can we be a family ? (rosenbach²)

En entendant parler de mon grand-père, mon cœur se serra. La famille, ce n’était pas quelque chose que j’avais pu avoir, pu connaître. La seule personne que j’avais pu voir comme ma famille était ma mère et elle avait été incapable de prendre soin d’elle-même, alors encore moins d’un gamin. J’aurais aimé avoir des grands-parents, les visiter le week-end, manger tous les biscuits du monde quand j’étais de passage chez eux. « Comment il était, mon grand-père ? » Demandais-je. C’était peut-être con de poser des questions sur un défunt alors que je l’avais elle, devant moi. Mais je savais que les réponses à son propos viendraient plus tard. Nous avions du temps devant nous, même si je ne savais pas exactement combien en raison de tout le mystère qui entourait cette femme. Je préparai les cafés, laissant le sien noir à sa demande. Je le posai devant elle et pris le mien entre mes mains. C’était un maigre réconfort contre mes paumes mais ça aussi, ça me sécurisait. Je me sentais comme un gamin qui aurait voulu se cacher derrière sa mère mais une mère, je n’en avais plus depuis longtemps. Je m’assis face à elle et commençai à parler d’abord du centre. « Euh … en fait, j’aide les jeunes qui viennent de milieux de merde comme le mien. » Une autre pique, sans même le vouloir. « J’offre une sorte de refuge pour ceux qui n’ont pas envie d’être chez eux, mais surtout, j’leur offre la chanson de s’exprimer à travers l’art, la danse plus précisément … » Expliquais-je. Après ce topo sur Head Ahead, je parlai de mes enfants. J’eus un léger rire en l’entendant me parler de ma relation avancée, puisque j’avais des enfants. « En fait la pomme n’est pas tombée bien loin de l’arbre, même en sautant une génération. Mes deux enfants sont de deux mères différentes. Et ma copine actuelle n’est la mère de ni l’un ni l’autre. » J’haussai les épaules. « Mais j’les garde dans ma vie. J’les laisserai jamais tomber. » Et ce, même si Maxwell était loin de moi, aux États-Unis.

Il lui posa des questions sur son grand-père. Le cœur de Selma se serra un peu. Si elle n’a aucun mal à parler de ses autres maris, dont elle a fini par divorcer, pour son premier mari, c’est différent. Elle aurait aimé avoir le temps de plus le connaître, le temps de vivre une vraie histoire aboutie avec lui. Elle se rappela alors les moments qu’ils avaient partagés, essayant de retransmettre au mieux son essence. « C’était le genre d’homme mystérieux et charismatique. Très beau et toujours bien habillé. Il dansait très bien aussi ! Je suis tombée amoureuse dès que je l’ai vu. Je venais d’arriver en Allemagne et il m’a guidé, il m’a appris l’Allemand. Sous sa carapace d’homme inaccessible il était vraiment très gentil et prévenant. Je n’ai pas eu assez le temps de le connaître pour y voir tous ses défauts. » Car il ne pouvait être parfait, mais à ses yeux, il l’avait toujours été. A côté de lui, tous les autres hommes qu’elle a rencontré dans sa vie lui semblait un peu fades, pas aussi exaltants que son premier mari. Son petit-fils lui dévoila à son tour quelques pages de sa vie, commençant par son travail. Selma comprenait bien que ce qui l’avait mené à faire ça était sa propre expérience familiale, expérience qui était en partie de sa faute. Malgré tout il semblait bien s’en sortir et réellement heureux d’aider les autres. Elle hocha la tête. « C’est très beau de vouloir aider les autres. » dit-elle seulement. A peu près à son âge, la vieille dame aussi avait donné de son temps pour se consacrer aux autres, pour les aider. Ce n’était pas à la hauteur de son petit-fils mais à son époque il y avait des choses pour lesquelles se battre qui sont bien plus acquises aujourd’hui. Alors qu’elle tentait une remarque sur sa vie de couple, il lui expliqua qu’il n’avait pas eu ses enfants avec sa copine actuelle. Selma lui sourit en se disant qu’effectivement, il y a des gènes qui ont été transmis, même si ce ne sont pas les meilleurs. « Dans ce cas tu as une très bonne copine. Tout le monde n’accepte pas forcément que son copain ait eu des enfants avant. » Elle-même avait du terminer plusieurs relations lorsqu’elle avait annoncé avoir déjà des enfants.

Mystérieux et charismatique. Je souris. Je n’avais pas hérité du côté mystérieux, je n’avais rien d’énigmatique comme individu, au contraire. Charismatique ? Je ne savais pas. Peut-être un peu, mais pas du niveau politicien qui arrive à gagner le cœur des autres rien que par son charisme. Ce qui me fit le plus sourire, ce fut d’apprendre que mon grand-père était un bon danseur. Je ne retenais certainement pas mon bon rythme du côté maternel de ma famille. J’hochai la tête. « De quoi est-il décédé ? » Demandais-je à Selma. Elle m’avait dit à son arrivée que le père de mon père était mort avant sa naissance. Il était donc mort assez jeune. Je me demandai ce qu’il serait arrivé s’il n’était pas décédé. Ma grand-mère serait-elle restée avec lui ? Aurais-je eu une existence totalement différente ? Aurais-je seulement eu une existence, même ? Sans doute pas. Battement d’aile de papillon et tout ça. Je dévoilai finalement quelques morceaux de mon existence à la femme face à moi. C’était étrange de me dévoiler aussi intimement à quelqu’un que je ne connaissais même pas, mais qui avait un lien si proche de moi. J’haussai les épaules quand elle me dit que c’était beau de vouloir aider les autres. « Je fais de mon mieux. » Au moins un endroit où je ne merdais pas, contrairement à ma vie familiale qui ne tarda pas à être exposée au grand jour. Ma grand-mère complimenta Freja pour son ouverture d’esprit face à ma situation. « Ouais. She’s the best. » Elle l’aimerait. Tout le monde aimait Freja. Je bus une gorgée de mon café. « Et vous, alors ? Qu’est-ce que vous faites de votre vie ? Êtes-vous actuellement mariée ? Est-ce que j’ai des demi-frères ou demi-sœurs ? » J’aurais pu continuer à la bombarder de questions mais chaque chose en son temps.

Après qu’elle eut expliqué comment était son premier mari, celui qui a ses yeux était l’homme parfait quand elle l’avait rencontré, son petit-fils le demanda comment il était décédé. Repenser à ce moment rendit Selma triste. En général elle préférait penser aux bons moments qu’ils avaient partagé tous les deux plutôt qu’à sa fin, brutale mais par moments attendus. « On pourrait dire suicidé de trois balles dans le dos. A cette époque en Allemagne il était parfois compliqué de s’en sortir. Il vivait sous une sorte de couverture, agent pour l’ouest faisant des voyages à l’est. Un jour, il n’est pas revenu. Officiellement il a été renversé par une voiture, un accident mais tout le monde sait que ce n’est pas vrai. » A vivre dangereusement la mort peut arriver à n’importe quel moment. C’est pour cela que la vieille dame a toujours voulu vivre sa vie sans aucun regret, voyageant et faisant toutes les choses qu’elle voulait. L’histoire du grand-père de Concho n’est pas joyeuse et elle n’a pas envie que cela rende leur rencontre triste. Heureusement il lui parle de sa vie, qui même si elle est compliquée, ne fait pas intervenir de personnes décédées dans des conditions mystérieuses. Il a l’air vraiment heureux avec sa copine et cela fait plaisir à Selma, elle qui n’a jamais réussi à faire tenir une histoire, se lassant toujours au bout d’un moment du quotidien sans saveurs. Elle hocha la tête, buvant en même temps que lui une gorgée de café. Il lui posa des questions sur son présent, moins joyeux que le passé qu’elle a pu avoir. « Je suis à la retraite donc je m’occupe, je voyage même si je ne compte plus vraiment repartir de Bowen et je fais ce que je n’ai pas pu faire avant. Mais je n’ai plus de mari dans ma vie depuis quelques années, c’est pas plus mal ! Pour ce qui est de la famille, je ne saurais même pas vraiment dire combien tu as de cousins et de cousines. En tout cas j’ai eu six enfants en tout. » L’arbre généalogique ne sera pas simple à construire.

Je vis la lueur de tristesse qui traversa le regard de ma grand-mère alors que je lui demandais de quoi mon grand-père était décédé. Je n’avais pu le savoir, je n’avais pas eu de peur pour m’en parler. Je regrettais toutefois de replonger cette femme dans son deuil. Je fronçai les sourcils alors qu’elle me parla de suicide et de balles dans le dos, pas certain de comprendre comment tout cela pouvait s’orchestrer. J’écoutai les explications de ma grand-mère, pas certain de tout comprendre encore une fois malgré les quelques détails volés. J’hochai la tête quand même, gardant le silence – j’avais appris par moi-même ce truc-là. De garder le silence plutôt que d’avoir l’air idiot. « Je suis désolé. » Dis-je tout simplement. Je n’allais pas la questionner davantage à propos du décès de l’homme qu’elle avait aimé, décès qui semblait brutal et mystérieux. À la place, je lui demandai de me parler d’elle. Elle, elle était encore vivante. Il valait donc mieux me concentrer là-dessus, je suppose. J’étais peut-être encore réticent face à cette rencontre inattendue, mais je ne pouvais me résoudre à la mettre à la porte. Pas alors qu’elle avait tant à me raconter. Au fond, je réalisais que j’avais longtemps attendu ce moment, sans le savoir. J’appris qu’elle était à la retraite, qu’elle n’était pas mariée et qu’elle avait eu six enfants en tout. J’haussai les sourcils, surpris. Et dire que je ne connaissais aucun de ces oncles ou de ces tantes, et donc encore moins les cousins et les cousines que je pouvais avoir de ce côté-là de la famille. « Wow … Ils sont un peu éparpillés à travers le globe, c’est ça ? » Ce serait une putain de mission de vie, ça. De partir à l’aventure pour retrouver des bouts de ma famille. Mais je n’étais même plus certain que cela faisait partie de ma recherche d’identité. Plus comme avant, du moins. « Si vous comptez rester à Bowen, vous comptez reprendre contact avec mon père ? Avec Inge ? Il est toujours ici, vous savez. Il a jamais bougé. » Et il n’avait surtout jamais levé le petit doigt pour moi. Nous habitions la même ville et pourtant, nous étions deux parfaits étrangers.

Elle ne parlait pas souvent de son passé, surtout aussi lointain. Avec le temps elle avait appris à vivre avec la douleur et la tristesse, à se réfugier dans d’autres bras pour tenter d’oublier, aller ailleurs également. Pourtant elle ne s’était jamais vraiment remise de la perte de son premier mari. Ils n’avaient pas eu le temps de s’installer dans une routine, de s’ennuyer l’un de l’autre. Avec ses autres maris, ils avaient connus la vie de famille, la routine et l’ennui, c’est pour cela qu’elle était partie à chaque fois. En racontant son histoire elle en avait presque oublié à qui elle parlait. Son petit-fils s’excusa, voyant que cette histoire la bouleversait encore aujourd’hui. Selma lui expliqua ensuite qu’elle ne comptait pas vraiment repartir de Bowen sans lui préciser pourquoi. Elle expliqua également qu’elle ne saurait dire combien elle a de petits enfants, n’ayant pas vraiment de nouvelles de ses enfants. Elle a été une mère absente et elle en paie aujourd’hui le prix. « Oui, il y a en a en Europe, aux Etats-Unis et ici. Peut-être ailleurs aussi, je ne sais pas trop. » Avec les années, il y en a qui ont du bouger. Certains sont peut-être à sa recherche et veulent reprendre contact avec elle ? Elle n’en sait rien mais elle ne se cache pas pour autant. Concho lui demanda si elle comptait reprendre contact avec son père, vivant également à Bowen. La vieille dame leva les épaules. « Je ne sais pas, je n’imagine pas l’accueil qu’il pourrait me réserver. Tu le vois souvent du coup ? » demanda-t-elle alors. Selma avait un peu peur d’affronter les erreurs de son passé même si elle le faisait à présent, comme une rédemption avant de partir.