let's go to the thrift shop (nastya)

On ne peut pas dire que je sois vraiment le genre de personne à faire beaucoup les magasins. Au contraire, je ne suis pas allée acheter de vêtements neufs depuis des années, sauf pour la lingerie. De temps en temps je vais dans des friperies, quand quelque chose me manque ou que j’ai besoin d’un peu de nouveauté. Aujourd’hui j’ai décidé d’emmener Nastya avec moi. Elle passe beaucoup de temps à s’occuper de Noah et je ne veux pas qu’elle oublie le reste, je ne veux pas qu’elle oublie de vivre sa vie et passe à côté de sa jeunesse. Je dis ça alors qu’elle est plus vieille que moi et que je n’ai que vingt ans donc au final j’y connais pas grand-chose à la vie d’adulte. Je me suis seulement dite que ça pourrait lui faire du bien d’avoir de nouvelles choses à porter pour ensuite sortir en soirées. C’est totalement futile et je ne fais pas ça pour qu’elle puisse plaire à un mec, c’est pas des vêtements qui vont lui attirer des conquêtes, ou alors pas les bonnes. Mais c’est important de se sentir bien dans sa peau, de se sentir belle, de s’accepter. Une séance shopping me semblait donc être la bonne chose pour qu’elle se retrouve avec elle-même. Et puis je ne sais pas si elle est déjà allée dans une friperies mais je me dis que c’est l’occasion de lui faire découvrir le monde merveilleux de la fripes et des vêtements de seconde main. Je lui ai donné rendez-vous devant une de mes boutiques préférées. A Bowen il n’y en a pas beaucoup mais comme partout il y en a deux types : celles où chaque article est choisi avec attention et revendu parfois une fortune, et celle où tous les vêtements sont acceptés et où il est parfois difficile de s’y retrouver. Je préfère la deuxième option, j’adore dénicher des supers vêtements pour trois fois rien. En attendant qu’elle me rejoigne, je commence un premier tour pour faire du repérage sur des articles qui pourraient lui plaire.

Je restais proche de l’entrée pour voir Nastya arriver et qu’elle me voit. Je n’avais pas envie de me perdre dans les rayons et qu’elle n’arrive jamais à me retrouver. Quand on a l’habitude comme moi c’est beaucoup plus simple de se retrouver dans cette montagne de vêtements mais autrement il faut un guide. Je voyais la jeune femme passer devant la vitrine, j’en profitais alors pour sortir et lui dire bonjour. Elle me demanda si elle était en retard et s’excusa. Je lui répondis en riant « Salut, t’inquiète pas, j’ai fait un peu de repérage en attendant. » J’ouvrais ensuite la porte pour que l’on rentre. « Alors... » commençais-je pour lui expliquer le fonctionnement de ce genre de lieux. En soit ce n’est pas vraiment différent d’un magasin classique, hormis le rangement, beaucoup plus flou et le style plus aléatoire. « C’est trié par type de vêtements mais pas par taille ou alors faut pas trop compter dessus. Le meilleur moyen de trouver quelque chose de sympa c’est de fouiller. » J’étais toute contente à l’idée de plonger dans tous ces portants de vêtements pour trouver des petites perles rares. Je trouve ça passionnant de fouiner, j’ai un peu l’impression d’être une aventurière des vêtements de seconde-main. Et puis il y a aussi la fierté de trouver un pièce belle à notre taille et qui coûte presque rien. C’est écolo, unique, le seul inconvénient est qu’il faut un peu persévérer pour trouver des choses sympa car elles sont noyées parmi une masse de vêtements bon marché démodés.

Je suis bien plus adepte des friperies que Nastya mais j’espère pouvoir lui transmettre cette passion, au moins un petit peu. Je trouve ça tellement plus sympa, amusant et gratifiant que d’aller juste dans une boutique pour voir un étalage de produits neufs identiques dans toutes les tailles. Là il faut fouiller, craquer sur des pièces qui ne sont pas à notre taille et savoir y renoncer, s’imaginer avec des vêtements au style parfois particulier. C’est un peu comme une chasse au trésor. Elle me demande ce que j’aime comme vêtements. Ce n’est pas une question simple car je n’ai pas un style vraiment particulier. Dans la rue je ne me démarque pas particulièrement par mon style vestimentaire. « Pour les vêtements de tous les jours, faut que ça soit confortable sinon je sais que je les mettrais pas. Pour les soirées j’aime bien les choses un peu plus originales. » Je sais bien qu’un jean trop serré ou des talons pour la journée, ce n’est pas pour moi, je ne les mettrai pas. En soirée ça me dérange moins parce que je sais que je ne vais pas les porter trop longtemps, même si les talons je trouve toujours que c’est inconfortable, j’en mets quand même. « Et toi, tu aimes bien quoi ? » Histoire de savoir ce que je peux lui proposer. Nous entrons dans la boutique et je me dirige directement vers la partie tenues de soirées. C’est là où on peut trouver plus facilement de belles tenues sans trop se casser la tête.

J’aime beaucoup les vêtements, même si je reste relativement sobre dans ma vie de tous les jours. Je ne suis pas non plus du genre à passer une heure dans la salle de bain tous les matins, à passer trente minutes à réfléchir à ma tenue. Non, mais j’aime bien assembler des pièces, conseiller des gens et découvrir des perles rares. Moi qui cherche ce que je pourrais faire de ma vie, peut-être que je pourrais trouver la réponse dans la mode. Travailler dans une friperie serait sans doute mieux que dans un fast-food de toute façon. A peu près tous les boulots sont mieux que ça, sauf certains quand même. Il y a tout de même un avantage à bosser dans les cuisines d’un fast-food : je n’ai pas à supporter les clients qui viennent gueuler pour un oui ou pour un non. A la friperie, ou dans un autre magasin, je devrais leur répondre gentiment alors que j’aurais juste envie de leur gueuler dessus, ce n’est pas un point à négliger. Mais pour revenir aux vêtements, Nastya me demande ce que ça veut dire mettre des choses originales. « Oui entre autres, des coupes un peu moins classiques aussi, des trucs qui peuvent plus ressembler à des trucs de défilé que des vêtements de tous les jours. » Je n’ai pas les moyens de mettre des vêtements de créateurs qui valent une fortune. Il y a une époque c’est ce que je mettais quotidiennement et puis j’ai changé, j’ai arrêté de consommer autant et aussi de parler à mon père, ce qui a drastiquement réduit mon train de vie. Je demande ensuite à Nastya quel est son style pour que je sache ce que nous pouvons chercher. Il semblerait qu’on soit un peu le même genre : confortable au quotidien, original pour sortir. Elle m’explique qu’elle met moins de robes moulantes depuis qu’elle a eu son fils et ça me fait un peu tiquer. « Faut pas que tu t’arrêtes de vivre ou de t’habiller comme tu veux parce que tu as eu un enfant ! Ta vie ne s’arrête pas. »

Je voulais vraiment que Nastya pense à elle. Je ne la connais que depuis qu’elle est tombée enceinte, Theo m’ayant parlé d’elle. Et puis elle est passée quelques fois à la coloc mais au final on n’a jamais discuté plus que ça. J’ai à cœur d’aider les femmes que je peux à prendre confiance en elle et à ne pas s’oublier. J’imagine que ça ne doit pas être tous les jours facile d’avoir un enfant mais il ne faut pas pour autant s’oublier et se résumer qu’à ça. Nastya a à peine quelques années de plus que moi, je n’ai pas envie qu’elle repense un jour à sa jeunesse et qu’elle regrette de ne pas avoir profité. Je fouille parmi les vêtements pour lui trouver quelque chose, un truc sexy, qui la mette bien en valeur, qui lui donne envie de sortir et de plaire. Il ne faut pas non plus se résumer au regard des autres mais je pense qu’après avoir passé autant de temps à se cacher sous des vêtements et à ne pas avoir pensé à sa propre vie amoureuse, voir qu’on peut plaire, ça booste bien. Et sans forcément penser aux autres, se voir dans une jolie robe et se trouver belle, ça fait du bien à l’ego. Elle m’explique que ce n’est pas simple de retrouver la vie qu’elle a pu connaître avant d’être mère et qu’elle tente de trouver un équilibre entre tout. « J’imagine mais là j’ai envie que tu penses juste à toi. » J’essaie à l’œil de trouver sa taille et voir ce qui pourrait lui aller. Je tombe sur une robe, un peu voyante et qui est plutôt courte, échancrée, bref la robe sexy par excellence. Elle est bleue foncée avec un décolleté, plutôt moulante et un dos nu. « T’en penses quoi ? Elle t’irait hyper bien ! » Je lui dis toute enjouée.

Je crois que ça me plairait d’aider les gens à prendre confiance en eux, à s’accepter et à s’assumer malgré le regard des autres. Je sais qu’il n’est pas forcément simple de se sentir bien dans sa peau, surtout après un événement aussi traumatisant physiquement et moralement qu’un accouchement. Mais je crois que tout le monde a besoin de se sentir bien et que les regards désapprobateurs viennent de personnes que je ne porte pas dans mon cœur. J’ai du mal à supporter qu’une femme, ou un homme, se fasse juger parce qu’il est un peu trop gros, un peu trop maigre, trop grand, trop petit, avec des vergetures, des tâches de rousseurs ou d’autres marques indélébiles qui font partie de lui. Je sais que c’est facile pour moi de dire de s’assumer parce que je suis grande et fine mais je suis aussi métisse avec les cheveux frisés, ça m’a déjà valu des remarques ou des discriminations. Mais au bout d’un moment on ne peut pas vivre que pour faire plaisir aux autres, se faire plaisir à soi doit passer en premier. C’est ce que j’essaie un peu de faire comprendre à Nastya en l’emmenant ici faire un peu de shopping. J’ai envie qu’en sortant elle se sente bien dans sa peau et qu’elle ne pense plus qu’être mère est ce qui la définie maintenant qu’elle a un enfant. En fouillant un peu je tombe sur une robe qui a l’œil m’a l’air d’être à sa taille et qui changerait grandement de sa panoplie actuelle de vêtements: une belle robe de soirée, assez courte et décolletée. C’est peut-être un peu trop pour un premier essai et je n’ai pas envie qu’elle soit mal à l’aise mais elle accepte de l’essayer au moins pour voir à quoi elle ressemble dedans. Je patiente devant la cabine le temps qu’elle se change. Avant que je ne puisse voir le résultat, elle me dit qu’il va falloir qu’elle change de soutien-gorge si jamais elle compte mettre cette robe en soirée. « Tu sais t’es pas obligée de mettre un soutien-gorge du tout. C’est pas le genre de robe où y’a besoin d’en mettre. » je lui réponds alors. Je pense que ce type de tenue n’est pas le plus confortable du monde alors autant ne pas s’embêter avec un autre truc inconfortable. Finalement elle ouvre le rideau pour me faire voir le résultat. Je souris. « Elle te va super bien ! Effectivement faudra faire quelque chose pour ce soutient gorge ! » je lui dis en riant en voyant son sous-vêtement dépasser de la robe. « Tu te sens bien dedans ? » C’est le plus important. Même si un jogging est plus confortable, il faut quand même être un minimum à l’aise. Pendant trop longtemps j’ai acheté des vêtements que je trouvais jolies mais qui n’étaient pas vraiment confortables. Au final je ne les mettais jamais et je finissais toujours avec les mêmes pièces que je trouvais bien plus confortables.