Best Day Of My Life - Simon Shrewsbury

Les probabilités que ça leur arrive, étaient pourtant minimes. Deux inconnus, dans la forêt perdue, deux êtres qui n'étaient pas destinés à se croiser un jour. La probabilité, que Simon et Lullaby se retrouvent au même moment, au même endroit, était tout simplement infime. Et pourtant... Pourtant un coup du sort, le genre qu'on ne prévoit pas, de ces situations rocambolesques, qu'on ne trouve que dans des vaudevilles, pourtant c'était là. Un jour, à une heure inconnue, deux âmes que tout semble séparer, se retrouvèrent au même moment au même endroit.

Assise sur le tronc de cette arbre, je poussais un long soupir. La nature, mon refuge, ce pourquoi je vis depuis mon plus jeune âge, était le théâtre de mon ennui en cet instant. Etrange, vraiment étrange. Ma jambe droite dans le vide, se balançait lentement, tandis que ma jambe gauche était repliée contre moi. Un bras autour de mon genou, les doigts sur ma joue, l'autre main posée sur le tronc de cette arbre, tombé après une tempête certainement. Ce n'était pas sentier, pas un chemin tout tracé. Je pourrais partir ? Non, pas vraiment... quelque chose était arrivé, et m'empêchais de partir comme je le souhaiterais, et ma liberté arrachée d'un coup, faisait peser sur moi le poids de toute cette nature sauvage autour. La nature, la forêt, mon refuge de prédilection, était le théâtre de mon tout premier ennui, de mon emprisonnement en sa présence.

Mon regard se posa sur le grand homme non loin, guindé malgré son t-shirt et son pantalon léger, un homme qui détonne avec l'environnement de verdure sauvage. Je le vois poète, grand écrivain, ou avocat à la cours. Nos regards se sont croisés, mais nous n'avions pas encore échangé de mots. Se sentait il prisonnier aussi ? Je le détaillais de la tête aux pieds, un homme élégant, charismatique l'air de rien, et doté d'un physique particulier, mais pas dénué de charme. Je poussais un soupir, perdue dans mon observation quand je remarquais que l'homme regardait vers moi, et avait sans doute réalisé que j'étais en pleine inspection visuelle de son être. Je battais des cils, reprenant conscience et me râclais la gorge.

- J'ai une chanson qui me trotte dans la tête... Commençais-je. Never have I seen a place - That reminds me of your face - 'Til I heard it call to me - Like a phone call from a friend - Set in silence like a prayer me mis-je à chantonner avant de faire taire ma voix. Vous connaissez ?

Je l'invitais à chanter ou à deviner pourquoi pas.

Il me chanta ce qu'il pensait être la suite, et je fronçais les sourcils, ce n'était pas ça non.

- Avant ma naissance carrément... vous pensez que j'ai quel âge au juste ?

Je n'étais pas vieille, mais pas jeune, les 30 années allaient s'arrêter sur moi dans 2 ans et demi, et depuis que j'étais revenue à la civilisation, je sentais le poids de ces années de voyages, d'aventures, de rencontres, mais d'intense solitude aussi. Il était drôle avec sa carte, drôle avec sa tenue de randonneur, comme si ça ne lui convenait pas tant que ça, comme tenue. J'esquissais un léger sourire, sautant de mon perchoir pour rejoindre le planché des vaches.

- Je pensais plus... à une chanson type Sylm ou dans le genre, mais Duran Duran est pas mal.

En short en jean, chaussures de marche, et t-shirt extra large, deux tresses sur mon épaisse tignasse et un sac à dos léger, je détonais avec son style randonnée pour les nuls.

- Vous êtes perdu ? dis-je en m'approchant de lui, posant les mains sur les anses de mon sac à dos. Vous cherchez quoi ?

Je me hissais sur la pointe des chaussures, pour regarder sa carte, et me surpris de voir une boussole, et je souris de plus bel.

- Vous n'êtes pas commun, une boussole... c'est pas commun, quel trésor cherchez vous... et où est la pelle pour le déterrer ? Je me moquais gentiment de lui, j'en avais croisé des randonneurs de tous horizons, des organisés, des roots comme moi, des touristes, et tous avait leur méthode. La boussole, c'était old school.

- Non. Pas 25 ans. Et pour le côté vivre dangereusement, ça tombe plutôt bien, avec les quelques 170 espèces de serpents qui vivent dans cette forêt, sans compter la taille des araignées et leur rareté.

Je réalisais alors son accent, si reconnaissable et son flegme, typiquement anglais. Ils avait l'art et la manière de tourner chaque phrase, de prononcer les mots, et de faire en sorte d'être plongé dans une élégance sans fin. Avec tout ce que j'avais vécu récemment, c'était une bouffée de fraicheur.

- Diantre... je crois que je ne l'avais jamais entendu. Diantre. Répétais-je comme pour m'en imprégner. C'est de la sémantique, chercher son chemin, être perdu... pour moi c'est un peu la même chose, allez venez... on va aller par là.

Je secouais la tête, pinçais les lèvres, ayant repris notre chemin.

- Non. Je n'ai pas l'habitude d'être si proche de la civilisation voyez vous, il y a encore 3 semaines, je vivais dans le bush australien au milieu d'une tribu, avec des koalas sauvages à caliner et des diables de Tasmanie à nourrir. Je suis bien plus perdue que vous... je... j'ai toujours du mal à revenir à la la ville, qu'importe la ville. Et pourtant, cette forêt bien qu'appelée perdue, et bien qu'une forêt tout à fait jolie, ne m'apporte pas vraiment la liberté que je connais... connaissais. M'épanchais-je sans pour autant me dire, qu'il comprendrait.

La blague sur le fait d'enterrer un corps, me laissa perplexe quelques secondes, fronçant les sourcils, en arquant un même, et finalement son sourire fin, me réconcilia avec l'idée de faire un morceau de chemin avec lui.

- Je comprends pour la pelle, j'ai l'exact problème avec ma batte de baseball, elle ne me sert que pour assommer des inconnus dans des espaces de verdures. Je souris malicieusement, plus à moi même qu'autre chose.

Glissant un regard vers cet étrange ovni, j'hésitais avant de rompre le silence de nouveau.

- Que fait un Anglais en Australie ? Entre la bière, le surf, et le phrasé beaucoup plus brut... vous devez être brusqué dans votre élégance naturelle non ?

J'avais entendu le ton de sa voix, haut perché et ça me fit sourire.

- Je crois qu'il y a 35% de venimeux, dont de très rares beautés de la nature, comme la vipère de la mort, connue aussi sous le nom de Acanthophis antarcticus - une véritable beauté, et sur l'échelle des espèces venimeuses, elle n'est que dixième. Lui expliquais je avec joie et passion. Je suis une passionnée de faune sauvage, on se refait pas. Lui dis-je pour toutes explications.

Je lui accordais un sourire complice, quand il admit que ses paroles et les miennes étaient la même chose, qu'il ne voulait pas paraître stupide sur le coup.

Hochant la tête à ses propres dires, j'étais d'accord sur le fait que je n'étais tout simplement pas faite pour vivre en ville, au coeur d'une civilisation trop brutale et ce qu'importe la taille au final. j'allais lui répondre, mais il se présenta à la place.

Un large sourire sur ma bouche, j'aimais sa façon désuète de se présenter.

- Bonjour Simon-Simon Shrewsbury. Je suis Lullaby Nangala.

Mon nom de famille était aborigène, il venait de la tribu dans laquelle mon père avait vu le jour. ça ne se prononçait pas Nan comme nan, mais bien Nanegala.

- Vous ne le saurez jamais... dis-je mystérieuse.

En réalité dans mon sac à dos, il y avait ma gourde, un bilboquet, un briquet, et un couteau de chasse. Rien de bien terrifiant.

Je grimpais sur quelques branches au sol, nous empêchant le passage, et lui tendis la main, si d'aventure il en eut besoin. De l'autre côté de cette colline et de quelques remparts de pierres, se trouvait une cascade, on en entendait son chant de là où nous étions.

- C'est dommage pour le surf, vous êtes grand, ça serait un avantage. Si vous voulez je pourrais vous apprendre.

Il me fit rire et secouer la tête en même temps, quand il évoqua l'accent de nous autres australiens, et encore je n'étais pas pure souche, j'étais coupée à la Colombie.

- Bibliothécaire j'avais tablé sur écrivain ou avocat, quand je vous observais.

Et moi ?

- Moi, je suis arrivée y'a 3 semaines à Bowen, parce que mon meilleur ami et compagnon à 4 pattes était gravement malade, et le guérisseur de la tribu n'a rien pu faire pour lui. C'est ici que Rasperry, après 10 années à sillonner le monde avec moi, s'est éteint.

Je me doute que de raconter la surface est sans doute plus apaisant dans un premier temps.

- Je suis australo colombienne, ma mère est colombienne et mon père australien pure souche. Depuis 10 ans, je voyage un peu partout à bord de mon mini bus, je travaille pour faire durer les voyages, mais je ne travaille pas pour vivre, pas pour acquérir de nouvelles choses matérielles... je travaille pour nourrir ma soif de savoir et de découverte.

Pas certaine qu'il comprendrait, ma philosophie de vie, c'était à mille lieu de cette volonté de posséder à tous prix, c'était une clameur de liberté avant tout.

- Et bien détrompez vous, il y a bien moins de mort de morsure de serpent venimeux, que d'accident de la route. D'ailleurs 2019 a été l'année la plus meurtrière dans ce domaine là... 4 personnes sont mortes. En réalité, c'est vraiment pas ce qu'il se passe quand vous êtes mordus, le venin est terriblement, ça brûle sous la peau, mais si vous ne bougez pas en attendant les secours, le venin ne se propage pas. Vous risquez plus la paralysie que la mort subite. Et surtout, ne sucez jamais le venin d'une morsure de serpent... c'est une connerie, il faut comprimer l'endroit de la morsure simplement.

Quand j'étais partie dans le domaine sauvage, autant dire que j'avais bien du mal à m'en défaire. Pourtant, pas vantarde de mes connaissances, je les dispensais avec parcimonie. Et quand le sujet en face, était de taille à recevoir les informations. Je ne me serais pas vu discuter de morsures de serpent, avec l'autre toquard que j'avais rencontré la dernière fois... ce rendez vous Bowtie avait été une catastrophe.

Il me corrigea sur la répétition de son prénom et je ris doucement. C'était par pur taquinerie que j'avais sciemment répété son prénom.

- Je sais, c'était pour vous déstabiliser. Une... taquinerie si vous préférez.

Il se dérobe sur la question du surf et je n'arrête pas de sourire, parce qu'il est touchant. Comme s'il ne se rendait pas compte que son corps plus habitué aux fauteuils club de pub londonien, pouvait complètement apprendre à se mouvoir autrement, même avec un sport comme le surf.

- Je surfe oui, j'ai surfé sur 3 des plus grands spots de surf au monde, île Maurice, Brésil, et Australie. Ce n'est pas sans risque, mais cette prolifération de sérotonine en moi, c'est divin.

Je m'excusais de m'être trompé sur son actuel travail et le remerciais de sa compassion.

- Au moins vous, vous voyez la baroudeuse, la majorité des hommes ne voient que mon corps athlétique, et la taille de mes bonnets. Répondis-je du tac o tac. Et oui, je cherche un travail actuellement, j'avais commencé de travailler pour un fermier de Bowen, mais le mec était un peu trop intéressé par moi, et par là j'entends mon corps et ma bouche, mais pas le reste.

De fil en aiguille, nous regagnâmes le bord de la cascade et je grimpais sur quelques rochers, avant de faire une halte, pour boire un peu d'eau.

- De tous les livres que vous avez lu, lequel a le plus retenu votre attention, et qui résonne encore en vous ?