i knew it, i know you (murphy)

En quittant Bowen durant plusieurs mois, Kirra a également quitté son logement, laissant son appartement, remettant ses affaires chez ses parents pour, à son retour, changer complètement d’environnement. Elle s’est dit que changer beaucoup de choses d’un coup dans sa vie lui créerait peut-être des angoisses mais elle ne se voyait pas revenir là où elle verrait ses mauvais souvenirs trop souvent. A son retour, elle est revenue chez ses parents en sachant que cette situation serait temporaire, le temps de se retrouver un chez elle, avec d’autres personnes si possible. Kirra est une jeune femme plutôt sociable, qui si elle aime avoir son espace à elle, aime aussi voir régulièrement du monde et être entourée. Elle a vu que Milo, qu’elle a un peu connu par Freja lorsqu’elles étaient ensemble, cherchait une troisième personne pour sa colocation, elle lui a demandé si elle pouvait prendre la place et la voilà à peine quelques jours plus tard, en train d’installer ses affaires. Elle sait qu’il y a une troisième personne avec eux, un ami de Milo mais elle n’en sait pas plus, elle se dit qu’elle le rencontrera bien ce soir ou demain. N’ayant pas beaucoup d’affaires à déménager, elle a seulement demandé l’aide de son frère et a fait ça durant la journée, lorsque les deux autres étaient au travail, histoire de ne pas trop les déranger avec ses allers retours et ses cartons au milieu du passage le temps d’être déballés dans sa chambre. C’est en déballant tous les cartons de petits bibelots décoratifs qu’elle se rend compte qu’elle a bien plus de décoration que ce qu’elle pensait, elle demandera plus tard si elle peut investir l’appartement pour y rajouter un peu de déco et le rendre plus cosy. A peine arrivée, la voilà qui veut déjà tout chambouler ! En fin d’après-midi, une fois ses meubles installés et les cartons déballés, elle s’accorde une petite pause en allant traîner sur instagram pour liker des mèmes. Son moment scrollage ne dure pas longtemps puisqu’elle entend la porte d’entrée s’ouvrir. Elle se lève de son lit pour aller accueillir Milo ou bien l’autre colocataire et faire sa connaissance. « Salut ! » dit-elle d’une voix enjouée avant d’arriver dans le salon et de se rendre compte qu’elle connaît déjà bien l’autre colocataire, beaucoup trop bien même. En le voyant, elle se fige complètement, sent son rythme cardiaque s’accélérer et la panique l’envahir. Son nouveau colocataire serait donc Murphy, son ex, avec qui elle a passé de nombreuses années, à qui elle ne parle plus depuis qu’il l’a quitté, à part un sourire, un peu paniqué, et un bonjour lorsqu’ils se croisent quelque part.

Depuis que Murphy a emménagé avec Milo, il a l’impression d’avoir trouvé un rythme de vie qui lui convient. Qui aurait cru qu’il s’habituerait à une vie en colocation ? Il aime beaucoup sa compagnie, passer un peu de temps seul, et peut avoir dû mal à être dérangé. Pourtant, avec Milo, tout se passe bien. Murphy se sent à l’aise, respecté. Il peut garder son petit jardin secret, sa chambre, avec ses multiples plantes et croquis biologiques ou autres expériences. Mais il peut aussi retrouver du réconfort, de l’amitié et de la bonne compagnie avec Milo, mais aussi avec William et Freja. Il ne connait que de vue cette dernière alors que son petit enfant, William, il l’adore. C’est comme devenu son petit protégé. Il se sent un peu tonton, un petit oncle de loin. Et ça lui va bien, ça lui fait chaud au cœur. Cet équilibre risque de bientôt basculer. Milo lui a prévenu qu’une nouvelle personne allait venir emménager dans une des deux chambres disponibles. Murphy a accepté. Après tout, il leur faut d’autres colocataires pour continuer à bien payer le loyer sans être dans le rouge. Puis, un autre argument qui l’a aidé en faveur de la nouvelle personne à les rejoindre est que Freja la connaissait. Et elle semblait être confiante à son sujet. Murphy s’est donc automatiquement dit qu’elle ne laisserait sûrement pas William s’approcher de personnes malveillantes. C’est ainsi que Milo l’a prévenu qu’il croiserait potentiellement la nouvelle dans les jours à venir. Murphy revient donc du travail, toujours avec cette idée en tête, curieux de voir si elle pointerait son bout du nez ce jour-là. Il ouvre donc la porte d’entrée, dépose son sac par terre et sa veste sur le porte-manteau. Il remarque une paire de chaussures inconnue au bas de la porte, et sourit. Elle est donc bien arrivée. Ou c’est Milo qui a invité quelqu’un à l’appartement. Cela l’étonnerait puisqu’il lui avait dit qu’il serait absent en cette fin d’après-midi. Murphy est bien curieux de découvrir sa future colocataire. Mais ne voulant pas trop la perturber, et ne pas paraître bizarre directement, il agit comme d’habitude tout en se languissant de la rencontre. Il s’ apprête à se faire un thé quand il entend une voix. Une voix qu’il pourrait reconnaître entre mille. Une voix qui résonne fort en lui. Impossible pense-t-il. Improbable. Il se retourne pour voir qui lui joue des tours comme ça. Mais l’impensable se produit. Elle est bien devant lui, Kirra. Son ex petite-amie. Qu’il a aimée beaucoup. Enormément. Sa seule vraie copine. L’unique. Elle. Il sent son cœur s’accélérer, il ne sait pas comment réagir. Il repose donc de manière un peu saccadée la bouilloire à sa place, laisse dessiner un sourire crispé sur ses lèvres et puis prononce. « Ah.. euh.. salut. » Si patauger dans la semoule devait être illustré, ce moment serait idéal. Que doit-il dire ? Leur dernier échange remonte à des années maintenant. Les dernières phrase à la lettre. La lettre de rupture qu’il a écrite. « Tu.. tu  attends Milo ? » demande-t-il pour lui laisser le temps de réfléchir à une autre option, d’autres paroles. « Je fais du thé si tu veux. » complètement hors sujet, mais il ne se sent pas de demander la vraie question es-tu ma future coloc ?. Beaucoup trop dur pour lui. Beaucoup trop d’informations à encaisser, lui qui vit une vie de tranquillité depuis quelques temps maintenant.

tw : crise d’angoisse

Peut-être qu’elle aurait dû demander plus d’informations à Milo sur son colocataire, mieux se renseigner avant d’accepter un peu rapidement, la proposition de venir s’installer chez lui. Mais même si elle adore sa famille, Kirra ne voulait pas rester trop longtemps à vivre chez eux, elle avait besoin de retrouver un vrai endroit à elle, une colocation pour pouvoir échanger, se nourrir des parcours de vie des autres. Elle a vu cette occasion avec Milo, elle a dit oui, elle s’est dit que ça ne pourrait que bien se passer, que ce serait sans doute la meilleure option, le moyen de continuer à voir William, de vivre avec Milo qu’elle connaît un peu, dans un appartement où il n’y a pas d’alcool, ses critères et même ceux qu’elle n’osait pas formuler sont remplis. Il y a seulement une chose à laquelle elle n’a pas pensé, un critère : ne pas se retrouver en colocation avec Murphy. Mais il semblerait que ce soit le cas pourtant, ou alors il est très à l’aise chez ses amis, à se faire du thé en leur absence. Il a l’air aussi crispé qu’elle a en la voyant. Chacun à un bout du salon, la tension est palpable et Kirra sent tout son corps s’emballer et la panique monter toujours un peu plus. Avec le temps elle a réussi à gérer ses angoisses, ses crises, mais parfois, tout ce qu’elle a mis en place au fil des années ne suffit pas, surtout quand un événement aussi improbable et impactant arrive. Elle ferme les yeux, tente de respirer lentement, de ne pas laisser la panique gagner tandis qu’elle entend la voix de Murphy résonner contre ses oreilles. Ce n’est pas si grave de se retrouver avec lui, si ? Ils ne se sont pas vus depuis des années, de l’eau a coulé sous les ponts, certes il l’a quitté après de longues années de relation avec seulement une lettre laissant plus de questions que de réponses mais c’était il y a longtemps. La jeune femme sait que si elle reste plantée là, elle risque de finir par terre tremblante à pleurer, ce n’est clairement pas comme ça qu’elle avait imaginé son premier jour en colocation. A la place, elle articule du mieux qu’elle peut « Je reviens. » avant de faire les quelques pas qui la mènent jusqu’à sa chambre pour aller s’écrouler sur le lit et laisser la panique gagner, au moins quelques minutes, le temps que les choses passent. Elle essaie de mettre en place toutes ses techniques d’urgence en cas de crise d’angoisse, de respirer au mieux et de ne surtout pas penser à son ex petit-ami, qui doit se trouver à quelques mètres avec autant de questions qu’elle dans la tête. Après une bonne crise de larmes et de longues respirations, elle sent le calme revenir après la tempête. Elle s’assoit sur son lit pour continuer à se calmer et sécher ses larmes pour avoir une tête un peu plus présentable. Elle en profite également pour prendre un cachet de plantes pour se détendre un peu. Après avoir soufflé une dernière fois elle ressort de sa chambre et dit « Désolé...j’avais pas prévu que tu sois mon nouveau coloc. » elle essaie d’afficher un léger sourire mais n’est pas sûre du résultat. « Du coup je suis pas contre un thé. » ajoute-t-elle en se disant qu’ils vont sans doute avoir quelques trucs à se dire, ils ne peuvent pas juste s’ignorer. « J’aurais dû demander à Milo qui était son coloc, on aurait évité ça. »

Dans tous les scenarios qu’il a pu se faire sur le ou la nouvelle colocataire, celui-ci n’y était pas inclus. Non, avoir Kirra, son ex-petite amie, la seule femme qu’il a aimée, n’était point inclus dans l’équation. Pourtant, il maîtrise ça, les équations, les probabilités. Il en a fait son métier – en quelque sorte. Et il sait très bien qu’on définit un univers fini avant. C’est-à-dire qu’on élimine toutes les impossibilités comme une colocation avec un extraterrestre, un crocodile, ou quelque chose d’aussi absurde que ça. Ainsi, on ne garde que le probable. Et c’est là que Murphy a foiré. C’était probable que Kirra vienne en colocation avec lui, encore plus que Zendaya par exemple. Il se sent maintenant un peu stupide de ne pas l’avoir inclus dans ses probabilités et surtout de ne pas avoir demandé à Milo avant le nom du colocataire, ou tout simplement de ne pas avoir exigé un droit de veto. Murphy se retrouve donc un peu pris de court, et ne sait donc pas réagir. Il essaye de faire au mieux, de proposer du thé, ou d’imaginer que c’est uniquement une amie à Milo. Il essaye tout ça, mais il est beaucoup trop maladroit. Et il le ressent, Kirra s’en va. Il tire une moue de déception. Puis son regard se tourne vers la bouilloire, l’eau monte petit à petit en ébullition comme son cerveau. Trop de questions. Doit-il sortir deux tasses comme si de rien était ? Doit-il oublier le thé, aller faire un tour le temps qu’ils encaissent tous les deux l’information ? Doit-il appeler Milo ? Il reste bloqué, Murphy, immobile, tétanisé. Les livres ne lui ont jamais appris à bien réagir dans de telles situations. Puis, mécaniquement, il se met à faire pleins de choses, pleins de choses qui n’ont pas vraiment de sens comme ranger trois assiettes et pas les bols qui sont aussi sortis, couper un carreau de chocolat sans le manger, allumer la télévision et l’éteindre rapidement. Pleins de petites actions identiques s’enchaînent, alors que son cerveau lui répète d’agir normalement. Mais ça veut dire quoi, en réalité, agir normalement ? Il pourrait clairement exploser à ce moment-même. Or, à nouveau cette voix. La voix de Kirra. Elle revient. Murphy se tourne vers elle, lui retourne un sourire timidement également. Il espère qu’elle n’a pas vu son étrange danse. Il reprend ses esprits, se dirige vers le comptoir de la cuisine, en sort deux tasses. « Ce.. ce n’est pas que de ta faute… J’aurai.. j’aurai aussi dû suivre le choix de la nouvelle coloc plus attentivement aussi. » prononce-t-il en haussant les épaules. Il respire une nouvelle fois, puis enchaine. « Mais je m’étais dit que Milo choisirait forcément une bonne personne, j’lui ai fait pleinement confiance. » Il s’arrête quelques instants, et se rend compte à nouveau de sa maladresse. « ‘Fin pas que t’es une mauvaise personne, non loin de là, et au contraire, je pense qu’il a visé juste, mais.. enfin.. voilà.. » t’es mon ex, peut-être même la femme la plus importante de ma vie après mes sœurs et ma mère est la fin de sa phrase. Il sort par la suite sa boîte à thé et la dépose sur la table basse du salon avec les deux tasses. « On.. on sera mieux dans le canap, non ? » propose-t-il. « J’ai toute sorte de thé, du thé noir, vert, et même blanc, je te laisse choisir. » lui tend-il la boîte. « Mon préféré est le noir à l’orange. » Mais ça, ça n’a pas changé depuis leur rupture, elle doit très bien le savoir. Il se sent donc débile de lui rappeler à nouveau.

S’ils sont restés ensemble depuis des années, c’est bien que Murphy et Kirra ont des choses en commun, comme ne pas se questionner plus que ça sur les autres personnes de la colocation visiblement. Elle qui pensait que le plus bizarre pourrait être de vivre avec le père de l’enfant de son ex, elle s’était trompée, le plus bizarre est de se retrouver directement en coloc avec son ex. A choisir, elle aurait préféré que l’ex en question soit Freja, au moins dans cette relation, c’est elle qui y a mis fin et le tout s’est passé en toute bienveillance. Avec Murphy, le souvenir est plus amer et douloureux, peu d’explications, aucune discussion, plus rien d’un coup après des années de relation. Le choc a été rude mais elle s’est relevée, elle a avancé, Kirra essaie de faire de ces moments difficiles des leçons pour avancer, ne pas regarder vers le passé. Sauf que là, elle le regarde presque droit dans les yeux, avant de partir, sentant sa respiration s’emballer face à cette nouvelle surprenante et déstabilisante. Après quelques minutes dans sa nouvelle chambre pour se calmer, elle revient et accepte le thé. Ils ont chacun fait confiance à Milo pour choisir un.e colocataire qui ferait bien l’affaire, il ne s’est pas trompé sur le choix. En dehors de leur passif plutôt conséquent, Murphy et Kirra ne sont pas des mauvais choix, ils savent bien vivre ensemble en plus de ça, enfin, savaient. La jeune femme reste perplexe face à l’explication de son ex sur le choix qu’aurait pu faire Milo mais il se rattrape rapidement. Elle sait combien il peut s’emmêler les pinceaux et vu la situation, ça se comprend d’autant plus. « Je me suis dit un peu la même chose en vrai. » avoue-t-elle, ajoutant « Je pense aussi qu’il a visé juste. J’ai peut-être aussi trop précipité les choses, il aurait eu plus le temps de t’en parler sinon. » Cette opportunité, de vivre avec des gens et laisser ses parents après être revenue à Bowen, elle l’a saisit dès qu’elle l’a pu et Milo a sans doute ne pas voulu la faire trop attendre. Comme Murphy n’a visiblement pas posé beaucoup de questions, les choses se sont actées sans que tous les éléments aient pu être pris en compte. Et maintenant il est trop tard pour revenir en arrière, du moins dans l’immédiat. Certes Kirra pourrait retourner dormir chez ses parents en attendant de réemménager mais son envie d’avoir un espace complètement à elle loin de sa famille, qu’elle adore malgré tout, lui tient trop à cœur, même si ça veut dire dormir à quelques mètres de son ex. Murphy lui propose d’aller s’asseoir sur le canapé pour boire leur thé. Actuellement elle pense surtout que le plus inconfortable est de se retrouver face à lui plutôt que le lieu où ils se trouvent mais elle s’abstient de faire un commentaire. Elle accepte donc la proposition d’un hochement de tête avant qu’il ne lui présente une collection de thés parmi laquelle choisir. « Je t’imaginais bien me sortir une boîte aussi remplie. » dit-elle en regardant les différents sachets, un léger sourire aux lèvres. « Je vais prendre le blanc à la bergamote. Moi non plus j’ai pas beaucoup changé en matière de thé. » Si elle ne se fixe pas un type en particulier, le thé blanc à la bergamote a toujours fait parti de ses préférés, tout comme le noir à l’orange pour Murphy, ils le savent bien tous les deux. Elle se demande s’il est resté le même uniquement sur le thé ou si l’ensemble de sa personne est resté figé depuis leur rupture. Ils n’ont échangé que peu de nouvelles depuis toutes ces années, quelques phrases bancales et génériques lorsqu’ils se croisaient par hasard quelque part, mais rien de plus. « Tu crois qu’on pourrait arriver à vivre tous les deux, normalement ? » lui demande-t-elle directement pour savoir si ça vaut le coup qu’elle déballe toutes ses affaires.

Sa colocation lui semble soudainement à la fois étrangère et familière. C’est une drôle de sensation. Familière parce qu’il y vit depuis quelques temps avec Milo et parfois William. Parce que la nouvelle colocataire n’est pas inconnue, parce qu’il la connaît, parce qu’il sait qu’ils partagent des souvenirs, qu’ils ont des choses en commun. En effet, c’est son ex, elle, la seule femme qu’il n’ait jamais autant aimé. Pourtant, une impression d’étrangeté s’installe car il ne sait plus où se mettre, où se placer, ni même quoi dire en sa présence. Et puis, il se demande si elle a changé, s’il peut encore prétendre la connaître. C’est comme s’il était entré par effraction chez elle après tout ce temps sans s’adresser la parole. Son appartement ne paraît plus être chez lui actuellement. Ainsi, Murphy a dû mal à s’exprimer et cela le rend maladroit. Heureusement, elle ne semble pas mal le prendre, et cela le rassure un peu.  Un très léger sourire se dessine sur ses lèvres en entendant les paroles de Kirra. Elle aussi avait pensé à la même chose concernant la colocation, elle aussi a fait confiance aveuglément à Milo. « Ca peut arriver d’avoir besoin de précipiter les choses.» avance-t-il en haussant les épaules.  Il ne connait plus grand-chose de la situation actuelle de Kirra depuis leur rupture, il faut bien l’admettre. Mais si elle a dû presser son emménagement, c’est sûrement qu’elle avait besoin d’un endroit suppose-t-il. Et il peut totalement comprendre ce choix, l’appartement est bien agencé, et Milo est bien accueillant. Il ne peut pas lui en vouloir, ni à elle, ni à Milo. Pourtant, la situation reste inconfortable et il ne sait pas comment la rendre plus agréable, plus naturelle. Il propose donc naïvement de s’installer sur le canapé, leur canapé maintenant, avec une tasse de thé, espérant détendre un peu l’atmosphère. A sa grande surprise, ça fonctionne un petit peu. Un léger rire lui échappe lorsque Kirra fait une réflexion sur sa boîte de thé. Murphy n’a pas tellement changé depuis le temps. Il aime toujours autant le thé et toujours les mêmes. Et puis voyant le choix de Kirra un autre sourire, discret, apparaît sur son visage. Certaines choses restent intemporelles, immuables. Et cela rassure le jeune homme. Elle n’est pas une parfaite inconnue face à lui. Quelques aspects d’elle n’ont pas changé, et c’est apaisant de s’en rendre compte. Il lui tend par la suite la tasse avec le sachet de thé. Mais ce moment de tranquillité est vite perturbé par la question de Kirra. Et elle a raison, il fallait bien qu’elle vienne assez rapidement cette question. C’est probablement la plus importante dans l’immédiat. « Ce.. ce n’est pas facile à dire comme ça. » commence-t-il, hésitant. Il sait qu’il peut vivre en compagnie de Kirra, il sait qu’ils peuvent s’entendre, il sait tout ça. Mais maintenant ? Qu’en est-il ? A moitié des inconnus, à moitié des anciens complices. Est-ce une situation viable ? Il en a aucune idée. « Tout ce que je sais, si tu n’es bien sûr pas devenue la plus grande fêtomane de Bowen,  c’est que, finalement, tu corresponds au critère de ce que je recherche pour une colocation. » Kirra, elle est douce, elle est attentive aux autres, elle est vive, drôle, positive. Enfin, de ce qu’il se rappelle d’elle, de ce qu’il savait sur elle Ce sont ces qualités qui l’avaient séduit, autrefois. Et s’il avait dû imaginer un futur colocataire idéal, il ou elle aurait probablement beaucoup de points communs avec Kirra, il n’en doute pas. « Qu'en penses-tu, toi ? » demande-t-il, aussi en buvant dans sa tasse avant d’entendre sa réponse.

Est-ce que dormir dans le même appartement que Murphy, son ex, est envisageable ? Est-ce que se lever le matin et le rencontrer en pyjama en train de prendre son petit-déjeuner est une perspective viable ? Kirra ne le déteste pas, plus maintenant, avec le temps elle est passée au-delà de toutes les interrogations laissées par sa lettre de départ qu’elle n’avait pas vu venir. Il faisait parti de son passé et le voilà en plein dans son présent, qui revient sans qu’elle ne sache si elle peut accepter ce retour si soudain dans sa vie. Mais elle n’a pas envie de devoir rechercher un nouvel endroit où dormir, une nouvelle colocation, d’autres colocataires qui pourraient lui correspondre. Murphy ne serait pas un mauvais colocataire, elle a suffisamment vécu avec lui à l’époque pour savoir que les choses se passeraient sûrement bien entre eux. Le seul problème étant qu’il est son ex et qu’elle ne sait pas si elle est prête à vivre avec lui vu leur passif plutôt important. Dans un premier temps elle lui demande son avis, ça l’éclairera peut-être sur le sien également mais il semble aussi perdu qu’elle. La jeune femme trempe son sachet de thé dans l’eau chaude en le faisant revenir régulièrement pour passer ses nerfs sur quelque chose et ne pas laisser l’angoisse gagner à nouveau. Il lui faudra une longue séance de yoga et de méditation pour se remettre de tout ça et peut-être un peu plus. A sa réponse elle a l’impression qu’ils sont plutôt sur la même longueur d’onde, qu’ils correspondent bien à ce qu’ils attendent d’un.e colocataire. « Je pense que non je ne suis pas devenue une grande fêtarde et que si toi tu ne l’es pas non plus, tu corresponds aussi à mes critères. » conclue-t-elle même si ça lui donne un goût d’inachevé, comme si personne ne parlait de l’éléphant dans la pièce car la question n’est pas est-ce qu’ils pourraient bien s’entendre mais est-ce qu’ils pourraient vivre avec leur passé. « Je doute pas qu’on puisse bien s’entendre comme colocataires, je te connais...enfin je te connaissais plutôt, enfin je croyais. Mais est-ce qu’on pourrait vivre ensemble avec tout ce qu’on a vécu avant. » Comment ne pas remuer le passé en vivant ensemble, comment ignorer toutes ces années de relation et ne pas y penser quand rien que le voir lui fait y penser. « Je pense que si on veut habiter ensemble, il faut qu’on ait cette conversation, celle qu’on a jamais eu, pour vraiment conclure les choses. » Et s’il ne veut pas, elle prendra ses affaires pour tenter de trouver un autre lieu où vivre. Mais elle a besoin de mettre les choses au clair et qu’il n’y ait plus ces interrogations qui se réveillent en le voyant.

Ses lèvres forment un léger sourire, et dans un soupire, un rire s’échappe. Murphy n’avait pas de doute là-dessus. Ils se correspondent en terme de critère de recherche de colocation à Bowen. Ils le savent très bien, ayant passé du temps ensemble, ayant vécu ensemble. Pourtant, il a eu ce petit réflexe. Peut-être pour se rassurer. Pour se rassurer que les choses n’ont pas tant changé, se rassurer que le temps ne transforme pas tout. Un léger blanc s’installe entre les deux. Murphy boit son thé, regardant de partout et nulle part à la fois, n’osant pas encore vraiment planter son regard dans les yeux de Kirra. La scène assez surréaliste, il ne sait pas comment se placer. Puis, elle brise le silence. Alors il relève ses yeux sur elle. Et il l’écoute. Et puis cette phrase, enfin je te connaissais plutôt, enfin je croyais sonne comme un coup de poignard. Il fronce ses sourcils, automatiquement, sans trop forcer pour éviter qu’elle le remarque. Puis, elle pause la question. C’est exactement cette question qu’ils attendent. Peuvent-ils vivre ensemble après leur relation ? Il ne connait pas la réponse, Murphy. Il n’en a aucune idée. Sûrement, oui. Ils continueront à fonctionner comme ils ont toujours faits, peut-être s’ignorant les premières semaines jusqu’à s’habituer à la présence de l’autre. Ou pas du tout, leurs souvenirs pèsent trop. Murphy ne dit pas un mot, pas de suite, il réfléchit, il attend. Il ne sait que répondre. La situation le rend muet, et connaissant sa maladresse légendaire, il pourrait empirer son cas. Il presse ses lèvres, en hochant légèrement les épaules, évitant à nouveau le regard de Kirra. Puis, elle se remet à parler, sûrement perturbée par l’absence de réponse de Murphy. Il s’en veut un peu, écoutant tout de même d’une oreille attentive ses paroles. Ce n’est pas ça, le soucis. C’est bien quelque chose qui remonte à bien plus loin, à leur fin de leur relation. Et elle a raison Kirra, elle a raison de poser ces questions, de soulever ces interrogations. « Cette conversation… » répète-t-il en soufflant. Il sait très bien de quoi elle parle, de leur rupture, de leur non-dit pendant toutes ces années. « Tu avais eu ma lettre ? » demande-t-il. Il parle de cette lettre, cette lettre qu’il a écrite pour mettre fin à leur relation, sans vraiment expliquer la réelle raison, juste en détaillant que c’est sa faute, que ce n’est pas elle, c’est lui. Mais il ne savait pas comment bien réagir à ça, Murphy. Kirra et lui voulaient fonder une famille, c’était leur rêve, leur désir. Mais il a découvert qu’il ne pourrait jamais être cette personne, jamais être le père de ses enfants, pour problème clinique. « Enfin, oui.. Je m’en doute . » reprend-il, la moue perdue dans tout ça, toutes ces émotions. « Je voulais te protéger, Kirra, que.. que tes rêves se réalisent, je bloquais ça, je pouvais pas être.. être celui qui t’accompagnait, dans… tout ça. » finit-il par dire, saccadé de pause. « Mais je.. je crois que je me suis plutôt protégé moi-même. » avoue-t-il. Il n’est pas encore clair dans ses propos, mais comment pourrait-il l’être ? Il n’a certes plus peur de ce mot, il a dépassé ça, mais comment le dire à Kirra, maintenant, qu’il est stérile ?