ancient stories still relevant (eliam)

La boule au ventre, le cœur serré, la gorge nouée, l’impression que son monde pourrait s’écrouler dans les minutes à venir, Nova attendait son frère au bout du quai d’embarquement du bateau-restaurant. Elle avait une main posée sur son ventre, on aurait pu croire que l’annonce qu’elle avait à faire à Eliam, c’était qu’elle était enceinte, mais non. Elle était homosexuelle. Et comme c’était sorti sur ce blog à potins de merde, la jeune femme avait eu l’impression de ne plus avoir le choix de sauter le pas en dévoilant ce lourd secret qui lui pesait sur la conscience, à Eliam. Sans doute le savait-il déjà. Sans doute avait-il lu cette rumeur qui était bien fondée. Il avait probablement mille et une questions. Bordel, elle aurait préféré être celle à le lui apprendre. S’il l’avait appris via le web, Eliam allait se sentir trahi. Ils n’étaient pas deux inséparables, ils ne se ressemblaient pas vraiment au niveau de leur personnalité alors ils ne se comprenaient pas toujours, mais quand même, ils étaient frère et sœur. Ils étaient proches malgré leurs différences. Ils étaient proches malgré le fait que Nova ait coupé tous les ponts avec leurs parents depuis quelques années maintenant. Ça lui ferait tellement mal de voir son frère blessé par sa faute.

Le voilà qui arrivait au bout du quai, ses cheveux roux dans le vent, tout comme ceux de Nova elle-même qui tenta d’ailleurs de les tenir derrière son oreille, en vain. Elle lui sourit et lui envoya la main, de sa main libre de cheveux. Quand il fut près d’elle, elle le serra dans ses bras. Un peu plus longtemps que d’habitude. « Hey. Contente que t’aies pu ce libérer ce soir pour me voir. » Dit-elle d’une toute petite voix. « Je sais, je sais, le bateau-restaurant c’est légèrement trop romantique pour nous deux, tu dois me trouver hyper bizarre d’avoir choisi ça. » Bowen ne manquait pourtant pas de choix de restaurants qui ne partaient pas sur l’eau pendant deux heures. C’est que Nova savait que si elle était capable de fuir à n’importe quel moment, elle le ferait, avant d’être allée au bout de sa pensée, de ses intentions. Elle avait un but ce soir et elle voulait l’atteindre : se révéler, pour de vrai, à son frère. « Mais j’ai mes raisons. Et je voulais qu’on prenne bien le temps de discuter. » Ajouta-t-elle ensuite, s’engageant avec son frère sur le bateau-restaurant où elle donna son nom à l’hôtesse, puisqu’elle avait réservé pour eux.

Pendant leur étreinte, Eliam lui affirma qu’il serait toujours disponible pour elle. Ces paroles-là la submergèrent à la fois de soulagement et de tristesse. C’était difficile à expliquer. Elle avait envie de croire que c’était vrai, que son grand frère resterait auprès d’elle même après avoir appris qu’elle lui mentait depuis toutes ces années. Une partie d’elle avait cependant l’impression que son frère ne pesait pas le poids de ses paroles, actuellement, et que rapidement il réaliserait que Nova avait franchi une limite de laquelle ils ne pouvaient plus revenir. Elle ferma ses yeux qui devenaient mouillés d’émotion, mais garda son sourire qui depuis toujours avait brouillé les cartes auprès de sa famille. « Oh, je sais pas, il y avait peut-être une femme qui t’avait déjà réservé pour ce soir. T’as beau être timide, tout ça, je peux pas croire que mon grand frère n’a pas un line-up face à lui. » Dit-elle en s’arrachant de leur étreinte, regardant son frère avec douceur, les mains toujours posées sur ses épaules malgré son recul. Puis, elle laissa ses bras retomber le long de son corps et tourna la tête vers le bateau-restaurant. Mais quelle idée ! Ils allaient avoir l’air d’un couple de rouquin en soirée romantique. Eliam, quant à lui, ne sembla pas trouver l’idée si choquante que ça. « Non, non, c’est juste que généralement toi et moi on s’contente d’un burger au resto du coin, quoi. » Dit-elle dans un léger rire. Elle ajouta que pour le bateau-restaurant, elle avait ses raisons, cette fois. Que ce n’était pas pour un tête-à-tête digne d’un rendez-vous galant, qu’elle l’avait invité ici, mais parce qu’elle voulait prendre le temps de discuter avec son grand frère. Autour d’un burger ultra rapide, ce n’était pas la même ambiance. Le frère et la sœur rentrèrent dans le restaurant sur l’eau et furent conduit jusqu’à leur table. L’hôtesse enleva le petit carton réservé et les laissa, le temps qu’ils s’installent. « Oui, oui, je vais bien. Tout va bien, ne t’inquiète pas, je suis en santé, je ne m’en vais pas à l’autre bout du monde non plus, aucune nouvelle de ce genre. » Il est vrai que ça pouvait avoir l’air énorme, tellement elle conservait le mystère. Pour elle, ça l’était. Énorme. « Et toi, comment vas-tu ? » Elle l’écouta et, quand le silence revint, elle reprit : « Dis, t’as été faire un tour sur le blog des Writers, récemment ? » Demanda-t-elle, d’une toute petite voix.

C’était ce qu’Eliam pensait. Que leurs parents avaient plus de mal avec Nova parce qu’elle était plus agitée, survoltée et fonceuse. Peut-être qu’il y avait une partie de ça. Peut-être qu’ils préféraient leur fils calme et posé, qui ne faisait pas trop de bruit dans la ville, qui ne faisait pas trop parler de lui. Cependant, une grande partie de la mésentente entre Nova et leurs géniteurs provenait du fait qu’à la seconde où elle s’était montrée vulnérable, toute jeune adolescente, en parlant à sa mère de ses questionnements identitaires, de son orientation sexuelle allant à l’encontre des enseignements reçus, sa mère s’était fermée. D’un coup. Ouste ! les regards bienveillants d’une mère, dehors ! les petites attentions maternelles. Nova et sa mère n’avaient plus jamais eu cette proximité d’avant. Aux yeux de leur mère, Nova était devenue atypique, anormale, une erreur qui était pourtant sortie d’elle-même, de son propre ventre, de son propre être. Elle lui avait dit de changer, juste ça. Qu’autrement il y avait erreur si elle poursuivait sur ce chemin. Nova était restée au domicile familial jusqu’à ce qu’elle atteigne son indépendance, et dès qu’elle en fut capable, elle s’en alla, sans regarder en arrière. Eliam avait pensé que c’était encore une décision forte de sa sœur, un besoin de liberté et de n’en faire qu’à sa tête. C’était tout autre. Elle voulait pouvoir respirer. Être elle-même. Ça lui avait malheureusement pris quelques années encore, avant de pouvoir se reconstruire, et s’accepter, un peu.

« Elles ne sont pas toutes comme Ariana, tu sais. » Répondit Nova avec douceur. Elle aurait aimé que son frère réalise non seulement tout le charme qu’il avait, mais aussi toutes les belles possibilités face auxquelles il refermait constamment ses portes. À propos du choix de restaurant versus la tenue vestimentaire de son grand frère, la belle rousse le regarda de la tête aux pieds. Elle, elle portait une jolie robe émeraude, ample et courte, ainsi que des talons à ses pieds. C’est vrai qu’il y avait un sacré écart entre eux deux. « Meh. Ça fera l’affaire quand même. » Elle traîna son frère jusqu’à l’intérieur et ils furent rapidement conduits jusqu’à leur table. C’était le moment de se lancer mais avant, les formules de politesse. Elle n’allait pas balancer toute la vérité à son frère avant de s’être assurée qu’il aille bien. « Ouais, j’ai même su que t’avais maintenant une charmante collègue. Paraît qu’elle est plutôt jolie. Ça fait longtemps ? Vous vous entendez bien ? » Demanda Nova. Elle avait des oreilles partout, on pouvait difficilement lui cacher quelque chose. On aurait même pu croire qu’elle faisait partie de l’équipe des Writers. Mais si ça avait été le cas … jamais ô grand jamais elle n’aurait publié cette rumeur à propos de Gretchen et elle. Elle aurait gardé son secret juste un tout petit peu plus longtemps. « Disons que … que y’a eu des choses qui se sont dites à propos de moi et que … et que c’est pas totalement faux. » Elle se mordit la lèvre. « Même que c’est totalement vrai. » Elle soupira. Si son frère n’avait rien lu, alors elle allait devoir tout lui expliquer, elle qui s’attendait seulement à valider l’information. « Est-ce que tu m’aimerais peu importe ce que j’ai fait, peu importe avec qui je suis, et peu importe qui moi, je suis ? » Demanda-t-elle à son frère, avant. Dépendamment de sa réponse, il était encore temps de se défiler. Le bateau venait tout juste de quitter le quai et elle pourrait aisément atteindre la plage à la nage.