the future depends on what you do today (lys)

Il y a des moments où parfois les choses ne roulent pas sur des roulettes ou tout ne va pas toujours bien. Si en général Polly balade sa bonne humeur partout avec elle et accroche un sourire à ses lèvres peu importe le moment, il y a aussi des moments de moins bien, des moments de creux où elle se sent complètement vide et épuisée pour rien. La proposition de son amie Lys de passer la soirée ensemble, entre filles pour discuter de tout et de rien tombe donc à pic pour la rousse qui a bien besoin de se confier à son amie. Elle aime bien la maison de son amie, en particulier son jardin, elle qui vit en appartement. Enfin, vu toutes les plantes qui s’y entassent la frontière avec une jungle tropicale n’est pas si nette. « Salut. » dit-elle en souriant lorsque son amie lui ouvre. Il lui reste toujours un peu de bonne humeur dans un coin, même quand les choses vont moins bien. Polly prend son amie dans ses bras, ce contact lui redonne un peu d’énergie et de joie.

La maison prenait forme, petit à petit. Les travaux avaient bien avancé, si bien que je pouvais même envisager de passer mes nuits ici. Cela me rendait heureuse, d’avoir redonner vie à la maison de mon père et il me tardait de pouvoir enfin l’ouvrir au public. J’avais hâte de lancer mes cours, mes ateliers et mes sessions d’art thérapie. J’avais hâte de créer cette bulle à mon image. Ce jour-là, je m’étais levée tôt pour pouvoir travailler à la maison et en avait profité pour inviter mon amie, Polly, à me rejoindre en soirée. Cela faisait longtemps que je n’avais pas passé de temps avec la jeune fille et cela me faisait plaisir de pouvoir lui montrer la maison. La sonnette retentit sur le coup de six heures et je me précipitais pour lui  ouvrir.
— Hé coucou ! chantonnai-je en la serrant dans mes bras.
Je me décalai pour la laisser passer.
— Viens entre…ne fais pas attention aux pots de peinture et tout le bazar dans l’entrée, ce ne sera bientôt plus là.

Rien que de voir son amie, Polly se sent déjà un peu mieux. La bonne humeur instantanée de Lys lui permet de regagner en partie la sienne. Elle n’a pas eu trop l’occasion de passer dans la maison que Lys rénove, surtout ces derniers temps. Elle fait abstraction du bazar lié au bricolage en cours. « Tu as bien avancé depuis la dernière fois. » lui dit-elle en regardant autour d’elle. Il y a encore pas mal de travaux mais elle se souvient encore de l’état initial du lieu qui ne semble plus qu’un lointain souvenir. Elles se dirigent vers le jardin pour aller s’asseoir dehors. Les températures sont fraîches mais il suffit d’un plaid pour être bien. « Du coup tu passes tes journées ici ? » demande-t-elle à son amie. « J’aimerais trop avoir un jardin, une maison aussi. » Elle aime son appartement mais les plantes d’intérieurs ne lui suffisent pas, elle aimerait pouvoir aussi s’occuper d’un jardin et faire pousser d’autres plantes, pourquoi pas avoir un petit potager. La jeune femme s’imagine vivre dans une petite maison, cosy et mignonne avec un jardin, des arbres, un petit banc à l’ombre. Mais étant étudiante, elle n’a pas vraiment la possibilité de vivre ailleurs et cela risque de durer pendant encore quelques années.

Le projet de la maison a, en effet, envahi une bonne partie de mon emploi du temps. Je ne travaille plus en tant que prof au lycée depuis quelques mois maintenant et mes revenus se réduisent à mes ventes de peinture, ce dont je suis loin de me plaindre puisque que cela marche raisonnablement pour moi dans ce domaine. J’ai le loisir d’accorder mon temps à cette rénovation et les choses avancent bien.
— Ouais, j’y passe beaucoup de temps, je réponds à Polly en souriant, et j’admets que c’est agréable d’avoir un jardin. La vue de mon appart en plein centre de Bowen n’est pas désagréable, mais ce n’est pas pareil.
J’imagine en effet investir l’extérieur de la maison, une fois que tout sera terminé, m’y installer pour lire, ou faire des barbecues avec mes amis.
— D’ailleurs, si jamais tu veux venir jardiner, je peux te prêter un bout de terre.

Même si son esprit est ailleurs en ce moment, Polly s’imagine bien vivre dans une petite maison, bien plus modeste que celle de Lys. Elle adore la colocation où elle a emménagé il y a quelques mois, elle a pu y faire de supers rencontres et se retrouver entourée de gens autant qu’elle le voulait, pouvant aisément discuter avec quelqu’un si elle voulait un peu de compagnie mais aussi rester seule dans sa chambre si elle en avait envie également. Mais pour plus tard, quand l’envie de retrouver une vie un peu plus solitaire, ou à deux qui sait, lui prenait, elle ne s’imaginait pas retourner dans un appartement, une maison la tentait davantage et forcément un jardin aussi lui donne envie. « J’imagine, tu peux être tranquille dehors. » répondit-elle avant que son amie ne lui propose de lui prêter un bout de son extérieur pour qu’elle puisse le cultiver, si elle le souhaite. « Non, non, t’inquiète pas. Je ne sais pas si j’aurais le temps de toute façon. » Ses études et son travail à la librairie lui prennent beaucoup de temps et si elle décide finalement de se lancer dans une thèse, le temps libre lui sera encore moins présent. « Même si j’imagine que ça doit être assez relaxant. » ajouta-t-elle en haussant les épaules.

En effet, le jardin de la maison offrait un vrai plus, c’était un espace que je pouvais façonner à l’envie, tout en gardant les caractéristiques du jardin de mon enfance. Le saule pleureur, témoin de nombreuses histoires, la piscine dont il fallait encore que je m’occupe, les massifs construit par mon père. Il existait néanmoins un champ de possible qui m’appelait, choisir de planter tel ou tel type de fleur, imaginer un potager ou peut-être planter quelques arbres fruiters. Tout ça, c’était à moi de le déterminer et j’aimais cette liberté d’expression que ce lui m’offrait. Un peu en retrait de la ville, sans être trop à l’écart non plus, la maison de mon enfance bénéficiait d’un calme apaisant, raison pour laquelle j’avais décidé d’y établir mon centre d’Art thérapie, et peut-être aussi mon lieu de vie.
— En tout cas, la porte du jardin…comme de la maison t’es toujours ouverte, je rassure mon amie, je t’offre un thé, quelque chose ?

Parfois Polly pourrait venir pour s'évader un peu dans le calme du jardin de son amie, oublier les choses qui la tracassent, un peu comme ce soir. En général elle se lance un Harry Potter ou elle se plonge dans un livre pour être dans un autre univers. La plupart du temps elle est enjouée, positive, toujours un sourire aux lèvres mais il y a aussi des jours de moins bien, des jours de doute où, si son sourire ne disparaît pas complètement, il se fait plus discret, moins présent. « Merci…oui je veux bien un thé s'il te plaît. » Répond-elle avec un mince sourire. « Tu sais ça me fait du bien de te voir aujourd'hui, si enthousiaste à propos de ta maison » ajoute-t-elle, pensive. La bonne humeur de Lys pourrait presque la convaincre d'oublier complètement ce qui la tracasse mais elle sait aussi qu'elle a besoin d'en parler, si elle ne veut pas que les choses tournent en boucle dans sa tête. « Ça fait quelques jours que je suis pas trop dans mon assiette. » Avoue-t-elle finalement.

Ce projet m’enthousiasme beaucoup, et j’ai parfois du mal à contenir cette enthousiasme, en particulier avec des personnes que j’apprécie. Il me faut communiquer mon bonheur, le répandre autour de moi, comme des graines qui, peut-être, pourront germer chez d’autres à leur manière. Polly accepte le thé que je lui offre et je l’amène avec moi dans la cuisine, pour continuer de discuter avec elle, tandis que je nous prépare le thé. Elle se confie à moi, je l’écoute avec bienveillance tandis qu’elle m’expose son mal-être.
— Ca me fait plaisir que tu sois là aussi, je lui confie en attrapant sa main, sur le bar de la cuisine.
Je lui offre un sourire, avant de récupérer la bouilloire qui vient de sonner. Je verse l’eau chaude dans la théière et laisse le thé infuser avant de me tourner à nouveau vers mon amie.
— Tu as envie de m’en dire plus ?

Voir Lys si enthousiaste à propos de son projet de maison, rend un peu plus joyeuse Polly qui semble avoir perdu son étincelle ces derniers jours. Toutes les deux dans la cuisine pour boire du thé, la jeune femme se confie en surface, souriant au contact de la main de son amie sur la sienne. Elle lui demande si elle a envie de lui parler de toutes ces choses qu’elle peut ressentir. Tout est flou ces derniers jours mais une vague de désespoir à envahie la rousse sans qu’elle ne la voit venir et sans qu’elle ne sache comment sortir de cette mélancolie qui s’est emparée d’elle. C’est comme si elle avait eu une révélation tout d’un coup et que le monde avait complètement changé de couleur après ça. « Oui...enfin si ça te dérange pas, mais je pense que tu pourrais peut-être m’aider. » Si Polly est toujours très bavarde, elle n’a pas envie d’importuner son amie avec ses problèmes et ses grands questionnements. « Ça fait un moment que je m’intéresse au féminisme et aux oppressions lgbt aussi, parce que ça me concerne et que ça m’intéresse. J’écoute le podcast de Pippa, je lis des livres et tout ça et j’ai eu une sorte de réalisation y’a quelques jours. J’ai toujours vu les choses du bon côté, été optimiste et tout ça, mais là, à force d’en apprendre plus, j’ai l’impression qu’on est dans un système où on sera jamais tous égaux et que je peux pas vraiment faire grand-chose pour changer ça. Et je sais pas quoi faire pour aller mieux parce que je peux pas effacer tous les problèmes du monde de ma tête. » explique-t-elle en sentant l’émotion la gagner.

Polly était de ces personnes qu’on pouvait qualifier de solaire. Elle avait un sourire communicatif et une joie de vivre qu’elle savait transmettre. Mais bien sûr, le soleil aussi pouvait parfois faiblir. Mon amie avoua ne pas se sentir dans son assiette et je l’inviter naturellement à se confier à moi tandis que je nous préparait du thé à l’intérieur de ma maison encore en construction. Je la laisse s’exprimer, lui portant une oreille attentive, sans l’interrompre. Je comprends en effet qu’elle a beaucoup garder en elle et qu’elle a besoin, aujourd’hui, de tout laisser sortir. Je la gratifie d’un sourire que j’espère le plus doux possible, avant de poser ma main sur la sienne pour lui apporter le plus de réconfort possible.
— Je comprends parfaitement ce que tu traverses. J’ai eu…les même reflexions, les même tiraillements, au début, quand j’étais prof. Je voulais changer le monde et, en toute humilité, je crois que je suis fière de petites graines que j’ai semé. Ce n’est pas grand chose, en effet, face au monde et à tout ce qui reste à changer, mais…on fait tous notre part. Et je sais la place que ça peut prendre, surtout quand ça nous tiens à coeur. Tu es douée d’une magnifique empathie, Polly, et c’est ce qui fait que ça te touche autant.

Si Polly est assez naïve, à toujours voir le bon dans les gens sans s’imaginer qu’ils peuvent aussi être le pire, elle voit tout de même, petit à petit, tout ce qu’il y a de mauvais dans le monde. Elle a réussi à surmonter les traumatismes de ses premières années d’école où elle a été harcelée, réussissant à s’épanouir dans sa vie. Mais étant du genre curieuse, elle se renseigne sur le monde autour d’elle, prenant conscience de toutes ces injustices dont elle ne réalisait pas l’importance jusque là. C’est arrivé assez brutalement, comme une illumination d’un coup, il y avait un avant et un après. Et elle ne sait pas gérer cet après, comment garder son optimisme et sa joie quand on se rend compte que le monde autour de nous est profondément injuste et qu’à notre échelle, les moyens d’action sont bien réduits ? Comment protéger sa santé mentale sans pour autant vivre dans le déni ? C’est toutes ces questions qui se bousculent dans la tête de la rousse et qui la pousse à parler à son amie Lys, qu’elle sait elle aussi touchée par ces problématiques. Elle la rassure, lui explique que chacun peut agir à son échelle et que c’est ce qui compte. « Mais j’ai l’impression que j’en ferai jamais assez. J’ai choisi de faire mes études en informatique parce qu’il n’y a pas assez de femmes, parce que c’est un milieu sexiste et injuste, parce que les données utilisées par les algorithmes sont biaisées. Mais j’ai l’impression que je m’attaque à quelque chose de bien trop grand pour moi et qu’au lieu de réussir à faire changer les choses, je vais juste avoir un travail dans une entreprise où je serais entourée d’hommes pour lesquels je serai jamais à la hauteur. » dit-elle, désemparée, sentant une larme couler le long de sa joue.