That's what

En sortant du club, ce soir-là, après avoir enfilé quelque chose de plus couvrant, Tahlia avait longuement hésité à rentrer chez elle ou non. Non, elle ne se défilait pas. Mais il était vrai qu'elle avait fini plus tard, et même si Jorge lui disait qu'il avait le sommeil léger, elle ne voulait pas déranger. Pourtant, la voilà bien présente devant son appartement, à taper quelques coups à la porte. Elle avait décidé d'y aller, sinon elle savait bien qu'elle ne le ferait pas, bien trop emportée par son quotidien. Une voix ensommeillée l'informa qu'il arrivait, de l'autre côté de la porte. Puis, il apparut à l'encadrement, avec des petits yeux et complètement dans le gaz. Tahlia esquissa quand même un léger sourire désolé, hochant la tête à sa question : « ça t'étonne tant que ça ?! » Avant de reprendre doucement : « A vrai dire, j'ai quand même hésité à venir, je ne voulais pas te réveiller. Par contre, j'ai juste oublié le fameux sweat à capuche. » ajouta-t-elle, un poil malicieuse. Il la laissa entrer. Le regard de la brune s'attarda sur l'environnement dans lequel il vivait et qui lui ressemblait. C'était sobre. Pas trop décoré. En même temps, elle aurait été étonnée de le voir vivre dans un appartement ultra chargé. Elle hocha la tête quand il l'invita à s'installer, alors qu'il s'éclipsait un instant, sûrement pour s'habiller un peu plus. Elle posa son sac sur la table basse et s'assit sur le canapé en pianotant distraitement sur son téléphone. Elle releva simplement le regard quand Jorge refit son apparition. Sans vraiment broder, elle alla directement droit au but : « Bon, maintenant, tu peux me dire tout ce que tu as sur lui, non ? »

Tahlia se contenta de regarder Jorge, un poil désabusée, quand il prit encore ses paroles au premier degré. Non bien sûr que non, elle n'allait pas débarquer avec son sweat. C'était juste une métaphore, de quoi prouver qu'elle était de son côté sur ce coup-là. « Je plaisantais. » répéta-t-elle sûrement pour la cinquantième fois avec lui, un sourire vaguement amusé sur les lèvres. Elle mettra ça sur le fait qu'il n'était pas complètement réveillé... ou pas. Elle le laissa quitter la pièce pour enfiler un t-shirt, attendant qu'il revienne pour aborder directement le sujet qui les intéressait. Sa première question l'amusa plus qu'autre chose, rétorquant aussitôt : « Si, j'ai même la caméra cachée. » Elle le regard avant de sourire largement. Manquerait plus qu'il croit ce qu'elle dit. Elle s'installa sur le canapé et le laissa commencer. Les sourcils froncés, elle le laissa exposer ce qu'il avait entendu de la part d'employées et d'ex-employées. Tahlia hocha doucement la tête, répondant simplement : « Pour ma part, je n'ai rien vu de flagrant. Je sais juste qu'il est du genre impulsif. Plusieurs fois, je l'ai entendu hurler parce qu'une des filles ne voulait pas faire tel numéro ou parce qu'elle était arrivée en retard, mais je n'ai rien vu de plus... Mais maintenant que tu me dis ça, c'est vrai que les filles n'osent pas trop l'ouvrir devant lui. » Par crainte, peut-être. Tahlia, elle, avait tendance à l'ouvrir quand on la saoulait. Cela ne faisait pas suffisamment longtemps qu'elle était là pour avoir été énervée par le patron.En ce qui concernait le côté gros porc, la brune fit une grimace qui montrait tout son dégoût. « Quelle horreur... » Manquerait plus qu'il y ait de l'exploitation sexuelle derrière tout ça. Du harcèlement. Des menaces. En sachant cela, Tahlia savait déjà qu'elle ne pourrait pas rester de marbre, qu'elle redoublerait d'attention pour mettre à jour toutes les perversités de son patron. « Tu comptes faire quoi ? » finit-elle par demander. Elle exposerait ensuite ce qu'elle-même avait vu.

Elle rêvait ou il évoquait clairement le peu de tissus qu'elle avait au club ? Elle se mit à rire, en répondant : « J'avais encore un peu de tissu pour la dissimuler, hein. » Elle préférait en rire. Elle n'était pas habillée de manière vulgaire, elle avait juste su montrer ce qu'elle avait, comme il le fallait.Mais non, pas de caméra. Jorge lui dressa alors le portrait de son patron. Il avait eu des preuves que Tahlia n'avait absolument pas vu. Ou peut-être avait-elle préféré s'aveugler, se contentant de faire son boulot, d'encaisser son salaire pour se barrer au plus vite. Mais maintenant qu'il le disait, pas mal de choses concordaient. Même envers Tahlia, il y avait bien eu quelques mains posées sur le bas du dos. Seulement, la brune s'éloignait toujours avec subtilité, pour ne pas frustrer la bête. Mais elle comprenait que certaines filles n'avaient pas la même hargne. « Il y en a pas mal qui sont dans la dèche ouais, il doit s'en donner à cœur joie. » reprit-elle, dégoûtée. Jorge avait rassemblé pas mal de preuves qui l'amenaient à cette conclusion, Tahlia se devait donc de savoir quelle était la suite. Regarder encore un peu. Se renseigner. Et passer à l'attaque. La jeune femme s'apprêta à répondre, mais il reprit la parole, l'invitant à se joindre à lui. La brune le regarda avec surprise, avant de répondre doucement : « Je ne sais pas si j'en serai capable, à vrai dire. » Elle avait déjà dû maîtriser des hommes mais c'était dans le cadre de son boulot. «Maintenant, je tape uniquement avec des gants sur les poings. » ajouta-t-elle, en faisant référence à la boxe qu'elle pratiquait. « Si tu veux que je me renseigne de mon côté, je peux le faire. Mais je ne pourrais pas passer en mode attaque, je n'en ai pas la force. » N'oublions pas qu'il l'avait connu alors qu'elle se faisait tabasser par deux hommes. Cela l'avait marquée, évidemment. « Mais je dois quand même te mettre en garde. Ce que j'ai vu de mon côté, c'est que cet homme est loin d'être un bisounours. Il traîne dans des histoires très louches avec des connaissances très louches. Il est bien entouré. » Des histoires de drogues, blanchiment d'argent et association de malfaiteurs. C'était cela qui risquait de rendre la mission de Jorge bien plus difficile. « Il faudra que tu fasses attention à toi... »

Evidemment que dans ces milieux-là, on profitait de la faiblesse des femmes pour se permettre des comportements totalement déplacés. Tahlia aurait pu faire partie de ces victimes, elle aussi. Mais son passé de policière avait sûrement joué en sa faveur, dans le sens où elle connaissait les pourritures du genre. Même endettée jusqu'au cou, elle n'irait pas donner son corps pour quelques dollars de plus sur le compte bancaire. En tout cas, Jorge semblait décidé à donner une leçon à ce patron. Il proposa même à Tahlia de se joindre à lui. Mais étrangement, la brune se défila. Son âme de guerrière avait clairement pris un coup, ces derniers mois. Elle n'avait plus cette colère qui dictait ses pas, ses gestes, ses mots. Elle ne pouvait donc pas participer à cela. Elle n'en était pas capable. Jorge le comprit et l'accepta. Elle hocha la tête quand il parla des risques encourus. « ça penche dans la balance, en effet. » Se faire tabasser n'était clairement pas dans ses projets. Pourtant, elle ne comptait pas se défiler totalement. Elle était prête à lui lâcher les informations nécessaires, lui donner des pistes pour mener à bien son plan. Même si là, il ne jouait pas avec un bisounours. Mais Jorge n'avait pas l'air d'être impressionné. Au contraire, ça lui permettrait de rencontrer d'autres connards, comme il le disait. « Là, tu risques de bien allonger ta liste des connards. » assura-t-elle. Elle savait que certains d'entre eux avaient la police collée à leurs derrières. Mais avant qu'ils ne se fassent coffrer, la route était encore bien longue... Jorge avait tout le temps nécessaire pour se lancer dans la gueule du loup. D'ailleurs, Tahlia lui conseilla de faire attention à lui, ce sur quoi il rétorqua directement en lui laissant comprendre qu'elle n'avait pas son mot à dire. « Non, je m'prends pas pour ta mère ! » lâcha-t-elle, avant d'enchaîner : « Je veux dire, je n'aimerai pas qu'il t'arrive quelque chose de mal, quoi... » La brune haussa les épaules, se disant que peut-être il n'accepterait pas plus ces paroles-là. Mais oui, elle se souciait peut-être pour lui. Quand même... Quand il reprit la parole, la brune se dérida un peu et répondit : « Je ne serai pas loin non plus ! Avec la voiture et la trousse de secours, si besoin... » Elle ne pouvait pas se contenter de donner les infos et le laisser faire sa vie...

Clairement, Tahlia se défilait. Mais pour une fois, elle réfléchissait à son sort avant de se lancer tête la première dans les embrouilles. Comme quoi, elle retenait certaines leçons. Jorge ne semblait pas lui en vouloir d'abandonner aussi près du but. Et dans quelques jours quand elle apprendra cette nouvelle qui changera sa vie, Tahlia saura que c'était la plus belle décision qu'elle aurait pu prendre. Mais ce n'était pas pour autant qu'elle le laissait totalement tomber. Loin de là. Elle secoua la tête quand il parla d'organisation. « Je ne pense pas que ce soit une organisation. Je dirais juste qu'il est à la tête d'un établissement où d'autres gars viennent mener à bien leurs sales affaires. Ça rapproche, à un moment ou un autre. » Qu'il se contente du patron et ce sera déjà une épine de moins. Après l'avoir mis en garde sur cette belle bande de connards, Tahlia lui demanda de faire attention à lui, ne voulant pas qu'une tuile lui tombe dessus. Et elle se fit remballer bien correctement. « On ne peut jamais rien te dire, à toi. » dit-elle avec un léger sourire, en secouant la tête. Elle ne disait rien de mal. Mais il fallait croire qu'il n'en avait rien à faire de l'intérêt que l'on pouvait lui porter. C'était un roc, ce gars. Un compromis sembla se dessiner toutefois, en plaçant Tahlia comme taxi et/ou infirmière. « J'espère aussi que tu auras juste besoin de la voiture et pas de la trousse à pharmacie. » Elle sourit de nouveau quand il dit qu'il ne chipotera pas pour une petite coupure. Une petite coupure, pour Jorge, ça devait être l'équivalent de l'arcade sourcilière défoncée ! Ils n'avaient sûrement pas le même degré de gravité. Puis il reprit la parole et se montra comme un hôte exemplaire en lui proposant quelque chose à boire : « Non ça va, merci, je ne vais pas tarder de toute manière. » Elle se mordilla la lèvre, comme si elle hésitait à demander quelque chose, mais finit par se lancer : « Dis-moi Jorge, je peux te poser une question... un peu indiscrète ? » Soit il lui laissait l'occasion d'au moins poser sa question, soit elle se faisait directement recadrer.

ALors que ça partait d'une bonne intention, Tahlia se fit clairement remballer avec ses conseils comme quoi il devait faire attention. Mais elle n'en tenait pas rigueur, comprenant un peu la manière dont il agissait. Heureusement qu'elle n'était pas susceptible, sinon elle aurait depuis longtemps laissé tomber avec lui. Elle fit même un trait d'humour - faisant quand même passer un message - en lui disant qu'on ne pouvait jamais rien lui dire. Mots qu'il confirma. "Oh pour une fois que nous sommes d'accord sur quelque chose..." dit-elle en souriant. En tout cas, le compromis était scellé. Même si elle ne le suivrait pas sur le lieu, elle se portait volontaire pour jouer le taxi et l'infirmière, si besoin. "On va rester sur la trousse à pharmacie." Elle ne voulait pas qu'il passe par la case hôpital pour une telle ordure. Alors qu'il lui demanda si elle voulait boire quelque chose, la jeune femme refusa. Cela aurait peut-être dû signer la fin de la conversation et pousser Tahlia vers la sortie de l'appartement. Mais elle s'y résigna. Une question lui brûlait les lèvres depuis un moment, maintenant. Une question qui lui permettrait de mieux comprendre pourquoi Jorge avait un caractère aussi sauvage. Mais c'était une question délicate, à laquelle il pouvait très bien refuser de répondre. "Il t'est arrivé quoi ?" demanda-t-elle en posant son regard sur lui. Beaucoup devaient détourner le regard face à Jorge, face à son visage abîmé par la vie, mais Tahlia, quant à elle, souhaitait connaître son histoire.

Comme quoi, tout est possible, faillit-elle ajouter. Mais c'était vrai qu'ils étaient à mille lieues l'un de l'autre et c'était sûrement pour cela qu'ils avaient autant de mal à communiquer. Même s'il y avait de l'amélioration, avouons-le... Sinon elle ne se serait jamais retrouvée ici, dans l'appartement de Jorge, à une heure bien peu convenable, afin d'établir des plans. Des plans au sein desquels son rôle serait bien minime. Il l'avait compris. Il avait compris qu'elle n'avait plus envie de jouer avec sa vie. Elle avait trop souffert, ces derniers mois et elle avait envie de penser à elle. Alors qu'il était sûrement temps de rentrer chez soi, Tahlia se permit toutefois de poser une question. Une question probablement indiscrète mais qui ne sembla pas vraiment déstabiliser Jorge. Au contraire, il pensait qu'elle était déjà au courant de tout. "Non, je ne le sais pas." dit-elle, tout d'abord. Puis il lui avoua que c'était un accident. Un accident de la route, après une soirée bien trop alcoolisée. "C'est pour ça que tu ne prends plus d'alcool..." Elle comprenait mieux le coca et le débat sur les boissons alcoolisées. Elle ne préféra rien dire sur l'accident même, ne voulant pas qu'il prenne cela pour de la pitié ou autre message social qu'il n'assimilait pas trop. Mais dans le regard de Tahlia, on pouvait voir davantage de compréhension. Elle fut toutefois surprise quand il évoqua son dossier détenu par la police. "Tu crois que j'ai lu ton dossier ?" demanda-t-elle, en premier. "Oui c'est sûrement marqué, mais pour ma part, je n'ai pas jeté un oeil. Cela aurait été déplacé." N'oublions pas qu'il était celui qui l'avait extirpé des poings agressifs des deux hommes qui voulaient la peau de la brune. En échange, elle se devait de ne pas fouiller de trop dans le passé de Jorge. Cela avait été donnant-donnant. "Il y avait des choses que j'aurais dû découvrir ?" questionna-t-elle toutefois, plutôt sur le ton de la blague.