préparez-vous pour la bagarre (aisling)

Essayer de s'améliorer. C'est vrai que ce n'était pas forcément un comportement qu'on pouvait prêter à Aisling. Et pourtant, sur certains sujets, c'était pourtant le cas. Le féminisme était notamment quelque chose qui la faisait évoluer et qu'elle avait envie de continuer à explorer, pour se déconstruire, pour elle, pour les autres, pour ses filles.

-Ouais, et maintenant il faut que j'essaye d'apprendre à mes petits monstres à ne pas vouloir faire les mêmes conneries que moi.

Toute sa relation avec Ciaran, notamment. Les choses s'étaient tassées et assainies aujourd'hui, mais quand elle y repensait, elle se rendait compte que c'était une véritable catastrophe à l'époque.

Elle rit quand Vega avoua ses lacunes concernant en terme de communication et de marketing. Elle secoua doucement la tête.

-Crois-moi, je comprends très bien.

La blonde aussi avait tendance à être un peu trop franche, et une vraie brute. C'était déjà assez épuisant pour elle de s'occuper de la communication autour de leurs recherches pour les subventions et tout le bazar.

Elle lui adressa un sourire, sans doute plus tendre qu'elle ne l'aurait imaginé, pleine d'une empathie rare devant Vega.

-Mais tu m'as rallié moi !

Je comprends qu’Aisling essaie d’éduquer ses filles pour qu’elles ne soient pas soumises à tous les clichés véhiculés sur l’amour et autre, pour ne pas elle aussi tomber dans le panneau des hommes toxiques ou problématiques quitte à passer pour des chieuses parce qu’elles ne veulent pas dire oui à tout (oui il en faut peu pour qu’une femme soit mal vue). « Il vaut mieux commencer tôt t’as raison ! En même temps on nous apprend hyper tôt des trucs problématiques. D’ailleurs j’ai pas trop de livres pour enfants mais j’ai quelques livres éducatifs quand même, peut-être plus quand elles seront plus âgées mais y’en a des vraiment pas mal ! » J’ai déjà offert plusieurs livres du genre à des personnes que je connais qui ont des enfants, des fois ça jette un peu un froid parce que c’est des enfants, on ne va quand même pas parler de tous ces sujets à des petits enfants enfin, alors qu’en vrai le sexisme et tout le reste, ils l’expérimentent très tôt, pas besoin d’être adulte ou ado pour ça. J’évoque ensuite mes talents en communication qui ne sont pas les meilleurs et connaissant un peu Aisling je me doute que ce n’est pas elle qui pourra bien m’aider là-dessus, même si je suis sûre qu’elle aurait quelques idées pas mal. Je lui explique aussi que j’ai du mal à rallier du monde aux causes que je défends parce que je ne suis pas toujours très diplomate ou calme, globalement parce que j’en ai marre et elle me répond, pleine de bienveillance, que j’ai réussi à la rallier elle tout de même. « Oui mais je ne pense pas que tu aies été la plus dure à convaincre. » Même si son engagement est moins important que le mien, je pense que c’est un sujet qui l’intéresse depuis longtemps et qui la touche aussi, c’est souvent plus simple de rallier des femmes que des hommes, parce que les hommes sont les gagnants du système donc ils n’ont pas forcément intérêt à le changer (même si c’est bien plus compliqué que ça). « Mais on va dire que je commence doucement. » Je lui dis en riant. « Oh faut que je te montre aussi le coin boutique ! » Je lui dis avant de me diriger vers le fond du café, là où se trouve quelques posters d’artistes et des petits portes clefs, marque pages et autres petits objets.

Vega avait bien raison, garçons et filles apprenaient toutes et tous très tôt les choques problématiques de la société. Et c'est bien pour ça que ça fonctionnait autant. Les gens étaient tellement imprégnés qu'ils ne se posaient plus aucune question. C'était normal. C'était comme ça. C'était la tradition. Et tellement de conneries.

-On les apprend au berceau, quand on habille les petites filles en rose, les garçons en bleu. J'ai deux filles alors je ne sais pas vraiment quelles réflexions ont les parents de garçons mais je sais que les gens ne peuvent pas s'empêcher de faire des remarques en rapport avec leur genre.

Et sur leur supposée orientation sexuelle d'ailleurs. En tant que femmes hétérosexuelle ça n'alertait pas toujours Aisling sur le coup, mais parfois à tête reposée, elle se rendait compte de l'aberration de leurs propos. Et encore, elle devait être loin d'être la mère à qui on se permettait de faire le plus de réflexions.

-Mais oui, ce serait super cool ces livres d'éducation. Tu as une idée de l'âge ? Siobhan commence à être en âge de comprendre pas mal de choses, mine de rien...

Mine de rien, elle grandissait, de jour en jour. Comme sa maman, mais pas de la même façon. Elle esquissa un sourire quand Vega minimisa les choses en lui faisant remarquer qu'elle n'était la plus dure à convaincre.

-Certaines personnes ne diraient sûrement pas ça !

Elle haussa doucement les épaules.

-Tu sais, ceux qui ne veulent pas être convaincus, tu ne les convaincras pas.

Aisling fut un peu surprise de cette pensée qui traversait soudain la tête de Vega mais la suivit sans se poser de questions. Elle regarda les objets avec curiosité.

-Oh c'est vrai qu'un petit marque page, c'est toujours utile !

Je n’ai pas d’enfants et ce n’est pas dans mes projets d’en avoir, mais je vois tout de même les réflexions qui peuvent être faites aux parents, que ce soit parce que j’ai des amis qui ont des enfants ou ce que j’entends parfois dans la rue. Et ça commence même avant la naissance avec la fameuse question : c’est un garçon ou une fille ? Comme si ça allait changer quelque chose, comme si ça avait une importance. Ça en aura une malgré les parents, parce qu’il y a la société qui fait toujours la différence mais si on commence à faire la différence avant même que l’enfant soit né, on n’est pas sorti ! Et j’imagine qu’Aisling aussi a dû en avoir des réflexions, que ça a dû commencer tôt pour ses filles aussi. « J’ai lu quelques bouquins qui en parlaient et vraiment la distinction se fait même quand l’enfant est juste un bébé qui pleure. Suivant si c’est un garçon ou une fille les gens vont pas faire les mêmes réflexions, alors que bah c’est juste un bébé qui pleure. » En plus l’étude que j’ai vu a été faite avec le même bébé, son genre a juste été changé pour certains participants qui n’attribuaient pas les mêmes caractéristiques aux pleurs suivant si on leur disait que c’était un garçon ou une fille. Et après on essaie de nous faire croire que le genre c’est pas juste une construction sociale. C’est pour ça que je me dis qu’avoir quelques livres éducatifs pour les enfants, ça serait bien aussi. « Je pensais peut-être à plus vieux qu’elle mais je pense que je peux quand même trouver des trucs, ça serait peut-être plus sous forme d’histoires comme on disait tout à l’heure. » Il faut vraiment que je me penche sur la question des livres pour enfants, surtout que ce n’est pas quelque chose que je maîtrise tellement. « Je pense qu’on peut toujours réussir à faire changer d’avis quelqu’un, je peux être un peu obstinée parfois. » Un peu, parfois, c’est des euphémismes parce que clairement je ne suis pas du genre à lâcher et je m’enfonce parfois dans des discussions qui ne mèneront à rien. J’arrive par moments à y couper court, pour me préserver, parce que c’est épuisant de parler avec quelqu’un qui ne veut rien entendre, mais j’ai du mal. J’emmène ensuite la jeune femme vers le coin boutique, histoire de continuer à lui faire découvrir le Weird Kids. « Franchement moi je trouve tout trop beau, même si j’en ai pas besoin. » Je lui dis en riant. Il y a des marques pages donc mais aussi des affiches, des petits carnets, des bijoux, des vêtements upcyclés, le tout dans des styles variés avec plusieurs artistes du coin et je résiste à chaque fois que je vois l’étagère avec un peu tout pour ne pas craquer et acheter quelque chose.

Aisling n'avait jamais pensé à l'exemple qu'évoquait Vega. Et elle ne comprenait pas comment on pouvait penser à faire ce genre de différences de surcroît. Elle lâcha un léger soupire en y pensant et secoua la tête.

-Je ne comprends pas que les gens ne puissent pas prendre du recul et se dire "c'est dingue". Dingue de dire ce genre de choses, de penser ce genre de choses.

Mais le sexisme était tellement banalisé. Et certaines voies s'élevaient quand même pour leur explique que l'égalité était atteinte. Dans quel monde vivaient-ils ?

La blonde hocha la tête de haut en bas quand elle parla des livres d'éducation. Elle espérait qu'elle pourrait se les procurer pour qu'elle puisse els emprunter, et puis, elle pouvait aussi demander à Isaiah de faire des recherches sur la question et d'en parler avec Vega. En revanche elle se mordit l'intérieur de la joue quand elle lui avoua être convaincue qu'on pouvait faire changer les gens, tous les gens.

-Honnêtement, je ne crois pas. Il y a des moulins à vent.

Ca remettrait en cause pourquoi trop de choses pour qu'ils veuillent bien admettre être en tort.

Aisling découvre avec émerveillement le coin boutique, et se dit qu'il ne faudrait pas qu'elle y envoie Isaiah trop souvent. Si son homme n'était pas vraiment du genre dépensier, elle savait que ce genre de choses pouvait le faire craquer.

-Ca ne doit pas être facile de ne pas craquer en étant toujours à côté !

A chaque fois que je me dis que question sexisme on ne peut pas faire pire que tel ou tel truc, je suis étonnée de découvrir que si, c’est toujours possible de faire pire. Le problème c’est que notre curseur de normalité ne fait que bouger, que quelque chose qui n’était pas acceptable avant, le devient un peu plus maintenant. Autant sur certains points c’est l’inverse, les gens deviennent beaucoup moins tolérants sur des pensées extrêmes, mais sur d’autres ça ne va clairement pas dans la bonne direction. Et ça se voit, les études montrent qu’au fil du temps les femmes tendent vers plus de progressisme tandis que les hommes eux y sont de plus en plus réfractaires ce qui fait que la société devient de plus en plus fracturée. Oui je lis pas mal de socio. « C’est tellement accepté et normalisé que les gens voient pas le problème. » Le nombre de fois où j’ai entendu des pseudo blagues (parce que bon faudrait peut-être remettre en question son humour des fois) racistes où ça choquait personne à part moi (faut dire qu’il y avait que des blancs aussi), plus rien ne m’étonne. Si autour de nous personne n’est sensibilité et/ou concerné, les gens ont du mal à voir que quelque chose cloche puisque personne vient leur dire. Ils pourraient aussi y penser tout seul mais c’est rare que quelqu’un en vienne à se déconstruire sans aide extérieur, il faut avoir un élément déclencheur. C’est pour ça aussi que je pense que tout le monde peut changer d’avis, même si c’est assez utopiste de penser comme ça. « Oui, des fois c’est un peu s’engager dans un combat perdu d’avance mais bon, j’me dis que c’est pas en faisant rien que ça aide aussi. » Même si forcément agir ça demande beaucoup de temps et d’énergie. Heureusement à côté des gens problématiques, il y a des choses sympas dans la vie, comme le corner boutique de créateurs du café, un endroit qui me demande beaucoup de self control pour ne pas craquer à chaque fois que je le vois. « Non effectivement, j’ai déjà acheté pas mal de trucs en vrai mais c’est un bon exercice de maîtrise de soi ! » Je lui dis en riant.

Aisling poussa un léger soupire. Elle savait bien que son amie avait raison. C'était juste "comme ça" pour plein de monde. L'ordre naturel des choses. Parce qu'on avait décidé d'expliquer des différences de sexe, de genre, par la biologie. Elle ne comprenait pas comment on pouvait y croire. Est-ce que c'était parce qu'elle-même était scientifique, et même biologiste qu'elle trouvait ça ridicule ? Ou parce qu'elle était une femme ?

-On ne leur met pas assez le nez dans leur merde.

Vega ne semblait pas vouloir mesurer ses efforts et préférait se lancer à corps perdu dans la bataille. Honnêtement, la blonde trouvait ça admirable. Elle ne serait jamais capable d'en faire autant, d'être aussi militante - Isaiah avait déjà davantage le profil - et elle était forcée de l'avouer : il fallait des personnes comme ça pour que les choses avancent. Mais elle s'inquiétait tout de même pour la santé mentale de ceux-là. Si eux se battaient pour les autres, qui se battaient pour eux ?

-C'est vrai. Mais en en faisant trop... Pour toi, je veux dire... Est-ce que ça aidera vraiment quand tu n'arriveras plus à sortir de ton lit ?

Elle avait vu Isaiah déprimer, abandonner l'idée d'avoir un enfant parce que le monde était trop déprimant. Le blesser, aussi, par mégarde, évidemment. Mais elle se souvient qu'à ce moment-là, il avait remis en question tout un tas de choses. Ce n'était pas une période qu'elle souhaitait à qui que ce soit.

Heureusement qu'il y avait des sujets un peu plus léger à aborder. Elle rit avec elle quand elle parla de maîtrise de soi. Aisling était un peu compulsive sur les bords, elle aurait sûrement du mal à être à sa place.

-En tout cas, je note de t'envoyer Isaiah, je suis sûre qu'il craquera pour un tas de trucs lui aussi.