In Christmas time everything can happen (Albahr)

Ce soir, alors que les enfants criaient et les parents chantaient, Alba marchait seule dans Chamonix. Enfant et copain avaient été abandonnés pour quelques heures, la maman avait besoin d’un moment pour elle parce que les larmes ne faisaient que monter. Pourtant, tout aurait pu être magique, la neige, la France, Jonah, Léo et elle. Mais son Léo n’était pas lui-même, ou plutôt il renouait avec ses vieux démons. De mauvaise humeur, il n’arrivait pas à faussement jouer la joie, préférant être exécrable certains moments avec Alba. Elle avait prétexté une envie de chocolat, pour sortir de cet appartement. Aujourd’hui, Léo avait été heureux, il avait été lui joyeux et rieur. Ç’aurait pu être bon de le retrouver ainsi si seulement ce changement de comportement n’était dû à sa rencontre avec une vieille amie. Des jours qu’Alba faisait tout pour le rendre heureux et voilà qu’il avait suffit de cette femme pour qu’elle retrouve le Léo qu’elle aimait. Sa confiance en elle s’envolait, se demandant si elle pouvait vraiment rendre heureux le père de son fils. Alors elle marchait dans les rues de Chamonix, essayant de retenir ces larmes qui menaçaient de couler depuis des heures. Rien n’arrivait à perturber ses idées sombres, celles qui l’emmenait plus bas que terre. Tout était sourd autour d’elle, un brouha inexistant. Ce n’était que quand elle sentit deux bras chauds le retenir et qu’elle montait la tête que le bruit revenait. « Concho … » Disait-elle avant de s’effondrer en larme dans ses bras.

Ce ne devait être qu’un aller-retour. Perry était avec les enfants au chalet, le repas était presque prêt - surtout parce que c’était le truc le plus simple du monde qu’on avait fait, des nachos au four, comme ça on avait juste eu à foutre toutes les garnitures dessus et à balancer le tout au chaud. Perry et moi avions constaté que nous n’avions plus rien de sucré et qu’il était absolument inconcevable pour nos enfants de ne pas avoir de dessert en vacances, j’étais allé acheter quelques douceurs à une boutique du coin, la même où j’avais croisé Theodore quelques jours plus tôt. J’étais sur le chemin du retour, tentant de ne pas m’égarer dans les rues de Chamonix comme à chaque fois que je sortais tout seul, quand je vis Alba au détour d’un coin de rue. Je fronçai les sourcils en voyant ses yeux plein d’eau, ses pas lents, presque mous, sans vie. Elle avait l’air d’être le patient zéro d’une apocalypse dont personne autour ne semblait être au courant. J’accélérai le pas, resserrant les doigts autour du sac de sucreries. Lorsque j’arrivai à la hauteur d’Alba, il me sembla qu’elle avait quitté ce monde, son esprit en tout cas était ailleurs, et son corps donnait l’impression de vouloir abandonner toute force également. Je fourrai le sac sous mon aisselle gauche, tant pis si j’écrasais tout. De mes deux mains désormais libres, j’attrapai les épaules d’Alba, la retenant de tomber si c’était ce qui s’apprêtait à arriver. « Hey, Alba, ça ne va pas ? Tu ne te sens pas bien ? » Elle releva les yeux vers moi et seul mon prénom traversa la barrière de ses lèvres. « Suis-moi … On va aller s’asseoir. » Je la guidai jusqu’à un banc. J’ouvris ensuite mon sac et j’en sortis un sac de chocolats que j’ouvris pour en tendre un à Alba. « Tiens, mange ça, de un j’sais que t’aimes ça, et de deux, ça t’redonnera de l’énergie. » En vrai, je faisais qu’imiter professeur Lupin.

Elle était déconnectée du monde Alba, oubliant de vérifier qu’elle ne marchait pas sur une plaque de verglas. Avec Léo, c’était toujours les montagnes russes, mais aujourd’hui elle avait mal la maman, alors elle avait préféré fuir, marcher les rues éclairées de Chamonix. Cette promenade pourrait durer des heures sans qu’elle ne se rende compte du temps qui passe. C’était Conchobáhr qui la ramenait à la réalité, cette dure réalité. Pour seule réponses à ses questions, la blonde s’effondra dans ses bras, laissant les larmes retenues toute la journée couler. Les mots ne sortaient pas de sa bouche et elle sentait son cœur se serrer empêchant la respiration. Une crise d’angoisse. Elle savait les gérer maintenant. Les larmes ne cessèrent de couler mais elle suivait l’australien sans peur et sans angoisse. Il était à cet instant son phare dans la tempête, son point de repère dans son monde qui s’écoulait. « Merci. » Répondait-elle simplement alors qui la forçait à manger. Pour le moment elle ne disait rien la blonde essayant de se calmer et séchant ses larmes sur ses joues froides. « Je suis désolée … Je n’aurais pas du craquer ainsi avec toi. » Ils ne s’étaient pas revus depuis halloween, cette fête étrange où Alba avait ressenti de la jalousie envers April et Emilia. Alba aimait Léo, sans aucun doute, même si aujourd’hui c’était compliqué. Mais Conchobáhr lui rappelait qu’Alba était capable d’aimer plusieurs personnes et le danseur avait cette place particulière et ce lien avorter trop tôt. « Je ne savais pas que tu serais ici. » Disait-elle, après tout ils étaient à Chamonix et que sans lui, ce soir, Alba serait peut-être encore en train de errer sans but.

Je ne comprenais pas la provenance de ces larmes, j’ignorais ce qui venait de se produire dans les pensées et dans la vie d’Alba pour qu’elle s’effondre de cette manière dans mes bras. Tout ce que je savais, c’était que je me devais d’être là pour elle, peu importe les nachos qui attendaient au four, peu importe les enfants – et Perry inclus là-dedans – qui allaient me gronder de devoir manger froid et de n’avoir en réconfort que des sucreries écrasées. Jamais je ne pourrais la laisser dans cet état. Je n’avais jamais vu un tel chagrin à travers le regard de la blonde. Je la guidai jusqu’à un banc puisqu’elle semblait à ce point désorientée qu’elle ne m’y aurait peut-être pas suivie. Je m’assis en premier et la tirai un peu vers moi pour qu’elle en fasse de même, avec douceur bien sûr, avant de sortir un chocolat de mon sac et de l’offrir à Alba. J’avais préféré déguster des chocolats avec elle dans son bain, et si cette fois-là nous avions été désorientés c’était parce que les vapeurs de l’eau chaude nous montaient à la tête, faisant grimper l’envie. Cette fois-ci, ça n’avait rien de doux. Je la regardai croquer dans le chocolat sans rien dire. Elle non plus ne parlait pas. Je ne pouvais détourner mon regard soucieux, cependant. Elle s’excusa d’avoir craqué devant moi. « C’est mieux avec moi qu’avec un vieux français qui aurait passé par là. » Dis-je en tentant de la détendre un peu. Je ne savais pas, moi non plus, que je pouvais croiser Alba dans les rues de Chamonix. Depuis Halloween, nous ne nous étions pas trop parlés, même pas pour discuter de ce voyage qui avait été organisé. « J’pensais pas t’y voir non plus. Je suis venu avec Perry et les enfants. T’es … t’es venue avec Léo ? Est-ce qu’il s’est passé quelque chose ? » C’était peut-être tout autre, mais c’était une première piste à explorer. N’appréciant pas particulièrement Emerson, je ne pouvais m’empêcher de penser que c’était lui, la cause de son mal-être.

Alba craquait tout simplement. Ce soir elle avait l’impression que sa vie volait en éclat. Après des mois de longues conversations, voilà que Léo lui échappait encore. Enfin c’était l’impression après l’événement de la journée. Elle errait dans les rues de Chamonix et qu’est-ce que ça lui fit du bien de croiser une tête familière. Conchobáhr, elle ne l’avait pas depuis Halloween où sa jalousie avait prit le devant quand elle l’avait vu avec April et Emilia, deux très belles blondes. C’était presque ironique que les hommes de sa vie soient si attirés par les blondes. Alba s’en était voulue de ce sentiment, elle ne pouvait pas dicter la vie du danseur, lui qui lui avait ouvert une porte mais qu’elle avait fermé. Il avait le droit de vivre sa vie, mais ce soir, Conchobáhr était sa bouée de sauvetage. Il l’entraînait vers un banc alors que ses yeux étaient encore obstrués par les larmes. Il était là, à l’aider alors qu’elle ne méritait pas autant de gentillesse de sa part. Elle riait légèrement à sa remarque. « Sûrement oui. Je ne pouvais pas mieux tomber. » Elle croquait dans le chocolat et il avait raison Concho, ça lui faisait du bien. C’était assez ironique qu’à l’autre bout du monde elle tombe sur lui, au moment où elle avait le plus besoin. « Ils doivent être contents les enfants. Max est là aussi ? » Si Jon apprenait que son copain Maxwell était là, il serait tout fou. Il l’adorait, les deux petits garçons s’étaient bien trouvés, et ça remontait à tout juste un an. Alba soupirait. « Oui … » Elle essuyait les quelques larmes qui avaient séché sur ses joues. « J’ai l’impression qu’il n’est pas heureux. » Et peut-être qu’Alba se battait pour quelque chose qui ne fonctionnerait peut-être jamais.

Rien que d’entendre son rire, c’était soulageant, apaisant. Il ne dura pas longtemps, quelques secondes à peine, se terminant aussi légèrement qu’il avait commencé. Mais c’était mieux qu’une larme roulant sur sa joue, et de celles-là il y en avait encore quelques-unes alors qu’elle croquait dans son carré de chocolat. Je la regardai faire, en silence, attendant qu’elle reprenne le dessus sur les émotions, sur la panique. Je n’allais pas la presser à me déverser les raisons de son chagrin, au pire elle n’avait même pas à m’en parler. Certes, j’étais curieux et soucieux de savoir ce qui la mettait dans cet état, mais si elle n’était pas prête à en parler, je n’insisterais pas. Je resterais là, assis avec elle, à manger des carrés de chocolat, les heures et les passants filant autour de nous. « Oui, Max est là. Il prendra l’avion pour New-York comme un grand à partir d’ici. Je crois que j’ai plus peur que lui. » Je souris, un regard tendre posé sur Alba. « Jonah est là ? » Demandais-je évidemment, pensant moi aussi directement à leur amitié qui ne cessait de grandir depuis leur première rencontre sur le train de Noël, l’année dernière. Dès que Maxwell était de passage à Bowen, sa première demande était d’aller voir Jon. Après avoir reçu ma réponse pour son fils, je posai la question pour le père, pour Léo. Étaient-ils venus ici en famille ? Cette image me serra le cœur, quand même, parce que j’avais beau avoir compris qu’aucun avenir ne se dessinait pour Alba et moi, je ne pouvais tout de même pas m’empêcher de continuer à croire qu’elle et moi, c’aurait pu former un truc bien. Qu’on aurait pu être une belle petite famille atypique avec Jonah, Maxwell et Lana. Léo était bel et bien à Chamonix. Et Alba ne le pensait pas heureux. Je fronçai les sourcils. « Qu’est-ce qui te fait penser ça ? » Demandais-je, me fichant quand même pas mal que Léo soit heureux ou pas, bien honnêtement. Mais si cela avait des conséquences sur Alba, ça me touchait.

Quelle coïncidence de tomber sur Conchobáhr. Si Léo savait qu’après leur dispute, c’était auprès de lui qu’elle se retrouvait il aurait été vert de jalousie. Mais ce n’était pas comme-ci elle l’avait cherché. Et finalement, ça lui faisait du bien d’être avec une personne de confiance, une personne qui la connaissait forte et vulnérable. Les larmes coulaient encore même si elle sentait son corps s’apaiser. Elle dégustait le chocolat, elle culpabiliserait plus tard d’avoir dévaliser son ex-amant de ce met délicieux. Il était à Chamonix, avec Max. « Ton fils se débrouille très bien ! Il est déjà un voyageur né. » En même temps, ça ne devait pas être facile de gérer autant de distance. Elle se souvenait encore trop bien des moments où Léo faisait les allers-retours Brisbane et Bowen. « Oui Jon est là ! On devrait faire un truc avec les garçons, ils seront contents. » Peut-être qu’elle pourrait laisser Jon à Conchobáhr pour la journée. Mais encore une fois, pas sûr que cela plaise à Léo. Puis c’était hypocrite de laisser son fils à son ex-amant pour passer la journée avec son amoureux. Surtout qu’au fond d’elle, Alba savait qu’elle aurait été sûrement plus heureuse avec Concho. Il était là à la regarder avec douceur incitant Alba à se livrer. Léo n’était pas heureux, enfin elle ne le rendait pas heureux. « Depuis qu’on est là, je ne sais pas mais il manque un truc, il est toujours la tête dans les nuages, le sourire effacé. » Elle reniflait pour éviter de pleurer. « Et puis on a croisé une de ses connaissances et là il était totalement une autre personne. » Revoir cette scène fit du mal à la blonde. Les yeux remplis de larmes, elle se retournait vers Conchobáhr. « Est-ce que tu penses que je me trompe totalement à essayer avec lui ? » Ce n’était pas juste de poser cette question à Conchobáhr, surtout vu le passif des deux hommes, mais ça Alba l’ignorait.

C’est vrai que mon fils était un voyageur-né, et on l’avait bien conditionné pour qu’il continue à aimer cela et qu’il se sente à l’aise de le faire seul. Si jeune et il avait probablement pris l’avion plus souvent que moi dans sa vie. Ça se comptait sur les doigts d’une seule main, de mon côté, alors que du sien il venait en Australie environ deux fois par année, ce qui augmentait rapidement le nombre de vols à son actif. Soit il allait rapidement s’en lasser et choisirait de ne plus voyager lorsqu’il serait plus grand, soit il allait avoir la piqûre et rapidement, il faudrait qu’Ally et moi on partage Maxwell avec le monde entier. Tant mieux si cela faisait de lui une personne curieuse et aventurière. Je n’avais pas eu la chance de grandir avec cette possibilité. « C’est clair. Pour lui c’est la routine, maintenant. » Je souris. C’était tout de même triste, dans un sens, que mon fils soit autant habitué à voyager sans ses parents alors qu’il commençait à peine à aller à l’école. Il n’en semblait pas trop troublé, même qu’il aimait bien faire les allers et venues entre ses deux résidences. Ça lui permettait de revoir des amis, plus particulièrement Jonah, qui était heureusement lui aussi à Chamonix. « Si j’dis à Max que Jon est là, c’est sûr que dès demain matin on part à votre recherche. » Je ris. « Il est techniquement en ski à tous les matins mais on pourra bien faire une exception pour qu’ils passent au moins une journée ensemble. Y’a tellement à faire pour eux. » Les activités familiales ne manquaient effectivement pas, par ici. Je réalisai cependant, en apprenant que Léo était lui aussi dans les parages, que ça ne pourrait pas être qu’Alba et moi. Pire, que ce serait probablement juste moi et les deux gars. Jusqu’à ce qu’Alba me lâche le fond de sa triste pensée, qu’elle pensait Léo malheureux. Je fronçai les sourcils en apprenant qu’il était effacé avec elle, mais tout autre lorsqu’il croisait d’autres personnes. Ça me paraissait plutôt injuste pour la blonde. À sa question, je soupirai. « J’peux pas répondre à cette question, Alba. J’suis biaisé. Et pas qu’à cause de notre relation à toi et moi. Aussi à cause de ma relation avec Léo … » Admis-je, ne sachant pas l’étendue des connaissances d’Alba à ce sujet.

Petite, Alba avait pas mal voyagé. Ses pères l’emmenait souvent en voyage notamment au Danemark pour voir le côté de la famille. Alors très vite elle avait été habituée aux avions et à l’effervescence des aéroports. Mais elle voyait bien que ça pesait sur Concho les longs trajets que faisaient son fils. « Tu sais les enfants portent beaucoup moins d’importance à ce qui nous nous semble pas normal. » Maxwell avait l’habitude de ces trajets et pour lui c’était normal et sa vie. Elle était contente de savoir qu’il était là, Jonah serait content de voir son ami. Peut-être que ça lui mettrait du baume au cœur, lui qui venait de subir la dispute entre ses parents. Alba était partie en claquant la porte. Elle pourrait laisser Jon à Concho mais tout de suite elle préférait passer la journée du lendemain avec eux plutôt qu’avec Léo. « C’est une bonne idée, j’en parle à Jon dès que je rentre. On peut se retrouver vers 10h ? » Quelle tête de mule Alba, mais pour le moment elle pensait à Jon et elle égoïstement. Mais heureusement qu’elle avait retrouvé Concho, il avait un peu réussi à calmer sa crise de larmes. C’était une nouvelle fois égoïste de parler de Léo à Concho, se souvenant de la conversation qu’elle avait eu avec lui dans sa baignoire à la Saint-Valentin. Mais la jolie blonde fronçait les sourcils. « Comment ça ta relation avec Léo ? Par rapport à ce qui s’est passé avec Freja ? » Elle ignorait les rancunes que Concho avait contre Léo et Woody. Pour elle, il s’agissait d’une juste animosité à cause des nombreuses femmes qu’ils ont eu commun.

Notre conversation me donnait un sentiment de déjà-vu. On avait déjà discuté du grand sens d’adaptation des enfants, lors de notre rencontrée inattendue au train de Noël. Ça avait l’une de nos premières vraies conversations. Celle qui m’avait fait voir Alba sous un tout autre jour, comme la femme que j’aurais voulu avoir comme mère d’un de mes enfants un jour, et belle-mère de ceux que j’avais déjà. Je me souvenais qu’à l’époque, je m’étais effectivement projeté à ce point-là dans l’avenir. Elle avait été une sorte de coup de foudre pour moi, Alba. Mais ça n’avait pas pu être aussi facile que ça. Ce ne l’était jamais, pour moi. « Ouais, je me souviens que tu m’as déjà dit quelque chose de semblable. » Dis-je avec un doux sourire. « Faut croire que j’ai besoin qu’on me le répète, pour arrêter de m’en faire tout le temps. » Conclus-je avec légèreté. C’était Noël, je n’avais pas le cœur à déprimer sur ma relation avec Ally, cette fois. Surtout que j’apprenais que Jonah était aussi à Chamonix et que ça allait certainement ravir Maxwell. « Deal ! J’dis ça à Max dès qu’on rentre, j’me doute qu’il va rapidement oublier ses cours de ski. » Et pendant un instant j’oubliai que Léo était encore dans le portrait, qu’il l’était depuis la dernière Saint-Valentin, d’ailleurs. Que c’était lui le premier choix, que ça le serait toujours, même si visiblement ça n’allait pas très fort entre Alba et lui pendant ces vacances qui auraient dû être festives. « Par rapport à Freja, ouais, mais pas que … » Je soupirai, laissant mon regard se perdre sur les gens qui défilaient dans la rue passante. Retourner dans les souvenirs de mon adolescence, c’était toujours énormément douloureux. Il y avait tant de personnes et d’événements que je préférais laisser dans le passé. « J’suis plus jeune que Léo et Woody, on n’était pas dans les mêmes classes, mais ça ne les a pas empêchés d’toujours bien se foutre de ma gueule, au lycée. Dans les couloirs, à l’heure du lunch, après les cours … Ils se sont toujours bien assuré d’faire de mon existence un vrai enfer. » Je n’aurais pas dû raconter ça à Alba, c’était des histoires de jeunesse, mais je l’avais encore sur le cœur, surtout que ces deux-là n’avaient jamais vraiment assumé avoir été mes intimidateurs.

Un peu comme une comédie romantique, Alba et Conchobáhr se retrouvaient souvent aux alentours de noël. Ou de la Saint-Valentin. A chaque fois ils parlaient à cœur ouvert, avec honnêteté et franchise, même si ça faisait mal. Cette conversation ils l’avaient déjà eu et pourtant cette pointe de culpabilité continuait à exister chez le danseur. Alba avait envie de lui dire qu’il faisait de son mieux. Ils faisaient tous de leur mieux. Elle repensait qu’il y a quelques minutes, elle avait claqué la porte au nez de Léo et sans embrasser son fils. Jon. Il ne méritait pas de vivre dans un tel bazar entre ses parents. Elle lui souriait tendrement. « Et si tu veux je pourrais te le redire jusqu’à ce que tu sois convertis. » Puis elle se rendait compte qu’ils ne se voyaient plus. Ils s’étaient croisés à Halloween où Alba était partie après avoir été jalouse des deux femmes qui accompagnaient son ex … Son ex quoi ? Amant ? Son ex potentiel copain ? Son ex potentiel copain qui aurait pu être une super beau père. Son ex coup de foudre ? Elle ne savait pas comment décrire Conchobáhr, mais chaque jour il lui manquait. Surtout qu’elle avait une excuse pour le revoir dès demain. C’était la brèche dont elle avait besoin pour s’éloigner un peu de Léo demain. Elle ne voulait pas rentrer, elle ne voulait pas se confronter à lui, une nouvelle fois. Ici sur ce banc, dans le froid, elle se sentait sereine parce que Conchobáhr avait toujours été réconfortant avec elle. Mes ses yeux se fronçaient quand il parlait de Léo. Ils avaient une relation. Connaissant la jalousie du photographe, elle imaginait qu’il y avait eu des conflits avec Freja. Puis aussi avec elle puisque le photographe avait découvert Conchobáhr le lendemain de la Saint-Valentin chez elle. Alors elle écoutait, découvrant une tout autre facette de Conchobáhr et de Léo. Le poids de la culpabilité grandissait en Alba. Quelques mois plus tôt, elle avait choisi Léo à Concho, elle avait choisi le bourreau. « Je suis désolée ! » Disait-elle. Sa main se posait instinctivement sur celle du danseur. A cet instant, elle détestait presque Léo et Woody … « Tu n’aurais pas dû vivre ces choses là. » Disait-elle. C’était débile et surtout qu’elle n’avait aucune légitimité à dire cela. « Tu sais … T’es un homme merveilleux, peut-être le meilleur que j’ai rencontré ! » Et ce n’était qu’une vérité. Conchobáhr avait toujours été le plus doux, le plus gentil, le plus généreux.

Dans toute comédie romantique cependant, on s’attend à ce que les protagonistes finissent ensemble. Si ce n’était pas au premier Noël, alors au deuxième, après avoir passé une année à regretter de ne pas avoir pris les devants. J’avais cette impression que ce ne serait pas le cas entre Alba et moi. Si elle était toute chamboulée comme ça aujourd’hui, c’était à cause de Léo, et on ne pleure pas autant pour une histoire qui n’a aucune importance. Elle et moi ce n’était qu’une parenthèse, même si on donnait toujours l’impression d’y revenir, à cette phrase entre deux signes. « Et si j’suis jamais converti ? Tu vas quand même passer ta vie à me le redire ? » Demandais-je avec un sourire. Mes propos sous-entendaient que même si nous n’avions pas une relation amoureuse, notre amitié pourrait perdurer longtemps. Je l’espérais réellement, au fond, même si clairement j’aurais aimé avoir une autre place dans sa vie. Nous ne nous étions pas beaucoup vus depuis Halloween, pas du tout même, à bien y repenser. Ça me peinait que les dernières confidences entre nous aient causé cette distance. Peut-être que les confidences à venir allaient également creuser le fossé, je n’en savais rien, mais je me lançais quand même dans mes explications sur ma relation plus que houleuse avec Léo. Il y avait Alba et il y avait Freja, mais surtout, il y avait moi, un gamin mal dans sa peau et il y avait Woody et lui, les stars du lycée qui s’en donnaient à cœur joie de me rappeler que j’étais un moins-que-rien. La blonde posa sa main sur la mienne. « J’te dis pas ça pour que t’aies pitié de moi ou que tu le détestes. J’pense juste que tu mérites de savoir pourquoi j’pourrai jamais t’encourager à retourner vers lui. » Ajoutais-je. J’eus un léger rire jaune quand Alba m’affirma que j’étais un homme merveilleux, le meilleur qu’elle avait rencontré. « Ouais. Nice guys finish last. » Ne l’avais-je pas déjà dit, ou au moins pensé, en sa présence ? Elle, et d’autres femmes, me répétaient que j’étais bon, gentil, doux, attentionné. Et pourtant j’étais encore bien seul. Je baissai les yeux un moment, avant de regarder Alba de nouveau. « Qu’est-ce que tu comptes faire ? » Demandais-je à propos de Léo et elle.

« Oui, si je dois passer ma vie pour que tu le comprennes je le ferais. » Disait-elle avec un sourire timide. Elle aurait aimé Alba avoir quelqu’un qui tenait assez à elle pour lui répéter qu’elle était bien. Quelqu’un de présent qui lui aurait dit que ce n’était pas de sa faute. Il devait arrêter de se blâmer pour le mode de vie de son fils, il n’avait pas prit la décision seule. Ils avaient rarement parlé de leur relation passée. Evidemment Freja et Léo avait souvent été un sujet de conversation entre eux, mais pas les autres. Peut-être qu’elle comprendrait mieux si Conchobáhr lui expliquait les raisons de sa séparation avec ses ex. Mais quand bien même, elle ne pourrait pas le juger. Être parent était un rôle difficile, pas inné où chaque jour était un apprentissage. Les erreurs ils allaient encore en faire. Ce soir, Alba en avait fait une en quittant sa famille pour fuir Léo. Jon n’aurait pas sa maman pour le border, lui faire des câlins surtout que ces derniers mois, le petit garçon c’était habitué à voir ses deux parents tous les soirs. La conversation déviait sur Léo. Ce soir-là, Alba allait comprendre toute l’animosité entre les deux hommes. Elle avait bien été stupide de croire qu’il s’agissait juste d’une rivalité pour deux femmes. Freja et Alba n’avait pas aidé en continuant à creuser le trou entre Conchobáhr et Léo. Mais c’était bien plus profond que ça. Tout remontait à l’enfance, quand la construction sociale et affective était importante. Pouvait-elle blâmer Léo d’avoir agi comme ça ? Pas vraiment, il n’était qu’un gosse. Mais ça n’empêchait pas qu’elle avait mal pour Conchobáhr, de ce qu’il avait subi. Ce n’était pas de la pitié mais plutôt une colère refoulée. Elle comprenait aussi à quel point ce qu’elle faisait subir à Conchobáhr était horrible. Après Freja, elle retournait elle aussi auprès de l’autre bourreau. « Je n’ai pas pitié Concho ! Mais je comprends mieux. » Et je suis désolée aurait-elle voulu rajouter, mais ça il le savait déjà. Elle ne pouvait pas demander à Conchobáhr de la comprendre ou la soutenir dans son choix. Finalement, la vie était mal faite. Comme il le disait, les plus gentils finissent derniers. Qu’est ce qu’elle aurait aimé de ne pas faire partie de cette déchirante statistique. A sa question elle soupirait. Les larmes avaient disparu et Conchobáhr avait réussi à la calmer. « Rentrer … C’est la seule chose raisonnable à faire ? » Elle le regardait dans les yeux, frissonnant au vent qui commençait à se réveiller. « J’ai fais un choix, et si je ne veux pas le regretter il faut que je mette les choses de mon côté. » Evidemment qu’elle parlait de Conchobáhr. Son choix avait été de quitter le danseur pour son ex, ç’avait été évident sur le moment. Aujourd’hui, malgré les difficultés avec Léo, il fallait qu’elle arrive à discuter avec l’homme qui partageait sa vie.

J’eus un léger rire. Alba parlait comme si nous allions nous connaître toute une vie durant. Serait-ce le cas ? Dans les faits, elle et moi, nous n’avions jamais été amis. Hormis notre premier échange un peu plus conflictuel, après ça, j’avais surtout flirté avec elle. J’avais rarement eu un autre objectif que de finir avec elle, en couple. Je ne voulais pas la perdre, je ne voulais pas qu’elle disparaisse de ma vie, mais il n’en restait pas moins que j’ignorais comment agir autour d’elle si ce n’était pas en tant qu’amant. La preuve que notre relation prenait un sacré coup après les freins qu’elle nous avait mis : depuis la Saint-Valentin, c’était la première fois qu’on se reparlait vraiment, plus qu’un échange sms pour rapidement prendre des nouvelles. Des amis, c’était un peu plus que ça, quand même. « J’ai bien hâte de voir ça. » Conclus-je tout simplement, ne voulant pas rentrer là-dedans aujourd’hui. Elle souffrait suffisamment en raison de Léo. Léo avec qui j’avais un passé bien plus compliqué que de simples histoires pour des filles. Si seulement ça n’avait été que ça ! J’hochai la tête lorsqu’Alba m’affirma mieux comprendre pourquoi j’avais autant de difficultés avec lui. Ça se termina là. En même temps, il n’y avait rien à ajouter. Ces actes-là avaient été posés dans le passé, Alba ne connaissait sans doute pas Léo comme ça, alors ça ne servait à rien de s’étaler sur le sujet. Je lui demandai donc ce qu’elle comptait faire, maintenant qu’elle était à Chamonix avec lui et que rien n’allait plus. La blonde me parla de rentrer, sans doute pour discuter avec Léo, mettre les chances de son côté afin d’éviter de regretter son choix. Je savais de quoi elle parlait, bien sûr. Mais je n’avais pas envie de le relever, surtout pas en sachant que cela signifiait simplement qu’elle tenterait le tout pour le tout avec Léo. « D’accord … » Soufflais-je. « Si jamais ça se passe mal, si jamais y’a quoi que ce soit … Y’a sûrement encore une p’tite place à vous trouver dans notre chalet, à Jon et toi … vous pourrez profiter des derniers jours avec nous. Hésite pas à venir cogner. » J’esquissai un sourire. Je m’étais déjà senti friendzoné à la Saint-Valentin mais là, ça avait un goût encore plus officiel.

Elle serait là pour Concho, peu importe le passé qu’il y avait entre eux. Cet homme avait été une bouée de sauvetage quand elle n’allait pas bien. Jamais elle ne le prenait pour acquis parce que parfois elle s’en voulait de lui faire subir tout ce qu’elle lui faisait endurer. Il méritait bien mieux qu’une histoire passionnante mais courte. Il méritait l’historie d’amour avec un grand A, la comédie romantique et tout ce qui allait avec. Mais ça ne serait pas avec Alba. La jolie blonde n’était pas faite pour ce genre d’histoire. Parfois elle y croyait avec Léo, mais elle se brûlait souvent les ailes à espérer cela. Léo qui dans le passé n’avait pas été tendre avec le danseur. L’excuse de la jeunesse ne tenait pas la route parce que Concho continuait peut-être de souffrir de ce qu’il avait pu vivre en étant adolescent. La maturité aurait dû amener un peu de culpabilité à Léo. Très vite elle se rendra compte que les deux hommes ne s’aimeront jamais. Elle n’allait pas aider à leur réconciliation. Ils allaient encore plus se détester, comme si c’était possible. Mais elle comprenait pourquoi autant d’animosité. Le sujet était clos mais elle n’oublierait pas les raisons de cette indifférence ou haine. Elle s’en voulait de faire vivre tout cela à Concho. Il fallait qu’elle rentre, son choix s’était porté sur Léo. Aujourd’hui, il était compliqué pour elle de ne pas rester un peu plus avec cet homme qui l’apaisait. Sa famille l’attendait et il fallait qu’elle rentre. Pendant tant d’année, elle avait attendu la réciprocité de l’amour de Léo, ils avaient parlé à cœur ouvert en Thaïlande et il fallait qu’elle y retourne. « Merci ! » Disait-elle en souriant. Elle se relevait du banc, surprise par le vent qui s’était levé d’un seul coup. « Concho … » Elle hésitait quelques secondes. « Pour ce que ça vaut, tu n’as jamais été le remplaçant dans mon cœur. Je suis persuadée qu’à un autre moment ou une autre époque c’est toi que j’aurai choisi. » Elle ne disait pas ça pour apaiser ses maux et lui redonner de l’espoir. Elle voulait juste qu’il comprenne que ce n’était pas lui le problème. Elle ne l’avait pas choisi lui parce qu’il était ce qu’il l’était. Elle ne l’avait pas choisi parce que c’était Léo, le père de son fils. « A une époque, tu aurais choisi la mère de tes enfants ou Freja par rapport à moi. J’ai juste fais le même choix. » Avouait-elle, non pas pour se déculpabiliser mais pour qu’il comprenne que le choix était de cœur mais aussi de raison.