blurry lines. (maggie)

blurry lines

La forêt défilait de chaque côté de la route, alors que ses doigts tapotaient distraitement le volant. Charlie revenait de chez Niels et Aelya, qui n'était pour l'instant plus que la demeure de Niels, et semblait par conséquent vidée de la moitié de sa lumière. La jeune médecin allait fréquemment voir son ami, accessoirement mari de sa meilleure amie. La mémoire ne revenait toujours pas à Aelya. Et s'ils tentaient tous les deux de garder espoir, de lui rendre visite, de sourire et de choisir la voie de l'optimisme, l'ombre au tableau n'était jamais bien loin, planant au-dessus de leurs pensées comme une épée de Damoclès, prête à trancher d'un coup fatal tous leurs espoirs. Sauf qu'elle ne pouvait pas tomber. C'était ça le pire. L'inconnu. Ne pas savoir, ne jamais savoir si elle recouvrerait un jour la mémoire. Si elle se souviendrait de leurs visages dans son histoire passée. Ils avaient besoin de se retrouver, de se réconforter comme ils le pouvaient, ou simplement de craquer dans les bras l'un de l'autre. De se laisser aller, derrière le rideau de scène de leur quotidien, dans les coulisses. Et puis ils repartaient. Même espoir, même épée. Sans doute que Charlie était un peu distraite par ces ruminations, ou bien c'était la voiture à sa gauche qui arriva beaucoup trop vite au croisement, ou les deux. Qu'importe car l'accident ne fut évité que grâce à un coup de frein violent de dernière minute, saisissant la brunette à tel point que sa respiration se coupa, tout son corps crispé en une seconde, cramponnée au volant. Dans la panique, elle donna un gros coup de klaxon, comme si cela évacuait sa peur et son soulagement simultanément. Il y avait à peine un mètre entre son gros pick-up et la voiture de l'autre conducteur, qui s'avéra être une conductrice. Une conductrice dont, malgré son air hébété, le visage frappa Charlie tel un fouet, venu d'un autre temps. Elle n'était pas sûre d'elle, en état de choc, à travers deux pare-brises. Est-ce que c'était son cerveau qui fonctionnait tout à coup à toute allure et s'emmêlait les pinceaux ?

T’étais de retour à Bowen depuis quelques temps maintenant… T’avais eu le temps de retrouver ta chambre d’adolescente et même la maison familiale. T’aurais bien voulu t’installer dans un petit appartement avec ton chat, mais ta famille refusait de te laisser toute seule les premiers temps. Après tout, tu n’avais jamais été seule ou que très rarement laissée à toi-même. Tu craignais presque la solitude. T’avais décidé de sortir, de faire quelques emplettes et tu rentrais chez toi à bonne vitesse. T’avais retrouvé confiance en toi. Suite à une quasi altercation en voiture, t’as un air plutôt surpris et limite hébété. Après ça, tu te stationnes tout près. Tu inspires et tu expires calmement. Tu trembles un peu encore et tu décides de sortir de ta voiture les mains tremblantes et tu t’avances vers l’autre véhicule. « Est-ce que tout va bien? » que tu demandes en cognant à la fenêtre du véhicule, découvrant en même temps le visage de Charlie Meers. Maintenant, y’a plus que tes mains qui tremblent, ton corps tout entier ressemble à un tremblement. Tu te permets d’ouvrir la portière. « Rassure-moi, t’es pas coincée ? » T’arrives à articuler des mots, tu vas t’en sortir. « Tu vas bien? » Que tu lui demandes avec un petit sourire, les joues néanmoins rosies, non pas par la situation mais plutôt par la gêne de retrouver une ancienne fréquentation, si tu puis ainsi dire.

C'était bien elle. Quand ses doigts fins vinrent toquer à sa fenêtre, le doute était levé. L'Australienne dévisagea son amie d'enfance, si bien qu'elle en oublia de répondre. Elle était encore dans un état un peu second, sans pouvoir déterminer si celui-ci était dû à l'accident évité de justesse ou au visage de Maggie qu'elle n'avait plus vu depuis des années, et qu'elle n'était pas sûre de revoir un jour. En tout cas, la certitude, c'était qu'elle n'aurait jamais cru que ça se ferait dans ces circonstances. La jolie rousse ouvrit la portière, déclenchant enfin chez Charlie la possibilité de se ressaisir. « Euh, non non, ça va, j'ai rien ! » bredouilla-t-elle en enlevant enfin ses mains du volant, qui étaient restées inanimées jusque-là, comme le reste de son corps d'ailleurs. Cette situation était invraisemblable, la jeune interne ne savait pas où se mettre. Elle détacha sa ceinture, comme pour occuper ses fonctions motrices, parce qu'elle ne savait pas quoi faire d'autre. « Ah, euh, et toi ? » reprit la brune en scannant rapidement la jeune fille du regard, évitant de croiser le sien trop longtemps. C'était absurde, elle lui causait presque comme à une inconnue, son cerveau carburait, ne sachant pas du tout comment réagir.

Elle n’avait rien et tu souriais puisque tu étais soulagée. « Ça me rassure! » Que tu avouais simplement. Tu la voyais bouger un peu et ça te confirmait le tout. Tu la voyais se détacher de la ceinture de sécurité et elle te retournait la question. « Plus de peur que de mal. » Avouais-tu alors que peu à peu, ton corps se resaisissait et tu tremblais de moins en moins. Tu semblais reprendre tes moyens peu à peu. Elle avait vieilli mais pourtant, elle était identique et toujours aussi belle. Tu l'observais attentivement en prenant sa main pour la faire sortir du véhicule. « Tu peux marcher et bouger un peu, Charlie? » Son nom passait tes lèvres et tu avais l’impression de t’électrocuter. « Tu peux parler aussi, tu sais. » Tu te moquais d’elle parce que normalement, un mot n’attendait pas l’autre avec la belle brune. « Le temps a passé, Charlie. Tu fais quoi maintenant? » demandais-tu, curieuse.  

La pile électrique qu'était Charlie se retrouvait toujours mystérieusement à plat quand elle se retrouvait dans des situations sociales totalement imprévues. Plus particulièrement des situations impliquant des fantômes sentimentaux du passé. La brunette était confuse, elle n'était pas du tout préparée à revoir Maggie, et les émotions se mélangeaient dans sa tête. Elle retrouvait une amie chère, une amie avec qui elle avait grandi durant des années, à travers tout ce qui avait touché sa famille. Elle avait retrouvé en elle un refuge et des moments volés, qui plus tard s'étaient transformés en moments sacrés. Elles s'étaient découvertes d'une autre façon, alors qu'elles pensaient se connaître par cœur, elles-mêmes et mutuellement. Ce chemin parcouru ensemble, qui s'était arrêté de façon un peu évasive, puis brutalement avec le départ de Maggie, réveillait en elle des émotions croisées. Le tout était enveloppé d'une bonne dose de nostalgie, mêlé à de la gêne et un reste de papillons. Et à la fois un plaisir de la revoir, enfin, même si c'était couvert de surprise. Bref, si on voulait faire taire Charlie, on savait comment. Plantez-lui une relation passée devant la tronche, idéalement une relation non-hétéro datant de sa période pré-réflexions identitaires, et le tour est joué, vous avez la paix pour quelques temps. « Ok, très bien. Wouah, désolée, on a eu chaud. » répondit enfin la jeunette sans même parvenir à décortiquer l'incident. Peu importe, apparemment, Maggie passait déjà à autre chose, après avoir bien vérifié que Charlie était en état de fonctionnement. Ce contact entre leurs peaux eut d'ailleurs l'effet d'un éclair, aveuglant et à la fois satisfaisant, perturbant mais un peu excitant. Son nom entre les lèvres de la rouquine eut pour effet de la faire tressaillir. C'était comme si elle avait oublié comment elles se comportaient, l'une envers l'autre, alors qu'elles l'avaient fait depuis toutes petites. « Oui oui, ça va. » répéta-t-elle en sortant de la voiture. Elle osa enfin reprendre le contact visuel, gloussant légèrement aux paroles de Maggie. « T'es sûre ? Tu devrais vraiment profiter de ce silence, tu sais à quel point c'est rare si j'suis dans la pièce. » sourit-elle, son regard azur reprenant cette étincelle touchée d'humour. Bon, au moins elles avaient la preuve que cognitivement, tout allait bien, si son humour était déjà de retour. « Ah, ben, toujours dans ma résidence en chirurgie pédiatrique. En troisième an... Attends, on mettrait bien les voitures ailleurs qu'en plein milieu du carrefour avant de faire papote, non ? » commença-t-elle avant de se rendre compte qu'elles rattrapaient le temps perdu au bord de la route dans un carrefour.

Tu avais eu le temps de te préparer à revoir tout ton monde de Bowen et franchement, ça t’excitait à un point tel que tu devenais presque une puce! T’avais envie de tous les revoir et Charlie était un point marquant dans ta vie, t’avais envie et besoin de la revoir. Parce que c’était ton amie d’enfance, parce que c’était le temps d’enterrer ce que vous aviez vécu toutes les deux et mettre ça derrière vous. Vous vous étiez découvertes toutes les deux, mais quelque part, t’étais pas encore prête à l’assumer à l’époque. Encore aujourd’hui, tu te questionnes de ce que ça aurait pu être avec une autre femme… Ou même ne serait-ce qu’avec Charlie. Aurais-tu été heureuse, comblée? Tu n’en sais rien, tu n’as que ton départ en bouche qui te crée une certaine amertume depuis. Par contre, tu t’assumais pleinement contrairement à Charlie qui semblait gênée par tout ça. « C’est pas grave, tu vas bien et je vais bien, c’est l’essentiel. » Alors que la brune semblait encore déconcertée. Elle répétait que ça allait et marchait un peu à tes côtés en gloussant. « Je sais que c’est rare, mais c’est ce que j’aime chez toi! Des silences remplis de malaises, j’en vis suffisamment au travail, j’ai pas besoin que tu te transformes, toi aussi, en une loque humaine. » Et c’était vrai. C’était parfois très lourd entre des parents. Il y avait les silencieux, mais t’avais aussi ceux qui s’insultaient et ça faisait mal à ton cœur chaque fois. Dire que ces gens s’étaient tant aimés autrefois… Charlie te parlait d’elle, troisième année de chirurgie pédiatrique. Tu fronces les sourcils. « Et ça se termine après combien d’années déjà, ce truc? » Que tu lui demandes presque exaspérée pour ta pauvre amie. À sa proposition, tu hochais la tête. « Y’a une table de pique-nique pas trop loin, on s’y retrouve? » Aux aurores de la forêt. Tu allais stationner ta voiture non loin et tu t’assoyais sur la table en attendant ton amie d’enfance, ta sœur de cœur et émotions mixtes passées.

Elle allait devoir s'exhorter à garder la tête froide, comme toujours dans ces situations. Car oui, c'était pas une première, pour Charlie. Mais à sa décharge, voir Maggie rembarquer dans sa vie au bout de trois ans, sans prévenir et au détour d'un presque accident de voiture... C'était quand même original. On pouvait lui reconnaître que n'importe qui aurait eu un petit choc à digérer. « Oui, personne n'a perdu de morceaux. Je t'en aurais voulu, si t'avais cassé ma clavicule préférée. » acquiesça la jolie brune avec un air complaisant. L'humour, c'était toujours sa bouée de sauvetage en toute situation, sa meilleure façon de rebondir en toute sérénité. Enfin, sereine, c'était peut-être un grand mot. « Peut-être que je serais une très bonne loque, qui sait. Toujours placée où il faut pour se rendre utile, d'un joli duvet en microfibres violet, propre et prête à rendre service... » répliqua-t-elle ensuite, l'expression parfaitement sérieuse, mais une étincelle farceuse, celle qu'on lui connaissait bien, éclairait ses yeux azur. « Si tu veux mon avis, jamais, je dirais. » plaisanta la jeune femme quand son amie d'enfance lui demanda quand sa phase d'apprentie était censée se terminer. Si Maggie semblait presque effrayée par ce parcours du combattant dans ce choix de carrière, les iris de Charlie, eux, pétillaient d'excitation. On voyait à quel point ce job, c'était sa vocation, sa raison d'être. Rien ne pouvait réellement totalement l'ébranler tant qu'elle avait ça, et sa famille. Elles décidèrent tout de même de bouger leurs carrosses respectifs dans un endroit plus propice qu'au milieu du chemin, avant de poursuivre cette conversation qui prenait une tournure étonnamment normale, même si la médecin devait se faire violence pour ne pas se laisser perturber. « Et toi alors ? Quand est-ce que tu es revenue ? » demanda la brunette, sa curiosité refaisant surface, teintée surtout d'un besoin de comprendre. Les traits de son visage témoignaient qu'elle n'était pas aussi détendue qu'elle voulait faire paraître.

Personne n’avait perdu de morceau. Elle avait raison et ça t’arrachait un sourire qui se transformait en rire lorsqu’elle parlait de sa clavicule PRÉFÉRÉE. « Rappelle-moi c’est laquelle déjà… » que tu lui demandais, amusée par la situation. T’étais en pleine possession de tes moyens, peut-être parce que tu t’étais déjà imaginé le fait de revoir Charlie et que vos années ensemble à découvrir la vie remontaient à il y a un moment déjà. En attendant, Charlie recommençait à être qui elle était et ça t’arrachait un sourire. « J’ai pas besoin que tu testes la loque humaine pour savoir que t’es pas faite pour ça, Charlie. » Tu voyais bien qu’elle plaisantait mais toi, t’étais clairement tombée dans le panneau. La brunette te confirmait ce que tu croyais : jamais. Tu éclatais de rire. « Non mais sérieusement, dis-moi parce que je sais que pour les cursus scolaire, j’suis pas le crayon le plus aiguisé de la boîte, boîte qui pourrait être amenée à l’école pour l’éduquer! » Tu disais n’importe quoi toi aussi, mais t’avais toujours eu un peu de mal avec les cursus scolaires. Tu t’étais concentrée sur le tiens et c’était plus que suffisant. Elle te retournait maintenant les questions et tu passais ta main dans tes cheveux. « Ça fait environ une semaine. J’étais à Perth, j’ai eu une opportunité de fou que je n’ai pas eu le choix d’accepter. » Confiais-tu adroitement. Le mensonge glissait comme dans du beurre. T’étais tristement habituée d’altérer la vérité ou de la dissimuler soigneusement. T’étais pas pour dire à Charlie que t’avais eu un cancer, tu l’aurais tétanisée pour au moins 10 minutes. « J’avais un bon ami là-bas et un endroit où loger. C’était parfait. » Parfaitement faux. « Mais Bowen me manquait, toi aussi d’ailleurs. Et toi, la vie? »

Le rire de Maggie s'envola dans les airs, comme une brise d'été, alors que l'humour légendaire de son amie d'antan reprenait le dessus. « Celle-là ! » répondit tout de même Charlie en désignant sa clavicule gauche. Fait qu'elle aurait probablement oublié dans deux ou trois semaines, et elle choisirait l'autre à la prochaine blague. La jeune brunette s'emballa ensuite sur si oui ou non elle ferait une bonne loque, ce à quoi l'avocate répondit qu'elle n'était définitivement pas faite pour ça. Derrière leurs rires et leurs bêtises, c'était un très beau compliment, que Charlie prenait gracieusement, un léger rose poudré teintant ses joues. « D'accord, en vrai, j'en ai encore pour trois ans, je suis pile à la moitié. » sourit la jeune femme, non sans une toute petite pointe de fierté. Elle retourna ensuite les questions à Maggie, se demandant depuis combien de temps elle était de retour - et quelque part, se questionnant aussi sur si elle comptait un jour la prévenir ou non -. « Ah ouais ! Et... Jules il est au courant que t'es de retour ? » osa demander la jeune fille, présumant que non, si elle n'était pas au courant que la rouquine était de retour dans les parages, sont meilleur ami ne devait pas l'être non plus. Non, évidemment, sinon il le lui aurait immédiatement dit, c'était une nouvelle de la taille d'un bulldozer. « Oh, d'accord. C'était quoiiii cette opportunité ? » demanda Charlie, sans déceler une seule seconde le mensonge, mais trop curieuse que pour que ça change quelque chose au résultat. « Toi aussi tu m'as manqué, copine. C'était y a tellement longtemps, avec Jules et tout... » soupira-t-elle avec un sourire lointain, se rappelant l'époque où ils étaient un trio qui se connaissait par cœur.

La gauche était sa préférée, c’était bon à savoir. Tu pouffais de rire. La belle brune te confirmait qu’elle en avait encore pour trois ans et tu hochais la tête. À la moitié du cursus, ouf. Elle était douée Charlie, parce que toi t’aurais pas fait ça même sous la torture. « T’as de quoi être fière, Cha! » que tu lui disais en étirant tes jambes sur le banc. AH LA fameuse question qui suivait. Tu rougissais vivement. « Oh oui, il l’a su… » Tu esquissais un petit sourire. « On s’est croisés au parc d’attractions. » Que tu lui confiais alors. Tu retrouvais rapidement cette complicité avec Charlie qui te faisait tant de bien autrefois. « Oh une opportunité d’affaires, rien de bien intéressant. » Que tu fais en chassant tout ça d’un revers de main. Comme si ça avait de l’importance… Puis Charlie allait bien se douter de quelque chose, elle n’aurait pas quitté ses sœurs sans leur dire quoi que ce soit. Tu hoches la tête quand elle dit que ça fait longtemps. « Ça me manque, je t’avouerais. Mais en même temps, j’veux dire… J’ai été avec toi puis lui et ça rend tout ça awkward un peu, non? » que tu demandes en toute franchise en quête d’honnêteté brutale.

Les joues de Maggie se teintèrent d'un léger rose pêche, quand son amie la questionna sur Jules. Donc, il savait, ce qui surprit un peu la jeunette vu qu'il ne lui avait encore rien dit. Elle n'hésiterait pas à lui envoyer un message après cette rencontre. Il devait être tout retourné, le pauvre. « Oh... Et, ça va ? » demanda-t-elle sans vraiment préciser sur quoi portait la question. Elle connaissait les moindres détails de la relation de Jules et Maggie, ayant été aux premières loges. Charlie s'intéressa ensuite au parcours de sa vieille amie, qui se déroba à la question. Il en fallait plus que ça pour mettre la puce à l'oreille de la brune, son esprit concentré sur mille détails à la fois, perturbé par cette rencontre inopinée et les informations qu'elle recevait. Ça n'entamait toutefois pas sa curiosité. « Oh mais si, moi ça m'intéresse toujours ! Raconte ! » poussa-t-elle, tout sourire, sans avoir la moindre idée de ce dans quoi elle mettait les pieds – mais se connaissant, elle aurait pu savoir que c'était dans le plat -. La dernière phrase de la belle rousse désarçonna Charlie. Elle avait le don d'aller droit au but, un trait de caractère qui ne s'était pas perdu en route. Les deux jeunes femmes avaient toujours vécu une amitié honnête, sans détours, sans doute parce qu'elles se connaissaient depuis toutes petites. Mais si la brune avait tendance à mettre les pieds dans le plat dans la plupart des conversations, elle jouait bien plus à cache-cache quand il s'agissait d'un sujet sentimental ou intime. Quand elle était mal à l'aise dans une conversation, ça se repérait vite : elle avait autant la capacité de tout dire en vrac et en brut, que d'emballer les phrases et d'éluder gentiment quand elle se trouvait gênée. « Ben, euh, je sais pas, enfin oui un peu mais... Enfin on n'était pas... Puis c'est de l'histoire ancienne... » se dépêtra Charlie sans savoir sur quel pied danser. Cela faisait des années, et puis Jules était le meilleur ami de la brunette, Maggie son amie d'enfance, tout aussi proche, même si cela s'était arrêté trois ans plus tôt. D'autres dynamiques s'étaient mises en place dans leur relation au fil du temps, et la chirurgienne n'avait aucune idée d'où ça les laissait, maintenant.

« Ça va, enfin, ça va, ça va, je crois. » Pouvais-tu être plus vague, Maggie? Puis, Charlie questionnait davantage et t’étais franchement pas très à l’aise. « Bah tu sais, la vie en cabinet et des associés… ça s’associe alors j’ai fait ça là-bas. C'était très corpo. » Ouais. Des associés, ça s’associe. « J’crois même que mon nom est encore sur la porte du bureau, j’ai pas dissocié tout ça encore. C’est beaucoup de paperasse. » C’est beaucoup de paperasse? Mais t’en as pas la moindre idée! Ça devait en être. Toute façon, tu pouvais pas le savoir parce que t’aurais été en conflit d’intérêts, donc tu ne pouvais pas pratiquer sur tout ça. Puis, t’allais droit au but avec Charlie et comme tu la connaissais, elle jouait difficilement sur ce terrain. Presque autant que toi avec ce qui s’était réellement passé à Perth. « Non, je sais qu’on a pas été un couple à proprement dit, mais est-ce que … ça impacte tout ça? » T’étais bel et bien une avocate pour aborder ces sujets avec la douceur d’un bulldozer. « Puis y’a Jules et… entre toi et moi, j’suis pas trop certaine que c’est de l’histoire ancienne. J’avais encore des petits papillons… J’les aurais étouffé. » Que tu admettais tout aussi ouvertement. Tu t’imposais une place dans la vie de la brunette mais quelque part, t’avais envie que tout revienne comme avant.

Charlie se doutait bien que la réponse était plus compliquée qu'un simple oui ou non, quand elle s'inquiéta de comment s'étaient déroulées les retrouvailles avec Jules. « Tu lui en veux ? » s'enquit-elle, le visage ouvert et un peu concerné. Jules était son meilleur pote de tous les temps, son gars sûr, et elle l'aurait défendu contre vents et marées. Mais Maggie était aussi son amie d'enfance, soudées depuis des années, et dans ce trio, il n'y avait pas d'équipe favorite. Elle savait aussi parfaitement bien comme le jeune Keynes savait jouer au con, et ne s'était jamais empêchée de le lui faire savoir, même de façon indulgente et humoristique. Elle pouvait donc comprendre que la belle rouquine tienne encore de la rancœur à l'encontre du garçon. Mais au fond d'elle, elle espérait déjà qu'ils puissent reprendre tous les trois une relation soudée, comme avant, à une époque qui semblait déjà si loin. « Oh ouais, d'accord ! Quel cauch', la paperasse. Enfin, t'as choisi le bon métier pour ça. » commenta la brune une fois qu'elle eut sa réponse. Ça semblait convaincant, et comme souvent, Charlie ne cherchait pas plus loin, tant que les choses étaient plausibles. Fallait parfois lui mettre le nez dedans, à la brune, pour qu'elle arrête de courir dans tous les sens et puisse se focaliser sur l'essentiel. Sur ce que les gens ne disaient pas. La discussion prit un tournant plus malaisé pour Charlie, quand son amie aborda de front leur passé commun... Et plus ou moins intime. Elle déglutit et tenta de contrôler son pouls qui s'emballait. « J'en sais rien, enfin je crois pas non... Si ? Peut-être... » hasardait toujours l'Australienne. C'était un peu trop tôt, avec tous ces événements des dernières minutes, que de déjà lui demander d'analyser ses émotions. Activité qui n'était pas son fort. Fallait souvent d'abord que tout explose, que ça déborde, comme du lait qui fuit sur le feu. Et puis, peut-être, avec du recul et parfois un peu d'aide, elle parvenait à comprendre ce qui se déroulait sous son crâne en mode pilote de course permanent. « C'est pas une bonne chose ? Enfin, c'est cute. » demanda innocemment Charlie, avant d'éclater de rire quand Maggie parla de les étouffer, ces papillons.

« Tu lui en veux ? » Un soupir sortait de tes lèvres avant même que tu ne l’aies autorisé… « M’oui, un peu, je dirais. Mais c’est surtout par orgueil, j’crois. » que tu avoues en te mordillant la lèvre. Tu lui en voulais parce que toi tu l’aimais et que lui t’avait abandonné comme une vulgaire chaussette. Tu lui en voulais à lui, mais tu en voulais aussi à sa maladie qui gâchait tout. Est-ce que tu lui en aurais voulu si c’était toi qui l’avais laissé? Peut-être. Mais ça, tu ne le saurais jamais parce que c’était pas le cas. Mais Charlie te sortait de tes pensées en te disant que c’était un cauchemar la paperasse et tu te mettais à rire. « J’aime quand c’est pour les autres, mais la mienne, ouf… » que tu déclares finalement en riant. Cordonnier mal chaussé qu’ils disaient. La belle brunette répondait avec évasion et tu te mettais à rire devant tant de gêne. « Si on était à poil dans la rue, tu serais moins gênée qu’en ce moment, Cha. » que tu lui dis pour te moquer d’elle. « Les émotions te gênent encore autant qu’avant… Mais t’as quelqu’un dans ta vie, en ce moment? » que tu lui demandes avec un sourire. Tu lèves les yeux au ciel alors qu’elle te dit que c’est cute. « T’es une éternelle fleur bleue, Charlie. » Que tu lui dis en riant. « Non, mais c’est vrai… C’est pas le moment pour les papillons avec tout ce qui s’est passé! » Tu pouvais faire allusion à tout ce qui s’était passé entre vous trois, certes, mais tu pensais surtout au mot qu’il ne fallait pas prononcer, cette maladie qui commençait par un C dont tu étais maintenant guérie.

« C'est hyper compréhensible. » répondit la brunette avec un sourire qu'elle voulait bienveillant, et effectivement avec autant de compassion que possible. Parce qu'elle trouvait même ça très mature de la part de Maggie de vouloir mettre ça sur le compte de son orgueil, alors qu'aux yeux de l'étudiante, la faute revenait quand même bien sur Jules qui avait eu une petite défaillance de respect à cette époque, tout de même. « Non mais clairement, il a rien géré du tout à ce moment-là, c't'andouille. » poursuivit donc la jeune fille avec un petit soupir désabusé, même si touché d'ironie. Son meilleur pote n'était clairement pas à féliciter pour certains de ses actes, même si Charlie ne lui en tenait pas trop rigueur. Elle savait aussi pourquoi il avait fondamentalement rejeté Maggie. Ça n'excusait pas ses actes et son incroyable manque de tact, mais il y avait des raisons bien plus enracinées derrière tout ça. Charlie savait que son amie d'enfance en avait conscience elle aussi, elle connaissait suffisamment Jules pour ça, les mêmes facettes cachées, les mêmes astuces, les mêmes peurs refoulées. La discussion prit brièvement le tournant de leur relation à elles deux - si on pouvait l'appeler comme ça -, ce qui eut le don de faire perdre ses moyens à l'Australienne, comme toujours. « Oui clairement, mais c'est parce que j'ai un beau corps ça, ça m'dérange pas de le montrer sur la place publique. » Évidemment elle avait sauté sur l'occasion de faire de l'humour. Bien que ce qu'elle avançait ne soit pas tout à fait vrai. Elle aurait pu montrer ses seins dans un bar une seconde sur un défi, mais sans doute pas beaucoup plus. « En même temps, t'as vu les questions que tu me poses, girl ? T'as redébarqué dans ma vie sans prévenir après deux millions d'années et en une demi-heure t'as eu le temps de me parler de nos découvertes de jeunesse, de toi et Jules, et de chercher si j'ai quelqu'un actuellement dans ma vie, forcément qu'elles sont en galère mes émotions là ! » s'exclama Charlie avec de grands gestes, tout en riant. Ça faisait du bien de rire, ça évacuait la pression et ça la ramenait au cœur de leur relation d'enfance, à Maggie et elle. « Moi, fleur bleue ? J'suis la meuf avec le moins de tact et de délicatesse en Australie. Appelle-moi Bulldozer ça ira mieux. » rétorqua-t-elle en faisant mine de s'offusquer, mais ses yeux iceberg riaient toujours aux éclats. « J'ai pas eu une seule relation sérieuse depuis que t'es partie, c'est dire. » précisa-t-elle. Ça faisait du bien d'en rire, encore plus avec cette copine de toujours, riant encore plus quand la rouquine protesta contre les papillons sans ménagements.