this was the first time i saw you“ privé

Mes yeux sont fixés sur l'assiette que j'ai devant moi ainsi que les innombrables couteaux et fourchettes qui sont posés de chaque côtés. Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué d'ailleurs? Sûrement l'expression préférée des Edwards. J'essaie de faire bonne figure, serré dans ma chemise blanche et de parler de tout et de rien. Mais très rapidement, je me rends compte que je n'ai pas tant de sujets à partager avec eux. Je ne parle pas politique ni religion. Je reste donc passablement silencieux et préfère écouter ma fiancée parler pour nous deux. Elle le fait mieux et elle sait surtout qu'est-ce qu'il faut dire pour que ça leur convienne. Qu'est-ce que je suis mal à l'aise... Papa Edward essaie de me questionner sur mon avenir professionnel et quand je lui dis que je ne compte pas faire autre chose que rester dans la bande dessinée, je lis une certaine déception. J'ai même l'impression qu'il grimace. Super. Heureusement, discrètement, les doigts de Robyn retrouvent les miens. Comme si elle essayait de me rassurer. Ce qui est rare étant donné qu'elle est plus souvent du côté de ses parents dès qu'on parle mariage, église... Enfin l'heure de la vaisselle arrive. Je me lève peut-être un peu trop précipitamment pour m'enfuir dans la cuisine. A peine arrivé dans la pièce carrelée, je pousse un soupir de soulagement. Je vois Andie, une des soeurs de Robyn. Elle a l'air d'être la seule membre de cette famille à avoir la tête sur les épaules... J'attrape un torchon et commence à lui donner un coup de main. Le silence qui règne veut tout dire... Je me racle un peu la gorge et pose l'assiette séchée sur le plan de travail. « C'est toujours aussi tendu les repas en famille ici? »

Je n'ai jamais vraiment parlé avec les deux soeurs de ma fiancée... A vrai dire, c'est la première fois qu'on se retrouve tous autour d'une table. Une table ou l'ambiance est tendue et où j'ai l'impression de passer au scanner. Les parents Edwards savent très bien qui je suis. Ca fait deux ans que je suis avec leur fille et j'ai dû demander leur bénédiction dans les règles de l'art pour qu'ils acceptent que j'épouse leur fille. Bien que Robyn soit peut-être trop jeune pour se marier. Pourtant, ils persistent à me demander si je compte changer de boulot, acheter une belle maison et tout le bordel. Mon poste chez Marvel me convient très bien. Je suis aussi très content d'habiter avec mon colocataire et d'accueillir Robyn quand elle a envie. Je me rappelle qu'une fois, papa Edwards m'as pris entre quatre yeux en me proposant un fond de whisky très cher et m'a rappelé que sa fille a fait voeu de chasteté jusqu'au mariage. J'avais manqué de m'étrangler avec l'alcool. Oui je le sais. Robyn me le rappelle presqu'à chaque fois que j'essaie de lui voler un baiser un peu plus sensuel ou une caresse...

J'ai l'impression qu'Andie est la soeur avec qui je risque de mieux m'entendre. On a l'air plus sur la même longueur d'onde et puis elle, elle me fait pas des remarques déplacées sur ma vie. J'attrape la deuxième assiette qu'elle me tend. Oui, je comprends pourquoi elle est partie de la salle à manger maintenant. Elle a sûrement raison. Ce repas était sous le signe de la tension à cause de plusieurs motifs compréhensifs. Même si j'aime Robyn plus que tout, je sais aussi que lorsqu'on marie la fille, on marie la famille et les circonstances de notre mariage promettent d'être compliquées. « J'ai un peu l'impression de passer un scanner en fait. » maugréais-je dans ma barbe. Je pose l'assiette sèche sur la première et prend le verre qu'Andie me tend. « Tes parents ont beau m'avoir donné leur bénédiction, j'ai pas l'impression qu'ils sont vraiment heureux de marier leur fille... » Car clairement, c'est eux qui marient leur fille. Pas moi qui marie Robyn. Ce mariage atteint des propositions tellement angoissantes que je n'ai plus l'impression d'en faire partie. Ils parlent de ça entre eux, sans me demander mon avis. Ils organisent tout de leur côté et je ne dis pas grand chose. Alors que j'ai bien envie d'ouvrir ma gueule. «Robyn ne me parle pas beaucoup de toi... »

C'est vrai que mon entourage a un peu de peine à comprendre pourquoi je suis tombé amoureux de Robyn. Au delà de sa beauté bien sur. J'hausse les épaules en général, préférant ne pas écouter ce que disent les autres. Oui on a douze ans de différence, oui elle est encore aux études alors que moi je devrais être marié et papa depuis plusieurs années, oui elle est catholique et moi athé. Et pourtant... On arrive à parler de choses qui n'ont rien avoir avec la religion, avec notre différence d'âge. Quand on est dans la même pièce, on n'a d'yeux que pour l'autre et on oublie nos différences. Je l'aime et c'est vrai que je mériterais peut-être une femme avec une famille gentille, qui m'accepte tel que je suis, une femme avec qui je peux avoir des moments câlins sans que ça se finisse en dispute... Mais au risque de les décevoir, c'est elle que je veux. Je veux prouver au monde qu'on est capables de s'aimer et moi d'attendre. Je suis pas forcément quelqu'un de patient à la base. Les files d'attente, les dates de vacances, je déteste ça. Mais j'ai dû apprendre avec Robyn.

Andie a raison en disant que leurs parents sont très conservateurs. J'ai jamais vu une famille aussi hermétiquement fermée qu'eux. Quand ils ont demandé si je comptais changer de religion pour me marier, je leur ai répondu que je n'avais pas de religion. Et ça a sûrement déclenché la pire des histoires possible. Ils veulent que je me fasse baptisé avant notre mariage et honnêtement j'en ai pas du tout envie. Je suis bien avec ma liberté d'esprit. On ne me colle pas une étiquette sur le front et je n'ai pas de compte à rendre à qui que ce soit, contrairement à eux qui doivent demander pardon s'ils ne se rendent pas à une messe. « Tu as vu leur tête quand j'ai dis que j'étais athé? J'ai cru que ta mère allait tomber de sa chaise... » dis-je nerveusement. Andie éclaire ma lanterne en me disant que si ma fiancée ne parle pas d'elle c'est avant tout parce qu'elles ne se parlent pas tout court. C'est dommage. J'ai un frère et je m'entends très bien avec lui. Je serais pas bien sans lui dans ma vie. Je ne comprends pas comment les soeurs peuvent faire pour ne pas se parler et ne pas ressentir de manque. Décidément, cette famille tourne pas rond. « C'est dommage... » dis-je simplement, ne voulant pas donner mon avis à Andie, de peur qu'elle le prenne mal. Après tout, elle m'a l'air d'être celle qui est la plus "normale" dans cette famille. « Toi tu penses quoi de notre relation et notre mariage? » Son avis m'intéresse vraiment. J'ai vraiment l'impression qu'elle pourrait devenir le membre de la famille Edwards avec qui je pourrais le mieux m'entendre. Elle a du recul par rapport à sa famille, à la religion. Peut-être qu'elle saura me donner une réponse à la hauteur de calmer mes inquiétudes.

En temps normal, je suis quelqu'un de poli. Même si je me fais royalement chier à un endroit, j'attends et essaie de me mêler aux conversations mais ce soir je vais une entorse à la règle. Je m'enfui délibérément dans la cuisine pour souffler un peu. C'est là que je retrouve Andie, une des soeurs de ma fiancée. Donc ma future belle-soeur si on veut. On se met à parler et à faire la vaisselle en même temps. Je me rends compte que c'est assez facile de parler avec elle. J'ai jamais eu un contact comme ça avec la troisième soeur - dont je ne me rappelle même plus le prénom - ou avec les parents. Il faut dire qu'ils me voient un peu comme un Alien pour l'instant. Le gars de plus de trente ans, qui dessine des super héros et qui n'est pas baptisé. Sacrilège!

Andie est un peu plus comme moi, je me rends compte. Elle a plus ou moins le même humour et le fait qu'on parle depuis bien vingt minutes est une preuve de plus. C'est une jeune femme très brillante, elle a des mots très bien choisis. Et elle a raison quand il s'agit de la religion. En 2013, c'est rare de trouver des familles autant plongé la-dedans. A part les mormons et encore je sais même pas de quelle religion ils sont eux. A vrai dire, je m'y intéresse vraiment pas. J'ai jamais cru en Dieu et j'ai pas honte de le dire. Je me rends dans les Eglises uniquement pour les mariages ou les enterrements mais je ne participe jamais aux prières et surtout, j'ai toujours un peu "peur" de me faire foudroyer en passant les portes étant donné que je suis athée.

Une question me brûlait les lèvres. Andie semblait être un peu plus de mon côté que le reste de la famille du coup, je me ose à lui demander son avis à propos de mon mariage avec sa soeur. Après tout, elle la connait mieux que moi et peut-être qu'elle pourra me dire des choses intéressantes. La jeune femme s'installe sur un des tabourets près du comptoir et je l'imite. C'est aussi sérieux que ça? Il vaut mieux que je m'asseye? Un peu crispé, je pose mes coudes sur mes genoux et joins mes mains. Elle m'avoue clairement et franchement qu'elle ne comprend pas ce qui a pris à sa soeur - ma fiancée - de se lancer dans le mariage à son âge. Je lève les sourcils. Ne m'attendant pas vraiment à ça. Elle n'est donc pas très d'accord sur cette union? Elle poursuit en disant que je ne suis pas le genre d'homme de Robyn en temps normal. De mieux en mieux... Je pense que je ne vais pas tarder à aller me pendre dans une cave ou un grenier. Cependant, elle termine sa phrase avec un "toutefois" ce qui est peut-être bon signe. Elle me dit que si sa soeur m'a choisi c'est qu'elle doit vraiment m'aimer et prendre le risque de mettre sa famille à dos de vouloir épouser un athée. Je me pince les lèvres avant de lâcher un petit ricanement. Gêné, je me gratte nerveusement la nuque. « Je pense que ça doit te faire bizarre de voir que c'est ta plus jeune soeur qui va se marier... Tu vas prendre un coup de vieux quand je t'appellerais "belle-soeur" » dis-je pour détendre un peu l'atmosphère. Je finis par me racler la gorge et par me pencher un peu vers Andie. « Dis... Y aurait pas un verre de bourbon qui traine quelque part... Je crois que je vais en avoir besoin avant de retourner dans la salle à manger. » Le vin qu'on a bu en mangeant était très bon, mais je ne suis vraiment pas un fan. Je sais que le in rouge a une certaine place dans une famille religieuse mais il me faut quelque chose de plus corsé...

« Ca fait vieux "beau frère" non? » dis-je en rigolant. Pourtant j'ai l'âge et en mariant sa soeur, c'est bien comme ça qu'Andie va m'appeler par la suite. « Restons sur le Rafaël. Je préfère. » Je rigole et me gratte nerveusement la nuque. J'ai besoin d'un remontant. Je demande un peu timidement à la jeune femme si elle a du whisky et vu la lueur qui traverse son visage; on a plus qu'un point en commun. Je fais un large sourire. Andie trouve une bouteille, me serre un verre et j'ai presque l'impression qu'on est deux adolescents qui doivent faire gaffe à ne pas se faire attraper à boire par les adultes. Je souris à cette pensée et lève mon verre pour remercier ma future belle soeur. J'avale une gorgée du nectar et pousse un profond soupir. « Exactement ce dont j'avais besoin... Retiens moi de terminer la bouteille par contre. » dis-je amusé avant de reposer le verre sur le comptoir. La famille Edwards n'a pas l'air de s'inquiéter de ne pas nous voir... A croire que je ne ferais jamais partie de cette famille et qu'Andi va avoir de la peine à la réintégrer. La jeune Edwards me rassure en me disant que les premières rencontres c'est jamais super... Ouais elle a pas tord, mais là j'ai vraiment l'impression d'être passé au scanner et qu'on va m'annoncer que j'ai attrapé un cancer vu la gravité de leur visage. J'ai beau essayer de valoriser mon job, ça sert à rien, j'ai beau essayer de donner mon avis, je ne suis jamais juste. Je devrais peut-être simplement me taire et hocher positivement la tête dès qu'on me parlera de religion, des qualités de leur fille etc. « C'est pas du courage. C'est du suicide. » soupirais-je les dents serrées avant de reprendre une gorgée du bourbon. « Ce mariage obsède ta soeur et j'ose pas lui donner mon avis. J'ai pas envie d'être baptisé, je veux rester libre dans mes convictions. J'veux pas me taper une heure de cérémonie à prier et à écouter un prêtre alors que je n'en penserais pas un traitre mot... » Je lève les yeux vers Andie et me rends compte que j'ai parlé tout haut ce que je pensais tout bas. « Désolé. Je sais que t'as pas le même rapport que ta famille vis à vis de la religion mais j'ai pas à critiquer devant toi non plus. » Je bouge nerveusement ma jambe. Je suis tendu, cette atmosphère m'oppresse. Tout est bien rangé, tous les livres sont alignés, il y a pas un pet de poussière nul part, il y a des cadres photo du Christ, des crois accrochées parfaitement droite en face de ma place à la table à manger. Je déteste cette ambiance. C'est comme si je mangeais dans une église en fait. « J'ai peur qu'en lui demandant sa main, ça nous sépare plus qu'autre chose en fait. » Les préparatifs sont en train de nous prendre la tête alors qu'on devrait au contraire s'amuser à le faire.