I'll stand by you - (igloo #3)

Tu ne savais pas quelle mouche t'avait piqué. T'inscrire à l'évènement de la saint valentin alors que tu étais célibataire depuis deux ans maintenant et que tu ne cherchais pas à retrouver l'amour, c'était une idée un peu folle pour toi. Mais c'était aussi l'occasion de sortir de ta zone de confort et s'il y avait une chose que tu avais appris en fréquentant régulièrement des groupes de paroles, c'est qu'il fallait tourner la page, qu'il fallait être capable de sortir et de faire de nouvelles rencontres sans pour autant chercher à tomber amoureux. Toi qui par la passé était un véritable cœur d'artichaut, toi qui n'a pas éprouvé le moindre sentiment amoureux pour une autre que ta chère Fleur. C'était un challenge et tu étais content de le faire et d'un autre côté, tu étais paniquée à l'idée d'avoir un rendez-vous galant. Heureusement pour toi, le Maire avait proposé de faire des blind date, à savoir un dîner dans le noir complet, ce qui te permettait d'être effrayé sans que la personne en face puisse le lire sur ton visage. Ce n'était pas dit par contre, qu'elle ne pourrait pas le deviner à ta voix. Mais pour le moment, tu n'y étais pas encore. Tu venais d'arriver à l'entrée de l'igloo et la personne chargée de t'accueillir, te pose un bandeau sur les yeux avant de te faire entrer. Elle se place derrière toi et te fais avancer lentement. Une fois arrivés devant ta table, elle te le retire et tu ne vois absolument rien. Le Maire n'avait pas menti pour la côté dans le noir. Tu tâtonnais tout autour de toi à la recherche de ta chaise et une fois la main dessus, tu fis un léger sourire. « Bonsoir ? » ajoutais-tu doucement une fois assis à table, sans savoir si la personne qui allait diner avec toi était déjà présente ou non.

On ne peut pas dire que dernièrement je sois très penchée sur l'amour, j'ai plutôt abandonné le projet il y a un bon moment déjà. Depuis mon histoire avec Mikey qui m'aura fait perdre le peu d'espoir qu'il me restait après mes autres aventures sans fin heureuse. Mais quand j'ai vu l'événement pour la Saint-Valentin, je me suis dit : pourquoi pas ? Au pire si mon date mystère est une catastrophe je peux toujours partir en plein milieu et ne pas m'infliger une soirée nulle. Et puis bon, Elmo s'est inscrit aussi alors je peux bien le faire, juste pour rire. J'espère pas tomber sur lui, ça serait un peu dommage. En arrivant on me bande les yeux avant de m'emmener dans un lieu totalement dans le noir, intéressant. Et si je tombe sur Elmo je pourrais prétendre être quelqu'un d'autre, faut juste pas qu'il reconnaisse ma voix mais je pourrais évaluer s'il a changé en matière de drague ou s'il reste un mec qui va dans la case poubelle. Quand j'arrive il y a déjà quelqu'un alors je m'assois tout en disant « Salut ! » J'avoue que ça m'intrigue toute cette histoire d'être dans le noir. Les speed-dating ou les rendez-vous sans avoir du tout parlé à la personne et rien connaître d'elle, c'est un peu inédit pour moi alors je ne sais pas trop comment commencer les choses. Au moins sur BBT il y a quelques infos sur la personne. La photo, le visuel je m'en fiche un peu, mais ne rien savoir du tout c'est un peu déroutant. « T'as déjà mangé dans le noir ? Parce que ça a pas l'air très pratique. » Je tente sans trop savoir où je m'aventure.

Dans le noir, tu as le sentiment de perdre toute notion du temps. Tu ne sais pas si tu es assis depuis une minute ou si ça fait déjà quinze minutes que tu attends. Tu n'oses pas toucher la table, de peur de tomber direct sur le couteau et de te blesser. Même s'il avait sûrement prévu le coup, ils ne devaient pas être sur leur coup d'essai. Quoiqu'il en soit, tu tritures tes mains posées sur tes genoux quand on te prévient que ta partenaire va arriver et en effet, moins de deux minutes après l'annonce - parce que tu avais fait le compte dans ta tête - tu entendis une voix féminine qui semblait venir d'en face. C'était vraiment désorientant tout cette histoire. Elle te salua et brisa rapidement la glace en te demandant si c'était la première fois pour toi aussi, te tutoyant au passage comme ça tu n'aurais pas besoin d'hésiter. « La dernière fois que c'est arrivé j'avais des bougies pour éviter ça justement ! » C'était pour une coupure de courant et ça n'avait pas duré très longtemps, à peine une heure. Sauf que là, si vous mettiez une bougie, l'intérêt du repas à l'aveugle serait moindre. « Après ne suis pas sûr qu'on mange vraiment bien, c'est plus pour le côté social, rencontrer quelqu'un sans avoir le moindre à priori négatif. Et toi ? » En tout cas, en ce qui te concernait, ça semblait être un bon moyen de passer une soirée tranquille sans te faire le moindre film. Ne sachant pas à quoi elle ressemblait, tu ne pouvais pas te projeter l'avenir dans ta tête. Tu te laissais guider par le son de sa voix et c'était agréable. Saoirse serait sûrement ravie de cette avancée pour toi. Peut-être que tu devrais faire ça plus souvent, surtout si tu passais par l'appli de rencontres de Bowen, bien que tu aurais eu quelques infos en premier et surtout tu aurais vu la photo de profil. Peut-être que tu devrais passer par Jules sinon pour qu'il file un coup de pouce. Tu verrais bien, si la soirée tourne à la catastrophe, il y avait peu de chance que tu veuilles reproduire l'expérience. Mais arrêtes donc de te projeter et profites du moment présent.

Rien voir ça me perturbe pas mal, je suis pas la seule je pense et j'imagine aussi que c'est le but. Je m'attends à ce que mes yeux s'habituent pour pouvoir distinguer quelques objets mais je pense qu'ils ont prévu un noir total pour que même habitués à l'obscurité, on n'y voit pas mieux. Pour la personne en face de moi, c'est également une première, même si elle a déjà fait un repas à la bougie. « Oui du coup c'est un peu moins dans le noir. Un repas à la bougie ça aurait pu être sympa aussi, peut être un poil trop romantique pour une Saint-Valentin avec une personne inconnue mais bon. » Je n'ai rien contre le romantisme, je peux moi même être plutôt cheesy, surtout en lisant certains bouquins, mais la perspective d'une soirée en tête à tête aux chandelles avec un ou une inconnue, ça me fait pas franchement rêver. Au moins là, avec le noir complet, je pourrais lever les yeux au ciel d'exaspération sans que ça se voit, même si signifier mon agacement à mon pertenaire n'est pas un truc qui m'effraie, ni partir si ça devient trop insupportable. Mais bon, ne soyons pas négatives, pour l'instant tout va bien. « Oui ils vont peut être profiter de l'occasion pour nous filer des trucs moches à manger et pas si bons. Pour moi aussi c'est une première. » Je réponds avant de finir par me présenter « Au fait moi c'est Vega, pronom elle, si jamais tu te posais la question. » J'essaie de donner mon pronom maintenant histoire que pour les personnes qui osent pas vraiment donner le leur s'il correspond pas aux standards de la société, se sentent un peu plus à l'aise. Et en plus dans le contexte où je n'ai que la voix, je n'ai pas envie de me méprendre sur l'identité de la personne dans le noir en face de moi. Et puis s'il s'agit d'une personne transphobe conservatrice ou je sais pas trop quoi, je serai vite fixée, ça me fera gagner du temps et ça peut éventuellement faire un sujet de conversation si la personne est plus ouverte sur la question. Ouais, ça n'a pas forcément l'air de grand chose, mais cette petite phrase peut faire prendre deux chemins très différents à cette soirée.

C'est vrai qu'à la bougie, l'ambiance aurait été encore toute autre. Tu ne sais pas si tu aurais préféré ou non, en tout cas, discuter avec quelqu'un que tu ne peux pas voir, ça semblait un peu plus amusant maintenant que la conversation était en train de se faire. « Si le Maire organise ça l'année prochaine, on saura à qui il a piqué l'idée ! » Après tout, il avait des oreilles partout, il y avait des personnes présentes pour vous servir et vous guider dans votre repas. Personne qui pourrait débarquer d'un instant à l'autre sans crier gare, fallait espérer pour le Maire que personne n'était cardiaque car c'était le coup à vivre une sacrée frayeur. « Au moins on ne pourra pas juger un plat sur son visuel, c'est intéressant pour le palet de goûter à l'aveugle ! » La science avait toujours mis en avant que le cerveau jugeait rapidement un plat à son aspect ou à sa couleur, alors qu'on nous dit que les dragibus ont tous le même goût. Comme de manger un radis en se pinçant le nez, ça n'aura aucun goût et on aura l'impression de manger quelque chose d'étrange alors que c'est un radis. Tu avais hâte de voir si tu saurais reconnaître les différentes saveurs. « Enchanté Vega, moi c'est Maxwell. Et je note l'info ! »  C'était la première fois qu'on te donnait cette information. Tu avais vu que le monde actuel bougeait pas mal en ce moment, qu'il y avait de plus en plus de questions de genres, de sexualité et l'importance pour les autres d'être définis comme ils le souhaitent et de ne pas forcément rentrer dans une case qui ne leur convient pas. « Je peux te demander ce que tu fais dans la vie ? » Après tout, le but du rendez-vous c'était d'apprendre à découvrir quelqu'un, et tu étais toujours curieux de savoir ce que les gens font pour vivre, quel parcours de vie ils ont décidés de suivre. Mais avant qu'elle puisse te répondre, un petit bruit se fit retentir et juste après quelqu'un s'adressait à vous. « Bonsoir et bienvenue dans notre igloo de l'amour ! Pour commencer la soirée, nous vous proposons de goûter le cocktail cupidon, un cocktail à base de vodka, de jus de framboises, d'un trait de citron et d'un peu d'eau gazeuse. Vos verres se trouvent devant vous et je dois vous prévenir qu'il y a une sécurité, vous ne pourrez pas le renverser ! Et pour accompagner ce cocktail, vous avez un petit croque en bouche qui se trouve juste devant le verre. Bonne dégustation ! » Le bruit se fit entendre à nouveau et tu avais le sentiment d'être à nouveau seul avec Vega. Au moins c'était astucieux de faire un petit son pour prévenir de l'arrivée du repas. Tu poses tes mains sur la table, glissant doucement tes doigts à la recherche du verre, qui ressemblait plus à un gobelet pour enfant, qu'un verre.  « On dirait un biberon leur verre, au moins c'est astucieux. A la tienne ! » Tu n'allais pas chercher son verre, mais c'était un air trinquage, avant de le porter à tes lèvres pour goûter.

Même si une Saint-Valentin à la bougie avec un date aléatoire me paraît peut-être un peu too much, c’est vrai que l’idée est sympa et je sourie, même s’il ne peut pas le voir, à sa réflexion disant que si c’est le thème de l’année prochaine, c’est à nous que le maire aura piqué l’idée. L’année prochaine, s’il y a un événement de la Saint-Valentin, je me dis que ça pourrait être sympa de célébrer le self-love, avec des ateliers ou je sais pas. J’ai eu pas mal la poisse en amour et on peut dire que mon rêve de belle histoire en a pris un sacré coup, mais j’ai toujours cette envie de partager ma vie avec une personne que j’aime, mais ce n’est pas le cas de tout le monde et je pense que la Saint-Valentin met un peu trop en avant le couple et encore plus le couple hétéronormé, donc je trouve ça toujours un peu dommage. Même si j’avoue que voir des stories sur insta de couples queer qui célèbrent leur amour, ça me fait fondre, même si j’imagine pas tous les commentaires horribles qu’ils doivent recevoir. « Oui et même pour la personne qu’on a en face, ça évite de juger sur le physique, ce qui est pas plus mal. » Je le fais aussi, c’est toujours difficile de faire autrement quand on ressent de l’attirance physique pour les gens, le physique c’est souvent ce qu’on voit en premier, même sur les applications de rencontres, bien que certaines soient plus originales et laissent plus de place à la description. Et j’admets aussi que pour les bouquins je juge aussi pas mal à la couverture, c’est ce qui va m’attirer en premier et me pousser à lire le résumé. Histoire de commencer simplement, je me présente, avec mon pronom et la personne en face de moi en fait de même. Comme il ne précise pas son pronom, je me dis qu’il doit être en adéquation avec son prénom et le timbre de sa voix qui sonne plus masculin. Je pars là-dessus. En tout cas il ne m’a pas fait de réflexion à la con sur les wokes ou je sais pas quoi donc je reste assise, sinon clairement je serais partie, tant pis pour le repas à l’aveugle. Pour continuer il me demande ce que je fais dans la vie mais je n’ai pas le temps de répondre puisque quelqu’un entre pour nous présenter le début du menu. Une fois la personne partie, je cherche à tâtons mon verre que j’attrape et lève en l’air pour trinquer à distance avec Maxwell. « A la tienne ! Je préfère ça à des verres à pieds qui se casse hyper facilement. » Je réponds avant de boire une gorgée. « Et sinon pour répondre à ta question, je travaille à la bibliothèque actuellement mais je bosse aussi sur un projet de café qui devrait ouvrir dans quelques mois. Et toi ? » Je cherche la bouchée apéritive dont on nous a parlé, histoire de la manger pendant qu’il me répond.

Tu sentais que le stress te quitter au fur et à mesure que tu discutais avec Vega, parce qu'elle était juste là. Sa voix était agréable et tu te laissais porter dans cette rencontre. « Après moi j'ai beaucoup de mal avec les gens qui s'arrêtent aux physiques, il n'y a pas qu'un corps pour découvrir quelqu'un et on pourrait être surpris par tellement plus ! Mais je sais bien qu'on ne contrôle pas toujours ça ! » Tu ne pouvais pas forcer les gens à voir plus loin que l'apparence, ce n'était pas facile pour tout le monde et ce n'était pas parce que toi tu en étais capable, que les autres le pouvaient aussi. Mais pour un amoureux de l'amour comme toi, tu tombais facilement en amour pour pas grand chose, ce qui peut être un regard, une intonation de voix, un rire, ou encore une grande générosité. Et pour les trois derniers, parfois tu n'as pas besoin de voir la personne. Après c'était plus une limite d'âge que tu te mettais, jamais tu ne te verrai avec une personne ayant 10 ans de moins que toi parce que vous auriez peu de chance d'être sur la même longueur d'ondes. L'interruption pour vous présenter le repas fut assez rapide et le cocktail servi était très frais. « Et ça leur évitera de la casse inutile ou des blessures à cause du verre brisé ! » Parce qu'après tout, c'était un risque de faire un repas dans le noir, vous aviez eu quelques consignes au tout début, notamment de ne pas vous déplacer seul pour ne pas vous prendre les pieds dans quoique ce soit et risquer une chute qui pourrait être dangereuse. Vous pouviez lever la main à tout moment et le serveur viendrait pour vous accompagner, pareil si vous aviez un problème. C'était quand même bien pensé tout ça. Tu écoutais la jeune femme te parler de son métier et de son projet avant de répondre à ton tour. « Je suis professeur des écoles en primaire. » Rien de très mirobolant, tu n'allais pas évoquer ton métier secret d'espion, parce que ça faisait bien des mois que tu avais mis tout ça de côté. Il n'y avait plus grand chose d'attrayant à espionner des époux infidèles depuis que tu avais perdu la tienne. La vie était trop courte pour perdre du temps à ça. « Un café à thème comme on peut voir avec les bars à chat ou les bars à jeux ? » demandais tu curieux d'en apprendre plus sur le projet de la jeune femme. Après peut-être qu'elle ne t'en dirait pas plus par peur de se faire voler son projet, tu serais vite fixé.

Je ne peux qu’approuver ce que dit Maxwell et je suis contente de voir qu’il ne fait pas partie de ces gens qui s’arrêtent seulement au physique. Je suis également d’accord avec le fait qu’on ne puisse pas toujours contrôler ce qu’on ressent et que parfois juste en voyant quelqu’un, il y a quelque chose qui se passe. Mais s’arrêter à une photo sans même chercher à connaître un peu plus la personne, je trouve ça vraiment dommage. Personnellement je n’ai pas vraiment de style, déjà qu’avant je pensais être attirée seulement par les hommes, autant dire que le peu de critères que j’avais ont volé en éclat. C’est vraiment le feeling qui compte, ça se sent et je saurais pas forcément dire pourquoi avec certaines personnes ça match et d’autres non. Enfin si, pour certaines je sais. Si je n’ai pas énormément de critères physique, aucun en vrai, j’ai quand même besoin que la personne partage certaines choses avec moi notamment vis à vis de mes engagements. Même si je préfère être avec quelqu’un qui est également engagée dans des causes qui me tiennent à cœur, une personne qui y est déjà sensibilisée et sensible, c’est pas si mal déjà. « C’est ça, le physique ça sert pas à grand-chose quand on veut partager sa vie avec quelqu’un, ça aide pas à faire les conversations. » je lui réponds en souriant, même s’il ne peut pas le voir. On trinque, se réjouissant que les verres ne soient pas en verre cassant, faut dire que ça ne serait pas très pratique pour eux et dangereux, ils ont dû étudier la question. Notre discussion se poursuit sur nos métiers respectifs. Je lui parle brièvement du projet sur lequel je travaille, m’étalant pas trop sur la question parce que je n’ai pas non plus envie de l’ennuyer avec ça, même si ce projet me passionne et m’aide à me projeter à Bowen, ce que j’avais du mal à faire depuis plusieurs mois maintenant. « Oh cool ! Et t’aimes bien ça ? » Le métier de prof c’est pas forcément le plus simple, quand je vois comment j’étais à l’école je me dis que j’aimerais pas être prof et me retrouver avec des élèves comme moi à gérer. Je pense que j’ai été la plus insupportable non plus mais j’ai toujours eu un léger soucis avec l’autorité et j’avais tendance à pas toujours être très respectueuse, surtout quand les profs ne l’étaient pas de base. « Oui c’est un peu ça, sauf que moi y’aura des livres et des créations d’artistes du coin et plein d’autres choses. Je crois que j’ai envie de mettre un peu trop de trucs dans ce projet mais j’ai vraiment envie d’un lieu où les gens puissent se retrouver, un safe space. » Je pourrais encore continuer mais je me calme pour ne pas partir dans un monologue interminable.

« C'est bien vrai ça, sinon autant faire sa vie avec une photo, au moins le physique ne bougera pas ! » C'était une remarque exagérée mais au moins elle traduisait bien ton idée. Si on sortait avec une personne pour son seul physique, c'était bien triste pour la personne qui accepte ça. Mais tu ne pouvais t'empêcher de trouver ça triste d'être autant attaché à quelque chose de si superficiel que la beauté. Surtout qu'on le voyait dans l'art, ce sont des goûts qui sont subjectifs et ce qu'une partie du monde peut trouver beau, l'autre partie non. Et vice-versa sur d'autres sujets. Enfin vous n'alliez pas passer la soirée entière à débattre sur ça, c'était le moment de faire plus ample connaissance et c'était ton tour de parler de ce que tu faisais dans la vie. « C'est toujours inspirant de former la nouvelle génération et de leur donner les clés pour leur futur. » Un grand sourire se dessinait sur ton visage. Tu les accompagnais dans l'apprentissage de la lecture, de la grammaire, dans les calculs simples et l'acquisition d'une certaine logique mais aussi de la répartie. Tu leur offrais des clés pour bien grandir et bien se construire. Pour toi il n'y avait pas meilleur métier. En tout cas, si tu devais te reconvertir aujourd'hui, ça serait compliqué mais ce n'était pas un projet. « Pouvoir mettre en avant des artistes locaux sans que ce soit une galerie d'art ? En tout cas le projet à l'air chouette et j'espère qu'il verra le jour. » Et si c'était le cas, tu irais y faire un tour sans la moindre hésitation. Un café qui œuvre pour le bien de tous et pour l'art, ça ne peut que faire du bien à la ville. C'était le genre de projet qui font bouger les choses et à notre époque, c'était important de se donner à fond pour ça. En tout cas, elle ne pouvait pas le voir mais sinon elle aurait pu lire la fierté dans ton regard. C'était aussi courageux de lancer une entreprise parce que ça demandait beaucoup de travail. Comme pour tout et quand on est passionné, ça ne se ressent pas toujours. En tout cas, elle semblait l'être rien que par les intonations de sa voix. Du mouvements se fit entendre juste à côté de vous, la personne qui vous avez servi l'amuse-bouche ainsi que le cocktail était de retour pour vous débarrasser et vous demander si vous avez aimé et si vous étiez prêt pour la suite. Tu acquiesçais d'un mouvement de tête puisqu'elle pouvait vous voir, elle.  

Il y a des gens qui feraient mieux de passer leur vie avec une photo plutôt que de mettre des complexes et des injonctions à leur compagne (parce que oui ce sont souvent des hommes qui font ce genre de remarque à leur partenaire de vie). Et comme ça ils pourraient modifier la photo comme ils veulent histoire qu’elle ressemble à des standards de beauté inatteignables. Oui j’en ai marre de ceux, et celles aussi, qui fantasment sur des physiques qui n’existent pas, ou qui sont extrêmement rares, à partir de photos souvent retouchées ou prisent sous des angles avantageux. Je crois que le fait d’avoir des petits seins m’a vite fait me sentir en dehors des standards, même si je suis fine et plutôt grande, et je n’ai jamais voulu y correspondre même si j’ai parfois complexé, comme tout le monde je pense. « Et puis une photo ça l’ouvre pas trop aussi. » Bon je vais pas continuer là-dessus sinon je risque de le faire fuir et je n’ai pas envie qu’il tombe dans sa fuite. Je n’ai pas pour autant envie de cacher mes convictions mais je veux aussi apprendre à le connaître alors on parle travail. Je pense que c’est un bon point de départ pour apprendre à connaître quelqu’un, est-ce qu’il fait un travail qu’il aime ? Est-ce qu’il le fait par obligation ? Il est instituteur et il a l’air d’aimer ça. Je pense que c’est un boulot que je ne pourrais pas faire parce que je n’ai pas vraiment la patience d’enseigner quelque chose à des enfants et que je ne suis pas non plus du genre à beaucoup aimer les enfants. « J’imagine ! Les premières années sont très importantes pour se former et l’école peut vraiment influencer le futur. » Il faut par exemple commencer tôt avec les principes d’égalité, de bienveillance et de consentement pour que ça soit ancré et que ça devienne des choses évidentes pour eux. En retour je lui parle de mon projet qui commence à bien prendre forme. J’ai beaucoup trop d’idées pour le lieu et il faut que je fasse des choix. « Parce que les galeries d’art en général c’est un truc plutôt élitiste et je veux pas ça. Et les créations que je vais proposer ce sont plutôt des posters ou des petites créations pas trop chères pour que la majorité puisse se les payer. » Je pense plutôt à vendre des créations qui sont habituellement vendues sur etsy plutôt que des immenses tableaux ou sculptures qui valent bien plus chers. « Merci, ça semble bien parti pour en tout cas. » Je lui dis avant que quelqu’un ne rentre pour récupérer notre apéritif, je la remercie avant qu’on nous serve les entrées. « Je pense que je vais clairement plus avoir faim en sortant. » Je lui dis en riant, n’ayant de manière générale, pas un appétit énorme.

La répartie de la jeune femme te fit sourire. Tu n'aurais pas pu mieux dire. Et tu a connu des gens qui auraient aimé que leurs moitiés manquent de répondant. Ce n'était pas ton cas, certes les désaccords n'étaient jamais agréable à vivre mais c'est ce qui faisait avancer une société. Ce qui permet de se remettre en question et de comprendre les autres. « Au moins on a l'air d'accord sur ce point ! » ajoutais tu en rigolant. Tu avais eu peur de dire une bêtise et de la faire fuir au tout débit de la conversation, n'étant pas très doué pour les lancer ou pour enchaîner mais plus le temps passé et plus tu commençais à te sentir à l'aise. Le noir était pas mal finalement. « C'est surtout le cadre familial mais l'école peut aider pas mal pour l'accompagnement. » Surtout pour les familles qui avaient de gros manquements. Même si un enfant passait moins de temps à l'école que dans sa famille, ça pouvait tout de même débloquer des choses pour certains. Et malheureusement c'était aussi un effet à double tranchant et faire l'exact opposé pour d'autres. Tu n'avais pas de contrôle sur tout ça mais tu avais l'avantage de vite te rendre compte des choses pour tes élèves et pousser ceux qui fallait quand il le fallait et accompagner les autres quand tu sentais qu'ils décrochaient. « J'avais l'impression que ça s'était un peu démocratisé avec le temps, mais peut-être que je confonds avec les expositions. » A vrai dire, tu ne connaissais pas grand chose au monde de l'art. Tu connaissais surtout la peinture, la sculpture et la photographie mais c'était très limité. Tu avais eu l'occasion de participer à quelques vernissages mais sans réellement savoir si tu mettais les pieds dans une galerie d'art et sans chercher à regarder les prix des différentes œuvres. Tu avais juste le souvenir de quelque chose d'assez chic donc sûrement pas si donné que ça. « C'est chouette de pouvoir soutenir localement et de permettre à tout le monde de pouvoir faire une acquisition sans que prenne des proportions importantes ! » Un nouveau sourire se dessinait sur ton visage. Elle semblait passionnée par son projet et sans voir son visage, tu pouvais sentir tout la passion qui se dégageait d'elle. « Moi ça va dépendre de si j'arrive à trouver ma bouche et j'espère sans en mettre partout. J'espère qu'on aura le droit à un nettoyage avant de sortir ! » Parce que tu t'imaginais déjà avec de la sauce partout sur le visage et sur les mains au moment de faire le reveal. Normalement, elle ne devrait pas partir en courant si tu venais à être tout crasseux mais tu avais quand même envie d'être à ton avantage quand vous regagnerez la lumière du jour.

Je n’ai pas l’air de le faire fuir avec mes remarques, c’est déjà ça. Je ne réfléchis pas trop à ce que pourrait donner cet espèce de date de Saint-Valentin, je me laisse porter par le moment, ayant décidé depuis un moment de ne plus me prendre la tête sur tout ça. Je devrais peut-être envisager moi aussi une relation avec une photo, elle ne risque pas de me décevoir au moins ou de me tromper mais en même temps les conversations seraient plutôt pauvres et moi j’aime bien échanger. J’aime discuter, raconter ma vie, débattre, je peux être un vrai moulin à paroles des fois. On parle tous les deux de nos boulots, nos projets. Il me dit que c’est surtout chez eux que les enfants se forgent et que l’école peut aider mais que ce n’est pas le principal, lui qui enseigne à des enfants. « Ouais, en vrai j’pense que les deux jouent, sinon les parents s’embêteraient pas à mettre leurs enfants dans le privé pour éviter qu’ils se retrouvent trop mélangés à d’autres. » Et je lui dis ça parce que je l’ai vécu. Avant d’arriver à Bowen, je suis allée dans des écoles privées très chères, trop chères, d’abord au Japon puis en Australie. J’ai fréquenté tous les gosses de riche des environs, les enfants de diplomates, de patrons, d’acteurs. Mais ce n’est pas là où j’ai le plus appris, c’est là où je me suis rendue compte que cette vie là, je n’en voulais pas alors le départ pour Bowen avec ma mère est arrivé au bon moment, de quoi sortir de mon quotidien avec la jeunesse dorée, à faire la fête beaucoup trop jeune, beaucoup trop tard. « Je pense que plus de gens s’y intéressent mais globalement pour acheter quelque chose, il faut quand même avoir les moyens. » Et je comprends aussi, une œuvre qui a demandé des heures et des heures de réflexion et de travail, ça coûte de l’argent, il faut payer la personne derrière. Mais des fois je trouve qu’il y a vraiment de l’abus avec des artistes connus qui vendent tout une fortune. Après je ne suis pas forcément très sensible à l’art donc il doit y avoir des subtilités que je ne comprends pas. « Ça me tient vraiment à cœur de faire un lieu pour tout le monde. » Et j’ai notamment envie que ceux qui ne se sentent accueillis nulle part, ait envie de venir dans mon café, j’espère y arriver. On passe au plat suivant et je me demande combien il y en aura ensuite parce que je risque d’avoir du mal à finir. Je ris quand il dit que son estomac sera rempli uniquement s’il arrive à trouver sa bouche. « Au moins ça serait un reveal authentique ! Pas besoin d’attendre mille ans d’être avec quelqu’un pour le voir vraiment. » Je lui dis en riant, en profitant pour enchaîner, un peu sur le même sujet. « Tu cherches quoi toi en étant venu ce soir ? »

Elle avait tout à fait raison. L'école privé était tout un autre sujet sur lequel tu n'avais pas vraiment de maîtrise étant donné que tu n'y avais jamais travaillé et tu ne te sentais pas d'aborder le sujet. Très vite, la conversation se concentrait sur son projet, sur le rêve qu'elle avait d'un lieu accessible à tous et un lieu qui permettrait de faire de vraies découvertes, notamment dans le domaine de l'art. « Après tout l'art reste un produit de luxe mais je trouve ça chouette de pouvoir casser les codes ! » Après tout, on pouvait très bien s'y connaître en arts sans pour autant posséder un Picasso. Certains en rêvaient surement, ce n'était pas ton cas. Mais tu n'étais pas non plus un expert dans le domaine de l'art. Il t'arrivait de te sentir apaisé face à certains tableaux mais tu ne saurais jamais exprimé pourquoi. En tout cas, si tu avais l'occasion un jour de te rendre dans son café, tu le ferais sans la moindre hésitation, parce que tu sais que tu pourrais t'y sentir bien. « C'est vrai que le Maire s'est donné pour cette idée, permettre de casser les apparences et de vraiment prendre le temps de découvrir quelqu'un sans avoir à attendre des mois voire des années. » Parce que les apparences peuvent être trompeuses et qu'on sait que dans les premiers mois, on donne tout pour plaire à l'autre, pour se faire bien voir et se faire aimé et qu'une fois que le couple est stable et solide, le relâchement peut se faire ressentir. Tu ne te sentais pas vraiment concerné mais peut-être que tu te voilais la face sur ça. « Pour être tout à fait honnête, je ne sais pas trop ce que je suis venu chercher. Disons que ma dernière histoire a eu le mérite de me briser le cœur et je voulais juste voir si je me sentais prêt à vraiment tourner la page.. » Une petite moue prit place sur ton visage. Tu n'allais pas lui mentir, ce n'était pas ton genre de toute façon, bien trop mauvais menteur pour ça. Même si là, dans le noir, ça aurait pu être moins catastrophique parce qu'elle n'aurait sûrement pas vu les grosses gouttes de sueurs perler sur ton front. Mais malgré ça, tu étais bien trop honnête pour tenter le coup. « Et toi alors ? » Tu espérais qu'elle ne cherchait pas l'amour de sa vie, parce que tu te sentirais mal de ne pas pouvoir être à la hauteur, mais il était important de mettre le sujet sur la table, histoire que ni elle, ni toi ne vous emballiez trop vite. C'est exactement le genre d'expérience que tu aurais dû faire par le passé, ça aurait pu t'aider à éviter des peines de cœur. Et si le lieu devient permanent alors peut-être que tu pourrais retenter l'expérience.

Je trouve souvent que l’art est un truc très élitiste, les musées sont parfois gratuits mais pour comprendre le sens d’une œuvre il faut parfois avoir tout un bagage culturel qui n’est pas forcément accessible à tous et qui créé une réelle barrière entre les gens. Mais moi je n’y connais pas grand-chose là-dedans et ça ne me passionne pas plus que ça à vrai dire. Mais je sais qu’il existe plein d’artistes qui peignent, dessinent, façonnent de façon bien plus modeste dans le seul but de créer quelque chose de jolie pour habiller un intérieur et dont les œuvres ou leurs reproductions sont tout à fait accessibles. Personnellement je préfère avoir chez moi un dessin mignon et coloré plutôt qu’un tableau au sens complexe qui vaut une fortune et que je ne trouve pas si beau. En tout cas l’idée d’avoir de œuvres pas trop chères semble plaire à Maxwell donc je me dis que je ne pars peut-être pas dans la mauvaise direction. « Ça change vraiment, ça permet de se focaliser sur d’autres choses, parler des choses un peu plus intimes aussi peut-être. En tout cas j’trouve que c’est une super idée ! » Je lui dis en parlant d’un date dans le noir. C’est un peu perturbant c’est sûr, en plus de ne pas voir l’apparence de l’autre on ne voit pas ses réactions, ses expressions et ça joue beaucoup dans un échange. On ne sait pas forcément si on gêne la personne, si elle n’est pas bien ou si au contraire elle est enthousiaste. La voix donne une idée mais ce n’est pas toujours suffisant. Comme nous sommes tout de même dans un date, je lui demande ce qu’il attend de ce rendez-vous un peu particulier, ce qui l’a poussé à venir. Comme moi il ne sait pas trop ce qu’il cherche en étant venu mais qu’il a eu une histoire qui s’est mal terminée visiblement, le genre qui laisse des traces. Je ne sais pas ce qui s’est passé mais je n’ai pas envie de poser plus de questions sur le sujet parce que si c’est pour l’entendre se lamenter sur son ex pendant vingt minutes, non merci. « Tu as pu un peu répondre à la question ou pas encore ? » Je lui demande tout de même avant de réfléchir à moi, les raisons qui font que je suis venue. « En vrai je sais pas trop, la curiosité je pense, je voulais voir ce que ça serait. Mais j’attends rien de particulier, j’ai tendance à avoir toujours été déçue en amour alors j’essaie de ne plus rien attendre. »