Broken arm, broken heart (Rosemary)

Ses dernières semaines, Alba ne se posait pas vraiment. Entre la galerie qui commençait à tourner, la peur pour Karl, et ses rendez-vous avec la belle Freja, Alba menait une vie mouvementée. Mais c’était ce qu’il lui fallait. Elle le savait que si elle restait trop inactive, ses pensées iraient en direction de son ex et ça elle ne le voulait pas. Elle avait perdu l’habitude à Brisbane de penser à lui, là il envahissait ses pensées. Elle avait peur de le croiser dans la rue en compagnie de Blanche. Elle avait peur d’être méchante. Alors elle occupait ses journées. Il était environ dix-sept heures et Jonah était sorti de l’école. Alba avait appelé Rosemary, cette jeune femme douce qui s’occupait bien de Jonah pour aller le chercher exceptionnellement. La blonde voulait prendre quelques heures pour s’occuper du shooting photo qu’elle avait fait avec Freja. Une petite musique d’ambiance, Alba profitait de ce calme et souriait heureuse de faire ce qu’elle avait toujours aimé. Les photos. Les clichés étaient magnifiques mais pas autant que le modèle. Tout scintillait de beauté, ses yeux, ses cheveux, ce corps et Alba profitait allégrement de ses clichés pour fantasmer un peu sur Freja. Mais ce calme s’interrompu lorsque Rosemary appela Alba. Son fils, son amour était à l’hôpital parce qu’il s’était blessé. Rien de grave. Mais le cœur d’Alba s’arrêta. Elle ne prit pas le temps d’en savoir plus, elle fonça vers sa voiture et roula à forte allure à l’hôpital où l’attendait Rosemary. « Qu’est-ce qui s’est passé ? » Sa voix était forte, un peu autoritaire. Mais Alba avait surtout peur.

Rosemary avait commis une horrible bêtise et chaque seconde passée dans la salle d’attente de cet hôpital lui rappelait ô combien elle était stupide et bonne à rien. Quelle folie que d’apprendre à un garçon si jeune à faire du skate, elle s’en rendait bien compte à présent que le mal était fait. Mais Jonah s’était montré si enthousiaste lorsqu’elle était arrivée à la demeure des Jensen sur son pennyboard, un petit skate en plastique facilement transportable, qu’elle n’avait pu le lui refuser. Un peu d’exercice physique, se disait-elle, ce serait toujours mieux que de passer la journée devant la télévision, non? Hélas, malgré toutes les précautions de la jeune femme, le garçon avait fait un faux mouvement et s’était retrouvé à manger l’asphalte, ses bras repliés contre lui-même en guise de protection. La suite des événements, elle ne s’en souvenait guère. Entre le taxi qu’elle avait dû appeler d’urgence pour les emmener à l’hôpital et l’appel à Alba, la mère du gamin, tout lui semblait confus et chaotique. À présent qu’un médecin s’occupait de Jonah, Rosemary se retenait de ne pas se ronger les ongles jusqu’à la peau tant elle craignait la réaction de la mère, qui devait arriver d’une minute à l’autre. Bien sûr, l’enfant n’était pas en danger de mort, peut-être avait-il simplement un bras cassé ou quelque chose comme ça, rien d’irréversible. Mais elle s’en voulait terriblement. Les pleurs de Jonah pendant le trajet l’avaient secouée. Soudain, une silhouette s’avança vers elle. Une infirmière? Non. Alba. Aussitôt, Rosemary bondit de sa chaise, la question de l’autre femme sonnant à ses oreilles comme une accusation cachée. « Je… Ils sont encore en train de l’examiner. Je crois que Jonah s’est cassé le bras. » Elle croyait? Ridicule. « Je suis vraiment désolée, je n’aurais pas dû, je… » Elle se sentait tellement coupable qu’elle était incapable de lui expliquer de manière calme ce qui s’était passé. Si seulement le plancher pouvait l’avaler et la faire disparaître de la surface de la Terre…

Avec le temps, Alba avait appris à moins s’inquiéter pour son fils. Pendant des mois, elle avait eu du mal à couper le cordon et à laisser son fils avec une nounou. Léo l’avait un peu aidé lui proposant parfois quelques sorties. Le fait d’avoir été abandonnée enfant ne l’aidait pas. Tout ce qu’elle voulait c’était que son fils ne ressente jamais ce qu’elle avait vécu. Maintenant Jonah avait quatre ans et Alba arrivait à le voir partir, à ne pas être constamment en train de penser à lui. Mais, il y avait toujours cette petite angoisse. Et quand le numéro de Rosemary s’était affiché, l’angoisse était réapparu aussi vite qu’une fusée. Son petit chaton était à l’hôpital. La photographe n’avait pas hésité une seule seconde a laissé son travail en plan. Le chemin était long et les feux rouges s’étaient donné le mot aujourd’hui pour embêter Alba. Quand elle arriva à l’hôpital elle vit Rosemary et Alba reconnaissait cette inquiétude. La jeune femme était aussi inquiète que la maman. Peut-être avait-elle peur d’être virée ou peut-être avait-elle peur pour Jonah. Et même si Alba aurait voulu paraître plus gentille, elle n’y arrivait pas. C’était son fils à l’hôpital alors qu’il était sous la responsabilité de Rosemary. Et forcément Alba voulait des explications. Le bras cassé, ça aurait pu être pire. Ce n’était qu’un bras mais Alba s’imaginait le mal qu’il pouvait ressentir et la peur aussi d’être seul. Et Rosemary semblait à bout de nerf. « Comment il a fait ça ? » On ne se cassait pas un bras en ne faisant rien. Jonah avait dû faire quelque chose, tombé. Son petit casse-cou de fils avait peut-être eu envie de monter à un arbre pour s’approcher du ciel. Cela étonnerait même pas Alba. « Viens on va le rejoindre, il doit être effrayé. » En soit, que Jonah se casse quelque ce n’était pas si grave. C’était presque normal qu’un enfant se casse un jour un bras ou une jambe. Mais là il était seul dans sa chambre d’hôpital et surement effrayé. Et Alba aurait bien voulu que Rosemary soit avec lui plutôt que d’attendre la maman en colère dans la salle d’attente. En arrivant dans la salle, Jonah pleurait. « Oh mon chaton. » Elle avançait vers lui et Jonah se blottissait dans les bras de sa maman. Puis il releva son petit visage pour regarder sa baby-sitter. « On pourra recommencer quand même quand j’irai mieux ? » Et Alba rigolait. Son fils était un véritable casse-cou.

Peut-être s’en faisait-elle trop pour quelque chose qui n’était au final pas si grave que ça. Un accident, ça arrivait, malgré toutes les précautions du monde. Personne n’y était immunisé, surtout pas les enfants. En tant que babysitter, elle le savait parfaitement. Et pourtant, elle ne pouvait s’empêcher de s’en vouloir. Parce que pendant quelques heures, elle était l’unique adulte en charge de Jonah. Parce qu’elle se fixait des attentes bien trop élevées, impossibles à satisfaire. Les yeux baissés, la jeune femme tenta d’expliquer ce qui s’était passé à la mère : « J’ai voulu lui apprendre à faire du skate et il est tombé. Je suis désolée, j’aurais dû… » l’en empêcher. Mais sa voix s’éteignit, trop faible pour continuer. Car bien qu’Alba semblât inquiète, elle ne semblait pas réellement furieuse. À croire que la seule personne prête à la gifler, lui arracher les yeux et lui infliger mille sévices… était Rosemary elle-même. « Oui, allons-y, » souffla-t-elle, encore choquée de la tournure des événements. « Pardon, j’aurais peut-être dû rester auprès de Jonah? » Elle s’excusait encore, comme si la seule parole d’Alba pouvait l’absoudre. Tandis qu’elle la suivait jusqu’à la chambre de son fils, elle serra et desserra les poings dans l’espoir de se calmer les nerfs, avec plus ou moins de succès. Dans la chambre, elle observa, un peu en retrait, la réunion entre la mère et le fils. La question toute candide de Jonah à la fois l’émut et la prit de court. Alors, il était prêt à recommencer, malgré sa vilaine chute? Les enfants, une source inépuisable d’émerveillement. Alba riait de bon cœur, toute trace d’inquiétude disparue de son visage, de sa gestuelle. Rosemary aurait aimé être capable d’une telle allégresse. Seul un sourire fatigué fleurit sur ses traits pâles, presque translucides. Un fantôme dans l’attente d’un avenir meilleur qui, peut-être, n’arriverait jamais. « Eh bien, quand tu iras mieux, je suppose que oui. Enfin, si ta mère n’y voit pas d’objections? » Elle tourna la tête vers l’autre femme, le regard quasi craintif. Si elle devait être renvoyée, ce serait maintenant que ça se passerait.  

Même quand Alba était très détendue, il y avait toujours ce petit radar aux aguets d’angoisse pour Jonah. Avant lui, elle ne s’était jamais inquiétée autant, sauf peut-être pour Karl. Chaque fois qu’on l’appelait et que son fils n’était pas prêt d’elle, il y avait cette boule d’angoisse qui remontait, mais souvent s’éteignait parce que son fils n’avait rien. Sauf aujourd’hui. En arrivant à l’hôpital, c’était une maman effrayée et un peu effrayante qui ressortait. Avant tout Alba voulait voir son fils, mais comme Rosemary était là dans la salle à l’attendre, elle demanda quelques explications priant pour qu’il n’y ait rien de grave. Il était tombé en skate. Il n’était pas un peu trop jeune pour faire du skate ? Mais elle connaissait bien son fils, casse-cou et curieux, ça ne l’étonnait presque pas qu’il ait décidé d’en faire. La petite boule d’angoisse était toujours là, parce qu’elle ignorait la gravité de ses blessures. « Du skate ? » Demanda-t-elle peut-être un peu trop froidement et Alba regrettait sur le coup, parce qu’elle savait que ça arrivait souvent à ce que des enfants se fassent mal. Pour le moment, la seule chose qu’elle pouvait reprocher à Rosemary c’était d’avoir laissé Jonah seul dans une chambre d’hôpital avec personne autour de lui qui le connaissait. « Oui. » Répondait-elle, oui elle aurait dû rester auprès de lui. Mais Alba n’allait pas la descendre plus bas que terre surtout que vu le visage de la jeune femme, elle devait être encore plus mal qu’Alba. Un employé de l’hôpital les emmenèrent dans la chambre du petit garçon qui pleurait. Le cœur d’Alba lui fit mal, mal de voir son fils avec les joues remplies de larmes, alors Alba le prit dans ses bras évitant de lui faire mal. Pendant quelques secondes elle oublia Rosemary heureuse de constater que son fils, à part un bras cassé, n’avait rien de grave. Jonah profite de l’étreinte maternelle pendant quelques minutes avant de relever son jolie minois pour s’adresser à sa babysitter qu’il aimait bien. Alba eut un sourire qui s’élargissait en voyant la surprise de Rosemary. Elle ne s’y était pas attendue. Elle répondait doucement et Jonah regardait sa mère avec tendresse pour qu’elle accepte. « Ok mais pas tout de suite hein, tu dois guérir. » Il hochait la tête avant de se reposer sur le lit. Puis elle se retourna vers Rosemary. L’angoisse avait un peu disparu et Alba essayait d’être bienveillante. « La prochaine fois, on fera en sorte qu’il ait des meilleures protections. » Disait-elle en riant légèrement. Elle se doutait bien que Rosemary ne l’avait pas laissé faire du skate sans rien, mais Alba pensait plus à des tonnes de coussin, voir même une armure entière. Puis elle se levait vers Rosemary qui avait l’air triste, affolée. « Ce sont des choses qui arrivent, ok ? La prochaine fois, fais juste un peu plus attention. » Alba n’était pas méchante et Jonah adorait Rosemary, elle n’allait pas la virer pour une chute certes douloureuse mais qui aurait pu arriver dans n’importe quelle situation.</blockquote>

La jeune femme se mordilla la lèvre inférieure, mauvaise habitude qui l’accompagnait depuis ses jeunes années et qui trahissait toute son anxiété. Comme une élève piteuse, forcée de répondre au problème mathématique devant toute la classe alors qu’elle n’y avait rien compris, elle expliqua la situation à Alba qui l’écoutait sans manifester la moindre compassion à son égard. Normal, elle lui avait confié son enfant pour quelques heures et voilà qu’elle apprenait qu’il s’était cassé le bras. Pas de quoi féliciter Rosemary. Cette dernière hocha la tête. « Oui. J’en fais moi-même et je lui ai montré les bases. Bien sûr, je le surveillais et il portait les protections nécessaires : casque, protège-genoux, etc. Mais personne n’est à l’abri d’une mauvaise chute, surtout la première fois. » Elle esquissa un sourire triste. Elle-même était tombée un nombre incalculable de fois, à ses débuts. Comme tout le monde, d’ailleurs. C’était en tombant qu’on apprenait de ses erreurs. Elle regrettait juste que la première expérience de Jonah se soit soldée par un bras cassé. Elle approuva en silence les propos d’Alba, qui parlait de meilleures protections. Cela signifiait-il qu’il y avait de l’espoir pour Rosemary? Pourrait-elle continuer à s’occuper de Jonah? Elle s’était attachée à ce gamin, mine de rien. Elle serait dévastée d’être renvoyée, oui, même si elle n’avait décidément pas pris les meilleures décisions de sa vie aujourd’hui. Enfin, Alba se tourna vers et elle, comme pour rendre son verdict. « Naturellement, » s’empressa-t-elle de répondre, sincèrement soulagée. Pour ne pas inquiéter le garçon qui les écoutait, elle plaisanta : « Vous avez compris, jeune homme? Plus de folies. » Le poids sur ses épaules semblant s’être résorbé, elle ajouta à l’adresse de la photographe : « J’espère que cet incident n’a pas interrompu quelque chose d’important? » La vie privée d’Alba ne la regardait en rien, certes, mais elle sentait que c’était la chose à demander, par pure politesse.

A part le gros chagrin de Jonah à cause de la douleur dans cette chambre d’hôpital, les chose se passaient bien. Elle avait eu peur Alba, mais ce n’était qu’un bras cassé. Il aurait mal pendant plusieurs jours. Mais la maman sera au petit soin pour son fils. Il fallait juste qu’elle l’annonce à Léo maintenant. Elle appréhendait un peu sa réaction, leur relation ne tenant encore qu’à un fils, elle avait peur que ça dégénère. Depuis qu’elle était de retour à Bowen, Jonah était très heureux, mais il avait déjà disparu de la surveillance d’Alba pendant Halloween et maintenant un bras cassé. Alors qu’à Brisbane il ne s’était jamais rien passé de ce genre. Mais son petit casse-cou voulait recommencer. Il souriait à Rosemary. Il était tellement adorable et il voulait rassurer sa baby-sitter. Elle n’allait pas Alba, rajouter de culpabilité à Rosemary. Mais elle vérifierait quand même la prochaine fois les protections quitte à faire ressembler Jonah à un gros bonhomme. Elle écoutait les explications de la petite brune, pendant qu’elle caressait tendrement les cheveux de son fils, pour l’aider à s’apaiser voir à s’endormir. « C’est sûr, je me suis cassée aussi le bras vers son âge. » Disait-elle en riant et se tournant vers son fils qui avait été attentif à cet anecdote. S’approchant de Rosemary, Alba comptait parler un peu plus sérieusement, histoire de vérifier que ce genre d’accident reste très occasionnel. Elle avait appris avec le temps à relativiser même si elle ne pouvait s’empêcher de s’inquiéter. Elle ne lui en voulait pas pour la chute, loin de là. Au final, elle lui en voulait plus d’avoir laissé son fils seul dans cette chambre que de la chute elle-même. Une petite pointe de culpabilité naissait. La blonde ne travaillait pas cet après-midi, elle en avait profité pour s’occuper de ces photos. Si elle avait reporté sa séance, peut-être que Jonah ne se serait pas fait mal. Elle hocha la tête avant de reporter son attention dans la chambre d’hôpital. « Oui d’accord Rose. » Disait-il timide. Jonah adorait les surnom et Rosemary devenait Rose, parce que le prénom entier était bien trop longtemps. Elle se retournait vers la petite brune. Si ça avait interrompu quelque chose. Elle développait les photos de Freja lors de leur shooting. Mais même si elle avait apprécié la moment, de pouvoir regarder cette belle femme dans le plus grand des secrets, son fils était bien plus important. « Non non, ne t’inquiète pas. » Elle lui souriait. « Tu peux rentrer si tu le souhaites. Je ne vais pas reprendre le travail cet après-midi. » Mais si elle voulait rester un peu, elle était la bienvenue, Jonah serait heureux d’avoir plein d’attention rien que pour lui.

Alba câlinait son fils pendant qu’elle écoutait les explications de la babysitter, qui tentait de se rattraper tant bien que mal après ses deux erreurs de la journée, à savoir la blessure de Jonas et son absence dans la chambre de ce dernier. Elle ne savait pas comment elle avait pu être aussi stupide, mais venant d’elle, était-ce si étonnant? Elle en venait même à se demander pourquoi l’autre femme ne la congédiait pas sur-le-champ. Par bonté? Par indulgence? Un peu de tout cela? En tout cas, la brunette ne pouvait que lui en être reconnaissante. Elle tâcherait de ne plus commettre d’erreurs grosses comme la lune, désormais. Un sourire amusé illumina le visage fatigué de la jeune femme. Presque tous les enfants dont elle avait la charge la surnommaient Rose plutôt que Rosemary; on pouvait dire qu’elle avait l’habitude. Elle acquiesça de la tête, tant mieux si elle n’avait pas interrompu quelque chose d’important pour Alba. Ça aurait été la cerise sur le gâteau. Elle eut un nouveau sourire; ça lui aurait fait plaisir encore un peu, mais maintenant que Jonas avait retrouvé sa maman, elle ne se voyait pas imposer sa présence. Et puis, toutes ces émotions fortes l’avaient épuisée, mine de rien. Elle rêvait d’une douche brûlante et d’une soirée à dévorer un livre, confortablement assise dans son lit. « C’est gentil, mais je crois que je vais rentrer. Bonne soirée à vous deux. » Dans l’embrasure de la porte, elle se retourna un instant, sa main levée en guise de salutation, et souffla : « Et merci. » De ne pas lui en tenir rigueur. De lui accorder une seconde chance. Malgré tout.