’un coin de rue avec des embûches supplémentaires. À travers ces chorégraphies, ce n’était pas juste des airs de gros party qu’on pouvait déceler. C’était la fierté d’adolescents qui créaient enfin quelque chose et qui n’avaient pas à avoir honte de le montrer. Des adolescents à qui on donnait enfin une voix à travers leurs gestes. Pour moi, ça, ça valait tout. Bien plus qu’une mère en colère ou une voisine d’immeuble irritée, comme j’apprendrais rapidement que c’était le rôle porté par la femme qui venait de rentrer dans la salle de danse sans y être invitée. J’avais baissé le son mais très peu, juste pour pouvoir au moins entendre les mots crachés par la blonde. J’haussai les sourcils alors qu’elle mit l’emphase sur un bordel bien senti et bien crié, aussi. Dès qu’elle me parla du fait que je n’étais pas seul dans ce quartier, je compris qu’elle était cliente régulière ou propriétaire d’un commerce avoisinant. Un truc du genre en tout cas, parce que pour que ça la frustre autant, elle ne faisait pas que passer sur le trottoir. « Ok, ok, calm down lady, je mets toujours le volume à cette intensité et j’ai jamais eu de commentaires avant, personne ne s’est plaint jusqu’à ce soir. J’pouvais pas savoir que ça incommodait. » Dis-je d’un ton de reproche, malgré mon mensonge, comme pour lui faire comprendre que comme premier avertissement, c’était plutôt nul. Entre voisins d’immeubles commerciaux et communautaires, on aurait quand même pu se parler plus calmement que ça, non ? Si je n’en avais pas été à ma première offense, ok, j’aurais encaissé. Mais là, elle ne me donnait pas envie d’être respectueux en retour. Je me tournai vers la radio et je baissai le volume de deux ou trois coches seulement, encore une fois. Je la regardai. « C’est mieux comme ça ? » Demandais-je sans gentillesse. Je n’avais pas vraiment envie d’être doux comme l’agneau que j’étais tout le temps, là. J’étais épuisé.

Depuis plusieurs semaines maintenant, la pression était au maximum pour Alba. Déjà, elle avait dû accepter l’idée de voir Léo plus souvent que prévu. Il y avait aussi le déménagement. Mais surtout cette soirée qui allait lancer sa galerie qui tournait à la catastrophe. Lorsqu’elle se retrouve au milieu de tous ces danseurs, Alba ne remarquait même pas la joie sur le visage de ces jeunes. Elle qui pourtant est si attachée à la culture et à l’art en général, elle aurait dû se réjouir de cet événement. Sauf que ce soir, elle était trop tendue par rapport à l’avenir de sa boutique. Alors peu importe les jeunes heureux, peu importe la politesse et peu importe le sang-froid, elle s’énerva conte la seule personne responsable de ce supplément de stresse. La photographe pourtant si calme habituellement et apte à cacher ses émotions montraient une tout autre image et son interlocuteur n’appréciait pas les remarques. Pourtant, pour Alba c’était de sa faute. Personne ne met le son à cette intensité à moins qu’on soit à une grosse soirée électro au beau milieu de nulle part. Il n’était pas heureux de sa présence et de ses reproches. « Calm down lady. » Il se prenait pour qui ? Elle ne voulait pas être calme. De l’autre côté de la rue se trouvait des mécènes et des artistes qui feraient tout pour juger la galerie. Elle haussa un sourcil à ses réflexions. Pendant un instant, elle se sentait mal. La culpabilité commençait doucement à s’immiscer. Il n’y était pour rien lui, si à elle jouait sa carrière professionnelle. Il n’y était pour rien si elle était stressée depuis quelques semaines maintenant. Mais elle était orgueilleuse Alba. « Peut-être. » Disait-elle d’un air faussement boudeur, baissant un peu l’intensité de sa voix. « Mais vous auriez pu prévenir au lieu de vous croire seul dans cette rue. » Elle croisa les bras. Elle lui signifiait qu’il avait un peu raison, mais que l’énervement d’Alba était quand même légitime. Il lui tourna le dos et Alba soupirait. Le son diminuait un peu et le danseur assez froidement lui demandait si ça convenait à la photographe. « Oui merci. » Elle lui fit un grand sourire ironique en soupirant un peu. « Ce n’était pas si compliqué. » Disait-elle plutôt doucement, plus pour elle que pour lui.

Son air faussement boudeur la rendait un peu mignonne, c’est vrai, mais je n’allais pas me laisser attendrir par le visage d’ange de cette femme qui était tout sauf une envoyée du ciel. Ce soir, elle me donnait plutôt envie de l’envoyer brûler en enfer. Bon, j’exagère, bien sûr. Je n’avais jamais de telles pensées violentes. C’est juste qu’elle tombait mal, mettant de l’ombre sur un événement tellement lumineux pour moi. J’aurais aimé que la répétition se passe sans anicroche, que personne ne vienne mettre des bâtons dans les roues de jeunes qui venaient ici justement pour s’en délivrer. Mais visiblement, elle ignorait la mission de cet organisme et ignorait qu’un soir comme celui-là n’était pas forcément hors du commun, vues les activités qu’on tenait entre ces murs. Je soupirai quand elle parla de prévenir. « S’il fallait que je laisse des papiers dans les portes de tous les commerces de la rue à chaque fois qu’on monte le son, j’m’en sortirais pas. Les gens sont habitués, ils comprennent. C’est quoi, vous êtes la propriétaire d’un nouveau commerce que j’ai loupé ? » Demandais-je, cette fois-ci avec un peu moins d’animosité même si je n’avais pas ma bienveillance habituelle. J’allai finalement baisser le son d’une ou deux coches, juste pour dire, juste pour lui faire plaisir – même si c’aurait pu être considéré, au contraire, comme un affront vu que ça n’avait pas changé grand-chose. C’était peut-être l’objectif recherché. Je n’avais tellement pas l’habitude d’être arrogant que j’ignorais moi-même si c’était ce que je cherchais à être. Elle me fit un sourire ironique, me disant que ça n’avait pas été trop compliqué. C’était peut-être suffisant, mes deux coches de moins. « C’aurait été encore moins compliqué si vous l’aviez demandé gentiment. » Fis-je remarquer. « Maintenant, si vous permettez … j’aimerais bien retourner à mes jeunes. » Dis-je en jetant un coup d’œil au groupe d’adolescents qui attendaient, un peu confus, en nous dévisageant. La chorégraphie venait de se terminer.

Pendant quelques instants Alba essayait de se souvenir si Jean lui avait parlé d’un voisin bruyant. Mais elle ne s’en souvenait pas, supposant que l’ancienne propriétaire ne lui en avait pas parlé. De toute façon, même si le bel homme n’avait pas eu l’habitude de prévenir les autres commerçants, à présent il allait être obligé. Il ne souhaitait surement pas être dans le collimateur de la blonde qui peut être plutôt sanguine. Pourtant, si elle connaissait l’organisme, Alba aurait été plus agréable. L’expression artistique avait une place tellement importante dans la vie de la photographe, qu’elle était une des premières à encourager ce genre de projet. Mais le stresse de la soirée d’ouverture ne l’aidai pas à être bienveillante et calme. Puis il fallait aussi avouer que le responsable de la soirée n’était pas non plus agréable. Il aurait pu tout simplement s’excuser et expliquer au lieu d’être sur la défensive. Pour ça, Alba était têtue. Elle avait raison, bon surement un peu tord aussi, mais elle était persuadée qu’il aurait pu faire un effort. En mettant par exemple la musique moins forte. Mais il continuait d’argumenter, comme si cette confrontation n’était que de la faute de la blonde. Son air faussement boudeur changeait. Elle était de nouveau offusquée. Il l’énervait en la faisant passer pour la seule méchante de la soirée. « Oui mais bon, c’est au moins le minimum pour respecter les autres commerçants. » Sur le coup, la photographe n’avait pas pris de pincette. « Oui, j’ai repris la galerie de Jean, si vous connaissez. Et ce soir c’est ma première soirée. » Elle avait été dans cette rue pendant au moins une trentaine d’année. Si comme il le disait si bien depuis le début, les autres avaient l’habitude, alors il devait forcément la connaître. Elle essayait de le faire culpabiliser, lui montrer qu’il était peut-être en train de ruiner son avenir professionnel. Il baissait le son, très légèrement mais Alba s’en contenterait. De toute façon, elle avait bien l’impression que ce n’était pas le genre d’homme à faire de concession. Au final elle appréhendait leur relation pour les futurs mois vu leur première rencontre. « Oui et ça aurait été moins compliqué si de base ce n’était pas aussi fort. » Il voulait dernier mot, elle ferait tout pour qu’il ne l’ait pas. Alors qu’il concluait leur altercation, Alba se rendait compte que tous les jeunes les regardaient et la blonde sur le coup de sentait un peu mal, rougissant même. « Je dois y retourner aussi. » Elle aurait pu lui balancer un merci ou une bonne soirée, mais rien. La blonde se contenta seulement de sortir de la salle sous le regard un peu perdu des adolescents.

Quelques heures plus tard, Alba venait de finir de ranger les dernières tables. A part la dizaine de minutes où elle s’était absentée, dans l’ensemble sa soirée c’était bien passé, même très bien. L’artiste avait même été enchanté par la musique dans le rue affirmant que cela avait rendu la soirée moins emmerdante. Elle lui avait souri. Cette phrase avait fait un peu culpabilisé la blonde. Maintenant que la pression était redescendue, elle se culpabilisait un peu de son comportement envers le responsable du bâtiment d’en face. La musique s’était arrêtée quelques minutes plus tôt et la blonde avait vu les jeunes partir, mais pas le responsable. Eteignant les lumières et fermant sa boutique, elle se dirigea une nouvelle fois dans le bâtiments d’en face avec deux verres et une bouteille. La porte était ouverte et la photographe rentra. « Y’a quelqu’un ? » Il faisait beaucoup plus sombre qu’auparavant, la plupart des lumières avaient été éteintes. Puis elle le vit, l’homme de tout à l’heure et avant qu’il ait pu dire quoi que ce soit, Alba montra la bouteille et les verres. « Je ne viens pas me battre, promis. » Elle fit un timide sourire. Ce n’était pas de vraies excuses mais au moins elle faisait un pas vers lui.

HJ:

J’avais beau lui dire que je n’avais pas besoin de prévenir toute la rue - puisque les commerçants étaient généralement habitués au son, et qu’en plus leurs heures d’ouverture tiraient à leur fin quand les ateliers à Head Ahead débutaient -, la blonde revenait en force. Elle ne faisait plus mine de bouder, elle boudait carrément, pire encore elle se fâchait à nouveau contre moi. C’est vrai que cette discussion aurait pu durer trente secondes, le temps de m’excuser, de baisser le son et de la regarder partir. Mais pour mes jeunes, j’avais besoin de tenir mon bout. Personne ne se battait pour eux, jamais. Je leur devais ça. De leur montrer que dans la vie on ne peut pas toujours se laisser marcher sur les pieds par ceux qui se sentent plus privilégiés ou plus importants que nous. « D’accord, à partir de maintenant j’irai porter des avertissements à votre porte, à tous les soirs. » Déclarais-je avec insolence. Encore fallait-il que je sache elle était propriétaire de quoi. J’appris bien vite qu’elle avait repris la galerie de Jean, que je connaissais évidemment. Je mis davantage mon focus sur ça que sur le fait que c’était la première soirée de la blonde. « Ouais bah Jean encourageait grandement l’organisme et elle était toujours aux premières loges des spectacles alors vous vous imaginez bien qu’elle ne se plaignait pas vraiment de nos pratiques … » Ou alors son audition était en déclin dans les dernières années et elle n’avait jamais mesuré la grandeur de tout ce tapage. Cette pensée effleura mon esprit. J’accordai quand même à la jeune femme quelques coches de moins sur mon système de son. « Whatever. » Répondis-je en soupirant quand elle en rajouta une couche, ne voulant absolument pas me laisser le dernier mot. J’avais honnêtement mieux à faire, et ce mieux attendait derrière moi, les yeux grands ouverts et les corps raides. Je la regardai rougir face à tous ces regards d’adolescents confus, et je la laissai partir sans rien dire de plus. Je me passai une main nerveuse dans les cheveux, avant de me recomposer et de me tourner vers les jeunes. « Ok guys le vrai spectacle il est pas ici, on reprend du début ! »

***

À la fin de la soirée, après que tous les jeunes eurent quitté l’organisme, je fermai les lumières de l’entrée et allai nettoyer la salle. J’étais en train de passer la serpillière face aux miroirs quand la porte s’ouvrit. J’avais oublié de verrouiller avant d’entamer le ménage. Sûrement un jeune qui avait oublié quelque chose. Mais non, la voix n’appartenait à aucun de mes participants. « J’arrive ! » Je déposai la serpillière contre le mur et je m’avançai vers le hall pour découvrir la blonde, la nouvelle propriétaire de la galerie d’art. Ma nervosité revint en flèche, moi qui détestais les altercations, moi qui étais généralement un agneau incapable de se défendre. Je ne supporterais sans doute pas les reproches maintenant que mes jeunes étaient partis. Elle m’affirma ne pas venir se battre. Je lui rendis son timide sourire. « Tant mieux. Parce que je pense que j’ai atteint mon quota de l’année, rien qu’avec ce soir. » Dis-je doucement, pour lui faire comprendre que ce n’était pas dans mes habitudes. Je pointai la bouteille de champagne. « Si c’est votre heure de célébration, j’imagine que c’est parce que votre première soirée n’a pas été trop ratée ? » Je m’en serais quand même voulu, un peu, de gâcher les efforts de cette femme.

Il était rare qu’Alba s’énerve pour si peu. C’était même hypocrite de sa part, elle qui une dizaine d’année auparavant était la première à faire la fête et à déranger les voisins. Sauf que la blonde avait vieilli, elle était devenue maman, elle était devenue une professionnelle épanouie  mais stressée. Alors elle claquait ses mots empêchant au gérant du bâtiment d’avoir le dernier mot. Têtue, elle l’était à ce moment-là. Il connaissait Jean très bien, sauf que la vieille ne lui en avait pas parlé. Et ce n’était plus Jean qui gérait la galerie. Tout cela aurait pu durer que quelques minutes, mais les deux ne voulaient rien lâcher. Pourtant, il était l’heure de retourner à son travail, partant sous les regards des adolescents. Elle entendait la dernière remarque de l’homme sans se retourner, levant les yeux au ciel. « On est mal partie Alba si tu te mets à dos tes voisins. » Pensa-t-elle avant de sortir.


Entrant une nouvelle fois dans ce bâtiment, la blonde se sentait mal à l’aise. Elle avait été un peu trop dur avec son voisin, mais le stress l’avait transformé. Elle avait hésité un peu, mais Alba avait pris son courage en main. La galerie venait à peine d’ouvrir et Alba n’aimait pas les conflits. Si elle n’arrangeait pas un minimum les relations avec Conchobàrh, les prochaines années allaient être compliquées. Il avait l’air tellement exaspéré par le comportement de la blonde. Elle entendit sa voix au loin qui résonnait dans tous le bâtiments maintenant qu’il n’y avait plus de musique. Il sortait et Alba le regardait timidement, mal à l’aise de son comportement de tout à l’heure. Alors elle ne comptait pas s’excuser de suite, parce qu’elle était toujours persuadée d’avoir raison. Sacré caractère. Mais elle ne voulait pas être désagréable. Il la regardait un peu surpris avant de comprendre ses intentions. Et elle riait à sa remarque. « Moi aussi. Ce n’était pas vraiment moi tout à l’heure. » Elle lui souriait timidement. Elle était beaucoup plus fun et douce que l’image qu’elle lui avait montré quelques heures auparavant. Il avait bien vu la bouteille de champagne et un sourire plus franc et assuré émergeait sur le visage d’Alba. « Elle s’est très bien passée, et plutôt grâce à vous. L’artiste a adoré la musique. » Elle se sentait encore plus bête maintenant. Elle vit une petite table sur laquelle elle posa la bouteille et les verres. « Alors qu’est-ce que vous faites ici ? J’ai pas eu le temps de vraiment comprendre, j’étais occupée à avoir raison. » Riait-elle, montrant tout un autre côté de sa personnalité.

Encore heureux que ce n’était pas vraiment elle. Je ne savais pas comment j’aurais pu gérer une telle voisine de bâtiment, dans le genre d’organisme que je menais. Ce n’était pas comme si je pouvais retirer toute musique du programme, vue la mission de l’endroit. Certes, le fait qu’elle admette que son comportement d’un peu plus tôt ne lui ressemblait pas ne signifiait pas qu’elle sortait pour autant le drapeau blanc à propos du volume. Mais on serait peut-être un peu plus en mesure de trouver un terrain d’entente, maintenant que nous étions tous les deux calmés. « Pourtant vous aviez l’air assez solide dans le rôle. » Dans le rôle de boss bitch, pensais-je sans mettre des mots sur ma réflexion, me doutant que ça n’arrangerait pas les choses. Et puis, ce n’était pas mon genre de traiter qui que ce soit de nom, même si ça m’arrivait de le songer. Il fallait admettre que je n’avais pas laissé ma place, moi non plus, quelques heures plus tôt. J’avais bien porté le rôle du trou de cul de l’histoire, moi qui d’ordinaire fuyait toutes sortes de conflits. Je relevai la bouteille de champagne dans les mains de la blonde, sans penser une seconde que le deuxième verre m’était destiné. Je voulais seulement m’informer du déroulement de sa soirée. Quand elle m’apprit que l’artiste avait adoré la musique, ma musique, j’arquai un sourcil en croisant les bras, un sourire très fier aux lèvres. « Ah booon ? » Demandais-je en exagérant le plaisir que je soutirais de cet aveu. « Elle a du goût, cette artiste. » Contrairement à d’autres, ça voulait dire. Je ris. La jeune femme posa la bouteille et les verres sur la table à l’accueil, et je m’approchai quand elle me demanda ce que nous faisions ici, en ne manquant pas de rajouter une pique. « J’vais même pas répondre à la dernière partie, ça vaut mieux pour nous deux. » Dis-je en riant cependant. Il n’y avait plus d’animosité entre nous. Je l’invitai à s’asseoir sur le vieux – mais propre – canapé qui longeait le mur. « Ça s’appelle Head Ahead. C’est un organisme qui est une sorte de … de lieu de rassemblement, d’échappatoire et d’expression, pour les jeunes de la ville qui proviennent de milieux défavorisés. » Expliquais-je. « C’est un peu comme une maison de jeunes parce qu’on y tient tout plein d’activités, mais la principale vocation c’est de permettre à de ces jeunes-là de s’exprimer, d’avoir une voix, à travers les arts. La danse, plus précisément, même si je voudrais élargir. » J’espérais que maintenant qu’elle connaissait un peu mieux l’OBNL, elle comprendrait pourquoi je me battais pour son bon fonctionnement, sur toutes les sphères.

Elle venait en paix pour essayer d’avoir de bonnes relations avec ses voisins. Si elle avait bien compris, ce gérant avait l’air d’être apprécié dans le quartier. Alors s’il commençait à parler de l’insupportable blonde qui avait repris le galerie de Jean aux autres, c’était fini pour Alba. Mais elle était têtue Alba, un peu trop pour son bien et elle ne loupa le double sens de la remarque de son voisin. « Et vous vous êtes solides en voisin bourru et têtu. » Elle aurait pu refaire sa petite moue boudeuse mais elle préférait lui sourire. Elle ne voulait pas se battre, bien au contraire. Si elle avait apporté deux verres c’était bien pour arrêter ce petit combat inutile. Au final, il s’agissait d’une mauvaise coordination entre les deux, quelque chose qui pouvait tout à fait être éviter à l’avenir. Au final à part ces quelques minutes les deux soirées s’étaient bien passées. Alba avait même eu un retour positif par l’artiste qui avait apprécié la musique inattendue. Ce qu’elle ne manquait pas de faire part au danseur. Elle regrettait très vite quand il vit le petit regard prétentieux et fier. Mais au final, elle était plutôt amusée. « Oui … il a dit que pour une fois, l’ambiance était moins chiante. » Sur le coup, la remarque de l’artiste l’avait touché dans son égo, mais il avait raison. Les inaugurations et vernissages avaient été toujours très pompeux, réservés à un certaine classe sociale. « Hé je n’ai jamais dit que la musique n’était pas bien, juste trop forte. » Elle lui fit un regard outré pas du tout convaincant avant de lui sourire. « Je m’excuse pour tout à l’heure. Grâce à vous l’artiste va parler de moi en bien. » Alba venait enfin de faire ses excuses, acceptant sa grosse part de responsabilité. Prenant un peu ses aises, elle posa la bouteille qui commençait à être lourde dans sa main. Suivant les indications du danseur, elle s’asseyait sur le canapé. « Hé, je me suis excusée. » Riait-elle. Il aimait bien enfoncé un peu le couteau dans la plaie mais avec légèreté. Alba voulait en apprendre un peu plus sur le lieu. Plus tôt, il y avait une belle ambiance et les jeunes souriaient. Elle se tournait un peu vers le châtain posant son coude sur le haut du dossier du canapé. Plus il expliquait la mission de l’organisme, plus Alba se sentait bête d’avoir eu ce comportement plus tôt. « Je suis désolée. » Et elle l’était vraiment. « C’est vraiment une super mission. Je suis persuadée que l’art peut apporter tellement. C’est vraiment chouette que des personnes comme vous prenne le temps de faire ça. » Alba avait repris la galerie parce qu’elle avait eu l’opportunité mais lorsqu’elle était photographe il lui arrivait souvent de venir en aide d’organisme pour les mettre en avant. « Si un jour vous avez besoin d’une photographe pour un évènement ou même un atelier, je pourrais me libérer. » L’art avait une telle importance dans sa vie qu’elle aimait partagée, son fils était même la première victime.

Il était vrai que j’étais plutôt apprécié du quartier, même si mon organisme faisait un peu chambre à part comparativement aux boutiques de la rue. J’étais à la limite entre le quartier jeune et culturel et la rue des commerçants, tout comme la galerie d’art qu’occupait maintenant la jeune femme d’ailleurs. Les autres propriétaires adjacents s’étaient tous montrés très chaleureux face à l’arrivée d’un établissement comme le mien. Ça aidait sans doute qu’ils ferment tous jusqu’au lendemain exactement au moment où ça commençait à brasser à Head Ahead. La nouvelle propriétaire n’aurait pas cette chance, pas même dans l’avenir. Cependant, je ne pensais pas me rendre jusqu’à la critiquer aux autres. Que je lui aie tenu tête quelques heures plus tôt relevait déjà du miracle, alors de commencer à ternir sa réputation à coup de vils commentaires à son égard, très peu pour moi. J’avais déjà vécu ce genre d’humiliations et je ne les souhaitais à personne. Je souris à la réplique de la blonde. « Et pourtant quand j’vous l’entend me le dire, ça sonne si faux, comme si c’était pas de moi qu’on parlait. » Admis-je, réitérant le fait que je n’étais pas comme ça, d’habitude. Faussement arrogant par contre, je pouvais l’être, comme lorsque la blonde m’apprit que l’artiste avait aimé le changement d’ambiance qu’on pouvait attribuer à ma musique. Ce à quoi je répondis qu’il avait du goût, cet artiste. « Aaaah, ça pouvait porter à confusion, tout à l’heure ! » Répliquais-je en riant joyeusement face à son air outré mais pas tant que ça. « Quand même, c’est un coup de chance qu’il ait apprécié. C’aurait pu être le contraire. Alors je m’excuse aussi, honnêtement je m’en serais voulu longtemps si ça vous avait causé de problèmes. » Mais tout était bien qui finissait bien. Une fois installés sur le fauteuil, je lui racontai un peu la mission de Head Ahead, avec toute la passion que j’avais en-dedans. « Disons que je suis une personne qui sait ce qu’ils vivent, ce qu’ils traversent … Ça a un peu commencé comme un organisme par et pour … » Avouais-je. Je m’étais peut-être sorti de la pauvreté et des ambiances familiales toxiques, mais je n’oublierais jamais. La blonde me proposa alors ses services de photographe le temps d’un événement ou d’un atelier. Je souris. « Ça ne tombe pas dans l’oreille d’un sourd.  J’garde ça en tête. C’est gentil de proposer. » Et j’y donnerais probablement suite. « Et sinon, si on repartait carrément sur de nouvelles bases … » Je tendis ma main vers elle. « Moi c’est Conchobáhr. Oui, je sais, ma mère a fait de nombreux mauvais choix de vie. » Je rigolai même si la vérité derrière était moins drôle.

Elle le croyait quand il lui expliquait qu’il ne se reconnaissait pas dans cette description. Un haussement d’épaule et un sourire pour conclure cette altercation qui était déjà de l’histoire ancienne, du moins pour Alba. Elle préférait aimer que détester la blonde et, à tout prix elle voulait éviter des conflits avec ses voisins qui peuvent vite rendre les situations compliquées. Mais ils en rigolaient. Alba lui offrit sa meilleure tête de femme outrée quand son voisin se moquait de ses goûts musicaux. Mais elle était heureuse que cette soirée se soit bien finie autant pour lui que pour elle. Il était aussi têtu qu’elle mais elle le riait cette fois-ci. « Merci. » Elle appréciait ses excuses qu’il n’était pas obligé de faire. C’était elle l’hystérique dans l’histoire, lui il n’avait fait que se défendre. Une fois la situation arrangées, ils s’asseyaient sur ce canapé et commençait à discuter. Il lui expliquait la mission de l’organisme. Mission qui parlait à Alba, elle éprouvait sur le coup beaucoup de fierté pour cet homme qui sacrifiait un peu sa vie au profit de ses jeunes adolescents. Elle comprit pour quoi, quand il expliquait les raisons qui l’avait poussé à créer cet organisme. Il était un de ces jeunes, ou du moins il l’avait été. Et à ce moment-là, Alba se rendait une nouvelle compte de la chance qu’elle avait eu à ses neuf mois quand ses parents l’avaient choisi elle. « Je suis désolée pour toi, pardon pour vous. » Elle se perdait entre la politesse du vouvoiement et la proximité du tu. « Je trouve ça injuste que certains enfants doivent vivre ça, et pourtant il ne s’agit que de chances j’ai l’impression. Des personnes au bon moment au bon endroit. » C’était le cas pour elle. Et c’était le cas pour les jeunes qui avaient la chances de côtoyer l’homme qui se tenait en face d’elle. Naturellement, elle lui proposa son temps et son expertise sur la photographie avec un grand sourire. Il lui souriait et maintenant qu’ils étaient calme, elle le trouvait beau. Il avait un visage un peu dur mais ses yeux et ses expressions exprimaient une grande gentillesse. « C’est vraiment avec plaisir. » Sinon Alba ne se serait pas proposer, elle ne faisait de choses dont elle n’avait pas envie. La main tendue devant elle, il remettait tout à zéro, se présentant. Et elle riait à sa remarque sur son prénom. « Et moi Alba, beaucoup moins original. » Croisant sa main dans la sienne, elle serra sa main avant de la récupérer et se lever. « Bon, si on ouvrait cette bouteille ? Elle ne va pas se boire toute seule. » Disait-elle la récipient déjà dans sa main. « Puis peut-être qu’après tu pourrais me montrer des pas de danse. » Elle pensait à son cours avec Charlie, elle n’était pas si nulle mais elle n’allait pas passer à côté de l’occasion de danser un peu avec un professionnel séduisant.

Je n’étais peut-être pas obligé de m’excuser, après tout personne n’avait ce genre d’obligation, mais je trouvais plus respectueux de montrer à la jeune femme que je m’en voulais, moi aussi, de mon côté. Je n’étais pas celui qu’elle pensait que j’étais et je voulais me rattraper au plus vite pour le lui montrer. Elle me remercia, je souris, et j’allai m’installer sur le canapé. Je ne savais pas si elle comptait rester un moment – je n’avais pas encore capté que la seconde coupe pouvait être pour moi -, mais je trouvais que c’était le bon moment pour repartir sur de bonnes bases. J’expliquai la mission de Head Ahead et les raisons vagues qui m’avaient poussé à le mettre sur pied. Je n’allais quand même pas tout lui déballer de ma vie, de l’alcoolisme de ma mère à son suicide qui m’avait mené au décrochage scolaire et à la rue. C’était plutôt lourd et je ne m’ouvrais pas trop souvent sur ce passé douloureux. J’allais lui dire qu’elle pouvait me tutoyer sans problème mais elle reprit, à propos de l’injustice pour ces enfants. J’hochai la tête. « Ouais … c’est dommage comme pensée mais, je t’avoue que souvent il m’arrive de me dire, en regardant à quel point ils en arrachent, que certains parents ne devraient pas mettre d’enfants au monde. Pas quand ils n’arrivent pas à leur offrir un environnement décent. » En même temps, je finissais toujours par me raisonner en me disant qu’avec ce genre de réflexion, je n’existerais pas. Ma mère n’aurait clairement pas dû avoir d’enfant. La situation avait certes été aggravée par le départ de mon père, mais quand même. Elle ne m’avait jamais offert le nécessaire pour m’épanouir. Je l’avais fait par moi-même. Comme les jeunes qui fréquentaient Head Ahead de leur propre gré. Je fus agréablement surpris, et touché, que la blonde me propose ses talents et ses services de photographe pour des ateliers. J’allais évidemment la relancer là-dessus, dans un futur proche. Décidant de repartir à zéro, je me présentai à la propriétaire de la galerie d’art. Elle rigola gentiment à mon prénom, j’avais l’habitude. « Oh, Alba ! Comme la grand-mère dans Jane the Virgin ! » Je rigolai à mon tour. Ça avait été une télésérie coup de cœur qu’on regardait, Tahlia et moi, à la coloc. La blonde se leva et alla récupérer la bouteille et les coupes, et je captai enfin que c’était en quelque sorte le drapeau blanc, ce mousseux. « Oh, je croyais que t’étais en route vers une célébration avec des artistes ou des clients. Mais dans ce cas, oui, ouvrons-la ! » Je n’avais pas souvent l’occasion de boire du champagne, nous n’étions pas assez distingués pour ça, au #17. Alba proposa que je lui montre ensuite quelques pas de danse. Je souris. « Avec plaisir. Tu connais quelques sortes de danse ? » J’avais eu la chance, dans les dernières années, de découvrir autre chose que le hip-hop, notamment grâce à Harmonie avec qui j’avais fait des compétitions en intégrant le contemporain, la salsa, et d’autres styles que je m’appropriais pas à pas.

Après la tempête et les excuses, il était temps pour les deux adultes s’apprivoiser. L’exercice n’était pas si dur, derrière le caractère un peu bourru de Concho au premier abord, il paraissait un peu plus gentil au fil de la conversation. Plus il expliquait les missions de l’organisme et plus Alba se sentait mal. A aucun moment elle avait manqué de quelque chose la photographe dans son enfance, mais elle le savait, elle aurait pu l’être cet enfant si sa mère biologique n’avait pas décidé de l’abandonner. C’était peut-être un geste violent, mais il lui avait sauvé la vie. Cette non reconnaissance de maternité avait fait d’elle une enfant qui pouvait être adoptée, ce qui n’était pas le cas de beaucoup d’autres. Comme Conchobàhr si elle comprenait bien. Pour elle, il était question de chance et peu d’enfant l’avait cette chance. « Je fais partie de ces enfants chanceux. Mais je n’ai aucune idée de ce que tu as pu ou ce qu’ils traversent. » Elle avait dit ça le plus naturellement possible. Elle ne cachait pas son adoption, en même temps c’était un peu compliqué de le faire puisqu’elle ne présentait pas un papa mais deux et aucune maman. Elle se savait chanceuse et pourtant il y avait ce vide constant dans son cœur. On avait pas voulu d’elle et même née elle n’avait pas suffi à faire changer ses parents biologiques d’avis. C’était avec un grand plaisir qu’elle proposait son aide. Pour elle, l’art permettait de changer une personne, et si elle pouvait donner à un de ces jeunes l’envie de faire de la photographie, elle serait heureuse. Puis elle n’était pas loin, vu qu’elle n’avait qu’à traverser la rue pour se plaindre de la musique. Elle s’était assise à côté de lui durant toute cette conversation. Ils avaient certes parlé que succinctement de leur passé mais Alba se rendait compte qu’elle ne connaissait pas son prénom. Conchobàhr. Original et surtout très étranger, sûrement gaélique comme prénom, si elle ne se trompait pas. A côté, son prénom à deux syllabes qu’elle aimait bien semblait terne. Elle riait à sa remarque. De nom elle connaissait la série, mais au moins il avait réussi à trouver un petit truc à ce nom en soit assez commun. « Je te crois, je n’ai jamais vu. » Elle lui souriait avant de se lever. Depuis quelques minutes maintenant le champagne perdait de se fraicheur et il était temps de trinquer à ces deux soirées presque gâchées mais qui in fine étaient un franc succès. Il était surpris le danseur. « Si tu préfères je peux partir. » Disait-elle amusée. Faisait péter délicatement le bouchon, elle servit deux coupes. Une qu’elle tendait à Concho et l’autre qu’elle gardait pour elle. Levant son verre elle trinqua avec ce voisin avant de lui demander quelques cours de danse. « Dans mes cours de danse je fais un peu de salsa et rock. La prochaine fois on fait de la bachata et je n’y connais rien. » Disait-elle en souriant. Surtout qu’elle allait se retrouver avec le prof puisqu’elle n’avait personne à ramener.