A sky full of stars (Concho)

C'était le deuxième soir du festival. Conquise par la première soirée, Tahlia avait réitéré l'expérience, avec joie, engouement et excitation. Mais cette fois, elle était venue seule. La magie du festival faisait que c'était facile de lier avec d'autres personnes, toutes ici pour l'amour de la musique et de la fête. Mais elle délaissa bien vite ce groupe d'une soirée pour aller chercher quelque chose à boire, assoiffée par la chaleur encore assez présente et les danses sur les musiques entraînantes. Alors qu'elle avançait dans la file d'attente du premier bar qu'elle trouva, elle aperçut une silhouette bien connue, postée près de la petite paillote qui servait au bar. Concho. Elle quitta aussitôt la file et s'avança vers le jeune homme, posant une main sur son bras pour le saluer. « Quoi ?! On peut avoir de très jeunes enfants et venir s'amuser dans un festival ? M'aurait-on menti tout ce temps ? Parentalité rimerait donc bien avec liberté ? » s'exclama-t-elle, en faisant des caisses, entre amusement et taquineries. Mêler vies de jeunes adultes et de parents, ça avait été leur objectif, aux colocs du 17. Ses lèvres s'élargirent en un grand sourire alors qu'elle se plantait près de Concho. Elle le serra dans ses bras, heureuse de le voir. « Comment tu vas ? » Bien sûr, ils se parlaient tous par textos. Mais là, l'avoir en face d'elle, ça avait une toute autre saveur. Ça lui rappelait à quel point sa présence lui manquait au quotidien. Bien sûr Concho était parti pour la plus belle des raisons, à savoir l'amour et la famille, mais il laissait un très grand vide au 17. Le genre de vide bien difficile à combler. Elle regarda autour de son ancien colocataire et demanda : « Pippa est avec toi ? »

Ça ne faisait même pas un mois que j’avais quitté le #17 et déjà, j’avais des moments de crise existentielle, de grosse angoisse, parce que je m’ennuyais de ce que j’appelais “chez moi”. C’était con, ça aurait dû être home is where the heart is, donc auprès de Pippa. Son logement aurait dû être ma nouvelle maison à moi. Pourtant, j’avais encore l’impression de ne pas être à ma place. Je vivais un profond deuil de ma colocation. Ça me faisait sentir tellement coupable, parce que je savais bien que Pippa le ressentait, ça. Je n’en parlais peut-être pas ouvertement, ni à elle ni à mes anciens colocataires (je voulais qu’ils pensent que ça se passait bien et que j’étais heureux et tout, quoi), mais ça se voyait dans mon visage. C’est peut-être tout ça qui contribuait à faire exploser des disputes entre Pippa et moi. D’un côté, il y avait mes regrets et mes incertitudes, d’un autre côté il y avait le stress de ma copine en lien avec son manuscrit qu’elle n’arrivait pas à avancer alors qu’elle avait des délais à respecter, qu’on ne pourrait plus lui prolonger éternellement. Et entre tout ça, il y avait Alizée. Elle nous tirait énormément d’énergie, elle pleurait souvent la nuit, elle ne dormait jamais bien longtemps le jour non plus, on était brûlés, exténués, on avait du mal à dormir dans le même lit à cause du co-dodo, alors bien souvent je terminais la nuit sur le canapé. Le bordel. Pippa et moi, on avait pas habité ensemble, avoir d’avoir un enfant. C’était challengeant, de s’apprivoiser dans ce contexte, quand notre fille nous drainait à ce point. On l’aimait, évidemment, d’un amour inconditionnel et si fort, mais quand même … elle ne nous offrait pas un climat des plus propices à s’acclimater tout en douceur. Bref, tout ça pour expliquer que ce soit, après une autre dispute, Pippa m’avait juste dit de partir, si j’en avais à ce point marre d’être là, et plutôt que de la rassurer et de rester, j’étais parti. Je me sentais bien con mais en même temps, au fond, j’en avais besoin. Je m’étais retrouvé au Full Moon Party et ça, je me garderais bien de le dire à Pippa quand je reviendrais, tard ce soir. Perdu dans mes pensées, accoudé au bar, je sursautai légèrement quand quelqu’un posa une main sur mon bras. Je me tournai vers Tahlia. « Tahl’ !!!! » M’exclamais-je, débordant d’une sincère joie et surprise de la trouver ici. Elle me manquait, tellement, tellement, tellement. On avait fait des trucs, dans le dernier mois, c’est sûr, mais c’était bien loin de mon habitude de la voir à tous les jours. « Je pourrais te dire la même chose t'sais ! » Bon, j’en avais un peu plus, de kids, c’est vrai. Mais le truc bien avec la garde partagée, c’est que parfois, je me retrouvais sans enfant, avec un petit peu de liberté. C’était bien le seul point positif de toute ma situation familiale. « Ça va ... toi ? » Répondis-je surtout par habitude de dire ça. Je secouai la tête quand Tahlia me demanda si Pippa était avec moi. « Non, elle est à la maison avec Alizée. C’était pas trop notre soirée … » J’haussai les épaules. « T’es venue seule ? Ou bien Perry et Freja sont là ? » J’avoue que ça m’aurait fait quelque chose, de savoir qu’ils avaient décidé de venir tous les trois, sans m’inviter.

Tomber sur Concho à ce festival, c'était tout ce qu'il fallait à Tahlia. Même s'ils s'étaient vus depuis son départ, cela avait toujours été en compagnie des autres. Être en comité restreint, cela changeait tout et pour Tahlia, c'était l'occasion de voir comment Concho vivait le changement. Pour eux, au 17, ce n'était pas simple. Pour Concho aussi, le changement devait être énorme. Il apprenait à vivre en couple avec Pippa, après des années passées avec des amis, à devoir gérer sa casquette de parents et de couple. Ajoutez à l'équation un jeune bébé, cela vous donnait probablement un grand chamboulement. Elle esquissa un sourire aux mots de son ex-colocataire , hochant la tête : « Heureusement qu'on les a, ces moments-là. » Au début, elle se sentait coupable de sortir quand Thaïs était bien plus petite, mais elle avait appris et accepté que ces moments, pour elle, lui permettaient surtout de se régénérer et de recharger les batteries. C'était sans doute le cas pour Concho qui avait bien le droit de se changer les idées. Alors qu'elle lui demanda comment il allait, la jeune femme ne fut pas trop convaincue par son ça va qui sonnait davantage comme un réflexe plutôt qu'une vraie réponse. Et la suite de ses mots ne la rassurèrent pas plus que cela. Alors qu'elle s'attendait à voir Pippa dans le coin, Concho lui informa que ce n'était pas le cas. Que ce n'était trop leur soirée. La brune ne répondit rien sur le coup, mais son regard se fit interrogateur. Elle finit néanmoins par secouer la tête à sa dernière phrase, répondant aussitôt : « Je suis venue seule. » Avec douceur, elle ajouta : « Si j'étais venue avec Perry et Freja, tu te doutes bien qu'on te l'aurait proposé. T'es toujours le 17. » C'était important de le préciser. Ce n'était pas parce qu'il ne vivait plus avec eux qu'il ne faisait plus partie de leur vie. Le 17, c'était une famille. Et une famille, ça se suivait dans toutes les étapes d'une vie. Elle garda ses yeux verts sur lui et reprit : « T'as dit que ce n'était pas votre soirée avec Pippa, tout à l'heure... Comment ça se passe entre vous, après ces premières semaines à vivre ensemble ? » C'était une sacrée étape dans la vie d'un couple, c'était le deuil d'une vie de célibataire, c'était apprendre à vivre avec l'autre, à faire des compromis, à trouver un nouvel espace commun, à se laisser une place mutuelle. Et ça, c'était déstabilisant.

Heureusement qu’on les avait, ces moments-là, ouais. Je pense qu’au fond, ça tombait plutôt bien que Pippa ait eu besoin que je parte et que je lui donne de l’espace, ce soir. J’en avais visiblement besoin, moi aussi, puisque le simple fait de retrouver Tahlia dans ce contexte plus festif, venait carrément de m’enlever un poids sur les épaules. Je me sentais plus léger, l’esprit mieux aéré. Les nuages étaient encore au-dessus de ma tête et ça paraissait dans mes propos, mais tout de même. Cette soirée m’amenait lentement mais sûrement sur une belle remontée. En plus, Tahlia était venue en solo, ce qui signifiait que le #17 n’avait pas décidé de se rendre au Full Moon Party sans penser à m’inviter. Je ne vivais peut-être plus là physiquement mais, dans ma tête et dans mon cœur, y’aurait toujours une partie de moi là-bas. Avec eux. J’étais soulagé de constater que c’était un sentiment partagé de la part de mes anciens colocataires. « Ça me rassure … Pas que j’en doutais réellement mais … Tu sais, de pas être là les soirs, avec vous, dans toutes les discussions, c’est clair que j’ai un peu … beaucoup même, le fear of missing out. » Et j’en ratais probablement beaucoup, de belles soirées, de drôles de conversations, de beaux moments. Tous les trois n’allaient quand même pas s’arrêter, à chaque fois que c’était fun, en se disant “stoppons tout, il faut inviter Concho avant de poursuivre”. J’étais pas con non plus, je savais qu’en faisant le choix de partir, je faisais une croix sur la spontanéité de ces moments. J’étais loin de me douter qu’en faisant le choix de déménager avec Pippa, j’avais aussi fait une croix sur mon couple, en quelque sorte. Que c’était un peu le début de la fin. Je soupirai à la question de Tahlia. « C’est pas facile. » Je repris : « C’est vraiment pas facile. J’sais pas si c’est parce que j’y allais déjà à reculons ou si c’est elle et moi tout simplement, mais … On se prend beaucoup la tête. On ne se prenait jamais la tête, avant, Pippa et moi. » Admis-je avec une légère grimace. Le cocktail que j’avais commandé avant l’arrivée de Tahlia arriva finalement. Je le payai en remerciant la serveuse, avant de regarder Tahlia de nouveau. « Toi alors, comment ça se fait que t’es toute seule ? » Certes, pas besoin d'être plusieurs pour apprécier un festival de musique, mais quand même. J'aurais été le premier étonné que Tahlia n'ait trouvé personne pour l'accompagner. C'était  probablement par choix - j'espérais ne pas être en train de contrecarrer ses envies.

Finalement, les choses étaient bien faites. Alors qu'ils étaient chacun venu seul, les deux ex-colocataires avaient fini par se retrouver. Très vite, d'ailleurs, Tahlia le rassura sur le fait qu'elle était bien venue toute seule. Si cela avait été une soirée du 17, évidemment que Concho aurait été de la partie. Elle écouta les mots du jeune homme, un léger pincement au cœur en comprenant cette peur de manquer certaines choses. « T'es là pour les choses les plus importantes. » dit-elle d'abord, avant d'ajouter : « Tu sais, on se croise tous assez rapidement, dernièrement. Y a l'histoire de la maison qui est en cours, mais on sent qu'il y a un manque dans l'appart'. Tu apportais beaucoup. » Bien sûr, il y avait encore des beaux moments et des belles discussions entre eux, mais ils n'étaient pas au complet. Ça se sentait. Et il allait falloir sûrement plusieurs mois pour se faire àa cela. Ensemble, c'était les 4 pieds d'une table. En enlevant l'un des pieds, c'était un peu plus bancal. Mais Concho était parti pour la plus belle des raisons : construire sa famille. Seulement, en entendant ses mots, Tahlia comprit que ce n'était pas si rose. Les confidences de Concho approuvèrent le sentiment qu'elle avait. Ils se prenaient souvent la tête. « Vous apprenez à vivre ensemble. Déjà, ça, ce n'est pas facile. En plus de cela, vous avez un bébé au milieu. Il y a la fatigue, le stress qui entrent en jeu. Il faut un temps d'adaptation pour tout ça. Vous allez passer au-dessus. » Elle s'arrêta un instant avant de poser la question un peu sensible : « Tu te sens de passer au-dessus de tout ça, non ? » Dans une telle situation, ils testaient la force de leur amour. Et au fond, Tahlia comprenait ce que Concho vivait. Peut-être parce qu'elle avait été dans une situation plus ou moins similaire. Avec Ciàran, ils avaient dû gérer la construction de leur famille alors qu'ils se construisaient tout juste comme un couple. En enlevant le facteur de la famille, leur couple avait explosé. Alors qu'il lui demanda pourquoi elle était venue seule, la brune haussa les épaules : « Mes parents gardent Thaïs, ce soir. Du coup, je me suis retrouvée seule. Je tournais en rond à l'appart', ça commençait à ruminer là-dedans... » Elle tapota sa tête, bien remplie dernièrement par toutes ses histoires de cœur. « ...Alors, j'ai pris mes affaires et je suis venue ici, tout simplement. Y a un groupe que j'aime bien qui joue ce soir.» Elle releva la tête vers lui et demanda : « ça te dit qu'on reste ensemble ? Je ne veux pas m'imposer. »

Un sourire se dessina tristement sur mon visage alors que Tahlia m’assurait que j’étais là pour les choses les plus importantes, avec mes anciens colocataires du #17. Oui, peut-être. Mais j’aimais aussi être là pour les choses plus simples, plus banales. C’était souvent celles-là qui devenaient les souvenirs les plus magiques. Comme si elle lisait dans mes pensées, la brunette rajouta que dernièrement, Perry, Freja et elle se croisaient tous plus ou moins vite à l’appartement. « C’est gentil d’essayer d’me rassurer comme ça. » Dis-je avec légèreté, dans un rire. « Mais je sais bien que vous allez continuer à chiller ensemble, j’peux pas m’attendre à ce que la vie cesse au #17 juste parce que j’y suis pas. Mais vous me manquez aussi. Beaucoup. » Dis-je avec une certaine émotion dans la voix et dans le regard. Ce chagrin était sans doute décuplé par le nuage gris qui flottait au-dessus de Pippa et moi depuis mon emménagement chez elle. Si tout se passait bien et sans tracas, peut-être que mes colocataires me manqueraient, mais beaucoup moins. Là, je regrettais l’ambiance laissée derrière moi. Tahlia comprenait la situation, et sans doute lisait-elle en moi un peu mieux que je lisais en moi-même, puisqu’elle me demanda, hésitante, si je me sentais de passer au-dessus de tout ça. Je soupirai. « Je crois que oui … Enfin … J’ai envie d’essayer, c’est sûr. Mais je peux pas m’empêcher de penser, de me demander si … Si j’ai eu autant de mal à quitter le #17, si j’y suis allé tellement à reculons, dans ce déménagement, ce serait pas parce qu’à quelque part, au fond de moi, j’sentais que c’était pas la chose à faire ? Que Pippa et moi, c’était pas là où on en était rendus ? » Demandais-je. Il me semblait que si j’avais été persuadé de vouloir vivre avec la blonde, la décision aurait été plus facile. On aurait dit que même après plusieurs semaines, je la remettais encore en question, cette décision. C’était peut-être aussi juste que mes colocs me manquaient. J’avais complètement changé de vie et je m’ennuyais de Perry, de Freja et de Tahlia. Peut-être qu’une belle soirée passée avec cette dernière remettrait un peu d’ordre dans tout ça. « Bien sûr que j’veux qu’on reste ensemble. J’t’aurais même pas posé la question je prévoyais te suivre partout. » Je ris, avant de reprendre un peu de sérieux parce que l’une de ses paroles n’était pas tombées dans l’oreille d’un sourd. « Qu’est-ce que tu rumines, là-dedans ? » Dis-je en posant mon index sur son front quelques secondes.

Ce n'était pas qu'une tentative de rassurer. C'était une vérité. Depuis le départ de Concho, l'ambiance n'était pas totalement la même au 17. C'était comme s'ils devaient tous se remettre d'un tel départ. C'était comme si une page s'était tournée. Avec Perry, ils s'étaient demandés si ce n'était pas la fin du #17. Si ce n'était pas le signe qu'il fallait avancer. « Mouais... mais c'est différent, quand même. » répondit-elle finalement quand Concho avoua que la vie au #17 ne s'arrêtait pas. Ce qui les reliait tous n'avait pas d'explications. C'était une famille. Et leurs enfants ressentaient la même chose. C'était comme quitter un deuxième cocon familial. Elle lui adressa un sourire empreint de douceur en constatant qu'ils se manquaient tous. Pour Concho, la situation était plus complexe puisque sa nouvelle vie était bien loin de ce qu'il avait imaginé. Tahlia avait mal au cœur en apprenant que leur vie de couple n'était pas au beau fixe. Pippa était une femme formidable. Concho était un homme formidable. Leur couple avait fait rêver, tant il était naturel et sain. Mais même eux n'étaient pas à l'abri d'un revirement de situation, d'un virage engagé peut-être trop rapidement. Alors que Tahlia posa LA question fatidique à Concho, sur sa façon d'imaginer la suite avec Pippa, la brune l'écouta avec attention. Il y avait l'envie d'essayer, peut-être pour n'avoir aucun regret, pour se dire que tout avait été fait pour arranger la situation. Si tout se passait bien, ce serait un renouveau pour eux. Si ce n'était pas le cas... elle espérait qu'il ne forcerait pas la situation, au risque de se faire encore plus de mal. Concho mit le doigt sur son départ de la colocation et la réticence qu'il avait eu. Bien sûr, la vie de couple faisait peur. Mais on n'y allait pas à reculons. « Tu as l'impression d'avoir été forcé de franchir l'étape de vivre ensemble ? » Les mots étaient forts, mais il fallait peut-être foncer dans le tas. « Pippa, elle, était plus ouverte au sujet ? Ou c'est aussi l'arrivée d'Alizée qui vous a mis devant le fait accompli ? » Si l'un et l'autre n'avaient pas prévu de vivre ensemble, il fallait comprendre que cela explosait. Ce n'était pas rien de vivre avec sa moitié, de concéder son espace, de changer son emploi du temps, ses habitudes, ses manies. Encore plus quand cela n'était pas encore envisagé par les tourtereaux... Tandis que Concho récupéra son cocktail commandé plus tôt, la brune lâcha un rire à la réponse de son ami, ajoutant : « Je comptais te suivre aussi, mais je préférais demander l'aval, avant tout. » Puis, tout à coup, Concho rebondit sur quelques mots dits par Tahlia, un peu plus tôt. Notamment sur le fait qu'elle ruminait à l'appartement. « Je ruminais ma solitude. L'appart' vide, c'est légèrement flippant. » dit-elle, d'abord. Mais elle savait que ce n'était pas des plus crédibles, aussi reprit-elle, plus sincère : « Je ne sais pas si tu l'as su, mais j'ai rompu avec Percy. » Percy était venu plusieurs fois à l'appartement, durant cette année de relation, passant des soirées avec ses colocataires. « Ciàran est revenu à Bowen. Et ça a tout bouleversé. » Sa relation, sa vie de couple, ses envies et ses sentiments. « Dis, tu crois en la seconde chance, en amour ? » demanda-t-elle, l'esprit ailleurs. S'il y avait bien une chose qui les reliait tous, au #17, c'était leur rapport à l'amour, à leurs envies de belles relations... qu'ils foiraient, presque tous.

C’est sûr, que ce serait différent. Ma décision de partir n’impactait pas que moi, mais aussi mes colocataires, et les enfants aussi, bien sûr. Maxwell, Lara et Alizée étaient là de temps en temps. Ce ne serait plus le cas, du jour au lendemain. Ils étaient presque comme des cousins, nos enfants, et même encore plus proches que ça, au fond. On formait une belle et grande famille. Un petit village pour les construire. Pis avec Tahlia, Freja et Perry, on était un quatuor, indissociable. Qui sait, mon absence ne serait peut-être qu’éphémère, comme ça avait été le cas pour les trois autres également, qui avaient tous fini par revenir. Il n’y avait que moi, au fond, qui n’avait jamais expérimenté d’aller voir ailleurs. Mais bon, dans la réalité, on ne parlait pas ici « d’expérimentation ». Mais j’imagine qu’à l’époque de leurs départs, mes colocs’ non plus ne s’imaginaient pas revenir. La vie était parfois ainsi faite. Ma relation actuelle avec Pippa laissant présager beaucoup d’incertitudes, rien n’était moins certain. « Je pense, oui, que je me suis senti forcé. En tout cas, je n’étais clairement pas prêt à 100%, et ça, Pippa le savait. Elle m’a attendu quelques mois, mais il faut croire que ce n’était pas suffisant. C’était pour Alizée, oui, que c’était plus logique qu’on soit sous le même toit … Notre famille était rendue là. Notre couple, peut-être pas. » Constatais-je.  C’était deux choses différentes. Nous étions bien, en tant que parents. On s’entendait bien sur l’éducation d’Alizée, sur les responsabilités qu’on se partageait. Mais être parents et être amoureux, c’est deux choses. Enfin, je ne dis pas que je n’étais pas amoureux, je l’étais, évidemment. Mais nous n’étions peut-être pas autant compatibles que prévu. Tahlia aussi semblait avoir son lot de questionnements, et j’acceptais volontiers de la laisser ventiler plutôt que de continuer à me plaindre. « Oh, non … Je ne savais pas. » Et voilà la tornade de culpabilité qui se lançait. Comment avais-je pu louper cette information ? Et en plus, Ciàran était de retour à Bowen. Évidemment, qu’elle était bouleversée. « Tu as encore des sentiments pour lui ? » Demandais-je, avant de soupirer en haussant les épaules. « Je ne sais pas … Je me dis qu’à moins d’avoir vraiment beaucoup changé, travaillé sur ce qui n’allait pas … les raisons du premier échec amoureux finiront par revenir à la surface. » En tout cas, j’avais beau m’imaginer revenir avec chacune de mes ex, les mêmes problèmes surgissaient : Ally avait un caractère trop explosif, avec Zelda ce ne serait jamais passionnel, avec Freja elle garderait toujours la porte ouverte à Woody. Y aurait-il, bientôt, un avec Pippa on n’aurait jamais le même mode de vie ? Ça restait à voir.

Ils étaient presque tous partis du #17, pour des projets plein d'espoirs, comme l'achat d'une maison ou une grossesse. Et ils étaient tous revenus, avec l'envie de retrouver un vrai chez-soi. Parce que c'était cela, le #17. C'était un endroit rempli de bienveillance, animé. C'était un lieu rempli de valeurs qu'ils avaient voulu inculquer à leurs enfants. Beaucoup les voyaient comme des adultes qui ne voulaient pas grandir, mûrir. Ces gens-là ne comprenaient pas qu'en réalité ils avaient trouvé une famille au sein de cet appartement. Seulement, pour certains, il était temps de construire leur famille. C'était avec cette idée-là que Concho avait quitté l'appartement. Mais pour ¨Pippa et Concho, cela avait été accéléré avec l'arrivée d'Alizée. Et tout n'était pas aussi rose. Tahlia grimaça quand Concho lui avoua qu'il s'était senti forcé d'emménager avec Pippa. « Tu crois qu'elle t'aurait mis un ultimatum ? » demanda-t-elle, pour creuser davantage. La dernière phrase fit écho chez Tahlia. Notre famille était rendue là. Notre couple, peut-être pas. Elle savait très bien de quoi il parlait, elle-même ayant connu cela dans son ancienne relation. Elle avait été une famille avant d'être un couple. « Ce n'est déjà pas simple d'être un couple. Ça l'est encore moins quand la famille prend une longueur d'avance sur lui. » Ce n'était pas étonnant qu'il y ait des discordes entre eux. Ils mettaient l'énergie pour leur famille. Leur couple, en construction, était forcément mis de côté. « J'espère que vous arriverez à passer au-dessus ou qu'au moins, vous limiterez les dégâts. Tu sais que si tu as besoin d'un sas de décompression, tu as toujours les clés de l'appart'. » Elle ne savait pas encore que, dans quelques jours, Concho aura atteint les limites et qu'il reviendra, bagages en main. Cela valait le coup d'essayer pour ne pas avoir de regrets, et tourner la page sans les fameux et si j'avais fait ceci ? Et si j'avais fait cela ? qui pouvaient tourner en boucle dans la tête. Pour Tahlia aussi, il y avait pas mal de choses qui tournaient dans la tête. Alors qu'elle annonçait sa rupture à Concho, elle esquissa un sourire plein de douceur. « Ce n'est pas quelque chose que je voulais ébruiter. » Tahlia savait parler de ses histoires au lit, sur le ton de la rigolade, avec ses colocataires. Mais quand cela concernait ses sentiments, elle avait toujours été plus discrète. Mais étrangement, ce soir, elle était plus ouverte à en parler. A la question de Concho, sur les sentiments qu'elle pouvait avoir pour Ciàran, la brune hocha doucement la tête et répondit aussitôt : « Oui, c'est toujours là. » Pour une fois, elle en parlait à haute voix et assumait ce qu'elle ressentait. Elle écouta avec attention son colocataire, ses paroles se gravant dans son esprit. « ça tombe bien, je compte pas retomber enceinte de sitôt. » C'était clairement minimiser la situation. Certes, avec la grossesse, ils avaient mis la charrue avant les bœufs, mais cela ne se résumait pas qu'à cela. « Est-ce que tu prendrais le risque de te relancer dedans, quand même ? Imaginons que Freja revient vers toi. Est-ce que tu retenterais quelque chose avec elle, en ayant conscience que ça pourrait de nouveau échouer, mais en te disant que tu l'as fait pour n'avoir aucun regret ? Ou tu la repousserais de suite, par précaution ? » Inconsciemment, Tahlia avait parlé de Freja. Même pas de Pippa. Peut-être parce qu'à ses yeux, l'histoire entre ses deux ex-colocataires était aussi intense que ce que Tahlia vivait avec l'italien.

Je me sentais mal, de parler si ouvertement de mes problèmes avec Pippa. En même temps, il s’agissait de Tahlia, l’une de mes plus proches amies, celle avec qui j’avais partagé bien plus que mon quotidien, depuis plusieurs années. Elle me connaissait presque par coeur, au fond. S’il y avait une personne avec qui j’avais envie d’en discuter, c’était bien elle. Je ne pouvais me fier aux conseils de Perry, puisqu’il allait orienter ses réponses dans le but de me faire revenir au #17. Je ne voulais pas rentrer dans les détails avec Freja, en raison de notre bagage, de notre histoire. Avec Tahlia, on avait beau avoir eu nos écarts de conduite, une courte et cocasse histoire, c’est l’amitié qui primait, et je pouvais toujours compter sur ses réflexions intelligentes, logiques (si seulement elle pouvait appliquer sa sagesse à ses propres relations, celle-là). « Je ne suis pas en train de dépeindre Pippa comme la méchante de l’histoire, rassure-moi ? Parce que c’est pas ça. C’est pas ça du tout. C’est peut-être moi qui me suis foutu à ce point cette pression. Mais quand même, oui, Pippa me faisait bien sentir qu’elle, c’était ce qu’elle voulait. » Je n’avais pas envie de parler d’ultimatum, car je trouvais le concept fort, et je ne sais pas si ma petite amie se serait rendue jusque-là. Mais peut-être bien que oui. « Je l’espère aussi … Mais, ouais, je sais que j’ai toujours ma p’tite porte de sortie, au moins pour les nuits que je pourrais en avoir besoin. Peut-être ce soir, d’ailleurs ? » Suggérais-je avec un petit air d’ange. J’ignorais, à ce moment, qu’il y aurait pas mal de nuits au #17, prochainement, et que d’ici quelques jours, ce serait un retour officiel. Le manège en chute libre, il n’y avait pas que moi qui le vivais. Tahlia m’apprenait qu’elle s’était séparée de Percy, ce que je n’avais pas encore su, parce qu’elle avait évité d’ébruiter. Je fis une moue, parce que quand même, j’aurais dû savoir. « Et lui ? Tu sais où il se situe ? » Ce n’était jamais facile d’aimer encore quelqu’un qui ne nous offrait pas les mêmes sentiments en retour. Je ris quand elle parla de retomber enceinte, ce qui les avait menés à leur perte, la première fois, Ciàran et elle. « Pourtant, on manque d’enfants, au #17. » Voilà que j’en parlais comme si j’y étais encore. Preuve, encore une fois, que je n’avais pas encore mis les deux pieds à l’extérieur de mon passé. La question de Tahlia, qui l’aiderait peut-être à cheminer dans sa propre réflexion, me faisait certainement réfléchir moi aussi. Déjà, que ça ne me semble même pas étrange qu’elle me parle de Freja et non de Pippa, ça en disait long. Elle était ma personne, Freja. « C’est une bonne question. Je voudrais sûrement, encore, me protéger. Après tout, c’est moi qui ai quitté Freja. Je ne pense pas qu’elle aurait mis fin à notre relation, autrement, en tout cas pas à ce moment-là. Alors, même si elle revenait vers moi … Il faudrait que ma réflexion reste la même. Parce que je pense bien que Woody est toujours à quelque part dans sa tête. Et je ne veux pas partager son coeur avec lui. » Ce serait déjà difficile avec n’importe qui, mais c’était pire sachant que c’était lui. « Ça ne veut pas dire que ce serait facile de la repousser, hein, par contre. Freja … c’est … » J’haussai les épaules. « Freja. » Il n’y avait rien à dire de plus.

Elle connaissait Concho. Elle connaissait Pippa. Alors, c'était évidemment avec bienveillance et neutralité qu'elle tentait de creuser la situation. Parce qu'ils s'aimaient, ces deux-là, c'était certain, mais s'aimaient-ils suffisamment pour continuer de la sorte ? Là était toute la question. Ils ne semblaient plus être sur la même longueur d'ondes et ce décalage s'était concrétisé dans ce déménagement, dans cette vie de couple qui semblait presque prématurée pour Concho. Elle secoua la tête aux mots de Concho. « Non, bien sûr que non. » répondit-elle pour le rassurer sur l'image qu'il renvoyait de Pippa. « J'essaye juste d'avoir tous les tenants et aboutissants de l'histoire. Pour comprendre pourquoi d'un coup, tout a changé. » Mais Concho mettait le doigt sur les deux soucis : il s'était mis une pression folle et Pippa, elle, était plus ouverte à avancer. Ils étaient donc en total décalage. « Je n'ai jamais vécu en couple avec quelqu'un, mais je suppose que c'est normal de se mettre la pression. Au début, du moins. Après, ça doit probablement se tasser. » Il était là, le problème, ça ne se tassait pas. Concho n'était toujours pas prêt à 100%, comme il le disait. Mais il semblait avoir la volonté de se donner encore une chance. C'était Concho. Il allait toujours jusqu'au bout des choses. Et puis si cela ne fonctionnait pas autant qu'il le souhaitait, il avait le #17 comme sas de décompression. Elle esquissa un sourire quand il sous-entendit qu'il serait sûrement à l'appartement, ce soir. « La porte est grande ouverte. Ça te fera peut-être du bien de prendre du recul et de dormir plus ou moins correctement. » Elle savait qu'il allait tergiverser sur sa dispute avec Pippa, qu'il allait la repasser en boucle, mais être dans un endroit plus neutre, être à la maison, l'aiderait sûrement un peu. « Et puis, tu sais, si tu as besoin de quelqu'un pour garder les petits et partir une nuit avec Pippa, tu peux compter sur moi. » C'était aussi son rôle d'amie, de famille de cœur, c'était être là pour soutenir les autres et les aider dès que possible. A son tour, ce fut à elle de vider un peu son sac. Un peu, parce que Tahlia gardait toujours beaucoup en elle, à commencer sa séparation avec Percy, qui remontait à quelques semaines maintenant, et le retour de Ciàran depuis la fin de l'année dernière. Mais en parlant de ses sentiments pour lui, tout sortit si facilement, à sa plus grande surprise. Elle haussa une épaule à la question de Concho. « Il m'a dit que c'était la même chose pour lui. Je crois qu'on n'a jamais autant été sur la même longueur d'ondes, lui et moi. » Mais il y avait toujours le risque que les raisons de la première rupture reviennent pour la deuxième. Pour Ciàran et Tahlia, cela se résumait par cette grossesse qui les avait réuni, puis par cette fausse couche qui les avait séparé. Parce qu'elle avait eu peur, peur de ne pas être à la hauteur, peur de le voir partir maintenant que plus rien ne le retenait à elle. Mais elle tourna la chose à la dérision, en disant qu'elle ne comptait pas retomber enceinte. Même si elle le disait d'un ton humoristique, cela restait la plus grosse blessure de sa vie. « Moi j'ai donné. Je mise sur Perry et toi pour repeupler le 17. » Comme s'il avait besoin d'être repeuplé ! Mais au fond, oui, Tahlia gardait l'espoir d'être de nouveau maman. Au moins une dernière fois. La question qu'elle eut, ensuite, était à double-tranchant : cela allait sûrement les faire réfléchir tous les deux. Tahlia aimait avoir les avis de ses amis, savoir comment eux réagirait dans une telle situation. A ses yeux, c'était Freja qui représentait au mieux ce que, elle, elle pouvait ressentir pour Ciàran. « Je pense que c'est pareil pour moi. Ciàran n'aurait sûrement pas rompu avec moi, à l'époque. » Elle s'en rendait compte maintenant. A la différence qu'elle, il n'y avait pas d'un Woody dans l'histoire. Tahlia avait le champ libre. Alors fallait-il se protéger ? Elle esquissa un sourire aux mots de Concho. « Il est dans sa tête, oui, parce qu'ils ont un sacré passif tous les deux et des cicatrices qui les lieront à jamais. Mais je crois que son cœur, lui, ne demande qu'à aimer totalement. » Elles en avaient parlé toutes les deux, de ce fantôme qui planait sur elle, mais de cette envie d'avancer, malgré tout. Concho confia néanmoins qu'il n'était pas sûr de pouvoir repousser Freja. « Cette fois, je ne mettrais pas mon nez dedans. » dit-elle en levant les mains, en signe d’abdication, en riant. Leur nuit commune, à Concho et Tahlia, avait causé des quiproquos et mis à mal son amitié avec Freja. Ils s'en étaient tous finalement bien sortis. « T'es toujours attaché à elle ? » Elle ne parlait pas en amitié, là, évidemment.

Tout avait changé entre Pippa et moi, tout simplement parce que … ben, tout avait changé. Nous étions passés de meilleurs amis d’enfance à un couple qui apprivoisait tout juste comment être un couple. Nous vivions les premiers mois de notre vie à deux lorsque Pippa était tombée enceinte. Alors, oui, une grossesse avait beau durer neuf mois, ça n’avait pas été suffisant pour qu’on navigue parfaitement cette nouveauté. Avec l’arrivée d’Alizée, tout avait été chamboulé, et comme s’il nous avait fallu aller encore plus vite, nous avions déménagé ensemble somme toute rapidement dans cette relation. Pour être la famille que nous étions devenue, rapidement. Ajoutons à cela les enfants de mes autres relations, qui débarquaient de temps en temps dans notre quotidien, ça bouleversait encore plus notre équilibre fragile. Et la balance penchait de plus en plus d’un côté, bien malgré nous. « La seule fois avant que ça m’était arrivé c’était avec Freja et bon, comme on vivait déjà ensemble de toute façon, et comme nous n’étions pas seuls, c’était différent. C’est vrai que là, avec Pippa, j’me mets énormément de pression. Pis j’veux que Max et Lara ne prennent pas trop de place quand ils sont là parce que je ne veux pas que leur présence dérange Pippa … je ne pense pas que ce serait le cas, mais j’peux pas m’empêcher … » J’haussai les épaules. Pippa travaillait de la maison alors forcément, quand ça bougeait trop, elle n’avançait pas. Je savais que ça la stressait beaucoup. Cette soirée (et cette nuit) passée séparément nous permettrait sans doute d’avancer dans notre réflexion. Tahlia me proposait même de garder les enfants, pour une nuit, si Pippa et moi avions besoin de nous retrouver. Un sourire touché se dessina sur mes lèvres et je pris mon amie dans mes bras. « T’es la meilleure, Tahl’. Merci. » Je me dégageai de notre étreinte et on passa finalement à un autre sujet tout autant important : Ciàran. Elle me parlait du fait qu’ils étaient sur la même longueur d’ondes, à présent. « Mais est-ce que ça se pourrait que vous soyez sur la même longueur d’ondes parce que vous vous retrouvez à peine ? Si ça se trouve, avec Percy, ça battait de l’aile depuis un moment et ça se serait terminé tôt ou tard, avec ou sans le retour de Ciàran. Mais là, comme Ciàran est là … tu aurais peut-être … j’sais pas, idéalisé votre relation ? Parce qu’avec Percy ça ne fonctionnait pas comme tu l’aurais voulu ? » J’haussai les épaules. « J’demande ça comme ça. Je veux juste pas te voir blessée de nouveau s’il repart … » Je voulais juste qu’elle envisage ce que ça impliquait, un retour avec Ciàran. Elle avait été détruite, Tahlia. Je serais là, même si ça arrivait de nouveau, mais je préférais ne plus la voir aussi triste. On tourna quand même à l’humour ce sujet, parlant du #17 qui manquait (ou pas) d’enfants. Je ris à la réplique de mon amie. « Et tu crois pas que Perry et moi, on a donné ? Il y aura des problèmes de consanguinité à Bowen si ça continue comme ça. » Dis-je en continuant de rire. Il valait mieux en rire qu’en pleurer. On en revint à discuter de Ciàran, et de Freja, nos amants maudits, à Tahlia et moi. « Tu crois que vous seriez encore ensemble ? » Je m’étais souvent posé la question, pour Freja. Souvent, j’en arrivais à la conclusion que vous, quatre ans plus tard, nous serions encore ensemble. Mais Woody aussi, il serait encore dans le portrait. Tahlia me le confirmait. « J’imagine que j’aurai toujours peur du moment où Woody réalisera la chance qu’il rate, et qu’il donnera son cœur tout entier à Freja, qui ne demande que ça de lui. » Et alors elle me laisserait, pour moi, c’était une évidence. C’est de ça, dont je me protégeais. Je ris quand Tahlia m’affirma que cette fois, elle ne mettrait pas son nez dedans. « Ah non, t’as pas envie de remettre ça ? » Blaguais-je, évidemment pas sérieux même si, cette nuit-là, elle avait été une très belle nuit de complicité et d’intimité avec mon amie. Ça aurait pu tout changer mais finalement, ça nous avait rapprochés. « Bien sûr … Elle est pour moi ce que Woody est pour elle. » C’était une triste constatation.

Au fond, y avait-il vraiment une justification pour expliquer le déclin de la relation entre Pippa et Concho ? C'était allé vite et ils commençaient à se brûler les ailes. Ils n'étaient pas les premiers, ni même les derniers à qui cela arrivait. Bien sûr, elle espérait qu'ils se rabibochent. Mais si cela n'était pas le cas, si le mal était déjà fait, elle espérait vraiment que Concho ne perdrait pas trop dans cette histoire. Elle tenait à lui, énormément, et ne voulait que son bonheur. Elle écouta ce que son colocataire disait, un pincement au coeur : « Concho... tu as l'exemple même, là, que oui, tu te mets énormément la pression ! Max et Lara sont des enfants, ils prennent obligatoirement de la place. Et ça, je pense que Pippa le sait et l'accepte pleinement. En te voulant dans sa vie, c'est vouloir tout le package. » Elles en parlaient, souvent, avec Freja, de ce package qui faisait peur. « Je sais que c'est plus facile à dire qu'à faire, mais là, tu te mets beaucoup de charge sur les épaules. » Et forcément, il y avait des trop-plein. Des trop-pleins qui amenaient Concho ici, à s'éloigner pour la soirée, et la nuit. Se portant volontaire pour garder les enfants afin de laisser le couple se retrouver, Tahlia accueillit Concho dans ses bras quand il lui offrit cette étreinte. « C'est normal ! Entre parents et amis, on se serre les coudes. » Elle pouvait même dire famille. Parce que le #17, c'était leur famille à eux, même si beaucoup ne le comprenait pas et voyait uniquement des adultes qui ne voulaient pas mûrir. Puis ce fut au tour de Tahlia d'être mise devant le fait accompli. Sa relation avec Ciàran était mise sur le tapis. Et la réponse de Concho la surprit quelque peu. Et la blessa un peu, s'il fallait tout avouer. Peut-être parce qu'elle voulait juste que l'on voit à quel point elle était heureuse depuis que l'italien avait remis un pied à Bowen. « Je ne crois pas. Enfin... je ne pense pas. » dit-elle, un peu démunie. « Peut-être qu'il y a la magie des retrouvailles qui joue un peu, oui. Mais je pense qu'il n'y a pas que cela. Il m'a manqué pendant trois ans, Concho. Pendant trois ans, je n'ai pas réussi à tourner totalement sa page. Alors non, je ne pense pas idéaliser la relation, je sais que tout ne sera pas toujours rose parce qu'on a des caractères de merde, tous les deux. Mais j'ai envie de croire en une deuxième chance. » Surtout que, maintenant, ils connaissaient leurs failles et savaient où ils devaient porter leur attention. Elle esquissa un sourire aux mots de Concho, comprenant qu'au fond, il voulait la protéger. « C'est drôle, tout le monde croit que c'est lui qui a gâché notre histoire. Mais c'est moi qui ai gâché l'histoire. Je suis partie, sans lui laisser le moindre choix. » C'était sa fausse couche qui l'avait détruite. Pas Ciàran. Elle ponctua alors, avec douceur : « Si je dois prendre un mur, je me le prendrai, mais j'aurai vécu à fond ce que je voulais vivre avec lui. » Elle voulait vivre à fond, sans remords, ni regrets. La conversation se fit plus légère alors qu'ils parlèrent des enfants, éclatant de rire à la réponse de son ami. « Perry, lui, il a en tête de continuer ! » Elle rit de bon coeur. « Vous avez de la marge avant de parler de consanguinité. Ce n'est pas comme si tu avais cinquante gamins ! » Elle le regarda, puis dit avec douceur : « ça te va bien d'être papa, de toute façon. » Elle le trouvait tellement épanoui dans ce rôle-là, même si cela avait été des expériences inattendues. A croire qu'ils ne savaient pas faire d'enfants, dans l'amour et la stabilité, au #17. Revenant vers Freja et Ciàran, la brune hocha doucement la tête à la question de son colocataire. Serait-elle encore avec Ciàran, s'il ne s'était pas passé tout ce qu'il s'était passé ? « On ne pourra jamais le savoir, mais je pense que oui. » Elle écouta les arguments de Concho, comprenait totalement le cocon protecteur qu'il créait. « Peut-être que Woody ne le réalisera jamais, ça ?! Je veux dire, il a peut-être déjà raté sa chance. Je pense que Frej' n'a pas envie d'attendre toute la vie après lui, vainement. » Elle regarda son ami avec douceur et dit, laissant l'honnêteté parler pour elle : « De toutes les relations qu'elle a eu, je pense que tu es celui qui lui apportait le plus. » Même s'il y avait eu quelques dommages collatéraux, dont elle avait été la cible. Elle avait failli perdre Freja et Concho, à cause d'une nuit passée avec le Rosenbach. « Ah non, jamais ! » dit-elle en riant, à sa blague. « J'en garde un très bon souvenir, là n'est pas la question, mais l'après m'a fait beaucoup de mal. » Il était important de le préciser. Cela l'avait quand même marqué. Les derniers mots lui arrachèrent le cœur en prenant conscience de l'amour que Concho portait encore à Freja. « Tu penses que, ces sentiments, ça joue dans ta relation avec Pippa ? Pour le futur que tu vois avec elle ? » Pouvait-on vraiment construire une vie avec une personne alors qu'une autre hantait son esprit et détenait finalement, son cœur...

Ça me faisait du bien, que Tahlia me confirme que mes enfants étant ça, des enfants, il était normal qu’ils prennent de la place, qu’ils brassent de l’air. Et que quand on choisissait d’être avec moi, on choisissait d’être avec eux. Je pense que c’était une situation avec laquelle j’avais encore un peu de mal à naviguer, ça. Dans le cas de Maxwell et de Lara, j’étais devenu papa assez vite, sans préparation, sans planification. Dans un court laps de temps je m’étais retrouvé père célibataire de deux gamins et je n’avais pas tout de suite saisi tout ce que cela impliquait au niveau de mes futures relations amoureuses. Puis, Pippa, elle était tombée enceinte assez rapidement elle aussi, au tout début de notre relation officielle, au fond. Ça nous avait propulsé dans cette spirale quotidienne et on s’était peut-être retrouvés un peu coincés, sans avoir le temps de s’arrêter et de nous demander comment on allait gérer tout ça. Gérer nous deux, gérer mes enfants, gérer notre enfant. « T’as raison … Merci, Tahl’, de me ramener. J’pense que mon cerveau part vraiment dans tous les sens ces temps-ci et que je me fais pas mal d’idées. Pippa, elle le savait bien, en voulant qu’on déménage ensemble, que mes enfants seraient forcément là de temps en temps. Et Pippa, elle n’est pas du genre à prendre ce genre de décision sur un coup de tête. Elle devait y avoir réfléchi … » Admis-je. Cela me faisait sentir beaucoup plus léger et, même, plein d’espoir. Peut-être qu’il suffisait juste que Pippa et moi on se parle, pour de vrai, de ces détails qui nous travaillaient de l’intérieur et qui devenaient des montagnes. L’offre de Tahlia de garder les enfants pour que j’aie une soirée seul à seul avec ma copine, finalement, ce serait peut-être très bienvenu. Je remercia mon amie d’une étreinte. Elle était parfaite, Tahl’. « Oui. Je te rendrais la pareille n’importe quand. Je t’aime, Tahl’. » On se le disait pas assez souvent, ça, entre nous. J’étais peut-être un peu plus émotif que d’habitude aujourd’hui et ceci expliquait cela, mais quand même, j’tenais à le lui dire. Malheureusement, en voulant me protéger de tous mes doutes quant à ma relation avec Pippa, je fis peut-être un peu de projection, ne voulant absolument pas voir ma colocataire blessée par le retour de Ciàran. C’est peut-être que j’apprenais ça tout d’un coup, aussi. Sa rupture d’avec Percy et maintenant, elle semblait sur le point de se remettre avec son ex. Ça faisait beaucoup à assimiler et je lui disais tout ça comme ça venait. Tahlia arriva cependant à me convaincre - et à me faire culpabiliser aussi, d’avoir été vite dans le jugement et dans la précaution. « Tu fais bien, alors … Tu n’auras aucun regret. Maintenant que j’ai fait mon Papa Ours … Je suis aussi content de savoir que t’es heureuse de son retour, heureuse de le retrouver après tout ce temps à vouloir le ravoir. J’les vois, les étoiles dans tes yeux. J’ai juste envie qu’elles y restent longtemps. Tu mérites tout le beau qu’il t’arrive. » Bon, j’aurais eu envie de la serrer de nouveau dans mes bras et de lui dire que je l’aimais, mais je ne voulais pas être too much. À la place, on parla de tous les enfants de la coloc’ et des projets de Perry de continuer à peupler Bowen. « Tu dis ça mais ça peut aller vite quand on a ma variété de concombre. » Je ris, en revenant à cet éternel running gag qu’on avait à la coloc’, concernant mon gros concombre. « Merci. » Dis-je au compliment de Tahlia. « Tu sais, moi aussi j’aurais bien en tête de continuer … Si ça fonctionne avec Pippa, si on arrive à s’aligner mieux, j’me verrais continuer de construire notre petite famille. J’aimerais bien le vivre, l’effet team, pas juste être papa célibataire toute ma vie. » Et cela nous ramena à parler de nos relations, de la mienne avec Freja, de la sienne avec Ciàran, puisqu’ils étaient un peu nos amants maudits. « J’y crois pas, moi, qu’il a déjà raté sa chance. Après, ça se peut qu’il ne le réalise jamais, ça, c’est vrai. C’est qu’il est tellement con. Plus rien ne m’étonnerait. » J’haussai les épaules, avant de sourire alors que Tahlia me disait que de toutes les relations de Freja, j’étais celle qui lui avait apporté le plus. « À moi aussi, elle m’apportait tellement … » Mais ça me faisait bizarre, de réveiller ces sentiments alors que j’étais encore avec Pippa. Pourquoi n’était-ce pas de Pippa, dont on parlait ? Ça en disait quand même long. « Je sais. Heureusement que tout est rentré dans l’ordre. J’m’en serais voulu, autrement … » Je savais que Tahlia avait souffert et même si cette nuit avait effectivement été belle, elle ne valait pas la peine qu’on éclate, tous les trois. À sa question, je soupirai. « Peut-être … Mais j’espère que non. Parce que si c’est le cas, ça veut dire que je ne pourrai jamais m’investir totalement avec une autre personne. Tant que cette autre personne ne sera pas Freja. » Ce qui me ramènerait donc, sans fin, dans une boucle de solitude.

Elle était – pour le moment – parent célibataire, Tahlia. Elle savait qu'il était difficile d'allier vie parentale et vie sentimentale. Mais en aucun cas, elle ne voulait que l'une d'elle efface l'autre. Ce n'était pas parce qu'elle était maman qu'elle ne pouvait être une amante. Et si on voulait d'elle en tant qu'amante, il fallait accepter le fait qu'elle était maman. Sinon, passez votre chemin. Alors, au travers de ses mots, elle voulait rassurer Concho, lui expliquer que, non, ses enfants ne prenaient pas trop de place. Ils avaient leur place, à eux, elle était là, la nuance.Qu'à eux tous, ils formaient une famille, un ensemble composé d'individualités. Elle esquissa un sourire aux mots de Concho, alors que doucement, cela faisait un chemin dans sa tête. « C'est normal que tu te fasses plein d'idées. Vous avez tout à construire, tous les deux. Il y a forcément une période où les doutes surgissent, mais il ne faut pas leur laisser trop de place, à ces doutes-là. Repose-toi sur du factuel, tu verras, ton cerveau partira moins dans tous les sens. » Elle avait, elle aussi, été soumise à de gros moments d'angoisse et d'anxiété dans sa vie. Son cerveau était son pire ennemi. Elle n'avait pas encore toutes les clés, mais parfois, elle revenait à du concret et ses pensées s'apaisaient. Là, Concho venait de le faire. Pippa était une personne réfléchie. Si elle avait demandé à vivre avec Concho, c'était bien parce qu'elle acceptait tout de lui. Absolument tout. Ils avaient peut-être juste à se trouver un peu de temps pour souffler et se retrouver à deux. Alors, Tahlia se proposa pour garder les petits, le temps d'une soirée. La réaction de Concho la toucha profondément. Ce je t'aime, ils ne se le disaient pas souvent, même si au 17, ils savaient tous qu'ils s'aimaient les uns, les autres. « Moi aussi je t'aime. Et j'ai envie de te voir heureux. » Il le méritait plus que tout, Concho. Par contre, avec ce qu'il suivit, Tahlia l'aima peut-être un peu moins. Il avait mis le doigt sur des questions qui remettaient en doute toute la magie des retrouvailles entre Tahlia et Ciàran. Et si d'ordinaire, Tahlia n'aurait donné que de l'importance aux mots de Concho, elle sut, cette fois-ci, exposer des faits qui effaçaient tout d'un revers de la main. Elle savait ce qu'elle voulait, du plus profond de son être et elle assumait de le dire à voix haute : elle voulait Ciàran, tout simplement. Le reste, elle s'en contrefichait. Un sourire réapparut sur son visage quand son ami reprit la parole : « Je l'aime bien, ton côté Papa Ours. » Au fond, elle savait qu'il ne lui voulait pas de mal, il voulait juste la protéger. Mais il se rendait bien compte, aussi, qu'elle était heureuse, qu'elle rayonnait. L'émotion se dit dans son regard, à la suite de ses mots. « Arrête, tu vas me faire pleurer ! » C'était fort pour elle qu'on lui souhaite du beau, du beau avec Ciàran. C'était tout ce qu'elle souhaitait. Heureusement, avant de se transformer en madeleine, ils rebondirent avec humour sur leurs enfants et les envies de paternité. Elle éclata de rire quand Concho parla de son concombre. « Le fameux concombre ! Son arme imparable ? Il féconde aussi vite que son ombre. » Mais au delà de tout cet humour autour de son concombre, il y avait surtout une vraie envie de construire sa petite famille. Et le projet avec Pippa était toujours là. « Je te souhaite de l'avoir, ta team. » Et d'être accompagné comme il le méritait. Il avait eu des histoires difficiles, Concho. Comme celle avec Freja qui, pourtant avait tout pour être belle. Mais il y avait eu Woody dans le paysage. Elle retint un sourire aux mots de Concho, sachant pertinemment qu'il ne portait pas Rutkowski dans son cœur. Et à raison. « S'il vient à s'en rendre compte, j'espère que Freja aura tout en main pour le repousser. » Elle n'avait pas envie que son amie rate encore des histoires parce qu'elle courait après un fantôme. Woody ferait toujours partie de sa vie, c'était certain, mais elle espérait qu'elle puisse avancer et être enfin heureuse comme il se devait. Elle aurait pu l'être avec Concho. Les deux s'étaient tellement apportés et au fond, la beauté de cette relation était sûrement encore là, chez l'un comme chez l'autre. Freja, c'était la personne de Concho. Avec sa dernière question, Tahlia voulait savoir comment il réagissait vis-à-vis de cela. Est-ce qu'une part de lui-même courait toujours après la belle norvégienne, au point de ne pas totalement s'engager dans ses relations. La réponse de Concho la rassura, comprenant qu'il avait le recul nécessaire et l'envie d'avancer. Elle avait eu ce genre de discussions avec Freja, aussi. Et les deux réponses se rejoignaient. « J'espère que ce n'est pas le cas. Sinon, je pense qu'il faudrait vraiment mettre les choses au clair une bonne fois pour toutes. » Tourner la page définitivement... ou la rouvrir. Tahlia poussa un long soupir en concluant : « Qu'est-ce que c'est chiant, l'amour ! Et pourtant, on continue à foncer dedans, la tête la première. » C'était s'épanouir, puis se brûler les ailes, puis recommencer. C'était sans fin. « Finalement, c'est pour Perry que tout roule. Qui l'aurait cru... » C'était celui qui voulait le moins s'investir qui avait l'histoire la plus stable. Regardant la foule dont la clameur se faisait plus forte, elle comprit qu'un nouveau groupe arrivait : « ça te dit qu'on aille danser ? »