Fugue en B mineur [Aleksy]

Elle n’était plus là. Il avait tourné le dos, quelques minutes, quelques heures, pour dégourdir ses doigts sur les touches et elle en avait profité pour se glisser à l’extérieur de la grande maison de plein pied. Il n’avait rien vu. Ce n’était pas surprenant. Lorsqu’il jouait, le monde disparaissait et seuls les sons continuaient à l’habiter. Ceux de son instrument, bien sûr mais aussi sa propre respiration et le bruit de la queue du chat qui frottait contre le métal de la marmite de la cuisine. Ceux étouffés du vent et du trafic dans la rue non loin. Le camion poubelle qui faisait sa ronde dans le quartier. Les odeurs mouillées de l’été austral portées par le léger courant d’air de la fenêtre. Elle n’avait pas ouvert la porte. Il aurait senti ses partitions se décoller du bois. Elle n’avait pas dû mettre de chaussures ou bien de simples sandales. Elle avait peut-être pris son gilet en crochet blanc à mettre sur sa longue robe d’été, celle qui n’était ni verte ni noire car bien qu’on ne soit ni mardi ni vendredi, il ne voulait pas prendre de risque.

Ce n’était pas la première fois qu’elle disparaissait. En Angleterre, il l’avait souvent retrouvée errante sur la lande, ou bien devant telle ou telle boutique. Il était arrivé qu’une bonne âme trouve le tissu brodé cousu en bas de ses jupes donnant son numéro de portable. Parfois, elle était ramenée par des policiers. Parfois, c’étaient les aides à domiciles, paniquées, qui sillonnaient les rues et les plaines. Parfois, ils devaient appeler les hôpitaux ou les centres pour sans-abris. Il n’en était pas encore temps. Le jour ne se coucherait pas avant plusieurs heures et l’après-midi donnait au soleil une lourdeur qui rendait les déplacements plus lourds. Plus lents. Il attrapa ses béquilles, renonçant une fois de plus à mettre une veste sur sa chemise en lin à manches longues. Il enfila sans mot dire sa chaussure gauche, laissa son pied droit protégé du seul « plâtre » amovible en tissu et composite, attrapa une besace contenant ses papiers, son portable, du papier à musique, des crayons, une brosse à cheveux, des lingettes, bref, le nécessaire pour retrouver son épouse et sortit à son tour dans la fournaise.

Certes, il ne faisait que vingt degrés Celsius. Mais avec l’humidité, et pour l’anglais qu’il était, il ressentait beaucoup plus. Et l’inquiétude n’était qu’un poids supplémentaire.

Chez lui, chez eux, il ne se faisait pas autant de soucis. L’Angleterre était un pays civilisé, il connaissait les habitudes de son aimée, elle-même était connue des services de police qui la traitaient avec compassion dans l’espoir d’un bon pourboire. Bowen était un nouveau territoire. Et si elle y avait passé son enfance, il n’était pas certain qu’elle ait réalisé que du temps avait passé depuis. Que ses repères n’étaient plus les mêmes. Que les boutiques avaient fermées, s’étaient déplacées, que d’autres avaient ouvert. Dans l’état dans lequel elle était, qui pouvait savoir ce qui se passait dans cette tête trop bien faite et décidément abîmée par la vie. Il pressa le pas, le bruit de ses canes frappant le sol avec insistance. Sous ses gants de protection, ses mains suaient et son dos était trempé. Il ne ralentit pas. Tant pis. Il fallait ce qu’il fallait. Il regarda autour de lui. Où aller. Il ne connaissait pas ce pays. Il savait juste que c’était un repère d’enfants de forçats qui avaient fait leur trou dans une nature hostile. L’Australie veut ta mort, c’est bien connu. Voulait-elle aussi celle d’Hermia ? Ce n’était pas sûr. Pour autant, il ne pouvait prendre aucun risque.

Enfin, une enseigne marquée Police apparu à l’horizon. Le pianiste reprit un moment pour respirer, s’essuya le front de son mouchoir de coton, et s’avança d’un pas qui, s’il n’était pas sûr, était au moins déterminé. Lorsqu’il poussa la porte, il était redevenu Hershel Wadhyll, Lord Anglais. Malgré sa blessure, il s’était redressé de toute sa taille (qui était haute), avait repris le maintien et l’aura d’autorité qui était siens. Pour autant, il était toujours inquiet. Il avisa une jeune femme non loin qui semblait être habituée des lieux.

« Excusez-moi, Madame, je cherche à qui m’adresser dans le cadre d’une disparition de personnes. Sauriez-vous me renseigner ? »

Son accent anglais, impeccable, était bien différent de celui des habitants des lieux mais il espérait que cela ne serait pas retenu contre lui…

« - Salut Wodjcik. »

Je salua la personne qui me parler avec une main avant de lui dire dans un sourire :

« Salut Lawrence moi aussi je suis ravie de te voir. »

Lawrence était le genre de collègue juste insupportable, le genre que j'ai remis bien des fois à sa place depuis que je suis arrivée, il y a maintenant 5 ans. Bordel déjà 5 ans, que j'étais flic et que je bosser à Bowen ma ville natale une vraie aubaine, et puis je n'étais pas loin de ma famille ça, c'était encore plus cool. Je rentra dans le commissariat et fila aussitôt à mon bureau que je partager avec mon collègue Morgan, il n'était pas encore là ça ne m'étonner pas d'ailleurs venant de lui... Je fis le tour de ce que j'avais à faire tout en attendant que mon pc se mette en route. Mais d'abord un café donc je devais repasser par l'accueil, un homme s'excusa avant de me demander :

« Excusez-moi, Madame, je cherche à qui m’adresser dans le cadre d’une disparition de personnes. Sauriez-vous me renseigner ? »

Je souris avant de lui répondre :

« Bonjour, oui bien sûr.... »

Okay aucun collègue de dispo bon bah pas grave, je reposa mes lunettes de vue du dessus de ma tête à mon nez avant de reprendre :

« Aller suivez-moi, je vais la prendre. »

Après quelques instants, on arriva à mon bureau où je proposa de la main la chaise devant moi avant de m'asseoir et lui dire :

« Je vous écoute donc. »

Il sourit également, de ce sourire triste qu’il avait en société et qui n’était que le reflet de son éducation, sans que rien ne vienne illuminer l’ombre inquiète de son regard. Voyant que la jeune femme se mettait en mouvement, il se redressa encore sur ses béquilles et clopina de son mieux vers le bureau, un endroit exigu, où l’on voyait à peine le jour par une fenêtre trop petite. L’odeur de la pièce restait familière, comme si tous les cagibis de police du monde étaient voués à la même fragrance « Poussière et vieille encre ». On disait que le métro de Londres avait acheté son parfum à la RATP française. Peut-être y avait-il un tel partenariat entre le cœur de l’Empire et les protectorats.

Doucement, il posa ses cannes d’acier et de plastique, veillant à ce qu’elles ne tombent pas, pour une fois. Puis, se tenant au dossier de la chaise, il recula celle-ci, releva les jambes de son pantalon et s’assit, son plâtre légèrement de côté pour pouvoir rester étendu. La chaleur qui se dégageait de ses paumes, endolories malgré tout par l’effort constant rendit soudain les gants insupportables. Il les enleva et les posa sur sa cuisse.

« Je m’appelle Lord Wadhyll, citoyen britannique. » Sans se presser, il attrapa son passeport dans la poche de sa chemise et le tendit à la jeune femme. « Mon épouse, Hermia Wadhyll née Bringham et dont je suis le tuteur légal souffre d’une maladie mentale et a disparu de notre domicile ce jour, entre… » pour la première fois, il laissa paraitre une hésitation dans son discours bien lissé. « 13 et 16 heures, je dirais, sans certitudes. Elle est native de Bowen mais n’avait pas remis pied ici depuis son enfance. Moi-même je ne connais pas encore bien la ville et ne sait où la chercher… »

Comme toujours, son ton était mesuré, musical, posé, bien loin de l’inquiétude lancinante qu’il ressentait pourtant. Un gentleman ne montre pas ses émotions. Il avait son piano pour cela. Et, pourtant, derrière ce visage calme et composé, il espérait de tout son cœur que les policiers d’ici soient plus intelligents que la moyenne et ne viennent pas lui sortir le sempiternel refrain des 24h à attendre, voire qu’elle était majeure et pouvait le quitter si elle le voulait. Ils ne connaissaient pas Hermia. Pas encore.

Je regarda l’homme qui me parla avec un sourire avant de lui indiquer mon bureau, à l’abri des regards et loin des gens il se posa non sans mal sur la chaise en face de moi, avant de se présenter. Okay un Lord c’est pas tout les jours que j’ai le droit d’avoir une visite aussi gracieuse, enfin façon de parler il me donne son passeport que je prends et que je note ce qu’il faut sur mon carnet que j’ai sortie. J’aime pas l’ordi pour faire la prise de plainte c’est chiant…

La jeune femme Hermia Hershell sa femme donc, souffre d’une maladie mentale… okay. Bon déjà c’est pas une partie de plaisir mais là ça va être sympa, je baisse sa tête quand il me dis qu’il n’est pas sur de l’heure de sa disparition… Okay l’avantage Bowen n’est pas bien grand donc ça devrait le faire.Je laissa un petit moment de blanc avant de relire ce qu’il m’avait dit et finalement reprendre :

« Et bien je vais demander à mes collègues de faire une recherche. Est-ce que par hasard vous auriez une photo de votre femme assez récente ? »

Oui en tant normal les femmes qui disparaissent on laisse 24h mais comme la disparut à une maladie mentale je vais pas laisser ça traîner bien au contraire, elle pourrait être dangereuse pour elle-même. Je souris gentiment ne voulant pas l’inquiéter plus que cela.

Elle semblait prendre l’affaire au sérieux et cela lui enleva une première chape de dessus les épaules. Parfois, les policiers n’écoutaient à moitié, parlaient de fugue, d’amants, de majorité et de droit à disparaître. On le traitait comme un enfant inquiet et il détestait ça. Cette fois, au moins, elle semblait prête à mobiliser tout de suite un effectif conséquent. Tant mieux. Ce n’était pas tant qu’elle était dangereuse pour les autres – sauf si elle décidait de mordre quelqu’un à nouveau – mais elle était tellement ailleurs qu’elle pouvait se perdre, se laisser entraîner, casser une vitrine…

Doucement, il ouvrit à nouveau son portefeuille et, entre plusieurs billets d’assez grosses coupures, sortit une photo plastifiée de son épouse, radieuse et enfantine dans une robe à motif fleuris, sa crinière brune rayonnant dans un soleil d’après-midi. Elle souriait, heureuse, Obéron dans les bras qui faisait sa tête de félin outré. Elle était pied nue, avec cette légèreté de nymphe qui n’appartenait qu’à elle. Attendrit, il regarda le cliché un moment avant de le tendre à la jeune femme.

« Gardez le, j’en ai des copies. » Beaucoup de copies. Il avait l’habitude de devoir distribuer ce genre d’indice. « Si je peux me permettre…j’aimerais me joindre aux recherches. Elle est facilement effrayée et peut avoir des réactions…étrange lorsqu’elle a peur. »

Comme crier, frapper, s’enfuir, grogner, mordre, casser des choses ou utiliser ses connaissances mathématiques instinctives pour faire des ricochets d’armes improvisées. Une fois, des indélicats l’avaient endormie avec des calmants pour animaux. Elle avait mis du temps à émerger et il avait dû faire appel à toute sa diplomatie (et un don généreux) pour qu’elle ne soit pas internée ni poursuivie. Il soupira. L’après-midi allait être rude. Mais Hermia le valait bien. Elle valait tout l’or du monde.

Je prenais l’affaire très au sérieux, je n’étais pas du genre à me moquer des gens bien au contraire, pourtant j’en ai vue des choses bizarres ou farfelus dans ma vie et surtout depuis le début de ma carrière de flic.

Je prie la photo qu’il me tendait en me disant qu’il avait beaucoup de copie, okay ça veut tout dire… Je prie la photo pour aller demander à un officier de la faire circuler pour la faire retrouver au plus vite, avant de revenir et qu’il demande à faire partie des recherches… je fis une moue, avant de répondre :


« -Oui bien sur, je vais vous embarquez avec moi dans la voiture ça sera plus simple, surtout si vous connaissez bien les endroits ou elle peu être partie. Et puis je pense que vous aimeriez sans doute qu’elle vous vois en premier... »

Pour être rassurée j’aurai du finir ma phrase hélas je n’avais pas le temps, je demanda :

« -Vous avez besoin d’aide pour vous levez ou ça ira ? »

Je pris ma veste sur le portant à l’entrée de mon bureau pour partir à la recherche de madame Wadhyll, cette après midi n’aller pas être reposante bien loin de là…
Aller hop il fallait y aller au lieu de prendre notre temps à discuter...

Il secoua la tête avec douceur. En Angleterre, il aurait pu la trouver presque les yeux fermés. C'était son fief, son pays, et il en connaissait par coeur jusqu'aux trous de taupes dans la terre fertile des champs grisés par le sel porté par le vent. Ici, dans ce monde de soleil et de sable, il était parfaitement perdu.

"Nous ne sommes pas arrivés depuis assez longtemps pour que je connaisse les endroits intéressants. Par contre, elle est née et a grandi à Bowen. Souvent, elle va voir les magasins d'électronique ou d'informatique. Ou encore de bricolage. A moins qu'elle n'ait eu envie de parler aux baleines."

Il ne savait pas s'il y en avant dans l'océan indien. Ses vieilles connaissances de biologie en doutaient. N'en voyaient-on pas dans l'Atlantique, du coté de Boston. Et depuis quand les impossibilités statistiques avaient-elles vraiment freiné sa femme. Si elle pensait baleines, elle était bien capable de voler une planche à voile et de partir vers le large. Il retint un soupir, se levant avec un grognement de douleur mais sans se faire prier. Il remit ses gants, attrapant ses béquilles.

"Pour les boutiques, elle peut tout aussi bien avoir fait une recherche internet et effacé ses traces ou être allée d'elle-même à une adresse dont elle se serait souvenue. Il y avait beaucoup d'ateliers de ce genre il y a disons...une vingtaine d'années ?"