Are we ready for this? (woolie)

Cela faisait bientôt deux mois que Charlie s'était réconciliée avec Woody. La pâtissière arrivait à mieux s'ouvrir à lui, espérant se rattraper de ses erreurs passées. Elle lui apportait de nouveau des petites douceurs, lui soufflait des je t'aime timides au creux de l'oreille. Parfois elle restait plus d'une nuit dans ses draps. Récemment ils avaient cédé au plaisir des rapports non protégés. Beaucoup. Dès qu'elle le retrouvait, Charlie était sur son petit nuage oubliant que leur relation pouvait demeurer fragile. Et ces derniers jours, alors que tout pouvait laisser croire que tout allait bien, elle remarqua le retard de ses règles. Pourtant elle prenait correctement la pilule, aucun doute là-dessus. Elle se disait qu'elles n'allaient pas tarder à arriver. Mais au bout du cinquième jour de retard, elle décida d'acheter un test de grossesse au supermarché.

■ LE LENDEMAIN MATIN
Le silence régnait. Billie avait découché ce week-end, laissant la maison seule pour Charlie. Woody dormait paisiblement quand elle quitta le lit en toute discrétion. Elle rejoignit la salle de bain, pris sa brosse à dent, ouvrit l'armoire à glace pour récupérer le fil dentaire et tomba nez à nez au test rangé là. Un nœud se forma au creu de son estomac et elle referma aussi sec l'armoire. Pendant un moment elle resta plantée là, face au miroir, hésitante. Puis elle rouvrit l'armoire d'un geste brusque et prit la boite du test de grossesse. Elle hésitait encore mais ne se ravisa pas cette fois. Rapidement elle ouvrit le sachet, serra le bâton entre ses doigts et fit le test dans la cuvette des wc. Une fois terminé, elle remit le capuchon et lava frénétiquement ses mains sans quitter des yeux le test.

Les minutes qui suivirent semblaient les plus longues de sa vie. Elle fit les cent pas dans la salle de bain puis finit par se rassoir sur le sol. Les mains cachés sur son visage elle essayait de faire abstraction à l'accélération des battements de son cœur. Elle se releva et regarda le test qui affichait une ligne rouge bien distincte et... elle ne voyait rien d'autre. Alors elle prit le test entre ses mains, le dressa à la lumière du jour et observa. Une autre ligne, rosée, était apparue. Paniquée, Charlie rapprocha le test des yeux et vit avec horreur que la deuxième ligne était belle et bien visible. Il lui fallut plusieurs secondes pour réaliser qu'il y avait deux barres à son test de grossesse. Il indiquait donc qu'elle était enceinte. Non, non, non, ce n'est pas possible se plaignit-elle dans un murmure. Adossée au mur, elle se laissa tomber sur le sol. Les larmes commençaient à couler lentement le long de ses joues. Ses pensées étaient totalement brouillées. Elle ne savait pas comment encaisser cette nouvelle mais aussi, comment Woody allait réagir. Allait-il lui en vouloir? Dans l'incompréhension la plus totale, elle sentit le poids de la culpabilité l'abattre. Elle éclata en sanglots.

@Woody Rutkowski  

C’était plus doux, c’était plus calme, la vie de Woody, depuis que Charlie y était revenu. En plus, Freja avait commencé à fréquenter une femme, et le fait de la savoir en relation à nouveau, ça lui ajoutait une barrière qu’il n’avait peut-être pas réussi à se construire par lui-même jusqu’au bout. C’était la preuve que c’était terminé entre eux, dans les deux sens, et qu’ils allaient de l’avant dans des directions peut-être pas opposées, mais certainement pas similaires. Woody avait encore le cœur heurté par cette relation tumultueuse, il ne savait pas si on pouvait vraiment se remettre d’un tel amour passionné et destructeur. Mais il essayait. Il essayait de s’en remettre et jour après jour il s’abandonnait un peu plus à Charlie, se disant qu’il y avait droit, à ce bonheur-là. À la lumière de Charlie.

Ils passaient de plus en plus de temps ensemble. Ce n’était plus que de petits rendez-vous qui se prolongeaient parfois en une seule nuit. C’était des week-ends complets. Ils profitèrent d’ailleurs de l’absence de Billie cette fin de semaine-là pour se dépayser en passant les deux journées chez la pâtissière. Ils avaient l’habitude de passer leur temps chez Woody, c’était grand et il habitait seul, c’était plus tranquille, plus intime et plus libre. Billie avait parfois tendance à se mettre le nez dans leurs affaires, et Woody n’étant pas la personne la plus sociable ou ouverte du monde, Charlie savait qu’il valait mieux aller chez lui.

Ce matin, il se réveillait paisiblement dans le lit de Charlie, qu’il était encore en train d’apprivoiser. Il ne dormait jamais aussi bien ailleurs que lorsqu’il était dans son propre lit. Et dès que Charlie quittait les draps et qu’il ne profitait plus de sa chaleur, son corps se réveillait, c’était presque automatique. Le jeune homme prit le temps de réveiller son corps, qui demandait désormais un peu plus de préparation matinale avant d’affronter une journée. Il s’étira, se massa, puis se leva avec précaution avant de marcher jusqu’à la salle de bain. En ouvrant la porte, il trouva, assise au sol, une Charlie en pleurs. « Hé, qu’est-ce qui s’est passé ? T’es tombée ? » Il s’avança vers elle, inquiet.

Charlie était dévastée, perdue et terrifiée. Avoir des enfants n'avait jamais été dans ses plans. Elle était plutôt carriériste, avec, depuis toujours, des objectifs professionnels. Et puis elle n'avait jamais osé se projeter avec un homme. Oui, elle aimait Woody, mais ils n'avaient jusqu'à présent jamais abordé le sujet. Comment allait-il réagir? Allait-il lui en vouloir? Assise sur le sol, elle se mit à pleurer à chaudes larmes. Elle s'effondrait, pensant être seule. Jusqu'à ce que la porte de la salle de bain s'ouvre et qu'elle découvre un Woody, inquiet. Il pensait qu'elle était tombé. Oui, dans un sens, elle venait de tomber des nues. Précipitamment elle essuya les larmes sur son visage et hocha la tête. Non je... Les mots restaient bloqués au fond de sa gorge. Elle regarda de nouveau les yeux de Woody et se rappella de la tendresse de ces deux derniers mois passés ensemble. Son coeur se serra. C'était encore plus difficile de lui avouer quoique ce soit. Ce qu'ils avaient réussi à construire était beau, surtout quand on connaisait les situations fragiles de l'un et de l'autre. Sa lèvre trembla et sur un ton d'excuse elle reprit la parole. Elle ne voulait pas lui mentir.  Tu sais que je prends tous les jours la pilule, je l'oublie jamais même quand je viens chez toi. Mais j'ai du retard... Et j'ai voulu faire un test, plus pour m'assurer que tout va bien. Sauf que... Incapable d'en dire plus, elle s'interrompit. Les larmes commençaient à remonter. Elle n'arrivait pas à le dire, alors elle désigna le test de grossesse, positif,  sur le meuble du lavabo.

Il avait l’impression d’être tombé sur Charlie à un mauvais moment, comme si elle s’attendait à être seule, à pouvoir vivre ce qu’elle avait à vivre sans lui. Tout d’un coup, il se sentait de trop, inutile et étranger. Il avala difficilement en la voyant essuyer précipitamment ses lèvres, comme si elle aurait préféré qu’elle ne le voit pas dans cet état. Mais lui, lui devait se montrer dans des états lamentables par moments, sans pouvoir y faire quoi que ce soit, et Charlie lui répétait sans cesse que ça ne changeait pas son image de lui, qu’il n’était pas moins bien pour autant, pas moins homme, ou n’importe quelle bêtise qui traversait l’esprit du trentenaire. Mais si lui ne pouvait pas la voir dans sa tristesse, à quoi servait-il ? Il s’avança quand même vers elle, ne voulant pas tourner ça autour de lui alors que Charlie était chagrinée. Elle n’était pas tombée. « Alors quoi ? » Demanda-t-il mais doucement. Il s’agenouilla face à elle et quand elle parla de pilule contraceptive, la pâtissière n’eut pas besoin d’en dire davantage. Il comprit. Pas besoin d’un dessin. Il tourna la tête vers le test qu’elle lui désignait et même s’il savait pertinemment ce qu’il allait y lire, il le prit entre ses mains et son regard tomba sur les deux petites lignes roses. Son cœur se serra. Ils n’avaient jamais parlé de ça ensemble. Lui caressait le désir d’être père depuis longtemps maintenant, sans jamais trop le partager aux autres, parce qu’il jugeait qu’il était trop tard, il jugeait qu’il ne pourrait jamais être un bon père dans sa condition. Et si Charlie, elle, pleurait, était-ce parce qu’elle n’en voulait pas ? « Qu’est-ce que tu veux faire ? » C’était bas, c’était injuste, de lui rebalancer ça à elle, de ne pas avoir une réaction qui aurait pu indiquer quoi que ce soit à propos de ce que lui en pensait. Il avait peur de réagir, si ça n’allait pas dans la même lignée qu’elle.

Il s'était agenouillé face à elle et Charlie espérait qu'il puisse la prendre dans ses bras après ses aveux. Mais son manque de réaction serra encore plus son coeur. Il lui demanda juste ce qu'elle voulait faire. Déçue de ne pas recevoir un peu de sa chaleur dans un tel moment, elle baissa son regard. Sa voix trembla. Je ne sais pas admit-elle en toute honnêteté. Charlie ne voulait pas d'enfants, pas tout de suite, cependant comment pouvait-elle justifier le choix de retirer la vie? Elle avait la situation financière pour élever un enfant, un travail qu'elle appréciait, un toit sur sa tête. Et même si sa relation avec le futur papa, demeurait fragile, elle n'en était pas moins merveilleuse à ses yeux. Soudain elle avait la terrible sensation que Woody n'en voulait pas. Paradoxalement, elle resssentit davantage l'envie de garder et de protéger ce bébé. Tu m'en voudras si je veux le garder? demanda-t-elle les yeux brillants, se retenant de toutes ses forces de fondre en larmes. Elle avait posé sa main sur son ventre. Une sensation étrange l'envahit. Cette décision, Charlie aurait préféré la prendre à deux. Tout comme elle ne voulait pas perdre Woody, surtout après tous les obstacles qu'ils venaient à peine de traverser ensemble. L'émotion la submergea et pourtant elle se contenait encore. Bon sang, elle l'aimait Woody. Elle ne voulait pas le perdre, pas maintenant alors qu'elle avait le plus besoin de lui.

Il ne savait pas trop quoi faire, Woody, pas trop où se mettre. Déjà, il s’était agenouillé face à Charlie, témoignant de son envie de se rapprocher d’elle pour la consoler, peu importe ce qu’il se passait. Mais maintenant que l’annonce était tombée et qu’il la savait enceinte, il n’osait même plus la toucher, encore moins la regarder. C’était comme s’il ignorait ce que la pâtissière avait en tête et à cause de cette confusion, il n’osait pas agir en premier. Pour cette raison, au lieu de se mouiller, Woody lui demanda ce qu’elle comptait faire. C’était certes son corps et sans doute que la décision finale lui reviendrait, mais le trentenaire avait quand même son mot à dire, à son avis. Malgré tout, il n’avait pas envie d’être le premier à dire quoi que ce soit. Probablement parce qu’il ne savait pas lui-même quoi en penser. Il avait fait une croix sur son désir de fonder une famille. Il était en train de faire son deuil de ce doux rêve-là. Comment revenir aussi facilement en arrière en se disant que tout irait bien ? Il avait passé les dernières années à se convaincre que ça ne se pouvait pas. Pas pour lui. Charlie lui demanda alors s’il lui en voudrait si elle le gardait. « C’est pour ça que t’es triste ? Parce que tu penses que je t’en voudrais de le vouloir ? » Demanda-t-il, surpris. Il s’assit finalement à côté d’elle, le dos contre le bain, et posa sa main sur la cuisse de Charlie. « Tu sais, j’donne probablement pas cette impression, mais … j’adore ma famille. Les Rutkowski, c’est … j’donnerais tout pour eux, quoi. N’importe quoi. Pour mes parents, pour Nev, Sean, Avery, pour Iris et Olympe. » Ces derniers n’étaient pas des Rutkowski mais ils en avaient le sang, c’était pareil, c’était pas le nom qui était important c’était le lien. « J’ai toujours voulu vivre ça, avec ma propre famille. Continuer la lignée. » Il osa relever les yeux vers ceux de la blonde. « Je sais juste pas si, aujourd’hui, c’est encore possible pour moi de m’imaginer être père. J’sais pas si j’y arriverais … »

Derrière sa question, Charlie voulait lui faire comprendre qu'elle voulait le garder ce bébé. Elle avait aussi besoin de savoir ce qui lui traversait l'esprit, aussi confuses soient ses pensées, elle voulait les connaitre. Si Woody lui avouait qu'il préférait qu'elle avorte, elle serait sûrement blessée cependant elle serait fixée. Cette décision devait être prise à deux, après tout cet enfant ils l'avaient fait ensemble. L'amour qu'il lui portait, n'allait peut-être pas suffir à surmonter cette épreuve. Car au lieu de la rassurer - ce qu'elle avait présentement grandement besoin, il se montra étonné. Il lui demanda si c'était pour  cela qu'elle était triste. En guise de réponse, elle haussa les épaules, incapable de lui dire quoique ce soit. Sa gorge était nouée. Il se décida par s'assoir près d'elle et posa une main sur sa cuisse. Il finit enfin par lui parler, lui partager ce qu'il avait sur le coeur. Woody parla de l'importance qu'il portait pour sa famille et cette fois ce fut Charlie qui se surprit à entendre les mots du physiothérapeute. Il avait toujours voulu vivre ça.  Une ombre d'espoir s'illumina dans les yeux de Charlie, bien vite éteinte par les dernières paroles de cet homme qui avait tant de pouvoir sur son cœur. Il ne savait pas si il arrivait à s'imaginer père, maintenant. Immédiatement elle tira ses propres conclusions. Il ne voulait pas d'enfant avec elle. Bien sûr, puisque ce n'était pas avec elle qu'il se projetait. Ce désir-là, il l'avait eut avec Freja. Était-ce le fantôme de son ex qui l'empêchait de vouloir cet enfant avec elle? Je suis pas prête à avoir un bébé... seule. Mais j'aurais été prête à l'avoir avec toi. C'était dit. Il savait désormais qu'est-ce qu'elle voulait et ça même si cela allait à l'encontre de ce qu'il voulait lui. Néanmoins la décision finale, il la détenait et en n'étant pas en capacité de se voir père, elle ne pouvait pas envisager autre chose qu'un avortement. Une chose lui traversa l'esprit et ce fut plus fort qu'elle. Est-ce que c'est parce que tu aimes toujours Freja? osa-t-elle demander. Mais soudainement elle changea d'avis et précipita de rajouter, les yeux brillants. Non, ne réponds pas à cette question. Et une larme coula sur sa joue, qu'elle dissimula en cachant son visage entre les mains. Tout s'écroulait. Ces deux derniers mois, à se reconstruire, à apprendre à se faire confiance. Elle revenait à la case départ et de plus en plus, elle supportait mal cette deuxième place qu'elle portait dans le cœur de Woody. Comme toujours, elle tenta de toute ses forces de se contenir. Elle sécha ses larmes, et adossa sa tête contre la baignoire, le regard vide. Je le garderais pas. conclut-elle douloureusement.

Jamais Woody n’aurait demandé à Charlie qu’elle avorte. En aurait-il seulement été capable ? Probablement pas. Il avait déjà perdu un bébé en la fausse couche de Freja. Il ne pouvait s’imaginer être la source de la perte d’un autre. Le hic, c’était qu’il avait également du mal à s’imaginer être père. Il s’était répété à maintes et maintes reprises qu’il n’aurait plus le corps et la force pour ça, dans quelques années. Il s’était convaincu que la fatigue physique et mentale ne lui permettrait pas d’élever correctement des enfants. Là, il était juste confronté à la grande question : en était-il convaincu parce que c’était plus facile ainsi d’accepter qu’il n’aurait jamais d’enfants ? Ou en était-il convaincu parce qu’il le croyait réellement, qu’il ne ferait pas un bon père ? La question de Charlie le sortit rapidement de ses pensées. Mais pas assez vite puisqu’elle rajouta tout de suite qu’elle ne voulait pas en obtenir la réponse. Malgré tout, il dit : « Ça n’a rien à voir avec ça, Charlie. » Ça répondait à la question sans y répondre, dans le sens où Woody ne se mouilla pas par rapport à ses sentiments envers Freja. Cependant, il disait vrai quand il affirmait que son hésitation par rapport à ses capacités d’être père n’avait rien à voir avec la norvégienne. La blonde appuya sa tête contre la baignoire, le regard vide rivé vers le plafond, et affirma qu’elle ne le garderait pas. Woody fronça les sourcils. « Charlie. » Lâcha le trentenaire abruptement. Plus doucement, il reprit : « Si je sais pas si je m’en sens capable, c’est pas parce que je nous remets nous, en question. Je me remets moi, en question. Tu le sais, je suis malade. Qui sait dans quelques années, ça aura l’air de quoi ? J’peux pas le savoir, toi non plus. Alors faut s’imaginer tous les cas de figure. » Il prit une courte pause en la scrutant du regard. Elle avait mal. Lui aussi, tout d’un coup, à devoir se lancer dans ces explications-là. « Tu dis que t’es pas prête à avoir un enfant seule mais qu’avec moi, oui. Char’ … peut-être que même si j’suis là, ce sera tout comme si t’étais seule. J’pourrai peut-être pas tout faire comme je le voudrais … J’pourrai peut-être pas être là comme je le voudrais. » Et surtout, sans doute faudrait-il qu’elle prenne soin de lui autant qu’elle prendrait soin des enfants. Ça lui revirait le cœur à l’envers et ça le dégoûtait de lui-même.

Déchirée, Charlie posa à haute voix cette question qui la tourmentait. Elle était persuadé que Woody n'aurait pas hésité à garder ce bébé si il était celui de Freja. Il avait vu juste, elle remettait en question leur relation. Quelque part elle fut rassurée de le voir réagir. Peut-être qu'il y a avait une partie de lui qui voulait cet enfant avec elle. Elle se raccrochait à cette pensée jusqu'à ce qu'il parle de sa maladie. Bien sûr, comment n'avait-elle pas put y songer?  Tu es l'homme le plus têtu que je connaisse! Elle pourrait presque en sourire, si elle n'avait pas tant pleuré. Il était clair que pour elle, sa maladie n'était pas une raison justifiée pour enlever la vie de ce bébé.

Depuis le début de leur rencontre, cela avait été ainsi, Charlie avait conscience de la gravité de sa maladie. Ce n'est pas pour autant qu'elle avait construit une barrière entre eux, bien au contraire. N'écoutant que cette petite voix qui lui disait qu'elle devait vivre leur histoire et leur donner une chance. Aujourd'hui elle l'aimait, elle voulait prendre soin de lui, le soutenir lorsque survenait ses crises ou ne serait-ce qu'être une présence si la douleur lui était insupportable. Avec la maladie de son frère, elle avait vécut des moments tout aussi difficile. Sauf que Woody avait toujours refusé catégoriquement toute aide de sa part, il tenait à la maintenir éloignée, par fierté - elle le savait, elle le connaissait assez bien maintenant.

À l'évidence, Woody n'avait pas compris son point de vue. Il fallait dire qu'elle avait du mal à l'expliquer, le sujet étant sensible et si innatendu. Je ne suis pas prête à l'avoir seule, pour ces raisons-là... L'idée d'élever notre enfant alors que toi tu n'en voulais pas, me dérange.  Qu'est-ce que je serais censée dire à notre fils quand il grandira? Ta maladie je pourrais toujours l'expliquer mais ça, non. affirma Charlie qui espérait de plus en plus qu'il change d'avis. Je peux être assez forte pour nous trois, tu sais? lui dit-elle avec douceur. "Nous trois". Charlie ne savait pas ce que Woody ressentit pour ces mots, néanmoins pour elle, ils étaient beaux. C'était ce qu'elle essayait d'expliquer juste avant, elle souhaitait qu'ils forment une famille. Elle voulait que ce bébé se sente désiré aussi bien pour sa mère que pour son père.  S'il-te-plait... Elle prit sa main et la posa sur son ventre, encore plat, mais qui portait à présent la vie. Son contact lui fit du bien. Elle posa son regard dans le vert de ses yeux.  Imagine, il pourrait avoir tes yeux. murmura-t-elle avec un mince sourire. Ce fut instinctif, elle ne put s'empêcher de se projeter. Alors la perspective d'avorter l'effrayait de plus en plus.

Ce n’était pas la première fois qu’on le traitait de têtu. Ses amis, puis Sara et Freja aussi, avaient donné ce qualificatif à Woody à maintes reprises en raison de sa position par rapport à sa maladie. « Je dirais plutôt que je suis cohérent ! Cohérent et réaliste. » Se défendit-il. Son chemin de réflexion se traçait depuis des années, il n’avait pas changé de voie dans un non-sens à s’y perdre. Il avait certes laissé sa chance plus facilement à Charlie qu’aux autres, il avait sauté dans cette relation en se posant un peu moins de questions qu’avec Sara et Freja, mais simplement parce qu’il avait cheminé en comprenant que ce n’était pas son choix, de se laisser être aimé ou non. Si l’autre lui répétait qu’elle était prête à rester auprès de lui malgré ses avertissements, alors Woody n’avait pas à se battre. Ça lui avait pris près de dix ans le comprendre, mais c’était acquis, désormais. Cependant, mettre au monde des enfants qui n’avaient pas demandé à avoir un père malade, c’était une autre affaire.

Charlie parla alors d’avoir cet enfant, seule, dans l’hypothèse où lui décidait de disparaître du portrait. Elle ne saurait alors pas comment l’expliquer à leur fils, ou à leur fille peut-être. Woody fronça les sourcils. « Si tu décides d’avoir cet enfant-là, Charlie, il est pas question qu’il ne me connaisse pas … » Affirma-t-il sans hésiter. Mais cela ne réglait pas la question qui lui tiraillait son cœur, à lui. En serait-il capable ? Rien qu’à l’entendre parler d’eux trois, son cœur avait envie de fondre plutôt que de se laisser malmener par ses pensées. « Mais j’ai envie d’être fort pour mon enfant, tu vois. J’aurais voulu qu’on soit tous les deux les héros. Pas juste toi. » Sa voix se cassait un peu par la tristesse. C’était difficile de parler concrètement de ça. Ce n’était pas qu’une conversation sur un futur incertain. Charlie était enceinte. Woody allait devoir affronter ces peurs-là.

Charlie le suppliait, portant la main de l’homme à son ventre plat, mais qui portait leur union. Il esquissa un faible sourire, encore confus, quand la jeune femme affirma que l’enfant pourrait avoir ses yeux. « Surtout pas. Il faut qu’il ait le plus possible de traits de toi. » Et les voilà qui se projetaient, et les voilà qui ouvraient un peu plus la porte à cette possibilité-là, qui leur était tombée dessus sans prévenir.

Malgré le sérieux de cette conversation, Charlie ne put s'empêcher de taquiner Woody concernant son entêtement.  C'est ce que disent les personnes têtues dit-elle avec un demi-sourire, les joues mouillées. Mais tout de suite elle en revenait au même sujet, à la même crainte que Woody exposait. Sauf que Charlie ne la trouvait pas justifiée, cette raison. Sa maladie n'était pas un obstacle, pas si ils vivraient ça ensemble. Woody l'arrêta, lui fit comprendre qu'il ne comptait pas disparaître de la vie de cet enfant. Silencieuse, elle ne rajouta mot, même si au fond cela la rassurait quelque part. D'autre part, elle ne voulait pas lui imposer cet enfant. Si elle continuait cette grossesse, ce serait parce qu'elle serait désirée autant de son côté que du sien. Cette pensée lui trottait dans la tête. Mais qu'en était-il pour eux? Voulait-il qu'il reste ensemble? Plus ils discutaient, plus elle se demandait si en effet, il le voulait. Elle essayait de le rassurer, cependant elle aurait dû deviner que Woody et sa fierté n'accepterait pas que Charlie soit forte pour eux trois. Il avait l'air si triste, qu'elle continuait d'argumenter, de se battre, avec sincérité. Tu es déjà fort, Woody. Tu vis ça seul depuis trop longtemps. Peu importe ce qu'il adviendra, tu seras son héros. Je sais comment tu es, et je suis persuadée que tu seras un bon père assura Charlie, se mordant les lèvres. Et elle attrapa sa main, le suppliant presque, en la posant contre son ventre. Elle plongea son regard dans le sien, et se laisser imaginer que leur enfant porte la couleur de ses yeux. C'était ce qu'elle aimait le plus chez Woody. Il eut son premier sourire, aussi faible soit-il. Et le plus merveilleux c'était qu'il sembla enfin se projeter. Un sourire se dessina sur le visage de Charlie. Le premier et vrai sourire de cette discussion. Je veux qu'on le garde. conclut-elle. Cette phrase, si spontanée, lui avait échappé. Il l'avait sans doute remarqué, elle venait du cœur. La décision ne lui revenait donc pas, du moins pas seule, c'était un point important pour Charlie. On avait-elle dit. Parce que désormais elle se sentait plus que jamais lié à lui, et cela ne pouvait que renforcer son amour pour lui.

Woody leva les yeux au ciel avec un bien faible sourire en entendant le commentaire de Charlie à propos de son entêtement. Elle n’avait pas tort. C’était exactement ce que dirait n’importe quelle personne têtue dans les circonstances, c’est vrai. Mais si Woody avait cette cruelle certitude d’avoir raison, où était le mal ? Il voulait plutôt faire le bien, en évitant à Charlie, et à leurs éventuels enfants, des heures et des années de souffrance. La pâtissière tentait de le convaincre qu’il était déjà fort, qu’il serait un héros pour leur enfant peu importe les circonstances. « Je le vis seul parce que je suis pas assez fort pour le vivre avec d’autres, justement. » Fit-il remarquer. « C’est pas de la force c’est de la lâcheté. » Il n’avait jamais vraiment parlé de ça à voix haute, ou alors très rarement, très brièvement. Woody se savait juste incapable de soutenir le regard des autres alors qu’il se noierait dans la honte. « Je ne serai pas son héros si à chaque fois que je vais moins bien, je me ferme complètement à lui. » C’était exactement le traitement qu’il réservait à Charlie à chaque poussée de symptômes, d’ailleurs. Et il savait que même si elle comprenait, elle aurait préféré être là pour lui. Si la jeune femme était capable d’endurer ses changements d’humeur, ce n’était pas le cas de tout le monde et il ne pouvait s’attendre à ce que ce soit le cas de leur enfant. La blonde attrapa doucement la main du trentenaire et la posa sur son ventre, qui ne dévoilait encore aucun signe de cette grossesse. L’émotion dans la voix, il répondit à Charlie, quand elle affirma vouloir qu’ils gardent cet enfant : « Alors promets-moi de me rappeler, à chaque fois que je douterai, de ce moment-ci. Rappelle-moi à quel point j’sais déjà que je l’aime alors que j’ai pourtant tellement peur de ce qui nous attend. » Demanda Woody, le cœur en parfaite confusion.

Dans d'autres circonstances, elle lui aurait tiré les oreilles. Charlie connaissait que trop bien l'entêtement de Woody et ses petits défauts dont elle avait appris à vivre avec. Les propos qui suivirent lui fit froncer les sourcils. Je n'aime pas t'entendre être si dur avec toi-même lui dit-elle avec tristesse. Certes elle n'aimait pas qu'il la mette à l'écart lorsque survenait les pires phases de sa maladie, mais jamais de la vie Charlie le considérait comme un lâche. Cela lui faisait mal qu'il ait une si mauvaise image de lui. Elle l'aimait, peu importe ses failles. Lui-même avait accepté les siennes. Avec douceur, elle reprit. Alors essaie de ne pas te fermer à moi... À nous... murmura-t-elle presque suppliante. Elle savait qu'il voulait protéger son entourage en agissant ainsi, elle pouvait le comprendre. Néanmoins leur avenir était chamboulé à présent. Ils avaient besoin de partir sur de solides bases, au risque de voir leur relation s'écrouler un jour. Ils n'étaient plus deux désormais et elle le lui fit signifier en lui mettant la main sur son ventre, encore plat. Ignorant tout faux-semblant, elle lui déclara enfin qu'elle voulait qu'ils gardent cet enfant. Il semblait à la fois ému et perdu lorsqu'il lui répondit. Il avait peur de ce qu'ils les attendaient, tout comme elle. Alors il lui demanda de sceller un promesse, celle de lui rappeler ce moment car il savait déjà qu'il aimait leur enfant. Je te le promets. assura Charlie, la voix serrée par l'émotion. Elle laissa tomber sa tête contre l'épaule de Woody et ferma les yeux pendant un court instant, concentrée par le contact de sa main sur son ventre. Porter la vie était une belle sensation, se disait-elle. Elle était effrayée mais rassurée par l'unique pensée que Woody pouvait aimer leur bébé.  Moi aussi je l'aime déjà, tu sais? Elle leva son regard mouillé vers lui et lui sourit. Ça va bien se passer. Je nous fais confiance. Elle se raccrochait aux dernières paroles du physiothérapeute. Si il aimait déjà leur enfant, ils pouvaient donc tout surmonter ensemble. C'était peut-être idyllique de sa part, mais c'était la vision de Charlie. Elle voyait toujours le bon en Woody ; il avait été sa seule lumière pendant une triste et sombre période. Aujourd'hui ils devaient affronter une toute autre épreuve, mais la naissance d'un enfant n'est-elle pas la plus belle épreuve de la vie?

Il avait toujours été dur avec lui-même, Woody. Ça paraissait juste moins avant, parce qu’il canalisait beaucoup de cette énergie négative dans le sport, en repoussant encore et encore ses limites. S’il avait su exceller en vélo de montagnes, c’est parce qu’il voyait toutes ses failles et cherchait par tous les moyens à les combler. Puis, au fil des années, les failles s’étaient agrandies, creusées, multipliées. Et il n’avait plus eu assez d’amour-propre pour les remplir de fierté. « On peut pas toujours aimer ce qu’on entend. » Répondit-il trop facilement. En même temps, il n’allait pas mentir à Charlie sur comment il se sentait. Elle allait devoir le prendre tel qu’il était, c’est ce qu’ils avaient convenu lorsqu’ils avaient décidé de se laisser une chance. À cette époque-là, la pâtissière ne se doutait probablement pas que cette entente-là viendrait aussi rapidement avec un enfant en plus. La blonde lui demandait, dans un murmure, de ne pas se fermer à elle, à eux. « J’ai déjà essayé, Charlie. Depuis toujours j’essaie, avec ma famille, avec mes proches, avec toi. J’y arrive pas. J’veux pas. Et j’ai pas envie de me sentir coupable à chaque fois que j’ai besoin d’être seul. C’est déjà assez lourd comme ça. » Expliqua-t-il en se rendant compte à quel point il voulait qu’on le respecte là-dedans. Et c’était difficile, comme constatation, parce qu’il réalisait du même coup qu’il ne pouvait imposer une telle règle à un enfant. Si un adulte pouvait sans doute le comprendre, comment un enfant pourrait-il saisir les nombreuses absences de son père ? Et quand Woody n’aurait plus de poussées mais que sa maladie serait là pour rester en permanence, qu’en serait-il de sa présence ? Il ne pouvait passer le reste de sa vie à se cacher. Face au dilemme, le physiothérapeute tenta de s’accrocher à son envie de fonder une famille qui remontait à plus longtemps que sa maladie. Ça se concrétisait, malgré tout. Il posa sa main sur le ventre de la jeune femme et lui demanda de lui promettre de lui rappeler ce moment, cet amour qu’il portait déjà à leur envie malgré ses doutes. Il posa sa tête sur celle de Charlie, désormais appuyée sur son épaule. Il ferma les yeux, le cœur serré. « Et je te fais confiance. » Et avec ça, Woody était persuadé que ce gamin aurait la plus belle vie qu’on pouvait avoir. Peu importe où son père en serait.

Charlie fronça les sourcils et se tut. Elle connaissait l'entêtement de Woody et savait qu'elle n'aurait pas le dernier mot. Cependant ce n'était effectivement pas facile de l'entendre être si dur avec lui-même, qu'il n'était pas assez fort, qu'il ne serait pas le héros de leur enfant et maintenant il affirmait ne pas être en capacité de s'appuyer sur elle lors de ses moments où la maladie l'affaiblissait. Oui, il était têtu Woody, et la blonde n'allait pas arriver à le convaincre sur ce qu'il faisait depuis trop  longtemps : se fermer à tous, même avec sa famille. À présent ils allaient former leur propre famille, même si cela n'était vraiment pas prévu. Elle devait donc, plus que jamais, être dans l'écoute et compréhensive avec ce qu'il ressentait. Elle ne changerait pas, du moins pas du jour au lendemain. Alors Charlie cédait, car elle savait reconnaître une cause perdue. Ok, ok, d'accord. Je l'accepte... bien que, clairement ça me tue d'être impuissante alors que tu vis ces moments-là, seul. lui confia-t-elle en toute sincérité. Si Woody se sentait impuissant dans sa maladie, l'ironie c'était qu'elle aussi. Ce n'était pas personnel, elle l'avait compris, il se comportait ainsi avec tous. À la recherche d'un peu de douceur et aussi pour apaiser cette tension, elle lui prit la main et la posa sur son ventre encore plat. Les yeux dans les siens, c'est tout naturellement qu'elle l'amena à imaginer leur enfant avec ses yeux. Et il se projeta, lui aussi. De plus en plus, elle était déterminée à garder ce bébé. Elle arborait un sourire encore plus radieux lorsqu'il lui assura avoir confiance en elle. Tout d'un coup j'ai moins peur. Ce revirement rendait l'atmosphère pius chaleureuse, retrouvant toute la tendresse qu'ils portaient l'un pour l'autre. Soulagée de le voir appuyer sa tête contre son épaule, Charlie entrelaça ses doigts avec les siens. À cet instant elle se sentait tellement bien, tellement sécure. Elle voulut se confier un peu plus. Je sais qu'il n'était pas... planifié Elle ne voulut dire désiré, le terme n'était plus approprié maintenant qu'ils avaient pris cette décision de le garder. Mais je me dis que j'en aurais eut envie... Plus tard. Avec toi. précisa t-elle, sans arriver à expliquer pourquoi. Peut-être était-ce parce que leur relation était devenue si belle et qu'elle arrivait à traverser bien des obstacles. Elle ne pouvait affirmer si Woody était le bon, néanmoins elle pouvait assurer qu'il était celui qui la rendait la plus heureuse et qu'elle l'aimait. Fort, très fort. Leurs jours passés ensemble étaient comptés, certes, elle en avait conscience. Sûrement aimait-il encore Freja et cela lui serrait le cœur rien que d'y penser. Mais Charlie était bien déterminée à être présente jusqu'à la fin.