#22 Smile at me • Andrea

Léo avait toujours détesté les dimanches soir, depuis tout petit. C’était la fin du week-end, la fin de la récréation, le retour à l’école, la fin des vacances, le début d’une nouvelle semaine. Il y avait toujours une sorte de nostalgie les dimanches soir. Et aujourd’hui devenu adulte, ce désamour prenait encore plus son sens. Il se trouvait devant la porte de chez Andréa à attendre qu’elle vienne ouvrir, il avait son fils dans ses bras, celui-ci gazouillait doucement, ne se rendant compte de rien, ne comprenant pas que c’était un petit déchirement pour son père de se séparer de lui une fois encore.
Comme tous les week-ends, une semaine sur deux, c’était le même manège, les deux jours passaient à une vitesse folle, le temps semblait lui filer entre les doigts alors qu’il tentait d’en profiter pleinement. Mais il était dix-neuf heure, heure convenue avec Andrea, il devant lui rendre Jonathan, celle-ci devait d’ailleurs piaffer d’impatience à l’idée de retrouver son fils, Léo l’enviait, deux jours avant il était dans le même état. On ne peut pas se rendre compte du bonheur que c’est de voir son enfant grandir tous les jours, ou toutes les semaines un peu plus, de le voir s’éveiller, s’émerveiller de tout, on retombe un peu en enfance soi-même finalement. C’était exactement ce que Léo ressentait lorsqu’il regardait son p’tit mec. Pourtant qui l’eut cru, celui qui avait au départ refusé toute paternité était devenu accro à son gosse, et plus rapidement qu’il ne l’aurait voulu. Jonathan avait déjà six mois, il était en pleine santé, souriait à tout va, s’amusait d’un rien et savait aussi piquer des colères monumentales, mais rien n’effrayait plus Léo, il savait s’y prendre avec son fils et chaque fois qu’il l’avait avec lui, il tentait de profiter pleinement, de tisser un lien fort avec cet enfant dont il voulait qu’il soit fière de son père un jour, qu’il dise qu’il l’avait bien élevé, aimé comme il le fallait, tout le contraire de ce que lui pensait de son propre père.

Depuis six mois le jeune homme menait un rythme infernal. Il était sans cesse tiraillé entre ses envies d’ailleurs et le besoin d’être auprès de son fils. Il n’était pas allé à l’autre bout du monde depuis des mois et ça lui manquait terriblement, pourtant il ne pouvait se résoudre à partir plus d’une semaine loin de Bowen, il avait tellement peur que Jonathan manque de quelque chose. Alors il acceptait des missions courtes, des séances photos en Australie ou en Asie, pas très loin, pas de quoi le faire rêver mais suffisamment pour gagner sa vie et calmer son besoin de changer d’air. Pendant son temps libre il travaillait dans sa maison, il avait monté une balançoire et une clôture protégée pour quand John marcherait, il avait aménagé une vraie chambre d’enfant à en faire pâlir les meilleurs bricoleurs et avait agencé son intérieur pour qu’il soit le plus agréable possible. Adieu les cartons qui trainent, les piles de magazine et les cartons de pizza, il devenait presque maniaque. Beaucoup de choses avaient changés en six mois dans la vie du jeune père et il se surprenait lui-même. Pourtant chaque soir en s’endormant il ressentait le même manque, la même solitude, il trouvait toujours son lit vide et son cœur s’emplissait de tristesse en entendant résonner le son cristallin du rire d’Anna, en imaginant sa chevelure sur l’oreiller près de lui, puis à chaque fois la même chose, le visage d’Andrea qui se confondait avec ses souvenirs mais qu’il repoussait vivement. Parce qu’on ne mélange pas les deux, ça ne se fait pas, ça n’est pas correct. Il avait fêté avec douleur les deux ans de la mort de sa fiancée. Et pourtant la vie devait continuer, elle continuait d’ailleurs, elle fleurissait, grandissant dans le corps tout neuf de son fils plein d’entrain. Jonathan ne connaissait encore rien de la peine et de la perte, il abordait la vie comme tout enfant de six mois, en la découvrant avidement, alors Léo tentait de s’inspirer de lui. D’ailleurs il avait encore plein de belles surprises à recevoir, comme le fait d’avoir une sœur dont il ignorait encore tout et qui venait de se présenter à lui. La vie était pleine de cadeaux, malgré les embûches.
La porte s’ouvrit sur une Andrea rayonnante. Il lui sourit à son tour, même si son sourire à elle n’était offert qu’à leur fils. « Salut ! Livraison bébé express ! »

La mine rayonnante d’Andrea faisait plaisir à voir, Léo avait presque envie d’interpréter ce sourire comme le signe que la jeune femme était heureuse de le voir mais d’une il n’y pensa pas vraiment et de deux il était clair qu’elle ne devait cette joie de vivre qu’au plaisir qu’elle avait de retrouver son fils auprès d’elle et c’était tout simplement touchant. Il ne l’avait jamais vu aussi belle, aussi heureuse, même lors de leur escapade Thaïlandaise, elle était différente à l’époque, moins sereine, parfois elle semblait se forcer à sourire, elle était aussi plus exubérante, plus éparpillée, plus gamine en somme. Aujourd’hui c’était une femme posée et réfléchie que Léo avait en face de lui et cette image lui plaisait.
Il la laissa volontiers prendre Jonathan dans ses bras, il sentait bien que la jeune maman avait besoin d’un contact avec son fils, elle en était fébrile. Il les regardait ensemble, le tableau faisait plaisir à voir. C’était tout de même con de se dire que leur fils grandirait dans une famille désunie, qui n’avait d’ailleurs jamais été une famille, qu’il serait toujours tiraillé entre papa et maman, ce pauvre bonhomme ne méritait pas ça et puis dans le fond ils auraient formé une belle famille c’était certain. Mais jamais Léo et Andrea ne s’étaient destinés être un couple uni, jamais ils n’avaient songé avoir un quelconque avenir en commun, du moins pas du côté du jeune homme en tout cas. A l’époque où il avait connu la blonde son cœur tout entier appartenait encore à sa défunte fiancée et jamais il n’aurait voulu l’ouvrir à une autre, ce fut tout le noyau du problème d’ailleurs. Et aujourd’hui l’erreur était commise, ils avaient été consumés d’une passion dévorante dans la chaleur de Bangkok, d’un feu que lui n’avait jamais ressenti pour quiconque par la suite, une frénésie charnel qui l’avait aveuglé mais à la fin la raison avait fini par le faire retomber sur terre et tourner le dos à celle qui se consumait d’avantage pour lui qu’il ne l’aurait voulu. Mais c’était trop tard, la graine était semée et il n’était plus possible de revenir en arrière. Elle était amoureuse de lui, déchue et laissée à son sort, bientôt future maman célibataire alors que lui était rentré expié ses fautes sur la tombe de son aimée. Il aurait voulu être un homme droit, un homme de bien, notre Léo, et dans le fond il n’était pas si mauvais. Pourtant aujourd’hui il savait combien il avait pu blesser la jolie blonde, lui faire du mal, la repousser pour ne pas succomber à son tour à ses charmes. Combien il aurait dû se montrer plus docile à l’annonce de sa paternité au lieu de se renfermer et de lui tourner le dos comme il l’avait fait. Mais tout, la somme de leurs erreurs, Bangkok, l’annonce de la grossesse, leur manque de dialogue, tout cela était presque envolé aujourd’hui alors qu’ils avaient tous deux les yeux rivés sur cet enfant, le fruit de leurs chairs et d’une certaine tendresse. Plus rien n’avait d’importance maintenant, leurs griefs étaient derrière eux et ils devaient aujourd’hui penser au bonheur de John, c’était le plus important à leurs yeux. Jamais Léo n'aurait pensé aimer autant cet enfant et il était prêt à parier qu'il en était de même pour Andy lorsqu'elle a appris sa grossesse, cet enfant les avait changé, en bien fort heureusement. « Oui, ça a été, on s’est bien occupé tous les deux. Ok, j’entre deux minutes alors. » Léo déposa des yeux protecteurs sur la bouille de son fils qui le regardait avec curiosité. « Il faut bien que je vérifie que ta mère ne t’empoisonne pas durant mon absence ! » Il tira la langue à une Andrea qui venait de le regarder de travers, bien entendu elle n’avait pas aimé la réflexion, pourtant Léo ne pensait rien de mal concernant la blonde, il savait parfaitement qu’elle était une maman exemplaire. « Et toi, tu as fait tout ce que tu voulais ? Tu t’es reposée un peu ? » Il savait que lorsqu’elle avait Jonathan avec elle, le petit occupait tout son temps, il lui était encore difficile de se détacher de son fils, ayant constamment peur qu’il lui arrive quoi que ce soit. Finalement cette garde alternée avait du bon, dans le fond c’était une soupape qui permettait à Andrea de souffler, de prendre du temps pour elle, pour ne pas devenir folle. Parce que même si l’on adore ses gamins, il faut savoir s’en détacher parfois.

Le jeune père écoutait d’une oreille un peu distraite ce que son ex lui disait de son week-end, il était obnubilé par la vision si douce de son fils qui jouait avec les cheveux d’Andrea alors qu’elle tentait de l’installer dans son parc à jouer. Il songea qu’il devrai en acheter un pour chez lui, l’enfant avait l’air de s’y sentir à son aise. C’est vrai que la maison de Léo n’était pas forcément étudiée pour un gamin, il avait repeint une pièce qu’il lui consacrait avec un lit à barreaux et tout le matériel nécessaire au bien-être des bébés, tout un tas de jouets et de peluches achetés ou offerts par des proches, quelques jeux de vêtements, mais au final, elle restait une maison d’homme célibataire avec peu d’agréments supplémentaires. Le fait est qu’il aimait la simplicité et surtout cette idée de liberté qui faisait qu’avec une maison pratiquement vide il pouvait partir quand bon lui semblait, pas de choses à ranger, pas d’objets de valeur, pas de fleurs à arroser, rien d’important, juste du pratique et de l’utile. Même si depuis quelques mois ses voyages et ses horizons s’étaient restreints de par l’arrivée de la tornade Jonathan dans sa vie. Pourtant il n’était pas encore totalement prêt à renoncer à son idéal de vie…il s’y accrochait encore comme à un fin espoir de liberté. Il relava la tête vers Andrea en souriant légèrement. « L’essentiel c’est que tu ais pris du temps pour toi… Tu as retrouvé l’inspiration, c’est une bonne nouvelle ! » L’annonce que la blonde venait de lui faire n’était pas des moindres. Léo et Andy partageaient la même passion, le même amour pour la photo, c’est d’ailleurs ce qui les avait réunis à Bangkok, ce qui les avait rapproché, le lien ténu qui rendait leur relation si spéciale. Mais il avait compris sans vraiment qu’ils en parlent que depuis sa grossesse la jeune femme avait mis sa passion et son métier en suspens, par manque d’inspiration, par contrariété, par peur, il n’en savait rien à vrai dire mais ça l’avait chagriné, parce qu’Andy sans son reflexe ça n’était plus vraiment elle et il se doutait qu’elle en avait quelque peu souffert même s’ils n’évoquaient pas le sujet. Mais le fait qu’elle lui en parle spontanément, c’était signe qu’elle était prête à partager de nouveau avec lui et qu’elle avait retrouvé confiance en elle. Ce qui était drôle aussi c’est que lorsque Léo avait remis Jonathan dans les bras de sa mère, il avait capté cet échange de regard entre mère et fils, très doux, l’amour pur, il avait eu l’envie de le capturer et avait pensé à proposer une séance photo à Andrea… il le ferait plus tard.

Elle l’invita donc à le suivre dans sa chambre noire, elle aussi s’en était créé une chez elle, tout comme lui. Emballé par l’idée, amoureux du travail de la jeune femme, Léo était curieux de voir ce qu’elle avait à lui montrer, il adorait cette complicité professionnelle qu’ils avaient eu tous les deux. Ils passèrent devant le parc et Léo en profita pour caresser doucement la tête blonde de son fils, celui-ci gloussa, le sourire édenté jusqu’aux oreilles, cela fit rire le jeune père bien trop gaga. Les deux ex accédèrent à la pièce sombre de la jeune femme, Léo, habitué à y passer un temps fou ne fut pas surpris par le changement de luminosité, ses yeux étaient habitués. Il fut néanmoins surpris par le travail qu’avait fait Andy, sa salle de développement était très pro et surtout il y avait des clichés suspendus partout, il ne pensait pas y voir tant de papiers accrochés, finalement elle se cachait bien de lui dire qu’elle avait repris la photo. Le discours de la jeune femme arracha un sourire en coin à notre brun, les clichés en noir et blanc c’était sa spécialité, ceux qu’il préférait parmi tous, son péché mignon, il avait beau testé tout un tas de techniques, en maîtriser beaucoup, pourtant il revenait toujours au noir et blanc, c’était un classique, indémodable, ses clichés avaient de la profondeur, une âme et il se souvenait que c’est ceux qu’Andrea avait préféré de lui, elle avait appris sa technique qu’il avait bien voulu lui transmettre. Il était touché de voir qu’elle utilisait encore sa méthode et surtout, qu’elle la maîtrisait parfaitement.
Se retrouver tous les deux dans cette pièce exiguë comme il y a un peu plus d’un an c’était étrange et Léo se sentait tout chamboulé. Il observait Andy s’affaire pour trouver la photo qu’elle voulait lui montrer, il regardait cette pièce, il se sentait à sa place, étrangement il se sentait bien à ses côtés même si la proximité le rendait quelque peu nerveux sans qu’il ne puisse réellement expliquer pourquoi. Lorsqu’elle trouva la fameuse photo Léo la pris doucement dans entre ses mains, il ne voulait pas l’abîmer, le travail n’était pas totalement terminé. Il l’observa un instant avant de relever la tête vers une Andrea qui le mangeait des yeux, attendant fébrilement une remarquer, une réaction, quelque chose. Il sourit. « Tu attends ton bon point ? Je ne suis pas ton professeur Andy, cette photo est sublime et tu le sais, l’angle est parfait, l’émotion est là, la couleur pas trop sombre, la saturation et l’obstruction sont justes. Tu as su prendre la bonne photo au bon moment. Comme tu le fais toujours. Tu n’as pas besoin de moi pour savoir tout ça. Je n’ai plus rien à t’apprendre. » Il dit ces derniers mots de façon presque lasse, mi déçu mi résigné. Elle avait quelques années de lui et lorsqu’ils s’étaient rencontrés elle était encore débutante dans le métier. Elle savait déjà beaucoup de choses mais il s’était improvisé maître, il l’avait guidé, non pas pour qu’elle devienne meilleure mais pour qu’elle trouve sa voie. Il avait aimé ce rôle qui leur avait offert une proximité comme il n’avait jamais eu avec personne dans son métier, avoir quelqu’un qui apprenne de lui, qui s’en inspire, ça avait quelque chose de gratifiant. Mais aujourd’hui Andrea avait compris, elle avait son propre style et il en était admiratif, il n’avait plus rien à lui apprendre et voir ces clichés sonnait en quelque sorte la fin d’une époque, il s’en rendait compte maintenant. « Merci pour la photo, Jonathan est vraiment photogénique, ça doit lui venir de moi ! » Il tenta de maîtriser son trouble par un trait d’humour mais la belle farfouillait déjà dans son travail pour lui montrer encore quelques œuvres. Etrangement une nouvelle complicité s’immisçait doucement entre eux, différente d’avant, plus adulte, plus subtile. Il s’appuya contre le mur après avoir reposé la photo, croisant les bras contre son torse il observait la blonde s’affairer, dos à lui elle avait relevé ses cheveux et lui offrait sa nuque gracile. Il fut pris d’une étrange envie d’y passer la main, l’air de rien et c’est sans s’en rendre compte que Léo s’était approché d’Andy, il pouvait sentir son parfum agréable et d’un coup il n’eut plus envie de sortir de cette pièce, il oubliait leur fils et les tourments de son cœur. Il ne pensait plus qu’à elle. Lorsqu’elle se retourna avec les clichés de la plage dans les mains ils se retrouvèrent tout proche l’un de l’autre et d’un coup Léo se sentit bête et gêné. Il passa la main derrière sa nuque, se raclant la gorge. « Tu as repris goût à la photo en tout cas, ça fait vraiment plaisir. » Il s’efforça de regarder les images pour éviter  d’avoir à soutenir son regard.

La tension remplaçait tous les mots et entre les deux jeunes gens il y avait de l’électricité. Aucun des deux n’osait soutenir le regard de l’autre, aucun ne se sentait à l’aise dans cette pièce exiguë et pourtant ni l’un ni l’autre n’arrivait à la quitter pour briser le silence gênant. Léo était comme hypnotisé par la belle blonde, emprisonné dans ses songes, dans ses réflexions, les souvenirs d’avant et la peur de ce sentiment inexpliqué qui grandissait en lui. Lorsqu’Andrea se retourna, toute proche de notre brun, que ses grands yeux de chat s’accrochèrent aux siens à lui, Léo se sentit électrisé, comme figé sur place, incapable de quoi que ce soit d’autre que de plonger ses yeux dans ceux de la blonde, fondant d’une envie folle de la prendre par la taille. Mais il fit preuve d’une volonté, celle du désespoir, de celui qui, pris en flagrant délit, voulait fuir sans attendre. Il s’en voulait de succomber une fois encore pour cette fille, il s’en voulait d’oublier si facilement Anna lorsqu’il écoutait son cœur parlé au sujet d’Andrea. Dans cette réflexion il n’y avait rien de rationnel, sa fiancée était morte depuis plus de deux ans et bien que la douleur de sa perte soit encore bien trop présente il savait qu’il devait avancer, il ne pourrait pas vivre toute une vie dans le souvenir de son amour ni dans le fantasme d’une vie à deux qu’il aurait voulu merveilleuse. Anna était parti et depuis beaucoup de choses s’étaient passées, en commençant par les premiers mois de sa mort, de la fuit de Léo à Bangkok et de la consolation qu’il avait cru trouver dans les bras d’Andrea, déjà il l’avait trahi à ce moment-là et c’était peut-être là le vrai fond du problème puisque Léo ne se pardonnerait jamais d’avoir conjuré le deuil par un plaisir charnel mais surtout coupable dans les bras d’une autre, d’une inconnue à laquelle il s’est accroché pour ne pas sombrer totalement au lieu d’affronter sa douleur. Pourtant aujourd’hui il y avait prescription, il était allé se recueillir sur la tombe de la défunte, il l’avait pleuré aussi longtemps qu’il en avait eu besoin et s’était finalement promis de se ressaisir, de reprendre sa vie en main et d’avancer. Alors pourquoi se sentait-il toujours coupable lorsqu’il comprenait qu’il éprouvait une attirance irrésistible envers Andrea ? Comme pour calmer son trouble il prit donc la tangente et bafouilla un truc un peu bateau auquel Andy répondit elle aussi de la manière la plus confuse mais surtout évasive du monde. Ils se trouvèrent donc là, gênés l’un et l’autre, le moment qui s’était tout d’abord voulu complice avait tourné au fiasco et maintenant la blonde prenait la fuite, se précipitant dans le salon où elle avait laissé Jonathan. Léo resta interdit durant un court instant, se trouvant bête d’avoir eu une attitude pareille alors qu’il avait été le premier à vivement rejeter Andy il y a quelques mois. Il rejoint finalement mère et fils dans la pièce attenante, la jeune femme observait le bébé faire du quatre pattes dans son parc, l’enfant n’ayant pas été perturbé le moins du monde. Il s’appuya contre l’embrasure de la porte, n’osant pas trop s’approcher, restant à bonne distance de la blonde qui n’osait pas le regarder non plus.

A la proposition d’Andrea il hésita, il savait qu’il devait refuser, après ce qu’il venait de se passer… ou de ne pas se passer, c’est selon l’interprétation. Ils étaient tous deux mal à l’aise, le genre de malaise qui ne passait pas si facilement. Pourtant allez savoir pourquoi, il n’avait pas envie de la quitter et puis c’était une occasion de profiter un peu plus de son fils qu’il ne verrait pas avant quelques jours. « Il y a un excellent restaurant italien au coin de ta rue, tu y as déjà mangé ? » Léo connaissait cette ville comme sa poche et tous les commerces qui la peuplaient et l’italien de chez Andrea était l’un de ses favoris. La perspective de sortir tous les trois, comme une vraie petite famille, comme un jeune couple amoureux pour lequel ils passeraient, avec leur beau bébé, c’était assez étrange et dérangeant, pourtant Léo plongeait dedans tête la première et le sourire béa de son fils l'enfonçait encore plus.

Léo n’avait trop su quoi répondre à l’invitation de la jolie blonde, s’il se sentait gêné par sa présence il ne se sentait néanmoins pas capable de la quitter pour l’instant, attiré comme un aimant par celle qui le troublait totalement ce soir. Il connaissait son penchant pour la cuisine italienne, il se souvenait d’une soirée à Bangkok où ils avaient trouvé un petit resto qui ne payait pas de mine, un romain qui avait pris le pari de s’installer en Thaïlande pour faire découvrir sa cuisine aux asiatiques, une idée presque folle mais les deux occidentaux avaient vu cet endroit comme une bouffée d’oxygène et ils y avaient passé une soirée délicieuse à rire, à manger des pâtes divines, un tiramisu bon à se damner, il y avait vu Andrea rire aux éclats et se régaler en mangeant comme un ogre, ils avaient terminé la soirée dans le petit appartement de Léo dans un moment charnel et tendre comme ils avaient pu en vivre beaucoup durant les quelques mois qu’avait duré leur relation, certes elle était malsaine mais ils avaient eu quelques moments de grâce que notre homme gardait en mémoire comme des bouffées de bonheur mélangées à la gêne coupable qui n’était jamais loin… « Je pense qu’ils auront du Moscato ou bien du Lombrosco ! » L'idée de lui faire plaisir était vraiment agréable pour notre homme.

Le jeune père observa son ex emmitoufler leur fils dans son veston, ses gants et son bonnet, il était très amusé par le petit rituel de la blonde, celle-ci devait oublier qu’elle vivant en Australie, là où il faisait toujours chaud, certes Jonathan était très jeune et encore fragile de par le fait qu’il était prématuré, donc ses parents devaient faire attention, malgré tout Andrea exagérait un peu selon Léo et le bébé avait l’air ridicule en mini bibendum, ridicule… mais adorable il fallait bien l’avouer ! « Tu penses qu’il faudrait aussi lui acheter des après-skis pour qu’il passe l’hivers ou ça ira ? » Léo rit avec légèreté, étrangement cette scène avait détendu l’atmosphère, c’était le pouvoir que le petit bonhomme avait sur ses parents et c’était un bon point. « Tu sais, on vit à Bowen, pas en Alaska Andy… » Pourtant la jeune femme continuait à rajouter des couches avec l’écharpe tout en demandant au jeune homme s’il préférait la voiture ou marcher à pied. Il récupérait lui aussi la veste légère qu’il avait posée sur le canapé. « On va marcher, ça nous fera du bien et puis le restaurant n’est vraiment pas loin, juste au coin de la rue, on en aura seulement pour quelques minutes. » Léo n'était pas vraiment fan de la voiture, il lui préférait amplement la marche ou bien le vélo lorsqu'il avait le choix.

Ils se mirent en route Léo fut captivé par le regard que lui lançait Jonathan, il le fixait avec tellement d’intensité, comme s’il l’admirait, Andrea avait certainement raison et c’était très agréable de se sentir aimé de la sorte, égoïstement il espérant que son fils le regarderait toujours de la même façon, qu’il l’aimerait toujours autant et d’avantage. Mais pour cela il savait qu’il devait se montrer à la hauteur, être un bon père, un père exemplaire, complice, sérieux, sévère mais juste, toujours dans le coup, même s’il savait qu’un jour il serait dépassé, il souhaitait que ça soit le plus tard possible…
Pourtant lorsque la jolie maman affirma que John était attiré par Léo dès qu’il était dans la pièce il ne put s’empêcher de penser qu’elle aussi subissait cette attraction envers lui et il frissonna presque en repensant au fait qu’il serait bien resté dans cette chambre noire, tout près d’elle, d’oublier le reste, le monde, leur fils pour un instant, de se laisser aller à ces envies qui lui vrillaient le cerveau et le cœur. Il sourit à Andrea en passant les mains dans ses cheveux, ne sachant trop que répondre puisqu'il avait pris la remarque comme un compliment détourné et qui donc le mettait quelque peu mal à l'aise parce qu'il s'en sentait flatté.