maintenant t'es dans l'grand bain, devine comment on nage - jude

14h, quelques jours après la tempête. Est-ce que j'étais genre, maudit? Parfois, j'me posais la question, premier degré. C'était quoi, les probabilités pour que j'trouve enfin la motivation pour me lancer vraiment dans un projet de grande ampleur, que j'commence les démarches, que j'commence les travaux, et que quelques semaines plus tard, une inondation ne vienne balayer les quelques espoirs que j'avais? Bon, ok, j'en faisais des caisses, mais j'étais un peu démoralisé. Quand j'avais ouvert la porte de ma future boutique là, et que j'avais constater que tout flottait dans dix centimètres d'eau boueuse, j'avais un peu eu envie de chialer. Et puis, je m'étais rappelé que mon projet, il était vraiment cool, qu'il me tenait à coeur et que j'voulais plus être juste le p'tit gars de la station de service qui fait du skate entre les pompes à essence. J'voulais être le gars cool qui tient le skate shop de la ville. Parfois, je parlais avec d'autres commerçants, mais ils me faisaient flipper en me parlant d'étude de marché, de comptabilité et de tout un tas de mots qui ne m'évoquaient rien. Alors j'avais arrêté de me poser des tas de questions et tout ce qui comptait, au final, c'est que la banque me suivait dans mon truc. Faut dire que j'avais pas mal d'argent de côté et la base de skateurs à Bowen, elle était assez solide. Et il suffisait que ma boutique soit vraiment bien et les autres amateurs des villes voisines viendrait s'équiper chez moi. J'avais déjà le nom de ma boutique, depuis très longtemps d'ailleurs. Parce que ce p'tit rêve là, d'ouvrir mon propre skate shop, il traînait dans ma tête depuis mon adolescence. Urbain Gravity. Bien sûr que j'avais aussi pensé à faire un jeu de mot avec mon nom de famille, genre Skate Bi'shop, ça m'avait bien fait marré dans l'idée, mais c'était pas une blague là. C'était genre, bien sérieux. Tellement sérieux que j'me retrouvais, raclette en main, à évacuer toute l'eau de la boutique, musique à fond. Avant de me mettre au travail, j'avais envoyé un vocal à Jude. Elle faisait partie de ma vie depuis pas mal de temps maintenant, on avait une belle relation. Elle était adorable avec moi, même si j'aimais bien m'la jouer p'tit immature avec elle. Elle m'avait pas mal épaulé au début, pour toutes les démarches administratives et là, j'sentais que j'avais besoin d'elle, pour ne pas perdre totalement pied. "Juuuude, c'est la misère, la boutique est toute inondée. Et pis, faut que j'fasse une déclaration à l'assurance ou j'sais pas quoi, HEEEELP!" Voilà ce que je lui avais envoyé, ne sachant pas trop si elle aurait du temps à me consacrer. Alors, je raclais, je lavais, je faisais l'état des lieux aussi, pour tenter de comprendre l'ampleur des dégâts. Le tout avec une bonne humeur certes, mais que je sentais vraiment fébrile. Il m'en faudrait pas beaucoup pour baisser les bras et revendre cette boutique. J'étais à deux doigts d'le faire. Du soutien moral, ça ouais, j'en avais besoin.

@Jude Lawson

Si j'avais écouté le moi de l'année dernière, j'aurais clairement abandonné. J'serais rentré dans cette boutique - qui n'avait encore rien d'une boutique - et j'aurais juste baissé le bras et refermé la porte. Probablement que j'serais allé retrouver mes potes et j'me serais plaint. J'me serais apitoyé sur mon sort et j'aurais fini par mettre à la poubelle tout le projet. Mais ça, c'était pas le moi de maintenant. J'avais probablement murit un peu et puis aussi, j'y croyais à ce que j'étais en train de construire. Le rêve d'un gamin, d'un ado qui préfère skater plutôt que d'aller en cours. J'sentais que ma mère était pas mal fière de moi quand elle me voyait enfin prendre en main ma carrière professionnelle. Et puis, j'pouvais compter sur Jude. Et ça, c'était pas rien. Elle était une épaule sur qui je pouvais me reposer, elle avait toujours eu ce p'tit truc avec moi, de presque maternant, m'aidant constamment à aller vers une meilleure version de moi même. Alors forcément, c'était la première à qui j'avais pensé quand j'avais vu la situation. J'allais devoir m'armer de patience pour remettre tout en ordre et la dimension administrative qui ça allait amener, ça me paralysait. Et ça, Jude, elle était la personne idéale. Elle évoluait dans ma vie depuis bien longtemps déjà, elle était la demi soeur de Beck, l'un de mes meilleurs potes, alors autant dire qu'elle m'avait vu grandir. On avait une belle relation. Et je savais que je pouvais compter sur elle. Tellement qu'elle ne tardait pas à pousser la porte de ma future boutique. J'levais les yeux vers elle, lui adressant un sourire, entre la joie d'la voir et la sensation dêtre enseveli de boue et de dossiers administratifs. J'prenais le temps de baisser le son de la musique et elle s'approchait de moi. "Toi, tu sais m'parler!" que j'dis en portant un regard bien intéressé sur les sacs contenant de la fastfood. Mais Jude, elle me connait par coeur, elle sait que là, même si j'suis affamé, j'ai surtout besoin de soutient. Elle s'approche de moi et elle me prend dans ses bras. J'la serre fort, quelques secondes, avant de la relâcher. Rien que ça, ça m'a fait du bien. J'la regarde, et j'soupire un peu. "J'suis à ça de paniquer." que j'lui dis en lui montrant un espace très réduit entre mon index et mon pouce. "Ca va toi? T'étais où pendant la tempête?" Parce que même si j'suis submergé par ma situation, j'oublie pas que Jude, elle a aussi vécue la tempête, comme moi. J'la regarde bien, et j'peux pas manquer l'entaille qui marque sa tempe. "T'es blessée?!" que je rajoute, sérieusement inquiet pour elle.

@Jude Lawson