#302 Every little things [Maxine]

Il est presque dix-neuf heures quand je relève enfin le nez de mon ordinateur, j’ai la nuque raide et les yeux qui chauffent. Je place une main derrière le cou et fait quelques mouvements pour essayer d’assouplir mes muscles endoloris. La dernière fois que j’ai regardé par la fenêtre, il y avait encore quelques rayons de soleil qui se battaient pour passer l’épais barrage de nuages, maintenant la nuit est en train de prendre ses quartiers. Je m’affale sur la chaise et laisse pendre mollement ma tête en arrière. C’est vraiment la plaie la gestion d’une entreprise, j’vous jure, le prochain truc que j’me paye, c’est une secrétaire. UN secrétaire…et comme j’aurais pas les moyens de lui verser un salaire, je le payerai en nature. Je ricane, j’suis vraiment stupide quand je m’y mets. Bon, c’est pas tout ça mais il fait sacrément sombre ici. La lumière du salon est éteinte, mon visage n’est éclairé que par la lumière blafarde de mon écran, c’est un spectacle assez déprimant auquel j’vais de ce pas remettre quelques couleurs. Je me lève, me penche en avant, les bras tendus pour étirer mon dos contracté tout en pestant contre mon grand âge qui fait craquer les os de ma carcasse. Je plisse les yeux en appuyant sur l’interrupteur, le temps de m’habituer à cette brusque luminosité. Mon portable, posé sur la table de la cuisine où j’étais préalablement assise, s’allume brièvement, une notification de Candy Cruch je crois. Je m’en empare et pianote rapidement un sms à la personne que je m’apprête à aller déranger. “Range tes affaires compromettantes, j’arrive.” Je souris, béatement fière de ma bêtise. J’attends quelques minutes, regardant mes notifications d’un air distrait puis décide qu’il est temps de mettre mes menaces à exécution. Je sifflote l’air d’une pub particulièrement entêtant en me dirigeant vers le couloir et pousse la porte de ma coloc’ sans plus de cérémonie “ Bonsoiiiiiir !” Je claironne en me jetant à plat ventre sur le lit. “J’te dérange pas au moins ?” Je me retourne et fixe le plafond, un sourire insolent plaqué sur le visage. “Je m’disais TIENS, ça s’rait pas l’heure de prendre l’apéro avec ma p'tite Max’ ?”

Max’ c’est ma coloc’ adorée. A la base, j’étais pas très motivée à l’idée d’avoir un colocataire mais financièrement, j’pouvais plus me permettre d’assumer les charges seule. J’ai fait passer des annonces avec désinvolture et quand j’ai eu une réponse, ça m’est tombé dessus comme un coup de massue. J’étais très loin d’imaginer que je tomberais sur une jeune fille so british haute en couleur avec qui j’allais matcher instantanément. Notre cohabitation, elle fait des étincelles dignes de mes plus beaux spectacles, ça pétille, c’est bruyant, c’est vivant, explosif aussi parfois. Mais j’vous jure, les souvenirs qu’on se créé, j’vais les emmener jusque dans ma tombe. Je me redresse sur le coude et hausse un sourcil amusé ; “Ha oui oui !” Je fais de bout des lèvres “Parce que ce lit n’est qu’un lieu de chaste repos…”. Que je lui dis d'un air taquin. Je balaye la chambre du regard, elle vient de finir de travailler alors tout est en ordre. Je remarque seulement une toile dont la peinture est encore fraîche. “T’as bien bossé dis donc ! Raison de plus pour aller se détendre !” Ma proposition d’aller boire un verre rencontre un vif intérêt, il faut dire que c’est un rendez-vous quasiment quotidien que nous apprécions particulièrement, il s’accompagne souvent de petits potins, de bonne musique et de fous rires incontrôlables. Il est d’ailleurs INTOLÉRABLE que nous soyons en retard, il y a des priorités avec lesquelles on ne peut pas négocier dans la vie…Je bondis sur mes deux jambes, attrape Max’ par le poignet et la traîne derrière moi. “Y a urgence alors !” Arrivées dans la pièce principale, je consens à libérer son bras et désigne notre enceinte Bluetooth d’un mouvement du menton. “ J’vais mettre de la musique, tu nous sors à boire !”

Maxine, quand elle a débarqué ici avec ses cartons sous les bras, j’l’ai pas forcément accueillie avec chaleur. Je n’ai pas été désagréable non plus hein, j’sais quand même me tenir mais j’étais méfiante. J’savais pas trop qui s'ajoutait dans mon espace vital, et dans celui de Bulbizarre, ça me posait pas mal de questions. J’avais eu plutôt une bonne première impression mais, connaissant mon karma et son goût prononcé pour les situations foireuses, j’me demandais à quel moment cette nouvelle venue allait me montrer ses pires côtés. Genre j’sais pas, laisser des cheveux dans la douche…j’peux supporter beaucoup de choses mais pas ça. Bref, les premiers jours, j’ai ouvert l’oeil, j’me suis montrée cordiale mais j’comptais pas trinquer avec elle de sitôt. Pourtant, c’est arrivé beaucoup plus vite que prévu, elle m’a amadoué, j’me suis prise à l’écouter me parler un peu de ses études, de son pays puis petite à petit, nos discussions, elles sont devenues plus perso’, c’était plus seulement des échanges cordiaux, non, on est rapidement passé au stade des confidences et maintenant, on sait qu’on peut se tourner l’une vers l’autre quand il y a besoin. Ha ! Et l’apéro ! C’est quelque chose qui s’est instauré naturellement, j’dis pas qu’on fait ça quotidiennement mais….c’est régulier quoi.

J’ai haussé un sourcil quand elle me dit qu’elle ne ramène personne dans sa chambre, parce qu’on le sait très bien que c’est faux. On essaye d’avoir un p’tit planning de soirées, histoire de ne pas se gêner et d’éviter des situations où on pourrait croiser nos conquêtes dans la cuisine quoi. Notre planning il est un peu foutraque par contre, ça change souvent et il y a des soirées où on va ensemble…donc ouai, c’est pas trop utile en fait. Et puis j’sais pas, depuis quelques temps, j’ai l’impression qu’y a souvent ce mec que je croise en rentrant, j’pense que c’est un sujet à développer…Et moi…ça fait quelques temps que j’vois quelqu’un aussi…j’sais pas si elle s’en est rendu compte. J’en parle pas des masses, par fierté, parce que j’ai toujours joué la carte de la meuf décontract’ qui s’fiche pas mal des histoires de coeur.

On sort de sa chambre pour aller vers le salon, j’vais connecter mon téléphone à l’enceinte Bluetooth et je choisis de passer un peu de Gorillaz. Je sursaute parce que le son se met à hurler, vestige de la dernière soirée, et je presse précipitamment le volume pour modérer un peu les décibels. J’ai juste le temps d’entendre Maxine me dire qu’elle ne va pas dormir là demain soir. J’passe la tête par l’encadrement “Tu s'ras pas là ?” J’hausse les sourcils “ Ou pas là ?” Que je répète avec un regard entendu. J’vais prendre les verres qu’elle nous a servi pour les poser sur la table du salon et m’installer dans le canapé. J’tapote la place à côté de moi  “Bon j’déclare l’apéro/mise à jour sur les derniers potins  ouvert ! Heu...j'commence juste avec un truc un peu sérieux...faudra qu'on paye le loyer sans trop d'retard ce mois-ci, 'faut que j'me fasse oublier un peu du proprio...”