Soirée confession [Feat. Kelia Marshall]

Après ses journées de travail, Donovan passait bien souvent ses soirées dans les bars de la ville. Enfin, plus exactement dans ceux desquels il n'avait pas encore été viré suite aux bagarres dont il était souvent soit à l'origine soit qu'il y avait pris part en faisant un maximum de dégâts.

Cette journée avait été épuisante, plus d'un point de vue psychologique que physique d'ailleurs. Il s'était pris la tête avec Tahlia, sa collègue, et pour une fois celle-ci était été plus que violente. Il n'avait pas réussi à se maîtriser et l'avait empoigné. Puis, les enquêtes n'avaient été guère plus simples et au fond, il était plus que content de pouvoir enfin rentrer chez lui.

Il retrouva sa caravane histoire de prendre une douche rapide puis ensuite aller passer le restant de sa soirée en déambulant dans les rues du centre ville, là où il passait le plus clair de son temps. Il entra dans un bar qu'il fréquentait assez souvent. Celui-ci était déjà bien rempli et certains avaient déjà bien entamé leur soirée en voyant l'état dans lequel ils étaient. Donovan ne s'en préoccupait pas plus que ça et se fraya un chemin jusqu'au bar. Une fois devant ce dernier, il n'avait même plus besoin de dire ce qu'il prenait comme consommation puisqu'il était considéré comme un habitué.

Installé confortablement sur les sièges du bar, il regardait les personnes aller et venir sans vraiment les voir. Enfin, jusqu'à cette jeune femme qui prit place à ses côtés. Donovan ne s'intéressait pas vraiment aux femmes, il y en avait qu'une seule dans son coeur et c'était sa femme décédée, personne d'autre ne pourrait la remplacer, et il n'est pas du genre à prendre du bon temps avec des inconnues, même si ça lui ferait sans doute le plus grand bien. Mais cette femme, il l'avait déjà vu à plusieurs reprises, ils avaient déjà échangé lors d'une autre soirée. Elle semblait apprécier l'alcool, quasiment autant que lui, mais ils n'avaient pas cherché à se connaître plus en profondeur.

" - Tiens tiens, comme on se retrouve." fit-il avec un large sourire.

Un peu de compagnie ne lui ferait certainement pas de mal, peut-être même que c'est de ça dont il avait besoin. Même s'il n'était pas du genre à déballer sa vie privée comme ça, sans connaître la personne, il savait qu'il allait pouvoir discuter de tout et de rien sans se prendre la tête, et cette perspective lui plaisait. Il fit un signe au barman pour lui signifier que le verre qu'elle venait de prendre était à mettre sur sa note.

" - Grosse journée ?

En y repensant, il ne savait même pas ce qu'elle faisait dans la vie.

Tout le monde te connaît comme étant une personne solitaire. Mais aussi bizarre que ça puisse paraître, t'apprécies parfois la présence des autres. Enfin pas n'importe qui, et pas tout le temps quoi. C'est surtout selon ton humeur. Si t'es de mauvaise humeur personne a intérêt de t'approcher. Par contre quand t'es plutôt bien lunée, là ça te dérange pas d'avoir de la compagnie. Comme ce gars du bar que tu croises souvent. Un flic là, dont tu connais même pas le prénom. Ca a l'air d'être un habitué comme toi vu que tu le vois souvent traîner dans ce bar où t'as l'habitude de traîner aussi. Presque tous les soirs en fait. Quoi que, tu t'es calmée depuis que tu bosses avec Jazz. T'as pas envie d'arriver au taff avec le cerveau retourné et encore de l'alcool dans le sang. Surtout que pour faire ce qu'elle te demande de faire faut avoir les idées bien claires. Alors dès que tu sais que l'avocate a besoin de toi t'essaies de rester à la maison la veille et de te coucher tôt. De pas boire non plus. Bref, tu fais les efforts que tu t'étais promis de faire et t'es plutôt fière d'y arriver. On dirait que ce nouveau job te fait un peu de bien finalement. Aujourd'hui t'as pas bossé et demain non plus. Alors ce soir tu t'autorises une petite virée au bar pour te changer les idées. T'arrives un peu plus tard parce que juste avant t'es allée te balader dans des coins loin du bruit de la ville, loin des gens. T'entres dans le bar et sans trop regarder autour de toi tu te pointes direct au bar pour commencer à boire. Tu t'asseois à côté d'un mec que tu remarques pas au début, jusqu'à ce qu'il te parle. Voilà c'est ce fameux gars que tu vois tout le temps ici. « Décidément. C'est ta deuxième maison à toi aussi ? » Tu le dis sur un ton interrogatif même si c'est pas une vraie question puisque tu connais déjà la réponse. Tu commandes comme d'habitude une tequila et le gars fait signe au barman de le mettre sur sa note. T'es plutôt de bonne humeur alors tu lui octroies un sourire pour le remercier. Le barman te sers ton verre et t'avales direct une grosse gorgée alors que ton voisin de tabouret essaie de faire la conversation. « Pas spécialement. » En fait t'as rien foutu de ta journée donc on peut pas dire que c'était une grosse journée. Même si toutes les journées sont pour toi un gros fardeau. Mais t'as pas besoin d'avoir passer une sale journée pour avoir envie de boire non plus. « Et toi ? » Tu sais qu'il est flic et t'es bien placée pour savoir qu'on a souvent des grosses journées dans ce métier.

Plus d'une fois Donovan a essayé d'arrêter de boire, ou du moins d'être plus raisonnable. Il a tenu quoi ? 2 jours sans boire et au bout de ce délai, il était complètement exécrable, encore plus que d'habitude. Alors, il a repris, un verre puis un autre et il est retombé dans ses vices les plus malsains. Il n'a jamais eu la volonté d'arrêter de boire, c'est ça son gros problème, il l'a fait parce qu'on le lui a dit, mais il n'en avait aucune envie et donc, dès qu'il était seul avec cette bouteille qui lui tendait les mains, il n'avait pas été capable de résister. Il était faible, il le savait et il espérait que sa femme ne pense pas la même chose de lui, ça le détruirait une bonne fois pour toute.

Il s'était donc installé au bar, sans but précis, si ce n'était qu'enchaîner les verres jusqu'à sentir cette légèreté l'emmener. Il en avait besoin, même si ça pouvait paraître totalement farfelu, il en avait besoin pour vivre. Boire de l'alcool était devenu vital pour le lieutenant de police, auquel cas, il était capable de faire des choses totalement insensées, bien que ce soit déjà le cas lorsqu'il avait trop d'alcool dans les veines.

" - Faut croire."

Depuis le décès de sa femme, soit cinq ans auparavant, il n'avait jamais eu le courage d'acheter une nouvelle maison et d'y vivre seul. Il avait donc pris une caravane, son havre de paix. Il y passe quelques soirées, mais généralement, il passe plus de temps dans son pick-up à moitié rouillé et bon pour la casse que dans sa caravane où tout et n'importe quoi jonche le sol. Donovan est bordélique comme mec, encore plus quand il est ivre.

La jeune femme, habituée des lieux, elle aussi, fini par le rejoindre alors qu'il a déjà descendu plusieurs verres. Lorsqu'elle s'installe et commande, il fait signe au serveur de le mettre sur son compte, ce qui semble lui plaire puisqu'elle lui adresse un sourire. Hormis ces petites discussions qu'ils avaient de temps en temps, ils ne se connaissaient pas, pas même leur prénom respectif.

" - Une journée de merde du début à la fin." avoua-t-il en descendant le nouveau verre qui se trouvait devant lui.

Donovan avait besoin de boire pour effacer cette image de lui en train de brutaliser Tahlia. Ce n'était pas lui, elle l'avait provoqué et avait fait sortir ce qu'il y avait de pire en lui. Mais il faut croire que les quelques ingurgités ne suffisaient pas pour lui faire oublier cet instant. Les images continuaient de tourner dans son esprit, à tel point qu'il en avait presque envie de vomir.

Faut croire que c'est la même chose pour pas mal de monde. Quand on va mal on boit pour oublier notre vie de merde. En tout cas toi c'est ce que tu fais. Le problème c'est que tu vas tout le temps mal, du coup tu bois tout le temps. Trop. Ca on te le dit très souvent. Comme si t'en avais quelque chose à foutre. En fait l'alcool te met dans un état dans lequel tu penses plus à rien, ou au moins pas aux galères de la vie. Quand t'es plus en état de réfléchir, tout va bien. Bien sûr tu t'es déjà dit que ça craint, que tu devrais arrêter ou même ralentir un peu. Mais au final tu reviens toujours dans ce bar et tu finis toujours la tête à l'envers. C'est la même chose à chaque fois. Ce bar qui est devenu ta deuxième maison. Et aussi celle de ce mec, un flic que tu connais parce qu'un jour il t'a coffrée. Tu connais pas son prénom mais tu le croises souvent ici. Lui aussi il boit beaucoup, t'as remarqué. En général vous parlez pas beaucoup. Vous buvez ensemble c'est tout. Pas besoin de parler. Surtout que toi t'aimes pas trop ça. T'aimes bien descendre tes verres en silence. Ca a pas l'air de le déranger lui non plus. Donc vous vous tenez juste compagnie en fait. Mais aujourd'hui il a pas trop l'air dans son assiette. Enfin encore moins que d'hab quoi. Il te paye un verre, tu le remercies et tu commences à boire dès que le serveur pose la boisson devant toi. T'as pas passé une journée de merde, enfin ça dépend ce qu'on entend par là. Parce que pour toi, toutes les journées sont de la merde. Du coup tu peux pas dire que t'as passé une bonne journée. Mais c'était une journée banale alors pas de quoi s'attarder dessus. Ton compagnon par contre, il a passé une journée de merde et ça se voit. En plus il confirme ça. « J'crois que c'est bien d'en parler. Enfin c'est ce que tout le monde dit... Alors si tu veux me la raconter, vas-y. Pas sûr que j'écoute jusqu'au bout mais ça te fera peut-être du bien. » Tu dis, en fixant ton verre. Ca a pas l'air d'être un mec qui se confie. Comme toi en fait. Mais tu proposes par gentillesse, parce que ouais tu peux être gentille des fois. Même si tu t'en fous un peu de sa journée au fond. Tu reprends une gorgée. Tu commences doucement pour pas finir n'importe comment, alors que le flic lui il s'enfile les verres cul sec. Ca va vraiment pas. « Au fait j'm'appelle Kelia. » Ca l'avancera à rien de connaître ton prénom mais bon. Après tout le temps que vous avez passé ensemble sans vous parler ou presque pas, tu juges que c'est le moment de faire les présentations.

Tout le monde a ses habitudes dans la routine du quotidien. Il y a ceux qui vont à la salle de sport une à deux fois par semaine. Il y a ceux qui vont au restaurant le vendredi soir. Il y a ceux qui vont en boîte le weekend. Pour Donovan c'est rien de tout cela. Non lui, il préfère largement descendre des verres dans un bar, et ce, pas seulement un ou deux soirs par semaine, mais bel et bien tous les soirs. Au fond, il se fiche pas mal de ne pas être capable de réfléchir correctement après ça, parce que tout ce qui lui importe c'est simplement de ne pas penser à toute cette souffrance qu'il garde en lui, à cette culpabilité qu'il ressent en se disant qu'il n'a pas réussi à sauver la femme de sa vie ainsi que son futur enfant. Alors pour oublier tout cela, il boit. Encore et encore, jusqu'à ne plus se souvenir du chemin à emprunter pour rentrer jusqu'à sa caravane. Mais c'est ça qu'il aime parce qu'il se sent plus léger lorsqu'il boit. Et cette femme à ses côtés semble être dans le même cas que lui, pas forcément au même niveau, mais ils sont bien plus similaires qu'il aurait pu le penser la première fois qu'il l'a rencontré en l'arrêtant.

" - Ouais c'est ce qui paraît."

On lui avait souvent dit qu'il ne fait pas qu'il garde tout ça en lui. Il était assez surpris par les propos de la jeune femme. Il ne s'attendait pas à ce qu'elle s'adresse à lui de la sorte. En règle générale, ils étaient plutôt habitués à boire leurs verres respectifs sans entamer une quelconque discussion et ça leur convenait tous les deux. Mais ce soir, ça semblait être différent.

Est-ce qu'il jugeait que c'était l'endroit idéal pour raconter sa journée ? Sans doute pas. Est-ce que ça lui ferait du bien ? Peut-être oui, mais ce n'était pas son genre d'agir de la sorte.

" - Disons que j'ai eu une altercation assez ... mouvementée avec une de mes collègues, et comme je suis amenée à aller avec elle sur le terrain, disons que c'est assez tendu."

Entrer dans les détails était inutile, même si la dénommée Kelia, puisque c'est ainsi qu'elle s'était présenté, savait qu'il avait une addiction pour l'alcool, même si elle ignorait celle pour la drogue, tout comme Tahlia d'ailleurs.

" - Donovan."

Inutile de faire comme s'il en avait quelque chose à faire. Tout comme Kelia, ils étaient ici acant tout pour boire, pas pour faire la conversation, mais peut-être que ça lui permettra de profiter un peu plus de sa soirée contrairement aux autres soirs. Disons qu'ils auraient dû commencer par là, pourtant ils faisaient tout à l'envers. Leur relation était tout sauf banale ça c'est certain.

Contre toute attente tu conseilles à ce mec de te parler de sa journée. Une journée qui a été difficile selon ses dires. Mais en général t'en aurais pas eu grand chose à faire et tu lui aurais même pas demandé comment s'était passée sa journée en fait. Parce que t'es comme ça toi. Tu t'intéresses pas aux autres. Et t'aimes pas non plus qu'on s'intéresse à toi. Tu racontes pas tes journées, à personne. Même quand c'est des journées de merde. Même si apparemment ça fait du bien de parler à quelqu'un. Vous avez déjà passé plusieurs soirées ensemble sans jamais vraiment parler de vos vies. A quoi ça sert de toute façon ? T'es ici pour boire et lui aussi. Alors autant aller droit au but. Vous vous tenez juste compagnie, vous parlez très vite fait de choses et d'autres mais sans jamais aborder des sujets sur vous même. A tel point que vous connaissez même pas vos prénoms. Ce soir c'est différent et tu sais même pas pourquoi. T'es pas de mauvaise humeur alors c'est peut-être pour ça. Si tu peux rendre service, pourquoi pas. Mais qu'il s'attende pas non plus à ce que tu lui donnes des conseils ou quoi que ce soit. C'est pas ton truc. Mais il a l'air de bien t'avoir cernée parce qu'il est un peu pareil que toi. Alors il raconte pourquoi il a passé une sale journée. Une altercation avec sa collègue. Pas cool. En même temps il a pas l'air trop patient le mec. Ca se voit qu'il s'énerve vite. Une petite remarque et hop. Enfin en tout cas c'est ce qu'il laisse paraître. Tu peux pas vraiment savoir au final. « Ah merde. » Tu te contentes de répondre. Il est pas rentré dans les détails et tant mieux. T'en vois pas trop l'utilité et lui non plus sûrement. « Pas toujours facile de bien s'entendre avec les collègues, hein. » tu rajoutes. Quand t'étais flic il t'est arrivé plusieurs fois d'avoir des altercations avec des collègues. Rien de bien violent mais parfois c'était assez tendu. Mais t'étais un peu moins agressive que maintenant. Alors ça s'arrangeait toujours. Alors que lui, on dirait pas qu'il est du genre à arranger les choses. Puis tu te présentes quand même à lui parce que tu te rends compte que finalement vous l'avez jamais fait. C'est pas indispensable non plus mais c'est toujours mieux de savoir à qui on parle. Surtout quand c'est pas des conversations vides de sens comme vous avez l'habitude d'avoir. Aujourd'hui c'est différent. C'est comme si une barrière venait de tomber entre vous. « Et bah enchantée alors, Donovan. » Tu dis avant de finir ton verre et de faire signe au barman pour qu'il te remette le même. C'est encore une soirée où tu vas mal finir. Une de plus. « Ca fait longtemps que t'es à Bowen ? » T'aurais pu rien dire et continuer à boire en silencle comme d'habitude. D'ailleurs c'est pas comme si sa réponse t'intéressait réellement. Mais puisque la conversation est engagée, pourquoi pas en profiter pour connaître un peu plus ton compagnon de beuverie ? Au fond t'es pas si sauvage que t'en as l'air.

Donovan n'a jamais été le genre de mec à taper la discussion avec une autre personne comme ça, juste pour le plaisir. Il est plutôt renfermé sur lui-même et il y a de quoi quand on connaît son passé, même si personne ne le connaît. Personne, excepté Tahlia maintenant. Et ça remettait tout en cause, ça aurait pu tomber sur une autre personne du service, il aurait été viré et tout aurait été plus simple, mais le fait de savoir qu elle détenait les cartes pour le détruire quand elle en aurait envie, ça le rendait malade. C'était un habitué du contrôle, une sorte de maniaque. Et là, il ne maîtrisait rien, c'était sa collègue qui pouvait le faire chanter si elle en avait envie. Même si quelque chose au fond de lui, lui disait qu'elle ne le ferait pas, il ne pouvait pas totalement retirer cette idée de son esprit.

S'il venait se réfugier dans des bars pour boire, ce n'était pas pour taper la discussion, sinon il aurait bien trouvé quelqu'un à appeler avec qui parler de ses malheurs, mais ce n'était pas le cas. Cette femme, Kelia avait été là à de nombreuses reprises et ils avaient simplement bu ensemble, sans se poser plus de questions sur la vie de l'un ou de l'autre. Non pas qu'il était totalement insensible à ce que vivait les autres, mais il s'en fichait pas mal. Enfin dans le contexte de sa soirée, en dehors, c'était autre chose.

Sans réellement savoir ce qui l'avait poussé à agir de la sorte, Donovan s'était confié plus que suscintement sur les raisons de sa journée de merde. Mais au final, il y avait tellement plus à dire qu'une simple altercation, il n'avait tout simplement pas le coeur à debaler sa vie. Il avait déjà parlé et on pouvaient considérer cela presque comme un miracle. Il laissa échapper un rire quand elle prononça ces paroles. Pas facile de s'entendre avec ses collègues, ça s'était le moins que l'on puisse dire. Le plus facile serait de faire une liste avec les noms des personnes avec qui il s'entend, parce que l'inverse prendrait beaucoup trop de temps.

Ils en viennent ensuite aux présentations, sans pour autant entrer dans les détails, parce qu'au fond, ils savent l'un comme l'autre que c'est simplement pour faire la discussion et qu'ils finiront tellement ivre que la prochaine fois qu'ils se croiseront, ils n'auront probablement aucun souvenir de ce qu'ils ont pu se dire. Il se présente à son tour. Et voilà, désormais ils peuvent boire ensemble et connaître le prénom de leur compagnon. Si pour certains, les relations commençaient par demander le prénom de leur interlocuteur, eux, avaient fait les choses dans le désordre mais ça ne semblaient pas les avoir dérangé plus que ça jusqu'à présent.

Il secoua la tête à la question de la jeune femme, puis se rendant compte qu'elle n'avait peut-être pas les yeux rivés sur lui, il ajouta verbalement quelque chose.

" - Non. Enfin ça dépend de ce qu'on appelle longtemps. Ça fait trois ans que je suis ici. Et toi ?"

Tout est relatif. Trois ans c'est si peu et beaucoup à la fois. Pour certains longtemps, ça se compte en dizaine d'années, alors en se basant là-dessus, ça ne fait pas longtemps qu'il est en ville. En réalité, s'il pouvait fuir encore une fois, il le ferait très probablement. Il n'a aucune attache, rien qui le force à rester dans cette putain de ville où tout part en bordel dès qu'il fait quelque chose. Il faut qu'il parte, et vite, mais pour le moment, son verre vide est sa seule priorité. Il fait un signe au serveur pour en avoir un autre. Combien en a-t-il bu depuis qu'il est assis derrière ce bar ? Aucune idée, mais sans doute pas assez pour qu'il puisse se sentir réellement en vie.

" - Tu fais quoi ici ?"

Sous-entendu, qu'est-ce qu'elle faisait dans la vie mais également, pourquoi elle était ici, dans ce bar à boire. Un homme ivre ce n'est déjà pas sympathique à voir, mais une femme c'est encore pire. Pire dans le sens où, si elle finit la tête à l'envers certaines personnes mal intentionnées pourraient usaient de son état, et l'idée qu'un homme puisse user de tels procédés pour arriver à ses fins, ça faisait encore plus bouillir la rage qu'il avait en lui. Puis, les images quand il a empoigné Tahlia pour la plaquer contre le mur lui reviennent à l'esprit. C'est pour cette raison qu'à peine le verre posé devant lui, il l'a déjà descendu et en recommande un autre. Finalement parler lui faisait plus de bien qu'autre chose, pendant ce temps ça lui évitait de boire.

Les discussions trop poussées c'est pas vraiment ton truc. Y a eu un moment de ta vie où ça te dérangeait pas, t'étais même plutôt bavarde avant. Pas non plus à tout le temps parler pour rien dire mais tu parlais plus qu'à l'heure actuelle en tout cas. Maintenant quand il faut parler t'as limite la flemme. Juste quelques mots ça suffit. Qu'est-ce que tu veux raconter en même temps ? Ta vie de merde n'intéresse personne. Elle t'intéresse même pas toi même alors bon. Pourquoi tu vas aller la raconter à d'autres. A des inconnus en plus. Aucune utilité. T'es pas non plus trop sauvage donc quand on te parle tu réponds. Surtout par politesse. Et quand on commence à vouloir trop rentrer dans les détails tu fuis. Le point positif avec ce Donovan c'est qu'il a pas non plus l'air d'aimer entrer dans les détails. Alors quand il raconte sa journée très rapidement sans en dire trop, ça te va. De toute façon t'aurais pas su quoi lui dire. T'es pas du genre à écouter les autres raconter leurs problèmes avec attention et à vouloir les aider. C'est un peu chacun sa merde quoi. T'en as assez dans la tête pour aller encore t'occuper de ceux des autres. Ce soir vu que ça a l'air un peu différent et que vous allez sûrement pas boire en silence tous les deux comme d'habitude, tu décides quand même de faire les présentations. Normalement c'est le truc qu'on fait en premier quand on rencontre quelqu'un mais vous faites tout à l'envers et ça a pas l'air de vous déranger. En même temps y a beaucoup de monde à qui t'as parlé dans ta vie et dont tu connais pas le prénom. Ca t'empêche pas de vivre. Et si ça se trouve demain t'auras déjà oublié comment il s'appelle et tu continueras de l'appeler le mec du bar. Ensuite tu lui demandes s'il est en ville depuis longtemps. Ca fait plusieurs mois que tu le croises mais t'as remarqué son accent qui vient pas d'Australie. Donc t'en déduis qu'il est pas originaire d'ici. Comme toi en fait. « Je vois. Moi ça fait cinq ans à peu près. » C'est peut-être pas longtemps pour certains, mais pour toi cinq ans c'est beaucoup. A la base t'es venue à Bowen pour l'autre gros con qui disait vouloir donner une seconde chance à votre couple. T'y as cru. T'as quitté ton Amérique natale pour le rejoindre ici. Et quand il s'est barré pour la deuxième fois, t'aurais très bien pu te barrer aussi. Sauf que n'importe quel endroit où t'iras ça sera pareil. T'as pas eu le courage de retourner à Los Angeles et tu l'auras sûrement jamais. Tu vas probablement vivre et crever ici. Mais au fond c'est pas trop dégueulasse comme ville. Le flic te sort de tes pensées en te demandant ce que tu fais ici. Ici où ? Ici dans ce bar ou ici en ville ? Dans les deux cas la réponse est pas intéressante. Mais c'est bien qu'il t'ait sortie de ces pensées de merde qui vont pas du tout de paire avec l'alcool. « En ce moment je bosse sur des recherches avec une avocate. » Très sympa d'ailleurs. Qui a sûrement fait une connerie en t'embauchant mais ça elle le sait pas encore. Quoi qu'elle doit s'en douter quand même. « Et le soir j'viens me changer les idées ici. Comme toi. » T'hausses les épaules en levant ton verre comme pour trinquer à vos vies de merde avant de boire quelques gorgées.

Si vous cherchez quelqu'un pour venir pleurer sur son épaule, ce n'est certainement pas vers Donovan qu'il faut se tourner. Lui est plutôt du genre à acquieser tout en écoutant parler. Et même si son boulot de flic devrait faire en sorte qu'il est attentif aux problèmes des autres et éprouve une certaine empathie, et bien.. Vous êtes tombé sur le mauvais flic alors ! C'est pas son genre. Avec Chamberlain, c'est un peu comme un taureau, il fonce très souvent tête baissée sans prendre le temps de réfléchir aux conséquences. Enfin, ça lui arrive de temps en temps, sur des enquêtes, mais pour ce qui est de cette enquête qu'il tient à élucider concernant le meurtre de sa femme, il se fiche éperdument des représailles. Maintenant qu'ils lui ont pris la seule chose de bien qui lui était arrivé dans la vie, il n'a plus rien à perdre, pas même sa vie qui n'a aucune valeur à ses yeux.

Au fil de la discussion, alors qu'il continue de boire les verres qu'on lui pose devant lui sur le comptoir, il ne les compte même plus. Il a dépassé ce stade depuis longtemps. Finir bourré et trébucher dans un caniveau ou même se retrouver à dormir dans un coin sombre, ça ne le gêne pas plus que ça. C'est presque vital pour lui. Pas de dormir dans la rue bien sûr, mais le fait de finir ivre au point de tout oublier. Ça lui permet de se sentir plus léger pendant un certain laps de temps même si ce n'est qu'éphémère. Peut-être qu'un jour il comprendra que pour régler ses problèmes, l'alcool ne l'aide pas mais ne fait que lui en rajouter. Suffisait de voir où il était rendu quand il buvait comme ce soir, à outrance.

Tahlia avait raison, sa femme n'apprécierait pas de le voir se détruire comme ça, pourtant, c'est là seule manière qu'il connaissait. Ça n'avait rien de sain, mais pourtant, mais il n'arrivait pas à faire autrement que détruire tout ce qui l'entourait ainsi que lui-même. Parfois, il vaut mieux un mensonge, ça fait moins mal que la vérité, et surtout, c'est plus facile à accepter. Il était dans le déni, et ça continuera probablement comme ça avant de s'être pris une bonne gifle qui lui fasse réaliser que sa vie n'était pas encore totalement fichue.

Kelia venait de répondre à la question posée par Donovan. Cinq qu'elle vivait ici. À l'entendre parler, on dirait que comme beaucoup elle est venue ici pour fuir quelque chose. Comme lui l'avait fait. Il avait fui son passé. À moins que cela n'avait rien à voir, mais tout comme lui, elle n'était pas originaire d'ici. Était-ce trop Était-ce trop lui demander d'où elle venait ?

" - Tu es originaire d'où ?"

L'accent trompait peu de personnes, tout comme son accent à lui. Moitié français, moitié allemand. Voulant faire un semblant de conversation pour ne pas laisser s'installer un silence, qui, contrairement à leur autre soirée passé ensemble, devenait presque pesant. Une étrange sensation en tout cas. Elle travaillait pour une avocate. Ironie du sort s'ils étaient amené à travailler ensemble sur une enquête, parce que les avocats et les flics le sont souvent, même si beaucoup ne font pas bon ménage. Surtout avec son caractère à lui.

" - Et ça va, ça te plait ? Enfin, c'est la formation que t'as suivi ou tu fais ça juste parce que t'as besoin d'un truc ?"

Donovan commençait à parler un peu trop, un des effet de l'alcool lorsqu'il ne devenait pas violent. Mais dans le cas présent, c'était presque pire de trop parler que de devenir violent, c'était son interlocutrice qui voulait ça.

Parler de tes problèmes et écouter ceux des autres... Et puis quoi encore ? Surtout dans un bar. C'est pas un cabinet de psychologie. Et puis tu t'en fiches un peu des problèmes des autres t'as déjà assez avec les tiens. Au pire tu veux bien écouter ou faire semblant, mais qu'ils viennent pas chez toi pour avoir des conseils ils seront très mal servis. Donovan a l'air d'être ce genre de personne aussi alors ça tombe bien. Vous allez pas faire les pleureuses ensemble. Ca t'intéresse pas de toute façon. Tu veux bien discuter en buvant tranquillement mais pas plus. Pas des discussions où faut trop réfléchir pour parler. Donc vous continuez de boire tu comptes même plus les verres d'ailleurs. Pourquoi compter de toute façon, personne te dira quoi que ce soit parce que t'es trop bourrée. Même le barman continue de te servir quand t'as trop bu parce qu'il te connaît bien. Cette fois-ci vous faites un peu connaissance. Le genre de chose qu'on fait au début normalement. Mais vous avez pas fait les choses dans l'ordre et c'est pas très grave. Et surtout ça vous avance à rien de savoir d'où vient l'autre. Sauf que ce soir vous avez décidé d'aller sur ce terrain. Peut-être pour agir comme des gens normaux qui font connaissance alors que vous d'être loin d'être normaux tous les deux finalement. Enfin il a pas l'air dans un bon état, un peu comme toi. Tu sais reconnaître les gens un peu dérangés. Y a qu'à voir tout ce qu'il boit comme alcool pour comprendre qu'il y a un truc. Donc il te demande d'où tu viens. Cinq ans que t'es à Bowen déjà. Ca paraît pas long mais quand on a une vie merdique comme la tienne ça fait long. Mais que t'aies une vie merdique à Bowen ou à Los Angeles c'est pareil. « Etats-Unis. Los Angeles, et toi alors ? » Tu réponds avant de finir ton verre et de rappeler le barman pour qu'il t'en serve un autre. S'il faut faire la discussion vaut mieux que t'aies bu sinon ça risque pas d'être trop intéressant. Tu parles ensuite de ton boulot. Parce que tu connais le sien mais lui connaît pas le tien. Même si c'est sûrement qu'un job temporaire. T'aimes quand même quand t'as pas à dire que tu fous rien de tes journées comme t'avais l'habitude de faire avant que Jazz t'embauche. « Ouais ça va. Enfin ça paye le loyer quoi c'est cool. » En vérité tu t'es un peu prise au jeu et t'apprécies bien de bosser avec l'avocate. Pour l'instant. « Non c'est pas la formation que j'ai suivi. Tu vas rire mais j'étais flic avant. » Ouais une ancienne flic qui bosse pour une avocate c'est un peu ironique quand on connaît les relations entre flics et avocats. Et surtout apprendre que t'es une ancienne flic ça fait toujours le même effet aux gens. En général ils te croient même pas. Faut dire que c'est pas vraiment écrit sur ta gueule non plus.

Donovan n'avait aucune envie d'écouter les conseils de qui que ce soit ce soir. Même pas ceux du barman qui avait tenté de le raisonner avant d'abandonner face à la détermination du flic. Et puis, être flic avait parfois du bon, quand quelqu'un devenait un peu trop chiant, il y avait toujours le moyen de sortir sa plaque. Bien souvent ça en dissuadait plus d'un de lui tenir tête. Mais ce soir, il avait tout simplement envie de lâcher prise. De tout envoyer valser et de simplement descendre des verres remplis de ce liquide qu'il aimait tant. Ce même liquide qui lui brûlait les entrailles dès lors qu'il descendait dans sa gorge. Mais cette sensation de brûlure qu'il aimait. Pendant quelques heures, il oubliait ce qui l'entourait, il avait déjà été proche du coma éthylique bien qu'il n'est jamais franchi la barrière.

Donovan c'est le genre de mec à jouer avec le feu. Comme on le dit souvent à force de jouer avec, on finit par s'y brûler. C'est bien le dernier de ses soucis et au fond, peut-être que c'est cette adrénaline qu'il recherche. Il est en perpétuel recherche de lui-même, de celui qu'il était avant, mais est-ce qu'il existe encore ? L'ancien lui avait très sans doute disparu et été enterré en même temps que sa femme et son enfant.

Contrairement à ce qu'il aurait pensé dans un premier temps, la soirée qu'il avait prévu de passer seul n'était plus son objectif. Kelia s'était installée à ses côtés et ils avaient commencé à discuter, à apprendre à se connaître très brièvement. Aucun d'entre eux ne semblait près à faire des confidences sur le mal profond qui les ronge, pourtant ils sont similaires, bien plus qu'ils ne l'avoueront jamais. Il suffit simplement de les voir ce soir pour comprendre qu'ils sont à mettre dans le même sac.

" - Leipzig en Allemagne."

Sur certains mots, on entendait parfois son accent, mais sur d'autres, on pourrait presque croire qu'il était né ici, à Bowen. Mais c'est souvent lorsqu'il était énervé qu'il se trahissait tout seul avec des injures dans sa langue natale. Parfois quand il était bourré aussi, il lui arrivait de sortir des phrases sans queue ni tête, et parfois en mélangeant le français l'allemand et l'anglais, alors pour comprendre ce qu'il dit, il faudrait avoir un décodeur. Mais plus personne ne fait cet effort depuis longtemps, parce qu'il n'y a plus personne dans son entourage hormis ses collègues de travail. Il n'avait plus de vie sociale mais en vrai, ça ne lui manquait pas plus que ça. Il aimait bien trop sa solitude pour pouvoir la partager avec quelqu'un.

" - Ça fait combien de temps que tu as arrêté ?"

La police, c'était toute sa vie à Donovan. Enfant, il rêvait d'entrer dans les rangs. Toute sa vie, il s'était battu pour faire régner l'ordre et défendre les plus faibles. Ça avait toujours été sa vocation, même si depuis quelques années, elle avait complètement disparue. Mais si on voulait attirer son attention, parler de la police était probablement un des sujets sur lesquels il pourrait écouter parler pendant des heures.

Soudain, lorsqu'elle lui avait avoué être une ancienne flic, un flot de questions se bousculaient dans sa tête. Pourquoi avait-elle arrêtée ? Est-ce qu'elle avait elle aussi reçue des menaces et avait préféré sauver sa peau ? Tant de questions et pourtant il sait qu'il n'aura jamais les réponses à ces dernières. Parler de la police était la seule chose qui pouvait le stopper dans son élan pour engloutir les verres. Il s'était arrêté au moment même où elle avait prononcé ces quelques mots.

Pas besoin de grandes discussions pour comprendre que toi et ce mec vous êtes pareil. D'une certaine manière. Parce que c'est tout sauf normal de se retrouver dans ce bar tous les soirs et de boire seul. Tu te doutes qu'il y a forcément quelque chose derrière tout ça. Comme pour toi. T'as pas forcément envie de le savoir. S'il veut en parler il le fera, mais t'es pas du genre à poser trop de questions. Pas curieuse pour un sou. T'as déjà assez avec ta propre vie pour vouloir connaître celle des autres. Surtout ceux qui ont une vie de merde comme toi. Et lui, ça se voit qu'il cache un mal profond. Tu sais les reconnaître quand tu les vois. Et surtout quand tu les croises à plusieurs reprises. Pas besoin de parler pour comprendre ça. A la base tu t'es installée à côté de lui comme d'habitude. Pour que vous buviez ensemble dans ce silence que t'aimes tant. Mais la soirée a pris une autre tournure. Une tournure différente des autres fois mais qui te dérange pas pour autant. Enfin pour l'instant. Parce que si la conversation se fait plus poussée t'auras envie de fuir comme d'habitude. Mais pour l'instant vous faites les présentations. Vous parlez d'où vous venez. Allemagne pour lui, les States pour toi. Décidément y a beaucoup d'étrangers dans cette ville. Ca en devient presque bizarre. Mais t'aurais deviné qu'il était pas d'ici à cause de son accent. « Paraît que c'est cool l'Allemagne. J'me demande bien ce qui a pu t'amener ici. » Bowen est pas une ville que t'aimes pas. Mais c'est pas non plus le paradis. Enfin de ton point de vue en tout cas. Point de vue qui est certainement brouillé par la vie que tu mènes et qui est loin de ressembler à un quelconque paradis. Après vous parlez de ton travail. Parce que le sien tu le connais déjà et t'as déjà eu affaire à lui. Alors tu lui dis que toi aussi t'étais dans la police avant. Cette période te paraît si lointaine que t'es obligée d'en parler régulièrement pour pas oublier. Sans doute la meilleure période de ta vie. Celle où tout allait bien. Celle où ta mère était fière de toi et où tu vivais une vie normale, avec un futur mari et un futur enfant. Aujourd'hui tout a changé et quand t'y repenses t'imagines toujours ce qui se serait passé si ta vie était restée normale. Si t'avais fait d'autres choix que ceux que t'as fait. Malheureusement tu le sauras jamais et t'es obligée de continuer ta vie comme elle est. Aussi merdique soit elle. « Hum... ça fait quasiment sept ans maintenant. » Tes yeux s'écarquillent. T'avais jamais calculé ça. Et ça te fait un sacré choc. C'était pas ce que tu voulais. T'aurais aimé continué dans la police. C'est pas un travail facile mais c'était ta voie. T'as arrêté parce que t'avais pas le choix. Après ce que t'as fait t'aurais pas pu continuer à être flic. C'était impossible. C'est à partir de là que la descente aux enfers a commencé. T'espères juste qu'il demandera pas la raison pour laquelle t'as quitté la police. « Ca fait combien de temps que tu fais ça ? » Tu demandes pour l'éloigner un peu du sujet.

Il y a deux endroits où Donovan se sent à l'aise et loin de tout. Dans sa caravane, son petit chez lui, pas de grand confort, mais de quoi vivre suffisamment s'il s'en donnait un temps soit peu la peine. Et puis, ce bar. Ou un autre d'ailleurs. Mais les bars en règle générale. Là où il pouvait s'asseoir au comptoir, commander autant de verres qu'il le souhaitait sans que personne ne vienne lui faire la morale. Là où il pouvait tout oublier, surtout après des journées de merde. Bien que ce ne soit pas le cas chaque jour, mais lorsque ça arrivait, il passait encore plus de temps ici. C'était un peu comme sa deuxième maison, et même s'il avait conscience que tout cela était plus que pitoyable c'était la seule façon qu'il avait trouvé pour continuer à avancer dans sa vie aussi bien qu'il le pouvait.

Puis la jeune femme qu'il côtoyait d'habitude était venue s'installer à ses côtés. Ce soir ce n'était pas le silence qui régnait, mais plutôt leur voix qu'ils s'élevaient afin qu'ils puissent faire connaissance. Pourquoi ce soir et pas un autre ? Pourquoi maintenant alors qu'ils s'étaient toujours contenté de boire ensemble sans s'étaler sur leur vie respective ? Aucune idée, mais faut croire que tout finit par arriver, même ce qu'on pense impossible. Alors ils discutent, de leur pays natal, de leur métier respectif.

" - Si j'avais eu la possibilité je serai rester chez moi, mais les claques de la vie ont fait que je n'en ai pas eu la possibilité. Puis mon ancien supérieur a fini par trouver cette opportunité et m'a balancé ici."

C'était une bonne chose, tout du moins au début. Il avait apprécié être loin de tout, de pouvoir recommencer à zéro, loin des souvenirs de sa défunte épouse. Mais rapidement, les choses avaient repris le dessus et lui avait repris son enquête sur les meurtriers de sa femme. Ici ou ailleurs, ça ne changeait pas grand chose pour lui, il finirait par les coincer tôt ou tard et ce jour là, il savait que sa vie basculera de nouveau, qu'il ne pourra plus rester flic, et ça signera la fin de sa vie aussi très probablement. Flic c'est la seule chose qu'il sait faire et qu'il a toujours fait.

Kelia lui révèle alors qu'elle a été flic elle aussi, évidemment la question qui lui vient instantanément c'est pourquoi elle ne l'ai plus ? Faute pendant son service ? Mauvaise entente entre ses collègues et elle ? Il y avait tellement de possibilités qu'il ne pouvait pas deviner pour qu'elle raison elle ne l'était plus aujourd'hui. En revanche, ce qu'il remarque c'est qu'en parler semble lui remuer les tripes. Alors elle aussi c'était sa vie d'être flic ? Ça leur faisait encore un point en commun à tous les deux.

" - Pourquoi t'es plus flic ? Je suis peut-être bourré mais faudrait être aveugle pour ne pas voir tes yeux briller quand tu parles de ce métier."

C'était la question quitte ou double. Soit elle acceptait de se livrer à lui, soit elle prendrait ses affaires et ils ne se reverraient sans doute plus de si tôt. Mais il avait besoin de savoir, aujourd'hui les personnes passionnées par ce métier se faisait de plus en plus rare. Lui aussi était un passionné, tout du moins, il l'avait été avant que sa femme ne décède.

" - Je ne compte plus vraiment les années, mais j'ai toujours fait ça, je suis rentré à l'école de police quand j'avais 18 ans, donc ça fait plus de vingt ans que je porte ces couleurs, cet uniforme et ces valeurs."

Valeurs dont il ne respectait plus vraiment la signification depuis un bout de temps d'ailleurs. Il passa sous silence volontairement ses années de repos après le décès de sa femme, jusqu'à ce que son meilleur ami et ancien supérieur ne lui trouve cette opportunité et l'envoie à l'autre bout du monde pour se reconstruire. Si seulement il avait su, peut-être qu'il n'aurait rien fait.

Tu te surprends à parler avec Donovan de vos vies respectives. C'est un peu bizarre de faire ça mais c'est comme si ce soir vous aviez décidés tous les deux de vous livrer à l'autre sans vous être concertés avant. Tu lui parles de ta vie comme si tu en parlais à Karel, puisque Karel est la seule personne qui connaît des choses sur toi, surtout sur ta vie d'avant. Faut croire que t'as moins de mal à te confier aux gens qui te ressemblent. Ce qui est pas étonnant finalement. Pour l'instant vous faites juste connaissance mais tu sens que le sujet peut dévier à tout moment sur des choses dont t'as pas vraiment envie de parler. Mais t'as accepté de briser le silence alors c'est un peu de ta faute aussi. T'espères juste que ce flic est pas trop curieux. Qu'il voudra pas trop en demander. Vous discutez de vos pays natal. L'Allemagne. Et il se retrouve à Bowen. Un peu contre son gré si t'as bien compris. C'est pas non plus un supplice de se retrouver ici. Bowen est pas la plus dégueulasse des villes. Mais c'est toujours mieux quand on choisit soi même où on veut aller. « Oh je vois. Mais tu te plais ici quand même ? » Faut être difficile pour pas se plaire ici. Ou être toi. C'est pas la ville en elle même qui fait que tu t'y plais pas c'est plutôt les circonstances dans lesquelles tu t'es retrouvée ici. Partir à des milliers de kilomètres pour retrouver quelqu'un et se retrouver toute seule dans une ville ou on connaît rien ni personne. Personne a envie de vivre ça. T'aurais bien pu retourner à Los Angeles retrouver ta vie d'avant. Mais quelle vie ? T'avais plus de travail et c'est sûrement la seule chose qui aurait pu te faire revenir. Justement, en parlant de ton taff tu lui dis que t'es une ancienne flic sans réfléchir et forcément il pose la question bonus. Fallait s'y attendre. Sauf que dans la conversation t'as pas vraiment pensé à ça. Tu finis ton verre. Tu reprends ta respiration. T'essaies de rester le plus naturel possible. « J'ai fait une énorme connerie. J'ai été obligée de démissionner. » Oh oui. La plus grosse connerie de toute ta vie. Tu pouvais pas rester flic après ça. Tu pouvais pas regarder tes collègues dans les yeux et encore moins ta mère, après avoir fait ce que t'as fait. « Disons juste que... Quelqu'un m'a fait du mal et j'ai voulu faire justice moi même. » T'enchaînes directement pour anticiper ses autres questions sans même être sûre qu'il en aurait poser. Tu t'étonnes toi même de pouvoir en parler avec un tel détachement. C'en est presque flippant. « Plus de vingt ans ? C'est beau ça. » Même s'il a pas l'air très heureux t'imagines que c'est pas à cause de son travail. Enfin peut-être à cause de l'altercation avec sa collègue. S'il est comme toi il doit avoir du mal à bien s'entendre avec les autres. Ca a l'air d'être un solitaire donc ça se comprend. « Y a beaucoup de travail ici ? » Bowen ressemble à une petite ville tranquille. Tu t'intéresses pas assez pour savoir s'il s'y passe des choses mais ça a l'air assez calme en tout cas.

Jusqu'à présent, Donovan n'a jamais cherché de personne à qui il pourrait se confier, il n'en ressentait absolument pas le besoin, il avait déjà l'alcool qui lui tenait compagnie et ça lui suffisait. Enfin, qu'il disait, sans doute qu'au fond de lui, se confier à quelqu'un sur toute cette colère qu'il garde au fond de lui lui ferait du bien, mais même avec la psychologue qui lui a été assigné dans son service, s'il se rend aux séances c'est déjà un miracle. Il ne faut pas trop lui en demander en même temps.

Au lieu de quoi, il était assis, accoudé au comptoir avec un verre comme seul compagnie, enfin plus maintenant Kelia l'y avait rejoins sans même qu'ils n'aient eu à se contacter pour se donner rendez-vous dans ce bar. Et si ça avait été le cas, probablement qu'il n'aurait pas accepté, comme quoi le hasard fait bien les choses puisqu'ils avaient entamés une conversation alors que d'habitude ils se contentaient de leur verre sans prononcer le moindre mot.

" - Je n'y ai jamais vraiment réfléchi de savoir si je me plaisais ou non ici, mais si j'avais pu choisir, ce n'est certainement pas ici que j'aurai atterri."

Ce n'était pas dégueulasse comme ville, loin de là, mais Donovan était un peu comme les petits vieux, il n'aimait pas qu'on lui change ses habitudes. Alors oui, il fallait qu'il parle d'Allemagne à cause de la douleur du décès de sa femme, mais de l'autre côté, il aurait préféré atterrir en France, en Italie, ou quelque part d'assez proche de son pays natal. Mais les choses s'étaient déroulées autrement et il n'avait pas vraiment eu son mot à dire, c'était soit ça, soit il pouvait faire une croix sur ce qu'il aimait tant jusqu'à présent : son métier.

Lorsque Kelia lui avoue être une ancienne policière, évidemment Donovan lui demande pourquoi elle ne l'ai plus, c'est la question que n'importe qui aurait posé. À moins que ce ne soit l'alcool qui le rende trop curieux ? Tout ceci étant qu'elle y répond tout de même. Et sa réponse ne le laisse pas indifférent. Et comme si tout cela n'était pas encore précis, elle continua à lui expliquer sans pour autant entrer dans les détails. Ils étaient vraiment pareils tous les deux, le même caractère, un passé qui semblait troublé pour chacun d'entre eux. Ils avaient bien plus en commun qui ne l'aurait jamais soupçonné.

Parce que si pour le moment il n'a pas encore franchi le cap dont elle parle, il n'en ai pas loin. Dès lors qu'il aura retrouvé les responsables du meurtre de sa femme, il n'hésitera pas à les coller deux balles entre les yeux pour s'assurer qu'ils ne feront plus jamais de mal à personne. Et après ça, forcément qu'il ne pourra plus rester flic non plus, mais il a perdu l'amour du métier qu'il avait à ses débuts. Aujourd'hui, il agit simplement sous la colère qui le maintient depuis qu'il a perdu sa bien-aimée, parce que rester flic c'est la seule solution pour continuer d'enquêter sans trop éveiller les soupçons.

" - Disons qu'on a pas le temps de s'ennuyer, que ce soit pour de petits délits ou des plus gros, il y a de quoi faire."

Donovan n'était pas souvent au bureau, et lorsqu'il y était c'était tout simplement pour remplir la paperasse liée à un dossier en cours, sinon il était très souvent sur le terrain. Peut-être trop souvent même, quand on sait qu'il carbure avec sa gourde remplie d'alcool.