TC - La mud race

Le photographe était confus que son ami de naguère ait chu par sa faute. Il s’en voulait de causer du tort à un si cher compagnon, aussi sportif fusse-t-il, la chute avait été rude pour Daywayn, son corps était visiblement endolori, même s’il n’en montra rien. Du reste, il affirmait avec panache qu’il allait bien, ce qui rassura Léopold. Il s'esclaffa tandis que le sauveteur évoqua une pinte d’eau, ils n’avaient décidément pas la même vision de cette fin de course. Emerson, lui, comptait bien se désaltérer avec une pinte de bière, certes, bien plus trivial que de l’eau, mais tellement moins affligeant, alors qu’il suait sang et eau pour cette course de damnés. Il continuait néanmoins, se demandant comment diable ses muscles continuaient à le porter, suivant son acolyte de fortune qui, lui, était bien décidé à ne pas se laisser abattre, il était, sans l’ombre d’un doute, venu pour gagner. Léo chercha tout moyen de se motiver, ainsi il s’enquérait du paysage, tantôt vallonné, tantôt plus plat, on pouvait percevoir de charmantes clairières çà et là. La forêt de Bowen était somme toute charmante et bucolique, bordée d’arbres plus que centenaires et de bosquets élégants. La nature était somptueuse, de multiples essences de végétaux se côtoyaient et se développaient ensemble pour former un tout magistral qui avait toujours le don d’émouvoir le bellâtre. Mais pas ce jour-là. Il n’avait pas le temps pour la contemplation, il devait courir, maculer ses membres d’ignominieuse boue, parce qu’il avait failli à un stupide pari. Il ne pouvait s’arrêter pour contempler les fleurs gracieuses qui bordaient le chemin, ou encore l’espiègle écureuil qui le narguait du haut de sa branche. Une autre fois. Je comprends que tu ne plaisante pas avec cette course ! Je te suis, ne te tourmente pas pour moi mon ami, je me joindrai à toi à la fin, je vais te ralentir. Léopold ne souhaitait pas être la raison d’un échec, ils auraient bien le temps de se retrouver sur la ligne d’arriver et ainsi ils pourraient reprendre leur bavardage sans crainte et lui ne se blâmerait de rien.

En laissant Daywayn continuer sa course tout seul, Léo lui enlevait une épine du pied. Et cette épine, c'était lui, un boulet à sa cheville même ! Fut une époque où il aurait pu courir pour le chrono, pour la gagne, il était compétiteur après tout. Mais pas pour ce genre de course, pas alors qu'il s'était couché beaucoup trop tard la veille. Le problème étant que Léo aimait les excès, il était fêtard et même s'il s'était calmé avec le temps, il lui arrivait encore de revivre sa glorieuse jeunesse, sauf qu'il avait dix ans de plus, un gamin et quelques cheveux blancs, clairement, il assumait beaucoup moins. Alors quand il s'agissait de choisir entre le sport et la fête, le choix était vite fait, croyez-le bien ! Les deux amis continuèrent donc leur course chacun de son côté et c'était très bien comme ça, rapidement, Emerson perdit la trace du projectionniste. Il chuta encore plusieurs fois, il maudit cette course tellement souvent, pourtant il réussit à la terminer, sous les rires de ses copains de conneries qui l'attendaient à l'arrivée, caméra au poing. Finalement, il n'avait pas à rougir de sa performance, il n'avait pas démérité, il arrivait dans le peloton moyen, loin devant les derniers, il avait encore quelques restes de sa forme d'antan ! Mais il se sentait sale, tellement, il avait horreur de cette boue qui lui collait au corps, au visage, jusque dans ses cheveux. On lui tendit une bouteille d'eau qu'il accepta volontiers et qu'il vida quasiment d'une traite, il rêvait toujours de sa bière et surtout d'une douche. Délaissant sa bande d'affreux, il chercha Daywayn dans la foule pour au moins savoir quelle performance il avait fait et discuter deux minutes avec lui. Il finit par trouver Garcia un peu plus loin, il avait l'air frais comme un gardon, Léo ne comprenait pas ! Il s'approcha de lui, l'air bien moins pimpant. Deuxième ? Sérieux ? T'es un champion mec ! Bravo ! Léo était sincèrement admiratif de sa performance. Bah écoute, je ne sais pas si on est vraiment dans les meilleures conditions pour parler, mais dis-moi, qu'est-ce que tu deviens ?! Ça fait un sacré moment qu'on ne s'est pas vu ! Ils avaient tous les deux des vies bien remplies, Léo songeait souvent à lui envoyer un message, à prendre des nouvelles, puis il oubliait et les jours passaient, c'était l'histoire de sa vie, le temps qui lui filait entre les doigts.