#08 Rendez-vous pour un boulot.

Se lever à 9 heures, c’était comme se lever à l’aube pour notre Léo plus habitué aux grasses matinées lorsqu’il restait à Bowen. Surtout lorsqu’il était sorti la veille… comprenez pratiquement tous les soirs. Il avait pris de mauvaises habitudes en revenant dans cette ville, il se laissait vivre, il profitait de ses amis, Zéphyr et les autres, il redécouvrait les bars qui avaient formé sa jeunesse, il profitait. Il tentait surtout d’oublier qu’en rentrant chez lui il trouverait un lit vide et une maison bien trop silencieuse. Avant il y avait Anna, mais Anna n’était plus, et puis il y avait eu Bangkok, cette ville animée toujours en mouvements où il fallait vivre, vivre vite et fort, se bouger pour suivre le rythme. Alors vous comprenez bien que le retour à la réalité de cette petite ville tranquille était difficile. Léo compensait comme il pouvait, mais en réalité il faisait n’importe quoi. Sa maison était pleine de cartons à peine déballés, de placards vides, son frigo faisait grise mine et la pelouse à l’arrière était mal entretenue était grillée par le soleil. Les seuls éclats de vie dans cette bicoque c’était les jouets d’enfants qui vous faisaient obstacle sur le sol, les peluches laissées là sur le canapé, des touches de couleur et de joie qui vous faisaient comprendre que notre homme se devait parfois d’être responsable, de remplir son rôle de père lorsqu’il avait son fils à la maison. Le reste du temps, il redevenait cet homme célibataire et profondément seule qui s’ennuyait dans sa vie. Avant que Jonathan ne naisse, Léo avait toujours un avion à prendre, une nouvelle ville qui l’attendait, un nouveau reportage, une aventure trépidante, c’était son quotidien, sa raison de vivre, le voyage, la découverte, les prises de vues magnifiques, les images choc parfois. Mais aujourd’hui il y réfléchissait à deux fois avant de s’envoler ailleurs, il pensait qu’il devait arrêter d’être trop égoïste, il se résonnait et acceptait des missions plus près de chez lui, des photos dans des endroits moins dangereux. Il était fou de son fils, mais on ne pouvait pas dire qu’il était follement excité par cette nouvelle vie à laquelle il s’astreignait.

Son réveil avait sonné et il s’était forcé à s’extirper du lit en vitesse, ce matin il avait rendez-vous, le lieu c’était chez lui parce que c’est ici qu’il travaillait, il n’avait pas de bureau à proprement parlé et donc il devait mettre sa maison en ordre. Non pas qu’il y a grand ménage à faire, mais il devait ranger un minimum les jouets de son fils, dissimuler la pile de papiers qui s’accumulait sur sa table basse. La maison n’était pas grande, il avait vite fait le tour et puis il n’était pas du genre très maniaque, pour lui tant que tout avait l’air en ordre, ça passerait. Il songea à se rendre présentable, après tout il devait avoir l’air d’un homme respectable, l’objet du rendez-vous c’était un entretien d’embauche, il serait l’employeur, c’était la première fois qu’il allait faire ce genre de chose et, très honnêtement, il ne savait pas du tout comment s’y prendre. Après sa douche il hésita à raser sa barbe pour avoir l’air plus sérieux… mais il y renonça, après tout elle faisait partie de lui, Léo, sans sa barbe, il se sentait nu. Il passa un jean sombre et une chemise dont il retroussa les manches, il aurait bien opté pour un t-shirt léger, mais il n’allait pas pousser le vice, pour l’occasion il cira même une paire de chaussures. A dix heures il avait réussi à être fin prêt, il prépara du café en attendant madame Skrzypek…un drôle de nom, imprononçable. Lorsqu’il avait déposé son annonce dans le journal il ne savait pas bien si ça serait une bonne idée ni ce à quoi il s’attendait vraiment. Il avait besoin d’un assistant, de quelqu’un qui soit suffisamment débrouillard et baroudeur pour le suivre partout, même à l’étranger si besoin, qui l’aide avec le matériel, si la personne s’y connaissait en photo ça serait l’idéal mais ça n’était qu’un détail. Et puis il était nul pour la paperasse et avoir une aide serait primordial, il s’était déjà fait rappeler à l’ordre une fois par un organisme fiscal parce qu’il avait oublié d’envoyer sa déclaration d’impôts. Il ne voulait pas d’une secrétaire, mais de quelqu’un qui l’aide, pour mettre ses papiers en ordre. Léo n’était pas stupide, loin de là, mais il n’était pas ordonné et il avait souvent la tête ailleurs, en vrai artiste qui se respecte. Il avait créé une société à son nom, il offrait ses services aux journaux, sites internet ou magazines qui avaient besoin de reporters sur le terrain et de bons photographes, il n’était rattaché à aucun nom en particulier, il voulait rester libre, mais la liberté avait un prix, celui de l’organisation et c’est ce dont il manquait cruellement. En passant son annonce Léo avait pensé embaucher un homme, un gamin qui ne savait pas trop quoi faire de sa vie et que l’aventure motiverait un minimum. Mais finalement c’est le profil d’Agnieszka qui avait attiré le jeune homme, elle avait un an de moins que lui, elle semblait débrouillarde. Il ne savait pas bien ce que cet entretient donnerait mais dans tous les cas il n’était pas pressé, qu’elle convienne ou non ça n’était pas bien grave.
On sonna à l’interphone, elle avait dix minutes de retard, avouons que Léo l’avait à peine remarqué et elle arrivait à point nommé, le café était prêt. Il sortit de chez lui pour aller ouvrir le portail. Celui-ci était assez imposant pour une maison qui au final n’avait rien d’exceptionnelle. Il aurait pu s’offrir bien mieux, il en avait largement les moyens, mais Léo ne vivait pas dans l’opulence, loin de là.
« Bonjour, je suis Léo, monsieur Emerson. Suivez-moi nous serons plus à l’aise à l’intérieur. » Il était souriant et avenant, se présenter sous le nom de monsieur Emerson ne lui plaisait pas guère, il ne voulait surtout pas être confondu avec son père. Il offrit une poignée de main à la jeune femme avant de la suivre jusque dans la maison.