Où sont ces p*tain de carottes ?! ( Detlev Schröder)

Où sont ces p*tain de carottes ?!

J’ai atterris hier après avoir planté William pour mon concert… Je sais qu’il va me tuer, mais… Mais je pouvais pas faire autrement ! Cet appel des urgences m’a signalé que mon père avait eu un grave accident de voiture et qu’il était à présent plongé dans le coma. Clairement, je ne pouvais juste pas monter sur scène et faire mon spectacle tranquillement. Non… Car mon esprit n’était plus tranquille du tout. En fait, je n’ai même pas réfléchi… C’est comme si après cet appel j’avais été mis en pilotage automatique et que bim… Mes pieds m’avait conduit jusqu’à l’aéroport, que j’avais tout payé et que… J’avais atterri ici. Dans cette ville, celle de mon enfance… 20 ans que je n’y avais pas remis les pieds bon sang… ! C’est tout naturellement aussi que j’avais retrouvé le chemin de la maison, mon père n’avait jamais déménagé et n’avait pas non plus changé d’endroit la seconde clé, du coup j’avais pu entrer bien tranquillement chez lui… Car pour moi, même si j’y ai grandi, cela fait longtemps que ce n’est plus « la maison » ici. C’est comme ça que je m’étais fais un maigre repas avant de m’endormir comme une masse. Il n’y avait presque plus rien de potable dans le frigo… Donc me voilà au marché aujourd’hui à tenter de me faire quelques provisions. Lunettes noires vissées sur le nez pour tenter de ne pas être trop reconnu, je soupire fortement, car cela fait un bon quart d’heure que je cherche quelque chose. Je grommelle alors à voix haute.

-Où sont ces p*tain de carottes ?!

Rien ne va… Je suis fatigué, irritable, perdu aussi… Il y a tout un tas de chose qui me chamboule… C’est comme un ouragan dans mon corps… Un ouragan qui est en train de me mettre KO...

black pumpkin

Vivre en colocation c’est merveilleux, en fait je dis simplement ça parce que j’ai des colocs en or. Sauf qu’on se rend compte bien rapidement que nous avons aussi pas mal plus de responsabilités, on doit toujours penser qu’on est pas seul à la maison. C’est pas comme quand je vivais seul avec Agnes. Ces temps-ci, je ressens de plus en plus le besoin d’être seul, j’ai de plus en plus de mal à faire semblant que tout va bien, que je m’en sors malgré tout ce qui s’est passé. J’ai bien vu aussi que ça faisait de la peine à mes colocs quand je parlais d’Agnes, je ne veux pas non plus les embêter avec mes histoires tristes, je sens par contre que je flanche de plus en plus souvent, que je fais n’importe quoi et c’est difficile parfois de remonter la pente. Je passe donc le plus clair de mon temps dehors, à faire la fête, à essayer de parler à tout le monde pour oublier qu’au fond j’ai mal. Donc quand Arielle a demandé qui était partant pour aller faire les courses, j’ai tout de suite proposé d’y aller. Je suis celui qui cuisine le plus à l’appartement, étant le cuisinier des trois. J’avais pris la liste des courses qu’elle avait faites et demandé à Orso s’il voulait d’un truc particulier avant de partir vers le marché. Bien sûr les bières figurant sur le dessus de la liste. On ne changera pas hein ?

Je suis donc là pour faire les courses, étudier les légumes pour faire les meilleurs choix, je déteste laisser les autres choisir les aliments frais à ma place. J’suis un peu difficile là-dessus. Je me promène depuis un moment quand j’entends un mec jurer parce qu’il ne trouve pas les carottes. Le pauvre, sa vie ne doit pas être bien facile s’il se retrouve comme ça à gueuler au marché pour des carottes. Je m’approche de lui et je pose une main sur son épaule pour ne pas le faire sursauter et attirer son attention. “Les carottes sont juste là, dans cette rangée. ” Je lui pointe la rangée juste à côté, elles ne sont pas super visibles, mais elles sont bien là. “Avez-vous besoin d’aide pour trouver autre chose ?” Il ne doit pas être un habitué de la place s’il recherche les carottes comme ça. Je ne suis pas ici depuis longtemps, mais je suis venu quand même quelques fois depuis les derniers mois et je commence à bien connaître la place.

Où sont ces p*tain de carottes ?!

Le manque de sommeil n’est clairement pas bon pour la santé. J’en manque cruellement et cela déteint sur mon humeur. Qui s’énerve pour des carottes franchement ? Actuellement ? Moi ! Je perds patience. Je me sens perdu dans cette endroit connu et pourtant si flou à mes yeux à présent. J’y ai passé ma vie gosse ici, moi, dans cette ville et aujourd’hui… ? Je ne connais plus rien. Je ne reconnais plus rien même… Je me sens défaillir. J’ai l’impression de n’avoir plus aucun contrôle sur rien, même pas sur cette putain de liste de course et ces putains de carotte introuvables et ça… Ça, Ça me fait péter un câble. Péter un câble pour des carottes… Je le concède c’est bas, mais là, actuellement, c’est vraiment la goutte d’eau. En tout cas, j’ai du parler assez fort pour que quelqu’un touche mon épaule. Je me tourne alors doucement tandis que l’homme me montre les carottes, quelques mètres plus loin devant moi.

-Merci… Je me sens soudainement très con… Vraiment merci…

Je souffle légèrement et passe une main sur ma nuque. Me faire autant remarquer vu mon statut de star, ce n’est pas la chose à faire, mais fort heureusement on dirait que je tombe sur quelqu’un qui soit ne me reconnaît pas, soit ne me voit pas que comme tel… À ce qu’il me demande, je me mords légèrement la lèvre inférieure et hésite un instant en regardant ma liste de course… Avant de lui tendre le papier doucement.

-À vrai dire, je ne trouve presque rien de ce qu’il y a sur cette liste et je suis tellement fatigué… J’ai la patience qui est au niveau 0...

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Faire les courses reste une tâche que j’aime bien faire, ça me permet de me vider la tête un peu et de faire en sorte d’être plus calme et plus relax. J’en ai besoin, j’ai surtout besoin de me vider la tête et d’occuper mes mains. Cherchant chacun des ingrédients qui figurent sur la liste et Arielle est très spécifique sur ce qu’elle demande, je dois faire bien attention à chaque article que je dépose dans le panier. Puis, moi en tant que chef, c’est sûr que je suis aussi très difficile sur les aliments que je choisis. Je peux même changer complètement mon menu si les légumes que je veux ne sont pas à mon goût. J’étais bien concentré dans ma liste quand j’ai cru comprendre qu’il y avait un homme en grosse panique à cause qu’il ne trouvait pas les carottes. Ni une, ni deux, je vole à son secours lui offrant par la même occasion mon aide dans cette tâche qui ne semble pas être à son goût.

“C’est pas être con, si vous n’êtes pas habituer à ce supermarché !”

Voyant à quel point il semble démuni, je lui offre mon aide. J’aimerais qu’on m’aide de la sorte si j’étais dans cette situation. J’avais dû moi aussi trouver mes marques ici. Je prends quand même le temps de le dévisager un instant, comme si son visage ne m'était pas inconnu, mais je ne saurais dire d' où je le connais. Il finit par me tendre sa liste et je hoche la tête en la prenant. “Allez, suivez-moi ça ira plus vite. Vous avez besoin de parler un peu pour extérioriser ? Si y’en a un qui peut comprendre que tout vas mal c’est bien moi et je ne suis pas là pour juger. ” Je pousse mon caddie en direction des carottes et lui place un sac dans le sien. Avant d’avancer un peu dans la rangée et d’ajouter les aliments qui sont noté sur sa liste.

Où sont ces p*tain de carottes ?!

Sincèrement être de retour ici ne doit pas aider à ma bonne humeur. Pas que j’ai en horreur la ville, mais… Elle a été synonyme de souffrance pendant pas mal d’années et là je reviens parce que mon père a eu un accident ! Franchement… Il y des souvenirs plus sympa à relier à une ville quand même… Tout ça plus tout ce que je citais plus tôt, n’aide pas à mon humeur de chien. Pourtant, je sais que je dois faire attention, je reste quelqu’un de connu et même si présentement je passe inaperçu… Ça pourrait ne pas rester le cas longtemps alors, Dylan, concentres-toi s’il te plait ! Heureusement quelqu’un vient à mon secours et à ce qu’il me dit, ma tête se hoche légèrement, bien que ça ne me réconforte pas vraiment puisque…

-Fut un temps, mais je dois avouer que ça a pas mal changé depuis l’époque où je vivais ici…

Et là franchement j’me prends facilement mes 20 ans dans la gueule… Et ça fait mal ! Je ne suis pas du genre à pleurer sur la jeunesse passée, mais là ça pique quand même un peu ! Il saisit ma liste de course en me proposant de parler… Mais ce qu’il me dit… Me rend surtout un peu curieux. Marchant à ses côtés, cadis côte à côte, je le remercie pour les carottes et le suit pour le reste de ma liste.

-Vous aussi la vie ne vous laisse aucun cadeau ?

Après je ne sais pas si j’ai le droit de me plaindre, j’ai quand même une vie… Si on omet le fait que mon père est dans le coma… Après, bon c’est quand même pas rien ça, non ?

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Sans avoir eu à faire trop la conversation, j'ai réussi à en apprendre un peu plus sur l’homme qui se trouve devant moi. Un ancien habitant de la ville, qui se retrouve ici contre son gré à nouveau. Il faut croire que cette ville n’est pas pour tout le monde, même moi je me demande si ma place est vraiment ici. Qu’est-ce que je fous dans cette ville ou je dérange par ma simple présence, que je suis l’incarnation de la déloyauté de mon géniteur. J’y venais plus jeune, mais je crois que ç'a été un soulagement pour lui quand j’ai choisi de ne plus remettre les pieds dans ce pays. Me voilà près de quinze ans plus tard à parcourir à nouveau les rues de la ville, mais cette fois ce n’est pas pour des vacances. “Tu as vécu ici longtemps ?” Le faire parler semble faire redescendre la pression de l’homme un peu et il semble déjà moins sur les nerfs qu’au départ quand il me donne sa liste.

Je prends mon temps dans les allées, proposant les produits à mon compagnon de course, je peux bien lui donner un coup de main, mais je lui laisse quand même choisir les produits qu’il va ingurgiter. “On peut dire ça comme ça, mais j’ai l’impression que la vie ne fait de cadeau à personne. ” Chacun vit les troubles à sa façon et à ce moment-là, je suis loin de me douter que je risque de nouveau de m’enfoncer dans mon ancienne addiction et cette addiction dont je parle n’est pas les femmes, c’est quelque chose de beaucoup moins sain. Je hausse les épaules et prends quelque chose que je mets dans mon caddie à moi, perdant un peu le fil de ce que je cherchais moi au départ. “Disons juste que, j’en ai vu assez pour comprendre que ça ne peut pas toujours bien aller et qu’être dans la merde c’est un peu une habitude. Je n’ai pas envie de rentrer dans les détails, mais je crois que je peux comprendre pas mal de trucs si jamais tu as envie d’extérioriser ce qui te fais chier. ” Je n’ai toujours pas conscience que je parle à une vedette.

Où sont ces p*tain de carottes ?!

Je sais pas vraiment si le type qui venait de me prêter main-forte avait réellement envie de parler, et au fond je savais pas si moi-même j’avais envie de le faire, mais le fait que ça ne soit pas totalement « vide » ou « blanc » entre nous… M’allait tout de même. Cela serait gênant d’avoir un silence pesant, voire lourd, alors que le mec est clairement entrain de m’aider. Il n’est pas obligé d’ailleurs et j’apprécie d’autant plus le geste. À sa question, ma tête se hoche légèrement puis je lui jette un coup d’oeil.

-18 ans, ce qui peut paraître long… Mais au final, j’ai plus vécu en dehors maintenant… Que dedans… Et toi tu vis depuis longtemps ici ?

C’était ça aussi vieillir. Bon… Avec l’accident de mon père cela allait peut-être être équilibré de nouveau parce que je n’avais vécu « que » 20 ans en dehors au final… Mais le chemin semblait être parti pour bel et bien faire une belle égalité. J’espérais cependant reprendre rapidement la route. Mon public me manquait alors que ça ne faisait que quelques jours… Je n’ose même pas imaginer comment je vais me sentir si cela dure des semaines… Pire, des mois !

En tout cas, je valide, ici et là, quelques produits qu’il me présente, en plus, que ce qu’il y a sur ma liste et que je ne connaissais pas ou auxquels je n’avais pas nécessairement pensé.

-Vous avez raison, la vie ne fait pas nécessairement de cadeaux aux gens… Mais il faut avouer que parfois elle est plus chienne avec certains que d’autres.

En tout cas, il est passé au « tu » presque naturellement, en fait… Tout naturellement et au fond ça me gêne pas. Il me fait comprendre qu’il a vécu pas mal de merdes, mais qu’il ne souhaite pas en parler, mais il m’invite à le faire si j’en ai besoin et je lui souris simplement en prenant un paquet de céréales que j’avais repéré en publicité.

-Je crois que je préférais profiter de ce moment, moi aussi, pour parler de tout et de rien… Pour une fois que quelqu’un est « normal » avec moi.

Après tout, il ne semble pas me connaître, j’étais un mec lambda pour lui, comme il l’était pour moi… Et ça me faisait du bien aussi ce semblant de « normalité » dans mon univers un peu apocalyptique actuellement.

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Je me retrouve à discuter avec cet homme que je ne connais pas, dans un lieu qui peut paraître banal. Non, mais quand on dit qu’il est possible de trouver l’amour à l'épicerie, ça m'a toujours fait rire. Normalement les gens ne s’occupent pas des autres lorsqu’ils font leur courses, j’ai rarement vu une meuf attendre dans le coin des concombres pour espérer que son concombre humain arrive. Alors, de me taper la discut avec un mec, je drague pas hein je précise, ça me fait bizarre quand même, je pense qu’il est lui aussi un peu déstabilisé pour le coup. “Depuis quelques mois à peine, je n’avais pas mis les pieds ici depuis plus de quinze ans, mais je n’habitais pas ici je venais juste en vacances.” Maintenant, ce n’est plus des vacances, cette ville est la mienne et j’ai trouvé quelque chose que je ne pensais pas possible de trouver. Nous continuons de marcher et de remplir le caddie devant nous. Je pince les lèvres et hoche la tête pour approuver ces dires, ce n’est pas toujours juste la vie, la vie ne fait pas de cadeau, mais y’en a qui en chient plus que d'autres. Je laisse échapper un petit rire amer. “Je pense que je fais partie de ces élus, mais bon… il faut croire qu’elle a ses favoris, on a un point commun si vous faites vous aussi partie de cette catégorie.” Toute ma vie n’a été qu’une plaisanterie, une mère enceinte après avoir fait du tourisme ici, grandir à Berlin, la drogue, la violence, la mort… le sang…. tout ce sang… Je secoue la tête pour chasser ces sombres pensées, ce n’est pas le moment de penser à tout ça, de se faire du mal avec toutes ces histoires. Après tout, je ne le connais pas, je ne sais pas qui est cet homme. Je hausse un sourcil. “Normal ? Les gens te traitent comment ?” Je ne suis pas certain de tout comprendre.

Où sont ces p*tain de carottes ?!

Cette situation est tout à fait incongrue, mais… Elle existe pourtant bel et bien. On parle comme si de rien était au final alors que nous sommes deux parfaits inconnus coincés entre les carottes et les boites de conserve, il en vient même à me conseiller sur les aliments qui pourraient être pas mal de prendre ici alors forcément bah… Je tente de faire la conversation, sinon cette rencontre pourrait vite tourner au moment le plus gênant de la vie de l’autre ! Alors je me renseigne un peu sur sa vie, sa vie ici plus précisément et s’il ne veut pas me répondre et bien… Ce serait très certainement gênant, mais des courses ne durent pas milles ans, je devrais m’en remettre.

-Je vois… Du coup, on a un peu des parcours opposés au final…

Je vivais ici et j’y suis « en vacance » à l’heure actuelle, lui c’est l’inverse… Et on se retrouve tout deux dans ce supermarché à chasser de la carotte, entre autre ! Parce que oui le caddie se remplit pas mal, il souhaite rester secret sur les merdes de son passé et je respecte parce qu’au final j’ai pas nécessairement envie de parler non plus de toutes « ces merdes » parce que… Bien que le moment soit très étrange, c’est l’instant le plus normal que j’ai eu à vivre ces derniers temps ! Posant les céréale dans le caddie, je n’hésites pas à lui jeter un coup d’oeil et de reprendre.

-En ce moment, je dirais que j’en fais partie, pour le reste de mon parcours de vie, je pense pas être le plus à plaindre non plus. Évidemment, j’ai pas vécu une enfance tout à fait normal avec deux parents et tout le speech qu’il y a derrière, au contraire même, mais j’ai pas été le plus malheureux et je m’en suis pas si mal sorti au fond…

Je ne peux pas pleurer sur mon sort comme si ma vie entière semblait être sortie tout droit d’un drama… Ce n’est pas le cas. Oui, il y a des phases tristes de ma vie et en ce moment c’est le plus dur des chapitres, mais lui semblait avoir vécu pire, c’est au final en ne me disant rien qu’il me disait tout. À sa nouvelle question, je me mords légèrement la lèvre avant de sourire.

-Je ne sais pas si je dois répondre à cette question, est-ce que de savoir la réponse ne changerait pas le fait que tu sois « normal » avec moi ?

Le questionnais-je finalement.

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