all we have is now, forever -r.

Emma et moi marchions depuis une bonne quinzaine de minutes déjà, sur les trottoirs de Bowen, en route vers les rues commerçantes de la ville. La voiture rendait le trajet trop court et ne nous permettait pas assez de discuter de nos vies, de nos amours, de nos folies et de nos petites déceptions du quotidien. Nous avions toujours besoin d'une bonne heure avant de réellement nous mettre dans le feu de l'action de ce que nous avions à faire. Au menu aujourd'hui : acheter le cadeau pour la fête à papa. Toujours la tâche la plus difficile de l'année, ça et son cadeau de Noël. Papa était le genre de père qui reçoit son cadeau, a l'air content et remercie la personne, et puis range le cadeau et semble l'oublier. Assez vexant. Nous avions beau lui acheter des films, de la musique, des vêtements, ceux-ci restaient soit toujours emballés et rangés dans une étagère, soit pliés dans ses tiroirs. Pendant toute l'année. Jusqu'à ce que nous ayons à trouver une autre idée de cadeau. C'était déprimant, à force, mais la pression sociale nous forçait à quand même dépenser pour lui. Bref, Emma venait de me demander si j'allais ramener quelqu'un au souper familial. « Oh ... je crois pas. Je me souviens encore de l'an dernier et l'interrogatoire de maman me donne pas trop envie d'inviter quelqu'un avec qui c'est pas trop sérieux, cette fois-ci ... Elle va lui faire peur. » En effet, ma mère parlait d'enfants, de mariage, de toutes ces conneries beaucoup trop tôt. À ses yeux, j'avais vingt-sept ans et il était temps que je me case. À chaque fois, je renvoyais la balle du côté d'Emma, en disant qu'elle, elle avait vingt-huit ans et que son état stagnait autant que le mien. Et maman s'acharnait alors sur son cas. « Et toi ? Vais-je rencontrer le père de mes futurs neveux ? » Dis-je en riant et en donnant un petit coup de coude à ma soeur.

J’avais le bras autour des épaules de ma sœur, comme si de rien était. Nous n’avions pas toujours été aussi proches l’un de l’autre, encore moins quand elle et moi étions tous les deux dans la phase d’adolescence. Bien que ni l’un ni l’autre n’ayons vraiment traversé de crise, comme on caractérise souvent faussement cette période du développement, nous avions eu nos différents. Probablement par ma faute. J’étais un petit con de première classe, surtout avec elle. Heureusement, avec le temps, nous avions été en mesure de mettre ces histoires stupides derrière nous et de réellement tisser une belle relation. Maintenant, notre famille était plus unie que jamais, ce qui était plutôt paradoxal étant donné que c’était notamment depuis que j’avais appris qu’Emma n’était pas ma vraie sœur biologique. Aujourd’hui nous pouvions parler de tout et de rien, se prendre dans nos bras, nous révéler à l’autre dans notre plus grande vulnérabilité. Bref, nous étions là à marcher vers les rues commerçantes, à parler de nos histoires d’amour ridicules. Parce qu’on ne pouvait même pas qualifier cela d’amour. Emma et moi, nous étions des échecs amoureux à part entière. De vrais attardés sociaux de ce point de vue-là. « Carrément le père de tes futurs neveux? Tu commences à parler comme maman, je suis sûr que ça fera très plaisir à tes futures conquêtes. » Je rigolai en regardant le ciel, puis j’abaissai de nouveau mon regard vers ma jolie grande sœur, pas si grande que cela. « Non mais blague à part, parfois je me dis que maman a quand même un peu raison … » Elle me regarda avec interrogation, voulant visiblement que j’étale mes sentiments sur le trottoir, tant qu’à avoir commencé. « Je veux dire … j’ai jamais caché mon envie d’avoir ma petite famille, et tu le sais. Puis je vois le temps passer, je suis encore célibataire et j’approche la trentaine … Je sais bien que de nos jours ça se fait de plus en plus tard mais bon … j’sens quand même l’horloge commencer à me peser sur les épaules. » Je marchai un moment en réflexion, puis je demandai à Emma : « T’as pas l’impression qu’il y a un problème, chez nous ? Pour qu’on en soit encore là où on était y’a dix ans, au point de vue relationnel ? J’vois pas ce qui cloche pourtant, on est pas si timbrés ... » Dis-je tout simplement.

Je m'ouvrais facilement à ma soeur, mais il était tout de même assez rare que je le fasse. Après tout, ma vie allait très bien et je n'avais pas vraiment de raison de me plaindre ou de broyer du noir. J'étais en santé, je faisais beaucoup d'argent et en plus en faisant quelque chose que j'aimais plus que tout, j'étais bien entouré, bref aucun moment pour me sentir seul et pleurer sur mon sort. Pourtant, ces derniers temps, j'en avais un peu marre des coups d'un soir qui ne mènent à rien. Certes, c'était toujours bien plaisant, mais à force de voir des femmes passer dans mon lit pour ne plus jamais y revenir, je me disais que ce serait bien d'en avoir une qui y serait à chaque soir et chaque matin. Je me vidai donc le coeur à ma grande soeur et écoutai attentivement sa réponse, après qu'elle ait légèrement rigolé - de moi, je ne sais pas. « Et moi alors? Non seulement je suis plus vieille .. bon d'une année seulement mais pire encore .. je suis pédiatre ! je suis constamment en présence d'enfants alors je peux te comprendre, mais je préfère me dire que ça viendra que lorsque ça voudra bien venir .. » J'hochai la tête. Il était vrai que ma soeur était constamment en présence de gosses et que ça devait lui faire quelque chose de voir des familles unies défiler dans sa clinique à chaque jour. Pour ma part, je n'étais pas confronté à ce problème étant donné que je ne traitais pas d'enfants en physiothérapie mais que de jeunes athlètes dans la vingtaine. « J'espère que ça tardera pas trop, quand même ... » Je souris et continuai ma réflexion auprès d'Emma. Encore une fois, elle rigola à ma question. Décidément, j'étais drôle sans même le vouloir. « On n'est pas si timbrés, je dirais même plus ! on n'est pas si mal que ça !! » J'affichai un grand sourire et la poussai légèrement sur le bord du trottoir. « Ah bah toi tu te prends pas pour de la merde hein ! » Je rigolai un peu. « Et avec raison. L'homme qui passera le reste de sa vie avec toi est bien chanceux. Et j'dis pas ça parce que t'es ma soeur. » Je lui fis une petite grimace. « Quoi que .. moi je pense avoir rencontré quelqu'un .. » À son sourire malicieux j'ouvrai une grande bouche surprise et des yeux qui l'étaient tout autant. Ma soeur qui serait en train de tomber amoureuse ? Et je n'étais pas le premier vers qui elle s'était ruée pour en parler ? « Qui ça ? Raconte, ça fait depuis quand ? » Pour les histoires d'amour, j'étais une vraie petite fille. Je voulais tout savoir, dans les moindres détails.