mister sunshine (isaiah)

À croire qu'il n'y a jamais de temps maussade à Bowen, le soleil brille haut dans un ciel bleu clair et réchauffe doucement la peau de Cleo qui ferme la porte de son immeuble, un sac de plage à l'épaule renfermant une simple couverture. Vêtue d'un short en jeans, d'un t-shirt des Beatles et de son habituelle paire de converses, elle entame sa marche jusqu'au Mullers Lagoon d'un pas presque pressé. Elle pourrait prendre sa voiture, mais la leçon que lui a offerte Jeff quelques mois plus tôt lui a bien fait comprendre qu'il serait peut-être temps pour elle qu'elle se bouge un peu. Elle sort son portable de sa poche arrière, pianote sur son clavier un rapide "j'suis en route !" avant de ranger l'appareil et de se mettre à sourire. Ça lui fait toujours le même effet quand elle sait qu'elle va revoir Isaiah, elle sait que quoi qu'il dise il arrivera toujours à la faire rire même lors de ses mauvais jours. Et aujourd'hui est un beau jour, un jour parfait. Les joues à présent légèrement rougies par le soleil, Cleo arrive après plusieurs minutes de sport à ce fameux parc qui a rapidement fait partie de ses endroits préférés lorsqu'elle est arrivée en Australie. Après avoir trouvé le coin parfait, à l'ombre derrière un arbre, elle dépose sa couverture sur l'herbe et s'assied en tailleur dessus. Bien que Cleo ne soit pas la personne la plus sociable de la ville, elle a vite accroché avec Isaiah qui a été une des seules personnes qui l'a aidée à s'y retrouver dans cette ville qui, à l'époque, lui semblait immense. Et puis, elle a apprécié sa gentillesse, sa façon de voir la vie, sa personne tout simplement. Alors qu'elle penche la tête en arrière, ses longs cheveux retombant en cascade dans son dos, son regard se pose sur sa silhouette qu'elle reconnaîtrait entre milles. « Hey ! » s'exclame-t-elle en se redressant d'un bond, à présent debout sur sa couverture. « Regarde, j'ai même prévu un petit coin confort juste pour nous ! » dit-elle en tendant ses bras vers le ciel en signe de victoire avant de les faire retomber le long de son corps, le regardant s'approcher. « Et si quelqu'un vient trop près, j'ai prévu un spray à eau, comme pour les chats. » Cleo sourit comme une gamine, heureuse qu'il fasse si beau, heureuse d'être en congé, heureuse de le voir.

Le vieux dinosaure de téléphone d’Isaiah sonna. Il n’était plus habitué à l’entendre sonner, il n’avait remplacé son ancien que très récemment. Après sa rencontre avec Jim sur la plage, en fait. C’était en essayant de trouver un moyen de se revoir, de garder contact, que l’ébéniste avait compris qu’il était peut-être temps d’accepter qu’ils en étaient rendus là, dans le monde, et qu’il était vrai que cette technologie facilitait la communication. Il s’était toutefois juré de ne pas en devenir dépendant, et prendre le plus vieux des modèles était certainement une bonne façon de s’en assurer, en plus d’économiser de l’argent. Il n’avait pas besoin d’avoir les jeux les plus cools, les applications les plus trendy ou encore le wi-fi en tout temps. Il se débrouillait très bien sans tout cela. Bref, avoir après entendu le petit son de sa messagerie, Isaiah continua à gratter sa guitare pendant cinq minutes encore, préférant cela plutôt que de se jeter sur son écran. Ce ne fut que lorsqu’il eut posé sa guitare qu’il consulta ses messages et constata que Cleo était déjà en route. "Je vais être un peu retard !" Écrivit-il sans pour autant se presser davantage. Pas par manque de respect, juste parce qu’il était ainsi. Tout le monde courait toujours après le temps. Ça faisait du bien de s’arrêter un moment et de souffler. Le jeune homme fourra dans un sac à dos quelques collations végétaliennes qu’il avait préparées la veille, et fit le plein d’eau dans deux bouteilles réutilisables, avant de le passer sur son dos et d’aller chercher son vélo dans la cour du bloc d’appartements. Il roula jusqu’au Mullers Lagoon, assez rapidement sans doute pour que Cleo ne se soit pas endormie en l’attendant. Il marcha dans le sentier qui contournait le lac, cherchant son amie à travers tout ce monde qui profitait de la belle journée, comme eux s’apprêtaient à le faire. Quand il croisa son regard, il lui renvoya le même sourire lumineux qu’elle. « Hey ! » Elle se redressa et leva les bras au ciel en présentant leur petit coin de paradis. « Comme des rois ! Les rois du lagon bleu ! » Lança-t-il en ouvrant ses bras pour accueillir la petite silhouette de Cleo. Il rigola quand elle lui parla de son spray à eau. « Il faut savoir partager ! Nous sommes de gentils rois. » La reprit-il gentiment, avant de poser son joyeux regard sur elle et de constater que ses joues étaient rougies par le soleil. « Ah toi, tu vas pleurer demain matin si je fais pas quelque chose maintenant. » Il s’assit en tailleur sur la couverture et sortit un tube de crème solaire qu’il avait pris soin de mettre dans son sac. Il en mit une noix au bout de ses doigts et les frottèrent contre les doigts de son autre main, avant de venir les poser sur les joues de Cleo, son front, et le bout de son nez.

Comment être en colère pour un simple retard avec un temps pareil ? Abandonnant son téléphone sur le coté après avoir reçu la réponse d'Isaiah, Cleo tend ses jambes devant elle et laisse ses cheveux caresser ses épaules nues avant de retomber sur son dos. Elle aime le soleil, la chaleur, même si elle sait pertinemment que sa peau d'Irlandaise pourrait ne pas autant apprécier qu'elle. Quand elle le voit arriver, elle s'empresse de se relever et sourit lorsqu'Isaiah les qualifie de rois. Elle hoche vivement la tête sans perdre son sourire si grand qu'elle en a presque mal aux joues. Il lui ouvre ses bras, et Cleo vient se blottir tout contre lui pour profiter de cet instant de douceur qui ne dure que quelques trop courtes secondes. Elle lève les yeux vers son visage quand il la reprend, l'empêchant d'asperger les passants avec son petit spray portable qui lui est devenu indispensable depuis qu'elle a emménagé dans un pays si chaud. « D'accord, je ne ferai que des pchit-pchit dans ta direction. » Elle a le sourire d'un enfant qui vient de faire une mauvaise blague, un sourire fier et ravi en même temps. Cleo s'installe sur la couverture si douce sur sa peau, puis hausse un sourcil intrigué en entendant les paroles d'Isaiah. Elle suit chacun de ses mouvements et le regarde prendre le flacon de crème de solaire avant d'en étaler sur ses doigts. « Oui maman, » répond-elle même si un petit sourire en coin vient tout de même étirer ses lèvres. Elle fait un mouvement de tête pour dégager ses cheveux de son visage puis ferme les yeux, le laissant prendre possession de son visage. « Est-ce que tu es mon ange gardien, Isaiah ? J'ai l'impression que depuis que je suis arrivée ici, tu es toujours là pour me remettre sur le droit chemin. » Car oui, ne pas mettre de crème solaire est de loin l'acte le plus criminel auquel les pires hors la loi osent à peine s'adonner. Cleo ré-ouvre les yeux pour planter son regard dans celui du brun.

Isaiah acquiesça quand Cleo lui dit qu’elle ne l’aspergerait que lui. « Et les chiens s’il y en a, je pense qu’eux n’attendraient que ça. » Il sourit. « Et puis ils essaieront d’attraper le plus possible d’eau pour la boire mais comme ce sera de petites gouttelettes ils auront l’air imbéciles. » Ajouta Isaiah tout en imitant du mieux qu’il le pouvait un chien en train de manger de l’eau évaporée, en quelque sorte. C’était plutôt lui qui avait l’air d’un imbécile, là, mais il s’en fichait bien. En plus c’était une super belle journée, ce qui lui donnait davantage le droit de faire ce qu’il voulait. Les autres étaient trop occupés à être heureux de la chaleur pour en dire quoi que ce soit. En bon samaritain qu’il était, il se dépêcha de sortir son tube de crème solaire une fois assis et devant son amie, constatant qu’elle prenait déjà quelques rougeurs alors que leur après-midi venait à peine de commencer. « Cette idée me plaît bien, mais je suis loin d’être un ange, alors disons plutôt que je suis euhm … ton humain gardien. » Il haussa les épaules, sachant fort bien que ce n’était pas drôle du tout. Mais c’était la vérité, du moins il aimait bien croire aux paroles de Cleo. Aider autrui, c’était un peu comme son objectif de vie. Des gestes les plus simples aux plus symboliques. Quand il eut terminé de protéger la peau fragile de l’irlandaise, Isaiah s’en prit à son propre visage, le couvrant de blanc sans trop se soucier de bien faire pénétrer la crème. Elle le ferait par elle-même au bout de quelques minutes. Il fouilla finalement dans son sac et en ressortit deux joints bien roulés. « Est-ce qu’un ange amènerait ça ? » Demanda-t-il avec un sourire. Il les déposa sur la couverture sur laquelle ils se trouvaient, en attendant.

En le voyant imiter un chien tentant d'attraper des gouttes d'eau imaginaires, Cleo ne peut s'empêcher de rire tout en secouant la tête de droite à gauche. « Tu ferais un adorable bébé labrador, » a-t-elle le temps de dire avant qu'il ne sorte la crème solaire et ne se mette à recouvrir son nez et ses joues d'une bonne couche pour lui éviter les coups de soleil. Sa remarque lui tire un sourire amusé et, à force de rire et sourire, elle commence déjà à avoir mal aux joues sans pour autant y faire plus attention. « J'adore le concept. » Cleo, fille trop sensible qu'elle est, a toujours été très attachée aux moindres petites marques d'affection qu'on lui montrait. Elle a toujours eu tendance à accorder un peu trop d'importance à ces gestes et, même si elle sait qu'Isaiah aurait fait ça avec n'importe qui d'autre qu'elle, elle n'a pu s'empêcher de se sentir touchée lors de toutes ces fois où il lui est venu en aide alors qu'elle était totalement perdue, autant physiquement que mentalement. Lorsqu'il eu terminé de tartiner son visage de crème, il s'occupe de sa peau en étalant de grosses traces blanches mal étalées à quelques endroits. Ne pouvant s'en empêcher, Cleo s'avance vers lui et, du bout de l'index, étale une de ces traces sur sa joue pour la faire pénétrer plus rapidement. Elle retombe ensuite sur son derrière et baisse les yeux vers les deux joints qu'il vient de sortir de son sac. Immédiatement, elle relève les yeux vers lui pendant qu'un énième sourire vient petit à petit étirer ses lèvres. « Qui sait ce qu'ils cachent dans leur jardin, » glisse-t-elle avant d'en prendre un des deux entre ses doigts. Lorsqu'elle était en Irlande, il lui arrivait de fumer sans que jamais cela ne devienne régulier. Depuis qu'elle est à Bowen, il n'y a qu'avec lui qu'elle se permet ce genre d'écart de temps à autres.

Isaiah se contenta de rire avec Cleo quand cette dernière lui affirma qu’il ferait un adorable bébé labrador. En même temps, tous les bébés labradors étaient adorables, qu’ils soient incarnés par Isaiah ou non. Les deux amis s’étaient alors assis sur la grande couverture étendue sur l’herbe, et après avoir sorti la crème solaire, ce fut au tour des joints d’être dévoilés au grand jour. Pour Isaiah, c’était un peu comme la continuité logique. D’abord se protéger le corps, et ensuite l’esprit. Pas tout le monde ne l’interpréterait comme une protection, au contraire d’ailleurs, mais pour Isaiah c’était parfois une telle libération du rire et de la joie qu’en quelque sorte, ça élevait ses défenses contre les malheurs du monde. Cleo s’empara de l’un des deux joints sans plus tarder, relevant le fait que personne ne savait réellement ce que les anges cachaient dans leurs jardins. « T’as bien raison. Et puis, j’ai toujours trouvé que les bébés-anges imprimés sur les tasses de Noël étaient un peu … suspects. Comme s'ils cachaient bien des secrets sous leur céramique. » Si Isaiah pouvait penser à de telles choses dans son état normal, allez savoir ce qu’ils inventeraient à deux après avoir fumé leurs deux bâtons. L’ébéniste sortit un briquet de sa poche et s’approcha de Cleo une fois qu’elle eut coincé le joint entre ses lèvres, pour le lui allumer. Il s’occupa du sien ensuite, tirant dessus sans même se soucier des regards qui auraient pu les voir. Si c’était la première fois qu’ils voyaient des gens fumer dans ce parc, alors ils avaient intérêt à sortir de chez eux plus souvent. Isaiah s’allongea sur le côté, se relevant sur son coude en regardant son amie. « D’ailleurs, parlant de chien … » Oui, ça faisait déjà un bon cinq minutes. « … t’as pas emmené Eleven avec toi ? » Demanda Isaiah, qui n’aurait pas refusé d’envoyer la balle à son border collie pendant quatre heures – sous l’effet de la marijuana, un rien l’amusait, et surtout un chien. Tant pis, ils trouveraient bien d’autres choses avec quoi s’amuser. Le jeune homme porta son joint à ses lèvres et releva la tête vers le ciel pour recracher toute la fumée au-dessus de lui. « J’rêve du jour où on en faisant ça, j’ferai un navire soufflé vers l’intérieur d’un cercle. Comme Gandalf. » Déclara-t-il d’un ton rêveur, fixant les nuages.

La remarque lancée par Isaiah lance Cleo dans un rire impulsif, amusée par cette phrase lâchée avec tant de sérieux alors qu'il parle de vieilles tasses étranges seulement possédées par des personnes très âgées. Tout en reprenant petit à petit son sérieux, elle secoue la tête de gauche à droite avant de lever vers lui deux yeux rieurs, brillants et rêveurs. T'arrêteras jamais de me surprendre, Isaiah. « Et c'est pas pire que ces peintures anciennes où tu les vois en arrière-plan, en train de comploter certainement pour la domination du monde. » Elle hoche la tête, comme certaine de ce qu'elle vient d'inventer même si jamais elle ne s'est réellement intéressée à ces petits anges tout nus. Après qu'il n'ait allumé son joint, elle en tire une bouffée et sent immédiatement le poids de la vie se retirer de ses épaules. Ou peut-être est-ce la présence d'Isaiah qui lui fait cet effet, pas la substance qu'elle a entre les doigts et qu'elle n'a pas encore consommée assez que pour déjà planer. Quand il lui demande si elle n'a emmené Eleven avec elle, Cleo sent d'abord la culpabilité s'emparer d'elle. Aurait-elle dû ? Isaiah serait-il plus heureux avec son chien qu'avec qu'elle ? Rapidement, elle efface ces pensées de son esprit. « Non, aujourd'hui tu devras te contenter de moi. Par contre, je ramènerai aucun objet que tu lanceras, t'es prévenu. » Après une autre bouffée, Cleo s'accoude sur le sol et lève elle aussi les yeux vers le ciel bleu. La référence d'Isaiah à un de ses films préférés instaure sur ses lèvres un sourire incontrôlé. « Et pendant que tu ferais des bateaux, moi je lancerais des feux d'artifices dragon et on deviendrait les personnes les plus respectées de Bowen. » Elle commence elle aussi à rêvasser, le regard perdu dans le vide, avec cet éternel sourire pour illuminer son visage.

Rien que le rire spontané de Cleo lança Isaiah dans un même éclat de bonheur. La joie était contagieuse, et Isaiah n’hésitait jamais à en prendre et à prendre des autres pour mieux la répandre autour de lui. Avec Cleo, c’était aisé. Elle avait le rire facile, le rire léger, tout comme l’ébéniste. Et une imagination débordante, d’ailleurs. Lui qui passait toujours pour le mec super étrange avec ses réflexions sorties d’un coin de sa tête inatteignable pour d’autres, Cleo arrivait à sortir des merveilles, elle aussi. « T’imagines ? Un monde dominé par des bébés-nus. Oh mon Dieu, t’as déjà vu le film Richard au pays des livres magiques ? Tu sais, quand les peintures de la bibliothèque se mettent à fondre et poursuivent Richard ? J’parie que c’est ce que les bébés-nus prévoient. Ils attendent juste que le réchauffement climatique s’accentue pour fondre. » Cleo avait comme réveillé un monstre en Isaiah, qui venait de carrément déraper, lui qui n’avait pas tiré une seule fois sur son joint encore. Quand Isaiah mélangeait souvenirs d’enfance et politique environnementale, ça devenait toujours un peu bizarre. Parce que oui, ça lui arrivait plus souvent qu’une fois par dix ans. Bref, question de rendre cette journée encore plus spéciale, Cleo et Isaiah allumèrent leurs joints et les fumèrent, ne gardant pas le silence bien longtemps. L’ébéniste parla d’abord d’Eleven, qui n’avait pas pointé le bout de son museau aujourd’hui. « Et si j’lance euh … ton téléphone ? » Proposa Isaiah tout en prenant le petit objet entre ses mains, première chose qu’il avait vue sur leur couverture. Évidemment, il se moquait d’elle, il n’oserait jamais le faire pour de vrai. Isaiah portait la technologie assez bas dans son estime, mais il n’en devenait pas un enfoiré pour autant ! Bref, il parla alors de Gandalf et de ses navires de fumée. Suivant son amie dans son mouvement, il s’accouda lui aussi sur la couverture, torse et tête levés vers le ciel. Il commença à fredonner la chanson thème du shire, qui le rendait toujours un peu nostalgique d’une époque lointaine et très probablement imaginée. « I am looking for someone to share in an adventure that I am arranging, and it's very difficult to find anyone. » Lança Isaiah dans une voix théâtre de vieil homme sage. « I am glad I found you, Cleo Took. » Il arqua un sourcil en regardant son amie, un sourire au coin des lèvres. Il porta son joint à ses lèvres, question de se soulever l’âme encore un peu.

À nouveau, Cleo n'arrive pas à s'empêcher de rire lorsqu'elle entend Isaiah divaguer sur son histoire de bébés nus et de ce film étrange qui, elle s'en souvient, a marqué son enfance et qui l'a traumatisée des peintures pour au moins une bonne année. « M'en parle pas, après avoir vu ce film j'ai essayé de faire brûler la peinture préférée de mon père sous pretexte que la madame sur la balançoire allait venir m'étouffer entre ses bourrelets ! Je crois que ce film m'a un peu dérangée mentalement. » Elle laisse un sourire flotter sur ses lèvres pendant qu'elle prend appui sur ses coudes, appréciant la douceur de la couverture contre la peau de ses avants-bras. Comme il le sous-entend, peut-être que Cleo aurait en effet dû amener Eleven. Son chien aurait été heureux ici, à pouvoir courir dans l'herbe, même si elle est certainement en train de profiter de l'absence de son maître pour dormir sur son lit à l'heure actuelle. La question d'Isaiah fait violemment se retourner Cleo dans sa direction. Elle ouvre de grands yeux et entre-ouvre la bouche pour parler mais, avant de prononcer quoi que ce soit, récupère son téléphone et le glisse dans la poche arrière de son short. « Il est hors d'atteinte à présent, espèce de... de... hooligan. » Rapidement, elle reprend sa position et lève les yeux vers la grande étendue bleue sans nuage, sans aucune nuance de couleur, juste ce bleu clair si beau qui donne l'impression que le ciel est infini. En entendant Isaiah fredonner cet air qu'elle connait si bien, une vague de chaleur douce et agréable vient s'emparer de tout son être. Elle apprécie sa voix, cette magie qu'il ajoute au moment présent, la bulle qui se créée lentement autour d'eux comme si ils étaient les derniers êtres vivants sur Terre. Et puis, nouvel éclat de rire quand il se met à imiter Gandalf. Cleo tourne la tête vers Isaiah et l'écoute en souriant, honorée de pouvoir porter ce nouveau nom qu'il vient de lui attribuer. Malheureusement, elle ne connaît pas aussi bien les répliques que lui, visiblement. Elle adore ces films, les as vu des dizaines de fois pour des dizaines d'occasions différentes, sauf que tout ce dont elle arrive à ce souvenir, c'est le fameux "my precious". Et Cleo doute qu'Isaiah aurait envie de la voir imiter Gollum là, tout de suite. « Tu devrais te lancer dans les films d'animations. Genre, faire la voix d'un personnage tu vois. Je te verrais bien en vieux hiboux. » Son sourire s'étire un peu plus alors qu'elle porte une nouvelle fois son joint jusqu'à ses lèvres.

Quel soulagement de ne pas être laissé à lui-même dans cette fantaisie, ou plutôt ce cauchemar qu’était le film de Richard et des livres magiques. Honnêtement, il n’avait jamais vraiment compris comment un enfant pouvait s’amuser en regardant de telles images. Tout était dérangeant dans les scènes tournées avec Macaulay Culkin. Qu’il s’agisse de la pluie torrentielle sous laquelle il conduisait son étrange bicyclette ou justement les peintures qui fondent, Isaiah avait toujours éprouvé un profond malaise. Ça n’avait rien aidé quand il avait décidé de le regarder de nouveau, cette fois en ayant consommé de la marijuana. Le malaise n’en avait été que décuplé. « Ah mais tu peux pas savoir à quel point je suis content que tu dises ça !!! » S’emporta Isaiah quand Cleo partagea son dérangement face au long-métrage pour enfants. Il s’était même mis à genoux devant elle, comme animé par ce nouvel élément partagé avec la brunette. Il continua : « Depuis j’arrive plus à visiter des églises sans jeter un regard troublé vers les plafonds. Qui sait ce qui s’y cache ! » Maintenant, ses entrées dans les églises se faisaient bien rares puisqu’il n’était pas croyant, mais lors de ses nombreux voyages Isaiah avait souvent mis le pied dans ces endroits magnifiques de par leur architecture unique. Sans oublier sa passion pour les orgues. Quand le jeune artiste menaça de jeter le téléphone de Cleo pour aucune raison réellement valable, cette dernière le mit bien hors de sa portée. « Hooligan ? HOOLIGAN ? » Se fâcha-t-il, avant de froncer les sourcils. « The fuck is that ? » Demanda-t-il en réalisant qu’il ne savait même pas si ce mot existait vraiment. Après cette fausse altercation, ils continuèrent à planer en regardant le ciel, avant de divaguer de nouveau sur le Seigneur des Anneaux. « Les vieux hiboux ont généralement des diplômes et des petits chapeaux de cérémonie. J’suis pas digne de ce niveau de scolarité. » Il éclata de rire. Pourquoi c’était toujours des hiboux, hein, les animaux diplômés ? « Mais j’avoue que ce serait trop cool de faire la voix dans un film d’animation. Et si on en faisait un ? On pourrait faire des petits bonhommes en pâte à modeler et filmer ça old school en défilant les images une après l’autre. » Un autre projet un peu trop ambitieux et surtout inutile. Mais si Cleo disait oui, alors plus rien ni personne ne pourrait l’arrêter.

Au fond, tous ces films pour enfants mélangeant réalité et cartoon, ils possèdent tous leur coté malaisant. Cleo l'a toujours pensé, elle se souvient de cette époque où elle avait regardé ce film avec le lapin animé et sa copine danseuse de cabaret avec sa cousine, un film qu'elle avait jugé tout le long avec une grimace qui ne quittait jamais ses traits. En voyant Isaiah se mettre à genoux devant elle, Cleo se met à rire avant de poser délicatement une main sur son avant-bras. « Je te promets que j'espère qu'il ne t'arrivera rien dans une église, » dit-elle en articulant chaque mot pour tenter de ne pas s'y perdre. N'étant pas croyante, elle ne se souvient même pas de la dernière fois où elle a mis les pieds dans un tel bâtiment. Elle devait être jeune, trop même que pour réussir à s'en souvenir. Sa menace de lancé de téléphone est ce qui la ramène sur terre et, sans réfléchir, elle lâche la première pseudo-insulte qui lui passe par la tête. Face à ses sourcils froncés, elle fait de même avec les siens. « Tu m'as très bien entendue ! » s'exclame-t-elle en faisant semblant d'être en colère, ses bras à présent croisés contre sa poitrine. Sauf que rapidement, Cleo laisse retomber ceux-ci le long de son corps et regarde pensivement en direction du ciel. « Je crois que c'est une sorte de... personne... qui fait des trucs pas très corrects. » Elle reporte son attention sur Isaiah et lui offre un sourire immense qui dévoile toutes ses dents. Au fond, elle-même n'est plus trop certaine de la signification de ce mot. Elle l'a déjà entendu une fois, l'a trouvé amusant, alors elle l'a ressorti. Presque étalée sur sa couverture, Cleo tire une nouvelle latte de son joint et souffle doucement le surplus qui vient s'évanouir dans l'air. « Non mais le stéréotype, » souffle-t-elle avant de coucher sa tête sur le sol dans sa direction. En entendant son projet, elle se met à glousser puis se mordille la lèvre. « Je pense que c'est un projet qui mérite d'être mis à exécution. » Elle se redresse, s'appuie sur une main afin d'avoir un semblant équilibre, puis tend l'autre vers Isaiah. « Deal ? » demande-t-elle en plantant son regard dans le sien.

Sa main délicatement posée sur l’avant-bras d’Isaiah, Cleo lui promit qu’elle espérait qu’il ne lui arriverait rien dans une église. Il ferma les yeux et hocha la tête, solennellement. « J’aurais préféré que tu puisses me promettre que tu me protégerais de toutes les peintures de ce monde, telle l’héroïne de ma vie, mais je vais me contenter de ton espoir. » Un sourire se dessina lentement sur son visage. Ils commençaient vraiment à raconter n’importe quoi, et leurs poumons n’avaient même pas respiré la moitié du joint. Dans un autre moment d’égarement, la brunette le traita de hooligan, mot qui ne faisait pas parti du vocabulaire plutôt restreint d’Isaiah. Les langues n’étaient pas sa force. « Des trucs pas très corrects ? Ouais, j’imagine qu’en s’tenant à cette définition, ça me va plutôt bien … » Après tout, Isaiah était peut-être un être très gentil et généreux, mais il était vrai que ses actes n’étaient pas toujours très corrects. Suffisait de songer à ce qu’ils avaient entre les doigts, présentement. Mais tout était relatif, en fin de compte. Fumer un joint était certainement mieux que bien d’autres crimes. Isaiah parla du hibou au chapeau de diplômé et tout de suite, Cleo releva le stéréotype, mot qui sonnait comme une alarme aux oreilles de l’artiste. « Ok. Non. Je n’accepte pas qu’on m’accuse de mettre tous les hiboux dans le même panier. » Lança-t-il le plus sérieusement du monde, même s’il s’agissait d’un simple animal. « Il est vrai que les hiboux animés n’ont pas tous des chapeaux. Mais tape ça sur Google et j’te parie que dans les images, t’en auras plusieurs. » Il fallait vraiment qu’Isaiah veuille défendre son point pour en venir à proposer l’utilisation des Internets. Il s’allongea de nouveau et posa sa tête à côté de celle de Cleo, alors qu’ils discutaient maintenant de ce projet spontané de faire un court-métrage animé. « Deal. » Il attrapa la main de Cleo et la serra vigoureusement. « Ce sera quoi l’histoire ? » Demanda-t-il en tirant sur son joint, curieux d’entendre les propositions de son amie. Comme ils avaient tous les deux une imagination débordante, ils étaient assurés de trouver l’idée du siècle.

Elle soupire doucement avant de hocher la tête. « Je sais Isaiah, je sais. Mais je ne voudrais pas te faire des promesses que je ne suis pas sûre de pouvoir tenir. » Prendre cet air si sérieux pour une situation qui ne l'est pas du tout l'amuse beaucoup, si bien que Cleo doit se forcer pour ne pas sourire jusqu'aux oreilles. Isaiah a toujours été capable de rendre la vie plus légère, comme si il émanait des ondes positives qui touchaient quiconque se trouvant sur son chemin. Elle aime sa présence, sa personnalité, cette capacité qu'il a à pouvoir la faire rire sans arrêt et à donner l'impression qu'elle est totalement en train de planer même en étant sobre. À ce qu'il répond ensuite, Cleo ne s'empêche plus de rire. « T'es le pire des criminels, » plaisante-t-elle en lui lançant un regard en coin. Elle dit ça et pourtant, il est selon elle la personne la plus sympa de tout Bowen. Il ne s'en rend peut-être pas compte et il se pourrait même qu'il ne le réalise jamais, mais Isaiah occupe une place importante dans la vie de Cleo. Elle ne sait pas si c'est réciproque, mais dans tous les cas elle ne risque pas de changer l'avis qu'elle a sur lui. Il a été là au début, au milieu, et elle espère qu'il le restera jusqu'à la fin. Attentive à ses mots, elle l'écoute en laissant son joint se consommer lentement entre ses doigts. Il parle de hiboux animés comme il parlerait du réchauffement climatique, avec le même sérieux dans la voix ainsi qu'avec un regard si convainquant qu'elle pourrait bien finir par croire à ce qu'il raconte. « Ça va, je te fais confiance. T'as l'air de t'y connaître en la matière alors t'as sûrement raison. » Parce qu'en réalité, elle n'a jamais eu à chercher après des images de hiboux avec des chapeaux sur internet. Elle est d'ailleurs étonnée que Isaiah lui fasse la proposition, lui qui a toujours été pratiquement allergique à la technologie. Couchée sur le sol, elle sert elle aussi sa main pour conclure leur marché. « Mmh, » réfléchit-elle, son regard se perdant dans le ciel bleu. « L'histoire d'un bébé ours, parce que c'est toujours plus mignon quand c'est bébé. Il ne voudrait pas être un ours parce que oh, plot twist, il est végétarien. Alors il essaie de devenir un autre animal et... et les autres animaux, ils auraient tous un accent différent ! Canadien, français, russe. Puis y aurait une scène avec Elvis Presley en lion rock star. » Cleo tourne la tête vers Isaiah, curieuse d'avoir son avis.

Isaiah hocha la tête, serein. « Et c’est pour ça que je t’aime. Tu es une femme bien, Cleo. » Difficile de dire si l’humour avait laissé place au sérieux, ou si le jeune homme était simplement encore dans son délire. Au fond de lui, l’ébéniste était bien honnête en disant à son amie que le fait qu’elle ne fasse pas de promesse en l’air faisait d’elle une amie précieuse. Même si cette déclaration était basée sur un énorme écart de ridicule concernant des peintures magiques et des bébés-anges, Isaiah ne la pensait pas moins. C’était ça, la beauté de leur relation. Il y avait du vrai dans le plus insensé. Enfin, sauf quand Cleo affirmait qu’il était le pire des criminels. « Ouais. Tout juste après Ivan Milat. » Ou le backpacker killer, qui avait tué de nombreux randonneurs dans les années quatre-vingt-dix, en Australie. Le genre de meurtrier qu’on connaît quand on est un grand voyageur comme Isaiah et ce, même s’il avait été emprisonné bon nombre d’années avant qu’il n’ait lui-même commencé à globe-trotter. Ça faisait un peu bizarre de se comparer à un des plus grands meurtriers australiens, sachant qu’Isaiah ne ferait pas de mal à une mouche si ce n’était qu’en lui soufflant de la fumée de marijuana dessus sans même le faire exprès. Mais c’était pour le plaisir. Évidemment que le jeune homme ne se considérait pas comme un criminel. Un petit chenapan, à la limite. Isaiah le garnement. Vint alors la grande discussion philosophique sur les hiboux fraîchement diplômés de l’université, qui se termina quand Cleo s’avoua finalement vaincue. L’artiste avait quand même de sacrés talents d’orateur, et de persuasion. « À chacun nos domaines de connaissances, pas vrai ? » Se moqua Isaiah. C’était triste, quand même, de se dire qu’il pouvait se montrer aussi convaincant de par ses connaissances sur des images animées d’animaux (lolilol essaie de dire images animées d’animaux vraiment vite, c’est difficile !). En continuant de parler de films d’animation et des voix qu’Isaiah pourrait faire, l’idée de faire leur propre court-métrage animé fut lancée. Et acceptée. Cleo avait d’ailleurs déjà son idée qu’elle exposa à son ami, qui venait de terminer son joint et l’éteignait sous son soulier. Il rigolait plus Cleo énumérait les éléments du film. « Je shotgun que j’fais la voix du lion Presley. Oh ! Et finalement, le film se terminerait sur une magnifique morale qui montrerait aux enfants que peu importe ce que la société nous dicte, que peu importe ce qu’on nous dit qu’on doit être, le choix nous revient. Alors même si le petit ourson était supposé être carnivore, parce que tout le reste de sa famille l’est, bah il aura décidé d’être végétarien malgré tout, et il aura réussi à rester un ours tout en se respectant lui-même dans ses goûts et sa personnalité. » C’était l’idée du siècle.

En l'espace d'une seconde à peine, son envie de rire laisse place à une expression toute autre. Cleo hausse les sourcils, garde la bouche entre-ouverte avant que ses lèvres ne viennent lentement s'étirer en un sourire. Se sentant stupide d'être si facilement touchée par quelques mots, elle baisse les yeux et fixe le sol tout en faisant glisser ses doigts entre des brins d'herbe. « C'est réciproque, » dit-elle simplement avant de tourner la tête de l'autre coté pour ne pas se faire cramer en train de rougir. Heureusement pour elle, le sujet change rapidement et le sérieux laisse bien vite place à un délire étrange où Isaiah serait une sorte de vilain, de criminel, ce qu'elle a bien du mal à imaginer vu la personne qu'il est réellement. Elle ne répond pas parce qu'en réalité, elle n'a aucune idée de qui est ce type. Certainement un vrai méchant, quoi qu'il aurait très bien pu être le mec qui balaie la scène du théâtre après chaque spectacle qu'elle hocherait la tête de la même manière. Divaguer sur tous ces sujets avec lui, aller des criminels aux hiboux, ça l'amuse plus que ça ne le devrait. Cleo a toujours aimé rire mais en compagnie d'Isaiah, elle a l'impression d'être une sorte d'ado qui glousse à la moindre de ses paroles. Elle se sent si petite, inoffensive, un peu ridicule aussi. En guise de réponse, elle hoche la tête. « Totalement, je suis sûre que je pourrais t'étonner sur certains sujets moi aussi. » Quelques mots pour se rassurer, se rappeler qu'elle aussi a des connaissances et qu'elle n'est pas qu'une sorte de gamine dont le corps a grandi plus vite que le coeur et qui s'extasie devant un rien. En ayant mentionné ce début de film d'animation, Cleo ne s'attendait pas à ce qu'Isaiah la suive en inventant une suite pour ce potentiel film. Tout en l'écoutant, elle termine son joint et sent petit à petit les effets venir s'emparer de son bon sens. Elle a l'esprit léger, le sourire facile, l'envie de bondir sur ses pieds et de célébrer leur projet avec une fontaine de champagne. Cleo se redresse et s'assied sur ses pieds, les yeux grands ouverts et plongés dans ceux d'Isaiah. « C'est génial, j'adore, on est vraiment des génies. » Sans réfléchir, elle attrape sa main entre les siennes et la fait aller dans un mouvement de balançoire. « T'as un esprit plein de couleurs Isaiah, je trouve ça si beau. » Elle rit doucement, sans vraiment savoir pourquoi.