Under the Sky - feat.Tyler Jones

Ce n’était pas souvent que j’arrivais à convaincre Joa de m’accompagner en randonnée. Le grand air c’était ma passion, il le savait, alors que lui était plutôt un sportif du dimanche à faire le tour du quartier en courant avec ses basket neuves. Sa voiture était déjà sur le parking près de maison forestière quand je garais mon pickup. Mon excuse ? Je lui laissais de l’avance bien sûr ! Même si la réalité était tout autre, la vie à la ferme n’était pas de tout repos et les imprévus étaient nombreux. Ce soir c’était une bagarre entre deux saisonniers que j’avais dû gérer avant de partir. Mes poings étaient rougis d’avoir dû en jouer pour les séparer. Ils avaient choisi leur jour. Heureusement, l’ascension réussit à me vider la tête. Le coin du mont Roundback était toujours aussi beau et cela faisait longtemps que je n’avais pas fait l'ascension. Je me demandais à quoi pouvait bien ressembler un festival en haut de cet endroit habituellement calme et seulement parcouru de quelques randonneurs, mais je ne fus pas déçu. Un groupe de rock c’était installé près du refuge et la buvette servait des bières aux courageux qui avaient fait le déplacement, il y avait du monde, sans que ce soit étouffant. Je repérais mon meilleur ami un peu à l’écart, un feu déjà allumé et les bières sorties.
— Salut mec. Disais-je heureux de le rejoindre enfin.
Je lui donnais une accolade chaleureuse et posais mon sac près du sien. Ses traits avaient l’air tirés et soucieux. Rien d’étonnant vu les horaires au bureau qu’il faisait, en plus de l’inquiétude de chaque jour sur l’état de santé de son père. Je faisais de mon mieux pour être présent, même si j’avais moi aussi des journées bien trop remplies en ce moment. Et ce n’était pas prêt de changer vu que je m'apprêtais à prendre des parts dans une nouvelle affaire. J’avais d’ailleurs besoin de ses conseils juridiques avisés, mais chaque chose en son temps.
— Bon, le premier qui parle boulot a perdu… Riais-je en ouvrant deux bières.
Nos deux bouteilles de cognait, on était ensemble, la musique flottait dans l’air au loin et le paysage était magnifique. C’était pas loin de la définition même du bonheur et je n’aurais voulu être nulle part ailleurs qu’ici, avec lui pour fêter mon anniversaire quelques jours en retard.
— Parlons meufs. T’en est où ? D’ailleurs, tu sais que je t’aime comme un frère. La preuve, j’ai refusé un rencart avec une bombe pour préférer venir ici avec toi. Tu crois que c’est comme ça qu’on sait qu’on devient vieux ? Quand on préfère une soirée peinard entre potes ?
Je savais que mon meilleur ami enchaînait les aventures comme moi, on se comprenait tellement bien sur ce sujet. Pourtant je savais que tout comme moi, il aurait bien besoin de quelqu’un sur qui compter au quotidien lui aussi…

Passer la soirée avec mon meilleur ami, c’était certainement et de loin les meilleures soirées du monde. Même une soirée en bonne compagnie ne faisait pas le poids. C’est probablement parce que je n’avais jamais rencontré la bonne, celle qui serait à la fois ma meilleure amie, mon amante et celle pour qui je voudrais déplacer le monde. Pas de bol. La seule pour qui j’avais ressenti ça un jour, se trouvait être la sœur du grand gaillard blond en face de moi. Et mariée à un autre de surcroît. Si un jour il savait ce que j'avais fait voilà presque dix ans, il me mettrait probablement un pain dans la figure sans que j’ai eu le temps de m’en rendre compte. Comme d’habitude, je chassais ces pensées absurdes pour me concentrer sur l’instant présent.
— “Copine”. Non c’est surtout là le problème bro. Lui répondis-je en riant. Pas l’ombre d’un truc sérieux à l’horizon. Aujourd’hui les meufs, elles te matchent sur BBT et dès qu’elles ont obtenu ce qu’elles voulaient dans ton lit, elle te disent “c’était sympa, restons amis”.
“Ça lui ferait du bien pourtant”. Je taisais cette pensée, je savais que c’était vain, mais j’étais persuadé que, plus que tout, surtout vu ce qu’il traversait avec sa famille en ce moment, il avait besoin de relâcher la pression. Nos bières finies, on en entamait deux autres, pour le moment c’était tout ce que je pouvais faire pour mon meilleur ami.
— Tu sais… je suis là… toujours… à n’importe quelle heure si tu veux parler hein ? D'ailleurs, en parlant de père… je ne t’en avais pas encore parlé. Je fis une pause un peu gêné, je n'aimais pas vraiment encore aborder de ce sujet, pourtant j’avais trop tardé. Ce vous vivez avec votre père Penny et toi, ça m’a fait réaliser que la vie était trop courte. J’ai recontacté mon père le mois dernier. Depuis… on reparle… on recolle les morceaux.
Les larmes me venaient presque aux yeux d’en parler. La douleur que j’avais ressentit d’être abandonné par mes parents ces dernières années était encore profonde. Le traumatisme de trouver ma mère en train de tromper mon père à ma fête d'anniversaire m'empêchait encore de le fêter chaque année. Je crois que je ne réalisais pas encore, qu’il y avait… ce… possible retour à la normalité dans nos relations.
— Il m’a même proposé du fric, une avance sur héritage, pour m’aider à investir dans une future affaire. Tu crois que je devrais accepter ?
Et ce n’était pas la réponse de l’avocat que je souhaitais à cette question, mais vraiment celle de celui qui me connaissait mieux que personne, parce que j’étais complètement perdu.