I'll be your friend in the daylight again, there we will be, like an old enemy + Woodéo

Léo n’avait aucune amitié comparable à celle qu'il avait avec Woody. Ils se connaissaient depuis plus de vingt ans, avaient fait les quatre cent coups ensemble. Ils avaient été inséparables, ils avaient fait des conneries, s’étaient pris pour les rois du monde, ou du moins de Bowen. Ils s'étaient adorés, puis éloignés, puis presque détestés à cause d'une fille. Ils s'étaient battus, ils s'étaient vus vulnérables, ils avaient pleuré dans les bras de l'autre et quand tout semblait les séparer, ils étaient resté celui que l’autre pouvait appeler dans la tempête. Leurs deux fortes personnalités étaient faites pour faire des étincelles, mais au-delà des conflits, ils restaient amis, avec tout ce que cela pouvait signifier. Pendant un moment ils n'avaient fait que s’apercevoir, rien de plus et aucun n'avait tellement fait de pas vers l'autre, parce que la vie, principalement. Depuis quelque temps Woody était revenu vers Léo, ça faisait partie du processus de guérison, qu'il avait dit, comme un travail que son thérapeute lui avait demandé de faire. Le photographe n'en avait pas été offensé, après tout, si son ami n'en avait rien à faire de lui, thérapie ou non, il ne serait pas revenu vers lui. Les débuts avaient été timides, hésitants, maladroits, même. Un verre en ville où ils étaient restés un moment comme deux idiots à se regarder dans le blanc des yeux. Puis ils avaient parlé de leurs enfants, un sujet facile, qui les rapprochait indéniablement, Woody était papa à présent ! Et la conversation avait été plus fluide, petit à petit. Ils s’étaient revus plusieurs fois au cours des derniers mois. Aujourd'hui, au moment où la vie de Léo prenait un nouveau tournant, plutôt inattendu et déstabilisant pour lui, il lui avait semblé évident que c'était à son ami de toujours de l’accompagner. Alors il lui avait proposé une sortie en canoë sur le lagon, rien de trop physique, une balade dans la nature, puisqu'il savait combien Rutkowski aimait ça. Il devait lui parler et en vérité ça l'angoissait, parce que ça rendait les choses vraiment concrètes. Il ne lui avait rien dit sur la nature de leur expédition, prétextant seulement avoir besoin d’air, que Kai, sa fille d’un an et demi lui prenait beaucoup d’énergie et qu'il avait besoin de se vider la tête. Pour le reste, il improviserait, c'était ce qu'il s'était dit. Ils pagaillaient tranquillement depuis une petite heure à présent quand des rapides les précipitèrent un peu trop avant. Léo avait connu cet endroit par coeur quand il était gamin et à l'époque ça ne posait aucun problème ni pour l'un ni pour l'autre. Mais depuis Woody avait été affaibli par sa maladie et tout était différent. Merde ! Woody, rame vers la droite autant que tu peux, on va se prendre le bord ! Il voyait la bande de terre se rapprocher beaucoup trop vite et il essayait de ralentir leur embarcations mais ils étaient mal partis et s'ils ne se stabilisaient pas, ils allaient passer par-dessus bord. Au fond c'était exaltant, la vitesse, la perte de contrôle, le frisson du danger qui n’en était pas vraiment un. Avant ils auraient été comme des fous, mais aujourd'hui Emerson ne savait pas comment son ami allait réagir face à la situation.

@Woody Rutkowski

tw : maladie dégénérative

Il avait un tas de défauts, Woody. Trop pour qu’on puisse les lister. On s’y perdait avant d’en arriver à la fin. Il n’était absolument pas la personne la plus aimable sur cette Terre et on pouvait parfois rester surpris de savoir qu’il avait quelques amiEs. Qu’il savait les garder, surtout. C’était ça le plus difficile d’ailleurs, dans les dernières années. Woody ne s’arrangeait pas tout le temps pour garder les gens à ses côtés. Ça avait été le cas avec Léo. Mais s’il avait une qualité c’était celle de pouvoir faire la part des choses, par moments, et d’assumer ses erreurs. Il savait que dans son parcours amical avec Léo, il avait eu ses torts, et finalement quand il prenait du recul, il en venait à la conclusion que dans la balance de l’univers, il y avait eu bien plus de bons moments avec le photographe que de mauvais. C’était à ces moments-là que les deux trentenaires avaient décidé de se raccrocher. C’était bien mieux ça que d’entretenir la rancoeur pour des histoires passées. En plus, les deux hommes s’étaient un peu plus placés, là. Léo avait sa famille avec Alba. Woody avait également la sienne, même s’il n’était pas en couple avec Sara malgré ses sentiments qui avaient refait surface pour elle. Ils étaient, peut-être, en mesure de cohabiter dans cette ville sans se marcher sur les pieds, une bonne fois pour toute. Woody était en thérapie depuis plus d’un an maintenant, et il apprenait à mieux gérer ses pensées et ses réactions. Il était important pour lui, apparemment, de se refaire son réseau, son entourage. D’avoir du soutien. Comme Léo était l’un de ses plus vieux amis, il avait cherché à renouer avec lui, pour repartir sur des bases plus solides qu’avant. Ils n’étaient plus des gamins. Ils avaient fait ça lentement mais sûrement, et si ça n’avait pas été très naturel au départ, finalement ils avaient retrouvé une certaine complicité, en mode 2.0. Il y a quelques jours de cela, Léo avait proposé à Woody une sortie en canoë sur le lagon. L’aîné des Rutkowski en était resté un peu surpris. Ça faisait un bon moment qu’on ne lui proposait plus de sorties physiques, en raison de sa maladie. On ne voulait pas l’agacer, lui rappeler qu’il n’avait plus son corps d’avant. Léo semblait s’en foutre, lui. Et Woody avait accepté. Il était dans une bonne passe, récemment, et il se disait qu’il serait sans doute capable de ramer pour un bout de temps. Ça lui ferait du bien, surtout, de se retrouver en pleine nature, de vivre un peu d’aventure. Ils s’étaient donc retrouvés à deux dans ce canoë, à ramer, aidés du courant, courant qui se transforma tout d’un coup en rapides, sans prévenir. « J’avais oublié cette passe … » Grommela-t-il alors que ses souvenirs d’antan refaisaient surface alors que lui était en train de se dire qu’ils allaient finir sous l’eau. « Tu penses que j’essaie pas !? » Se fâcha-t-il, piqué dans son orgueil. Il avait beau être en thérapie, Woody, il n’était tout de même pas rendu au point d’accepter à bras grands ouverts sa maladie et la perte de force et d’autonomie de son corps. Le trentenaire redoubla quand même d’ardeur, ramant du plus fort qu’il le pouvait, grimaçant à chaque coup de bras. Il sentait l’adrénaline en lui, ça faisait tellement longtemps que ça ne l’avait pas habité. Ils évitèrent de justesse la bande de terre et les gros rochers en bordure de celle-ci, pour reprendre le cours d’eau dans une meilleure position. Woody cessa de ramer d’un coup, reprenant son souffle, la tête entre les deux jambes, avant de finalement relever le visage vers le ciel couvert et de crier un bon coup. Un cri de bonheur, un cri de fierté, bref mais bien senti, avant de rire. Le stress redescendait. La colère disparaissait.