Hanté par le passé, pressé d'avoir Alzheimer ft. Penelope Russell

Manwë était revenu en ville depuis quelques semaines déjà et c’était bien la première fois qu’il n’était pas dans l’urgence. Il avait fait un séjour au poste de police pour le meurtre de son père avant d’être innocenté, avait découvert sa boutique vandalisé et avait dû déblayer le chantier pour commencer à y voir plus clair dans les travaux à venir et il avait dû déménager car son propriétaire ne voulait plus de lui. Affronter famille et amis avait été le plus compliqué, il se voyait aisément vive reclus pendant un long laps de temps, se faire oublier… Il s’en fichait pas mal qu’on le déteste, qu’on l’accuse d’avoir commis un assassinat monstrueux, parce qu’il ne regrette pas ce qu’il a fait. Ce qui est difficile pour lui, c’est de mentir à ses proches, se dire innocent alors qu’il sait très bien ce qu’il a fait.

Ce matin, il s’était réveillé avec cette étrange sensation de n’avoir rien d’important à faire. Il aurait pu rester dans son mobile-home, c’est ce qu’il avait fait ces derniers mois, tout le temps durant de sa cavale. Alors, il est vrai qu’il avait envie de prendre l’air, sans pour autant croiser des gens. Un casse-tête en somme, pas pour cet homme qui a passé toute sa vie à Bowen et qui, à cette saison, sait les abords de la rivière tranquilles. Il attendait les lumières du crépuscule, beaucoup moins nocives pour ses yeux malades et il s’était rendu sur les lieux en toute discrétion.

Il avait trouvé un point confortable, à l’ombre d’un grand acacia en fin de floraison. Un point parfait pour tirer de son sac à dos un bloc de dessin et un simple crayon à papier. Le carbone s’effrite sur la feuille tandis qu’il étire doucement les lignes d’un visage, il ne saurait dire qui est cette femme… Peut-être un mélange des souvenirs de sa mère, d’une femme croisée dans la rue récemment et son imagination. Les visages, c’est ce qu’il dessine le mieux. Dans le moindre détail ou dans la caricature, ces gestes sont fluides, il prend le temps de faire les ombres, de faire ressortir le grain de la peau sans pour autant la saturer… Il faut laisser respirer le dessin.

Rien ne pouvait le tirer de ses songes, son air concentré ne le quittait pas. Contrairement aux apparences, cette activité le détendait grandement. S’il n’est pas fan des grandes lumières, il lui en fallait un minimum pour dessiner correctement, alors quand quelqu’un vint se poster dans son rayon de lumière, il fut bien obligé de lever ses yeux verts sur le responsable. Ses sourcils s’envolent à la surprise de reconnaitre nulle autre que Pénélope. Il y a bien longtemps qu’ils ne se sont pas vus, il faut dire qu’ils n’ont jamais eu grand-chose à se dire. “ Hm… Salut. “ Il ne s’attend pas à ce qu’elle s’attarde pour faire la conversation avec lui, elle doit le penser coupable, monstrueux, comme la plupart des gens. Il s’est vite habitué au fait que les gens change de trottoir à sa simple vue, il pourra porter capuches et longer les murs, il se sentira longtemps menacé… Pourtant… Quelle bande d’hypocrites…. Car personne n’a jamais pu blairer son père, un homme de trafic et coupable de féminicides, ouais… À croire que les gens ont la mémoire courte. " J'peux t'aider ? " qu'il s'étonne en la voyant pas poursuivre sa route, à moins qu'elle n'ai pas suivit les derniers rebondissements et soit resté au stade de l'histoire où les habitants de Bowen le pensaient mort... Même s'il n'a pas envie de parler de tout ça, il doit bien s'avouer que malgré qu'il ait toujours été plutôt asocial, il se sent assez seul depuis quelques mois.

Ce serait mentir que prétendre qu’il n’avait rien vu de la femme, il ne savait pas trop ce qu’elle bricolait dans la rivière, ce genre d’art le dépasse complètement. Il n’avait pas une vue particulièrement excellente, mais il voyait suffisamment pour avoir remarqué un détail de taille… Il s’était légèrement incliné pour l’oublier, parce qu’il n’était pas un foutu voyeur et qu’il était occupé à autre chose. Les minutes s’égrainaient, jusqu’à ce qu’elle vienne empiéter sur sa lumière. Pénélope, il aurait peu de choses à dire sur elle, parce qu’ils ne se sont que très peu adressé la parole. Oui, elle a épousé l’un des meilleurs gars de la ville. Du moins, aux yeux de Man’. Parce que Marcus et Manwë, c’était une vieille amitié. De celle qui remontent à l’enfance, à l’époque des coups reçus par son père et d’un jeune adolescent calciné qui trouvait refuge chez les O’Brian. Avec Marc’ c’était à la vie, à la mort, Manwë s’était souvent battu pour défendre l’Irlandais, pris les sanctions parce qu’il n’était plus à ça près. Personne ne comprenait leur amitié, le loustic hyperactif et violent, avec un gars plutôt sociable, calme et populaire. Avec le temps, Man était devenu un poil moins impulsif et Marcus était devenu quelqu’un d’important dans cette ville avec ce bar. Ils se voyaient moins, mais ils pouvaient compter l’un sur l’autre…

Il est vrai qu’il n’avait pas fait d’effort pour s’entendre avec Pénélope, pour lui, le mariage est tant une erreur qu’il était persuadé au premier jour que ça ne durerait pas…

Seul un grognement et un haussement d’épaule servirent de réponse lorsqu’elle souligna le fait qu’il dessinait. Personne ne s'imagine que le brun soit capable d’activité artistique qui demande une grande sensibilité, comme dessiner ou la musique… Il avait l’habitude qu’on le juge et ne pas réagir, du moins, il s’en efforçait. Ses yeux hazel ne quittaient pas la blonde tandis qu’elle ajoutait une phrase qui étirait doucement ses lèvres en un léger sourire “ Il faut croire que j’avais déjà cette sale tronche il y a dix ans. “ Et même si ce n’était pas son genre de faire des compliments… “ Et toi, c’est quoi le deal ? T’as oublié de vieillir ? “ Il n’oublie jamais un visage, bien sur qu’elle a peu vieilli, mais certainement pas autant que lui. Il faut dire que tout ce qu’il a traversé ses derniers temps l’ont marqué, la tourmente est imprimée sur son visage. “ A moins que ce soit les baignades à poils dans la rivière…. J’imagine que le froid ça tonifie ou ça conserve ? Un secret de bonne femme ?  “ Trop direct pour faire comme s’il n’avait rien vu, parce qu’il imagine qu’elle s’inquiète de cela, il n’arrive pas à s’imaginer qu’elle puisse vouloir faire la conversation avec lui. Il aurait pu lui demander quel bon vent la ramène à Bowen, mais il imagine qu’elle n’a aucune envie de lui raconter sa vie non plus. Il est comme ça Man’, un peu trop réaliste, un peu trop cruel envers lui-même parce qu’il est lucide sur ce que la vie a fait de lui.

Ne distinguant pas les couleurs, Man’ ne pu voir la blonde rougir concernant la nudité de la jeune femme, il ne précise pas qu’il n’a pas vu grand-chose de là où il était, que de toutes manières, sa vue était de moins en moins perçante… Mentalement, il ne parvenait pas encore à se faire à l’idée de sa future cécité. Cela pourrait arriver demain comme dans dix ans. Pourtant, pas d’une nature optimiste, il espère néanmoins que ça n’arrivera pas de si tôt. “ Je passe mon tour. “ Dit-il avec un brin d’humour lorsqu’elle laisse entendre que les baignades glacées permettent de rester jeune et si reconnaissable dix ans plus tard, comme si le temps n’était pas réellement passé par là.

Le brun se trouvait malheureusement vite à court de conversation, il ne connait pas grand-chose de la vie de la belle Penny, pas même son art. Il ne s’intéresse pas particulièrement à ce que les autres fabriquent de leurs vies, surtout ceux qui ne lui sont pas proches. Il a bien l’impression qu’il en est de même pour la blonde, vu son commentaire… Elle ne savait apparemment pas encore qu’il était devenu le paria de Bowen. “ J’étais vaguement au courant, j’ai pas vu Marc’ depuis quelques mois… “ Il se dit qu’il devrait lui rendre visite, mais ça ne lui ferait pas une bonne pub pour son bar, quoi que… Le Elm est le genre de repaire où tout le monde peut se rendre, même les raclures… Man’ évitait de voir son ami d’enfance depuis l’assassinat de son père, il faisait le mort, parce que Marcus savait que c’était bien Manwë qui avait commis l’irréparable.

“ T’as pas l’air au courant, toi… Mon père est mort, toute la ville est persuadée que j’l’ai tué et il ne fait pas bon d’être vu en ma compagnie… J’veux dire… Plus qu’avant. “ Il avait toujours eu une réputation de mec louche, un peu violent, mais on lui pardonnait souvent parce que tout le monde savait qu’il avait eut ce que l’on appelle communément une sacrée vie de merde. Un meurtre, même celui d’un monstre comme l’était son père, change la donne, la peur crée un fossé. Il a beau avoir été innocenté, le soupçon pèse lourdement. “ Je comprendrai que la nouvelle te donne envie de filer le plus loin possible. “ Il s’en remettra, il s’est vite habitué à ce que les gens changent de trottoir en le voyant arriver. La solitude, ça le connait, même si parfois même pour lui c’est pesant, il ne l’admettra jamais. “ Mais… Avant de partir, tu peux m’dire comment il va, Marcus ? “ Ils ne sont pas fâchés pourtant, loin de là, il sait qu’il merde en jouant les fantômes, mais il n’est pas expert en amitié, tout le monde le sait bien…

Le silence ne le dérange pas habituellement, mais il commence à se dire qu’il a probablement balancé beaucoup trop d’infos d’un coup. C’est que personne n’a vraiment l’habitude de le voir aussi loquace, alors pour Pénélope, c’est sans doute une grande première. Alors il s’étonne grandement de la voir s’installer à ses côtés. Au moins, Marcus va bien, aussi bien qu’un Marcus puisse aller. Son ami a toujours été un peu spécial, Manwë aussi, mais Marc… Il avait cette mélancolie presque maladive…

Il esquisse un sourire en coin, face à la question. Il soupire doucement, faisant tourner son crayon entre ses doigts avant de poser son regard sur le dessin qu’elle lorgnait également. “ Elle était belle, hm ? Enfin je crois… J’étais jeune quand elle est morte, je crois que j’enjolive ses traits… Elle avait des cernes et elle était bien plus creusée. Ouais… Elle était sans doute laide. “ Mais il a pas vraiment envie de s’en souvenir comme ça, l’artiste a le pouvoir de changer les choses, de transformer la réalité pour la rendre plus douce. Pourquoi s’en priver ? “ Mon père l’a tué… “ Parce qu’il était bien plus laid encore. Le tatoué soupire, relevant son regard vers la blonde “ Alors, quand il est sorti de taule tout le monde pensait que j’allais le tuer. Et… Un peu plus d’un an plus tard, il est mort. Alors ouais, tous les regards se sont tournés vers ce vieil et affreux Manwë. “ Il est censé ajouter que ce n’était pas lui, mais il ne dit rien de tel pour le moment ; il se contente de lâcher un léger rire de sarcasme. “ Ça leur passera… “ Il adresse à Pénélope un clin d’oeil amusé, pas de quoi s’alarmer. Sa petite vie est une vraie comédie dramatique, mais tout le monde s’en fou, ils ont juste peur pour leurs propres petites vies. “ Pourquoi t’es revenue ? “ La question n’est pas là par hasard, il souhaite savoir, mais cela permet surtout de parler d’autre chose que lui.

Est-ce que ça leur passera vraiment ? Il n’en sait rien, lui, doit vivre avec ça. Même s’il ne regrette pas son geste, un meurtre, ça vous change un homme, même lui. Le brun écoute la jeune femme lui dire que personne n’est habilité à juger la situation familiale des Keynes, c’était une affirmation assez inattendue. “ Les gens ont un avis sur tout et n’importe quoi… Ça ne m’a jamais vraiment importé. “ Elle était l’exemple vivant qu’il n’était pas du genre à se forcer pour les autres, c’est à peine s’il lui avait vraiment adressé la parole au début de sa relation avec Marcus. Ce qu’elle ignore, c’est qu’à l’époque il savait qu’elle avait également fricoté avec Tyler et qu’il s’était abstenu d’intervenir. L’amour, voilà bien ce qui mène chacun à sa chute depuis la nuit des temps.

“ Hm… “ Il ne savait pas vraiment comment réagir face à l’annonce du cancer de son père, pour Man’, il faut bien mourir de quelque chose. La maladie, il a connu ça toute sa vie, alors il sait aussi que le monde hospitalier n’est pas le plus agréable qui soit. Il eut un léger rictus en pensant à Marc’, ce gars était beaucoup trop dévoué. Manwë était hypocrite de prétendre ne pas l’être aussi, mais à sa manière. “ Malgré tout. C’est plus fort que lui. “ Man’ mentirait de dire qu’il n’a jamais reçu d’aide de Marcus, lorsqu’ils étaient gamins, c’était chez lui qu’il se réfugiait, loin des coups de son monstre de père. “ Désolé pour ton père, c’est ce genre de choses qu’on dit ? “ Lui, il aurait bien aimé que mon paternel se fasse ronger par une saloperie de cancer, mais aucune maladie n’a aussi s’attaquer à lui.

- Tout va bien Mademoiselle ?!

Ses yeux verts se lèvent vers l’autre côté de la rive, un vieux bonhomme se tient là avec ses ridicules bâtons de marche. Il a bien reconnu Manwë et semble s’inquiéter de voir une belle personne en sa néfaste et ignoble compagnie. Le luthier ne pu contenir un rire de sarcasme, il tourne la tête vers son interlocutrice “ Tu crois qu’il traverse à la nage si on fait semblant que je te menace ? “ Il avait bien envie de voir ça, c’était l’anarchiste qu’il avait toujours été : provoquant, je m'en foutiste et sans crainte, aucune.

Les yeux de Penelope suivent distraitement le crayon de Manwë. Elle n'a pas grand chose de prévu aujourd'hui, traîner encore un peu dans la nature ne la dérange pas outre mesure. Même si c'est avec quelqu'un qu'elle sait bien plus sauvage qu'elle. "Je sais." Elle non plus, n'y a jamais vraiment attaché d'importance ; malgré son métier, où l'avis d'autrui compte presque autant que celui de l'artiste qui crée.
Un léger sourire étire les lèvres de Penelope. C'est peut-être plus fort que Marcus d'aider les personnes qui gravitent autour de lui, mais la blonde continue de penser qu'elle ne mérite pas un quart de ce qu'il lui donne. Peut-être même rien du tout. Elle allait répondre un mou "Merci" à la compassion de Manwë, mais une voix vient interrompre leur conversation au même moment. Sourcils froncés, Penny est obligée de se cacher du soleil pour voir qui leur adresse la parole. S'inquiète-t-il pour elle parce qu'elle est en présence d'un homme soupçonné de meurtre ? Manwë a l'air plus amusé qu'autre chose, et même si Penelope aurait adoré suivre son idée délurée, elle n'est pas assez en forme mentalement pour se jouer d'un inconnu. "Attends..." fait-elle à Man'. "C'est plutôt à lui que vous devriez poser la question, vu que je le soule de paroles !" lance-t-elle d'une voix forte, pour que le vieillard en face l'entende. Il secoue la tête, l'air de dire "la jeunesse" et continue son chemin. Attendant qu'il air disparu de leur champ de vision, Penny laisse échapper un petit rire. "Je suppose que tu dois bien te faire regarder de travers quand tu sors en ville..."

hj:

Elle sait, elle le connait, même si c’est de loin, elle a forcément beaucoup entendu parler de lui et réciproquement. Il la connait, il sait sans doute des choses sur elle dont elle n’a pas idée. Il ne la juge pas pour autant, parce qu’il ne croit pas en l’amour, même si par principe, il ne fait jamais dans les petites amoureuses des potes. Néanmoins, la conversation n’était pas aussi désagréable qu’il aurait pu l’imaginer s’il devait un jour converser avec Penny. Peut-être l’avait-il jugé trop sévèrement, ou bien n’avaient-ils tout simplement rien en commun à cette époque, que les choses ont peut-être changé.

Le vieillard sur la rive d’en face semblait s’inquiéter pour la sécurité de la blonde qui se lève pour gérer la situation. “ Faut croire que c’est le point de rendez-vous des emmerdeurs ici… “ Grognait-il dans sa barbe, il se comptait dans le lot.

Lorsqu’elle revient vers lui, il fit signe au vieil homme, afin de l’agacer un peu plus. C’est plus fort que lui, que tout le monde le d'esthète ne change pas vraiment ce qu’il est. Non, il pourrait même s’enfoncer dans les ténèbres, pour de bon… Plus rien ne le retient, il essaie encore, même si sa volonté de faire des efforts s’effrite de jour en jour.

“ Je suppose que c’est comme ça depuis toujours, sauf que les gens ne se cachent plus désormais. “ Il n’a jamais été populaire dans cette ville, il s'est fait une raison depuis fort longtemps. Le luthier adresse un sourire à son interlocutrice, sincère malgré les circonstances. Il ne veut pas qu’elle ait de la peine pour lui malgré le petit rire qu’elle avait eut plus tôt. “ Je n’ai jamais beaucoup sorti de ma grotte, de toutes manières… “ Il accompagne ses mots d’un haussement d’épaule. Même lorsqu’il était enfant, il passait plus de temps à fuir sa vie qu’à s’amuser. Il referme son calepin en soupirant. “ Un verre, ça te dis ? “ Il n’aurait jamais cru prononcer cette phrase à l’intention de Pénélope, mais il faut un début à tout parait-il…

Penelope hausse les épaules, dans un léger sourire. Elle n'a jamais fait et ne fera jamais partie de ces gens qui jugent les autres et s'alimentent du moindre ragot, quand bien même ce dernier se révèle être vrai. "Moi non plus, je sors pas beaucoup de ma grotte." Penny pince les lèvres, puis regarde tout autour d'eux. "Enfin... Si, mais pour venir me terrer dans une autre à l'air libre. Moins je croise de gens, mieux je me sens," confie-t-elle, en toute honnêteté. Elle a bien changé, depuis ses jeunes années. La solitude rythme désormais ses jours, alors qu'elle cherchait auparavant uniquement le contact de sa bande d'amis. Peut-être que d'avoir passé neuf longues années loin de ce qu'elle considérait comme familier l'a profondément changée... "Un verre," répète la blonde, avant de hocher la tête. "Carrément." Elle n'aurait jamais imaginé aller boire un jour un verre en compagnie du meilleur ami de Marcus. Ils ne s'adressaient la parole que pour les communes banalités, et les voilà reprenant côte à côte le chemin de la civilisation. "T'es venu en voiture ?" demande Penelope, marquant une pause pour lever l'une de ses jambes, au bout desquelles trônent ses chaussures de randonnée boueuses. "Comme tu peux le voir, j'ai laissé la mienne où elle était et je me suis servie de mes jambes."

hj:

Il arque un sourcil un peu étonné de l’entendre lui dire qu’elle ne sortait pas beaucoup, même s’il ne s’est jamais vraiment intéressé à ce qu’elle fait, mais il se l’imaginait avec une vie sociale bien plus remplie que la sienne. Elle enfonce le clou en ajoutant presque qu’elle n’aime pas les gens. “ Eh bien quel hasard fortuit que deux ermites aient réussis à se rencontrer ? “ Il fallait presque fêter ça, mais il ne proposait qu’un simple verre. Dans un endroit peu bondés, il en connaissait plusieurs. Man’ s’était toujours régulé ainsi avec l’alcool, il s’est efforcé de en boire que dans les bars, le prix et l’obligation de sortir le tenait loin de l’alcoolisme qui lui pendait au nez. C’était vrai, jusqu’à sa cavale. Seul, ne pouvant se manifester, il avait vécu caché plusieurs mois et la bouteille avait été de bonne compagnie. En plus d’avoir tué, il avait franchi ce cap-là également, mais ça aussi, c’était un mal invisible.

Un verre, il ne sait pas si elle hésite, mais il en profite pour ranger ses affaires. “ Ok. “ dit-il avec un léger hochement de tête face à son acceptation, c’est un peu étrange pour eux, pas grand-chose n’est naturel dans leurs échanges mais sans qu’ils ne se forcent à faire semblant d’accepter la présence de l’autre. Ils ont passé l’âge, Man’ ne s’est jamais gêné avant ça pour lui faire savoir qu’il se fichait pas mal d’elle, sans doute ce revirement qui paraissait étrange à tous les deux.

Ils marchaient silencieusement, parce que ça leur convenait ainsi, ils pouvaient observer le paysage, le temps de la conversation viendra sans doute plus tard. Cela arrive plus tôt que prévu pour des raisons techniques. Ses yeux couleur émeraude se posèrent sur le pied de l’ex de son ami, laissant son regard remonté le long de sa jambe avant d’atteindre à nouveau le visage de celle-ci. “ J’ai dû me séparer de ma voiture. “ Pour qu’on ne le retrouve pas, mais il n’allait pas revenir sur le sujet. “ Je n’en prendrais pas d’autre… Les flics me surveillent… Et je vais te faire une confession. Il s’avère qu’en fait, je n’ai jamais eu ma licence de conduite. “ Oh il avait essayé une paire de fois, mais ne pas voir les couleurs est terriblement dangereux question croisement de feux tricolores ou en cas de signalétique lumineux. Il ne précise pas tout ça, tout comme le fait que de toutes manières il voit de plus en plus mal, qu’un jour il ne verra sans doute plus rien, il n’aura que faire d’une automobile. “ Ça te fera pas de mal de marcher, c’est pas très musclé tout ça. “ Il lui jette un regard un poil taquin avant d’ajouter “ Apparemment, ça ne me ferait pas de mal non plus. “ Il a toujours été sec et nerveux comme gars et pourtant en cas de bagarre, c’était lui qui faisait le plus de dégâts… Combien de fois avait-il défendu Marcus pourtant plus balaise que lui ?  “ C’était une blague… Au cas où ça ne serait pas clair. “ Pas grand monde y comprend grand-chose à son humour cynique. “ T’es très bien. “ Peut-être un peu trop même, mais il ne fit pas allusion à ce qu’il aurait pu voir un peu plus tôt… Il n'a pu s’empêcher de soupirer et de lever les yeux au ciel en constatant qu’il venait de lui faire un compliment.

Pas comme ça avant, peut-être… Oui, sans doute, c’était bien pour ça qu’il n’avait pas tenu plus de trois phrases de banalités jusque-là avec cette jeune femme beaucoup trop… Trop tout… On ne pouvait pas le détester, pas d’emblée, mais toute cette bonne humeur ça faisait fuir Manwë, ouais, pas par peur d’être contaminé, mais qu’on lui pose cette question : pourquoi tu ne sourit pas ? Il n’en savait strictement rien, ça lui arrivait bien entendu, bien plus qu’on ne se l’imagine au premier abord… Il n’était pas naturellement heureux, il pouvait l’être, s’il faisait l’effort, mais instinctivement il est juste fermé.

Il lâche un léger rire alors qu’elle se dit non étonnée qu’il ait conduit toutes ces années en totale illégalité. Il avait des relations, des amis flics, c’est pour ça que les gens ne croient pas en son innocence. Ils pensent que l’affaire a été mise sous le tapis… Comment leur en vouloir, puisqu’il y avait bien un peu de ça, dans le fond.

Le brun se permit de plaisanter sur leurs physiques respectifs avant de faire un compliment à la blonde, chose qu’il aurait sans doute dû se passer de prononcer. Trop tard. Elle fut tout autant surprise que lui de ces propos lâché, mais ce fut à lui de hausser les sourcils lorsqu’elle lui retourna le compliment. C’était pour le coup franchement inhabituel. “ Très bonne blague. “ lâche-t-il avec une pointe de cynisme. Concernant sa force, il préféra ne pas commenter. Inutile de dire que le gringalet qu’il est a pu tuer un homme à mains nues, non…

La route n’est pas si longue, ils échangeaient sur quelques banalités en laissant également de plus ou moins longs silences. Le luthier n’est jamais dérangé par le silence, bien au contraire. Ils arrivent sur l’asphalte, signe d’un retour imminent à la civilisation. “ Y’a encore quelques coins où ils ne crachent pas dans mon verre. “ dit-il avec un sourire en coin, avant de lui dire “ Gilhooleys, Gresham… J’te propose pas le Elm. “ Il ne le dit pas, mais ça l’arrange aussi, il n’a pas revu Marcus depuis ce… drame ? Et ça serait mal venu pour lui de se pointer en plus avec Pénélope. Y’a pas à dire, il était minable comme ami ces derniers mois.