Le hasard fait-il vraiment bien les choses ? Moi j'ai un doute • MAYBELLE

Par ici, il pleut rarement mais quand ça tombe, on est presque sur le point de construire une arche au cas où il faudrait sauver sa famille et un couple de chaque espèce d'animaux. Et aujourd'hui, il pleut à seau.

La journée a été calme à la librairie et la plupart des gens qui se sont retrouvés à l'intérieur étaient entrés en espérant que ça se calmerait et repartis en comprenant qu'ils seraient forcés d'acheter quelque chose s'ils abusaient trop de notre hospitalité. « Arthur ? Tu feras la fermeture, d'accord ? Quelqu'un a commandé un livre. Elle m'a dit qu'elle passerait en fin de journée. » J'ai hoché la tête. La fin de journée = je vais faire des heures supplémentaires non payées = je vais me payer tout seul en prenant un bouquin (et non, ce n'est pas du vol). Elizabeth a fini par quitté les lieux et je suis resté derrière la caisse à attendre que le temps passe en répondant aux SMS enflammés de ma soeur. Il lui arrive toujours des trucs de dingues à celle-là, je sais pas comment ça n'a jamais été grave - faut croire qu'elle a de la chance et c'est tant mieux.

J'ai regardé l'heure à de nombreuses reprises parce que j'étais incapable de savoir si temps avançait lentement ou non. Il faisait tellement sombre dehors, à cause de l'orage, que j'avais l'impression qu'il faisait déjà nuit et pourtant, il n'était pas si tard que ça. Mais je fermerais bientôt parce que j'avais envie de rentrer chez moi - et tant pis pour la demoiselle, je suppose qu'elle pourrait repasser plus tard.

C'est au moment où j'ai commencé à remettre en ordre la librairie pour pouvoir partir que j'ai entendu la porte d'entrée s'ouvrir à la volée. La jeune femme était trempée de la tête aux pieds et je dois reconnaître que c'était assez plaisant à regarder. C'était une pluie d'été alors il ne faisait absolument pas froid et personne ne mettait jamais de manteau à cette période de l'année mais... elle devait avoir oublier son parapluie. Tant mieux pour moi car ses vêtements lui collaient tellement à la peau que la voir nue aurait eu le même effet. Ca fait longtemps que je suis pas sortis avec une filles mais je dois dire que certaines d'entre elles sont vraiment - vraiment - attirantes. Ses cheveux blonds lui tombaient en cascade désordonnée sur le visage et quand j'ai enfin pu apercevoir qui se cachait derrière ce corps splendide, j'ai eu envie d'aller me noyer dans une flaque d'eau.

Seigneur, pourquoi tant de cruauté ?

Maybelle Goodwin venait de faire son entrée dans ma librairie et non seulement je l'avais maté sans retenue mais elle m'avait quasiment fait envie. J'ai lâché un soupire - sans prendre la peine de le masquer - et je suis repassé par dessus le comptoir sans perdre une seconde. « Bonsoir. » Et c'est tout ce que j'ai eu envie de dire sur l'instant. Bon... je suis au travail alors je vais devoir prendre sur moi mais il n'est absolument pas interdit d'économiser ses paroles. Voilà tout.

Maybelle avait promis à sa petite sœur d’aller chercher le livre qu’elle avait commandé à la librairie et elle tiendrait sa promesse. Hors de question de changer ses plans à cause de la pluie, sans quoi son père se ferait un malin plaisir de lui rappeler encore une fois à quel point elle était incapable. Elle avait téléphoné à la librairie pour prévenir qu’elle passerait après son service puis elle s’était rendue au café. Malgré ses maladresses à répétition et ses bourdes monumentales, le patron semblait l’apprécier et il avait décidé de lui laisser sa chance. Elle travaillait d’arrache-pied pour faire bonne impression et ce jour-là n’avait pas été de tout repos. Un violent orage avait éclaté et le tout Bowen s’était donné rendez-vous au café pour attendre que la pluie se calme. Les commandes s’étaient enchaînées à une vitesse folle et Maybelle n’avait pas eu le temps de penser à autre chose qu’aux clients. Tant mieux. Depuis qu’Arthur était venu au café, elle n’arrêtait pas de penser à lui – enfin, à la soirée qu’ils avaient passée ensemble pour être exact – et angoissait à chaque fois que quelqu’un entrait au café. Fort heureusement, il n’était plus jamais revenu.  

Son service fini, elle avait attendu quelques minutes que l’orage se calme puis elle avait finalement décidé de braver la pluie. Les nuages ne semblaient pas se dissiper et si elle attendait encore, la librairie finirait par fermer. Elle salua ses collègues et sortit rapidement du café. Elle n’avait pas de voiture mais le petit commerce n’était pas très loin. Cela dit, avec une averse pareille, pas besoin de faire des kilomètres pour être trempée jusqu’aux os… Pourquoi oubliait-elle toujours son parapluie ? Ses vêtements étaient plus que mouillés et l’eau ruisselait sur son visage, l’empêchant de voir correctement. Elle entra en vitesse dans la librairie, mit de l’ordre dans ses cheveux, releva la tête et… Bam.

Pourquoi ? Pourquoi fallait-il que le destin s’acharne autant ? Pourquoi fallait-il qu’il s’amuse à remuer le couteau dans la plaie, encore et encore ? Libraire. Le garçon qui avait chamboulé son existence toute entière sans même le savoir était libraire. Évidemment. Trois ans sans se croiser et voilà qu’à présent, ils semblaient ne plus pouvoir se quitter… Pathétique.
Elle resta plantée là, comme une sombre idiote, incapable de dire ou de faire quoi que ce soit. Pour une raison qui lui était inconnue, le – séduisant, elle devait le reconnaître – libraire ne semblait pas heureux de la voir. Ils avaient passé une nuit ensemble il y a trois ans, oui. Mais pourquoi gardait-il tant d’animosité envers elle ? Elle se pinça les lèvres, tortilla ses doigts dans tous les sens et éclaircit discrètement sa gorge avant d’enfin prendre la parole. « Bonsoir… » Elle n’avait pas avancé d’un centimètre, toujours sur le seuil de la porte. Elle frissonnait un peu à cause de ses vêtements mouillés mais ce n’était rien comparé aux battements de son cœur qui s'étaient subitement accélérés. « Je… viens chercher un livre… » Un livre ? Dans une librairie ? Whoa. Étonnant ! Quelle abrutie. Elle ne faisait que s’enfoncer davantage dans la médiocrité… Il devait certainement regretter d’avoir couché avec une nulle dans son genre, d’où son amertume à chaque fois qu’il posait les yeux sur elle. « Je ne sais plus exactement le titre... Mes parents l’ont commandé hier, je crois. C’est pour ma petite sœur. » Pourquoi lui racontait-elle tout cela ? Aucune idée. Peut-être parce qu’elle détestait l’ambiance étonnamment tendue qui avait recouvert la pièce dès qu’elle était entrée. Elle était mal à l’aise. Encore plus que lorsqu’il s’était pointé au café. Elle détourna le regard vers la vitrine et observa le ciel. L’orage continuait de plus belle mais elle ne pouvait pas attendre que la pluie se calme pour partir. Elle allait prendre son livre, quitter la librairie et ne plus jamais y revenir.

Elle vient chercher un livre dans une librairie. Elle est mignonne... Ahah. Puis elle sait pas le titre et moi... bah j'ai plusieurs commande. « Goodwin, c'est ça ? » Mais j'attends pas la réponse parce que de toute façon, je sais que c'est ça. C'était histoire de lui montrer que j'avais entendu qu'elle avait parlé malgré tout. Je me baisse pour fouiller sous le comptoir et finalement, je trouve le paquet noté “Goodwin” et le dépose juste devant elle. « Voilà. Tes parents ont déjà réglé quand ils sont passés pour le commander. » Enfin, je suppose que c'est eux. De toute façon, c'est déjà payé et elle peut y aller.

Alors je souris faussement parce que je suis pressé qu'elle quitte les lieux ; non seulement j'ai envie de partir mais en plus, chaque fois que je la vois, je sens mon orgueil s'enfuir à toute jambe, comme si elle m'avait tellement humilié qu'il ne voulait pas prendre le risque d'avoir une nouvelle cicatrice. Et maintenant qu'elle était de retour, je me suis soudainement dit que je ne pouvais pas prendre le risque de me sentir comme une merde chaque fois que je la croisais. Alors peut-être que je devrais réparer ça, non ? Peut-être que je devrais me venger ? Certainement, ouais. J'en parlerais avec ma soeur. Mais en attendant, je vais arrêter d'agir comme un con parce que c'est pas comme ça que j'arriverais à obtenir quoi que ce soit d'elle. « T'as une voiture ? » Et je jette un oeil par la fenêtre pour qu'elle fasse le rapprochement avec le temps de chien et la pluie qui ne se calme pas. Et l'expression sur mon visage change lentement et je sais qu'à partir de là, j'ai l'air bien plus accueillant et plus chaleureux. Et mon sourire n'a plus rien de sarcastique, c'est juste... un vrai sourire.

Bah ouais. Pour obtenir ce qu'on veut, faut savoir faire des sacrifices.

« Goodwin, c'est ça ? ». Maybelle se sentait encore plus mal. Il connaissait visiblement son nom alors qu'elle ignorait tout de lui... Elle ignorait son prénom et n'avait aucune idée de son nom de famille. Comment se faisait-il que lui se souvienne de tout cela après toutes ces années ? Incapable de répondre quoi que ce soit, elle se contenta de hocher légèrement la tête tout en attendant qu'il lui donne sa commande. Prendre le livre, payer, partir. Voilà ce qu'elle se répétait inlassablement. « Voilà. Tes parents ont déjà réglé quand ils sont passés pour le commander. » La jeune femme attrapa le livre puis elle hocha une nouvelle fois la tête. Pourquoi était-il incapable de prononcer le moindre mot ? La honte, sans doute. Le fait que ce garçon la renvoie directement à cette soirée qu'elle voulait à tout prix oublier. « Merci », murmura-t-elle d'une voix à peine audible. Prends ton bouquin et pars. C'était la meilleure chose à faire et elle avait toujours été raisonnable. Enfin, presque toujours. « T'as une voiture ? » Elle sursauta malgré elle, reportant immédiatement son attention sur le libraire. Il jeta un œil vers la fenêtre et elle comprit qu'il voulait savoir si elle allait repartir à pieds. Elle secoua doucement la tête. « Non... J'ai même pas le permis, en fait », dit-elle en souriant un peu. Pour une raison inconnue, il s'était soudainement radouci et son sourire semblait on ne peut plus sincère. Lunatique, apparemment. Il allait sûrement la déposer chez elle. Ou peut-être pas. En réalité, elle avait beaucoup de mal à le cerner et son comportement changeant la mettait encore plus mal à l'aise. Cela dit, s'il souhaitait engager la conversation, elle ne le repousserait pas. Elle était bien trop gentille pour le rembarrer, même si lui parler n'était pas la chose la plus plaisante qui soit. « C'est... C'est comment ton prénom, déjà ? » Cette question était horrible. Ils avaient été plus qu'intimes le temps d'une soirée mais elle ignorait tout de lui. Elle avait l'impression d'être l'une de ces traînées qui prennent du bon temps sans jamais chercher plus loin. C'était sûrement l'opinion qu'il avait d'elle, d'ailleurs... Si seulement il savait la vérité. Mais elle ne pouvait pas la lui dire. Pas comme cela, pas maintenant. Avouez qu'un "Au fait j'ai oublié de te dire... Je suis tombée enceinte de toi, après la soirée. On a un fils. Bon, j'ai dû le confier à des gens parce que mon père refusait que je le garde mais voilà... Tu es papa quand même" aurait été un peu limite.

Elle n'a pas le permis ? Tiens donc. C'est la première chose qu'on fait à Bowen dès qu'on est en âge de le passer - histoire de pouvoir s'enfuir si jamais cette ville nous tape sur le système. Mais bon, y a qu'à voir ses fringues pour savoir qu'elle fait rien comme les autres. Et je crois que c'est ça qui m'avait plus la première fois - mais je ne suis plus très sûr maintenant. « C'est... C'est comment ton prénom, déjà ? » Ca va que j'étais déjà entrain de sourire parce que j'ai juste eu à garder la pose. Le feinter aurait été trop dur puisque ça fou toujours les boules de se dire qu'elle hante ma vie depuis cette nuit et qu'elle... eh bien elle m'a complètement oublié. « C'est Arthur. Arthur Carlson. » Peut-être que ça lui rappellera quelque chose ? Non. Certainement pas. J'étais incognito à l'époque et si les gens connaissent mon nom aujourd'hui, ils peinent à se rappeler qu'on était ensemble à l'école.

Cela dit, je prends sur moi. Les choses doivent changés et l'ordre doit être rétabli - je ne serais plus le gars qui s'est fait jeter à une soirée à deux balles. « Je fais la fermeture là... tu veux que je te ramène ? » Bah ouais, si elle clamse d'une pneumonie, je me serais pas venger alors... puis faut bien commencer quelque part, non ? Ma mère veut que je sois un gars gentil et respectueux des femmes ? D'accord. Je vais faire ça. Juste pour un temps - c'est vrai - mais je vais le faire. « Ma voiture est juste devant là, c'est la bleue. » Je la désigne rapidement et finalement, je reporte mon attention sur elle. « Je sais pas si ça rachètera mon comportement de la dernière fois mais... enfin, je tenais quand même à m'excuser. C'était pas cool de te mettre mal à l'aise sur ton lieu de travail comme ça. » Et je lui souris avant de fermer la caisse et de passer de l'autre côté du trottoir.

Arthur Carlson. Arthur Carlson... Maybelle avait beau chercher au fin fond de sa mémoire, ce nom ne lui disait rien. Et la culpabilité qui la rongeait était encore plus forte qu'une minute auparavant. Elle se contenta d'un léger hochement de tête, esquissant un petit sourire. Maintenant qu'elle savait son nom, plus de risque qu'elle l'oublie. S'il le fallait, elle se le répéterait une bonne dizaine de fois par jour pour qu'il ne sorte plus de son esprit. Elle refusait d'oublier le nom du père de son enfant, même s'il n'en savait rien - et qu'il ne le saurait probablement jamais. Il avait marqué sa vie pour toujours et elle était soulagée d'enfin pouvoir mettre un visage (et un nom) sur ce garçon qu'elle avait tant cherché.

« Je fais la fermeture là... tu veux que je te ramène ? » La jeune fille sortit finalement de ses pensées, reportant son attention sur le libraire - Arthur. Il sembla remarquer qu'elle hésitait un peu puisqu'il ajouta : « Ma voiture est juste devant là, c'est la bleue. » Maybelle suivit son regard et observa un instant la voiture bleue garée juste devant la librairie. Elle finit par sourire. Que craignait-elle, après tout ? « Avec plaisir. Merci, c'est gentil », dit-elle en croisant son regard. Il avait de beaux yeux. En fait, il était beau tout court. Mais elle devait éviter d'y penser, sans quoi la situation deviendrait gênante. « Je sais pas si ça rachètera mon comportement de la dernière fois mais... enfin, je tenais quand même à m'excuser. C'était pas cool de te mettre mal à l'aise sur ton lieu de travail comme ça. » Elle préférait lorsqu'il était désagréable parce qu'au moins, elle se disait qu'elle n'avait pas loupé grand chose. Que ce garçon n'était pas intéressant et qu'elle avait bien fait de ne jamais le mettre au courant de tout ce qu'elle avait traversé. Plus il se montrait sympa, plus son mal être s'intensifiait et plus elle s'en voulait pour ces trois dernières années. Elle n'avait pas grand chose à se reprocher puisqu'elle avait fait tout son possible pour le retrouver, mais quand même... « Oh... C'est rien, t'en fais pas. J'ai juste été un peu surprise parce que... » Parce que même si je ne me souvenais absolument pas de toi, je t'ai cherché pendant longtemps et je n'ai pas cessé de penser à toi au cours des trois dernières années. Malheureusement, elle ne pouvait pas le lui dire. « Je ne m'attendais pas à te voir là », rectifia-t-elle sans oser le regarder. « Enfin bref, tu es entièrement pardonné. » Mieux valait ne pas trop s'étendre où elle finirait par en dire trop. Elle lui sourit une fois de plus avant de regagner la sortie pour entrer dans sa voiture. La pluie continuait à tomber et l'idée de ne pas avoir à rentrer à pieds l'enchantait vraiment. Finalement, ce petit passage à la librairie n'était pas si inutile que cela. « Tu crois qu'il va arrêter de pleuvoir, un jour ? », demanda-t-elle pour engager la conversation, une fois tous les deux à l'abri. « Merci encore de me ramener. Si tu n'avais pas été là, j'aurais sûrement attraper une pneumonie », commenta-t-elle en souriant.

Je ne sais pas pourquoi mais j'ai quand même été soulagé qu'elle accepte que je la ramène. En fait, je crois que si j'avais essuyé encore un échec avec elle, j'aurais été me jeter dans la mer - même si c'est un peu exagéré, je reconnais. Mais elle a tellement le don de prendre la fierté et de la balancer dans tous les sens qu'à un moment donner, ça en devient invivable.

Quand elle me dit qu'elle a été surprise parce qu'elle ne s'attendait pas à me voir là, je fronce les sourcils un instant, pas certain de la comprendre. Si elle ne se souvient pas de moi, comment est-ce qu'il est possible qu'elle puisse s'attendre à me voir quelque part ? Comme si elle me cherchait ? J'ai secoué la tête, pour chasser cette idée étrange de mon esprit : on ne cherche pas quelqu'un dont on ne se souvient pas. Puis faut reconnaître que j'en ai plus rien à foutre, surtout maintenant que j'ai décidé qu'elle allait me le payer. Je ne sais pas encore comment je vais m'y prendre, peut-être qu'il faudrait que j'en parle avec Savannah... elle aurait peut-être une idée.

Finalement, on s'est vite dirigé vers ma voiture - même pas le temps d'être mouillé - et j'ai démarré avant même savoir où elle se rendait. J'ai haussé les épaules quand elle m'a parlé du temps. « J'en sais rien mais encore un jour comme ça et on est bon pour être inondé... » J'ai esquissé un sourire. « Merci encore de me ramener. Si tu n'avais pas été là, j'aurais sûrement attraper une pneumonie » « C'est pas grand chose. Je suppose que j'aurais bien aimé qu'on le fasse pour moi. Alors euh.. tu vis toujours chez tes parents ? Parce que sinon, va falloir que tu m'indique la route. »

Si on lui avait dit qu'un jour, elle se retrouverait dans une voiture à parler météo avec le garçon qu'elle avait désespérément cherché quelques années plus tôt, Maybelle aurait probablement éclaté de rire. Jamais elle n'avait pensé qu'elle finirait par trouver l'identité de ce mystérieux amant d'un soir, et encore moins qu'il la raccompagnerait chez elle par un soir de pluie. Un vrai scénario de comédie romantique ! Cette situation était tellement irréelle... Mais c'était un fait indéniable : ils étaient en train de parler dans la voiture d'Arthur, comme deux vieux copains de lycée qui se retrouvent après s'être perdus de vue. Enfin non, pas totalement. Maybelle restait tout de même sur la défensive, sans trop savoir pourquoi. Elle était toujours un peu mal à l'aise, même si elle essayait de le cacher, et elle ne savait pas si copiner avec le jeune libraire était une bonne idée. Ils avaient un lien très fort dont Arthur ignorait tout et le fait de se rapprocher de lui, ne serait-ce qu'un tout petit peu, ferait grandir ses doutes. Tout lui dire ou garder ce secret pour elle ?

Alors qu'elle était en proie à un dilemme intérieur, la voix du conducteur la tira de ses pensées. « C'est pas grand chose. Je suppose que j'aurais bien aimé qu'on le fasse pour moi. Alors euh.. tu vis toujours chez tes parents ? Parce que sinon, va falloir que tu m'indique la route. » Maybelle fronça un peu les sourcils, surprise. Comment savait-il où ses parents vivaient ? Bowen était une petite ville, certes... Mais ce n'était pas une raison. Pour preuve, elle ignorait tout d'Arthur et serait incapable de dire dans quel coin de la ville il vivait. Elle lui esquissa tout de même un sourire. Il était passé de "super désagréable" à "amical" en une fraction de seconde, pas question qu'il se vexe à nouveau. « Euh... Oui, je vis toujours chez eux » Et je ne suis pas prête de partir, pensa-telle sans oser le dire à voix haute. Son père la tiendrait probablement prisonnière jusqu'à sa mort. Histoire de pouvoir garder un œil sur elle et d'éviter qu'elle lui fasse honte, une fois de plus. Une vraie Cendrillon des temps modernes ! Le prince charmant, les demi-sœurs hideuses, les souris qui parlent et le soulier de verre en moins... « Tu sais où ils habitent ? », demanda-t-elle alors. En réalité, elle attendait quelques explications au fait qu'il sache apparemment où se trouvait la maison des Goodwin. Elle était sûre qu'il y avait une raison valable et elle avait hâte de l'entendre.

En fait, ça ne m'étonne pas qu'elle soit toujours chez son père. Elle est encore jeune, non ? Moi aussi je serais encore chez ma mère si je ne m'étais pas mis à aimer les mecs. Mais c'était tellement infernal de vivre un procès à chaque fois que je rentrais du boulot que j'ai été obligé de prendre mon envol et de me mettre à payer des factures. Les joies de la vie adulte quoi. Et rien de d'y penser, je me demande comment je me mets la pression tout seul. Je crois que j'ai un loyer de retard - et c'est pas parce que je vais plus au café après avoir manger avec ma soeur que j'aurais plus d'argent sur mon compte en banque. Faut que j'arrête de me faire des cadeaux parce qu'autrement, je m'en sortirai plus.

J'ai pris la direction de chez Maybelle sans même lui demander des indications et... en effet, ça pouvait paraitre étrange. « Tu sais où ils habitent ? » Sur le coup, je me suis senti con et j'ai commencé à chercher une excuse bidon mais... bon, pourquoi ne pas être honnête avec elle après tout ? « En fait, j'habitais pas très loin de chez toi et comme j'étais... un peu amoureux de toi au lycée. » Deuxième fois que je me sens con en si peu de temps. Et je suppose que quand je verrais sa gueule de "putain lâche moi je me souviens de rien", je pourrais dire "jamais deux sans trois". « Je m'intéressais à toi de loin alors.. c'est le genre de truc que je sais. Je ne te suivais pas ou autre, hein... je veux pas avoir l'air d'un malade mental. Mais on descendait au même arrêt de bus. Et puis je t'ai ramené le soir où... à la fin de la soirée, quoi. J'allais pas te laisser rentrer complètement saoule chez toi. » Même si aujourd'hui je la saoulerai bien pour qu'elle ne trouve plus le chemin de sa maison, je suppose qu'avant, j'étais un gars bien. Et comme je me dis qu'on ne va pas s'éterniser sur le sujet... « Tu viens de revenir à Bowen, non ? » C'est pas la plus grande ville du monde et à mon avis, si elle y avait été depuis tout ce temps, on se serait croisé plus d'une fois. Comme des aimants qui s'attire. Un peu comme ces derniers jours.

Maybelle regardait par la pluie tomber par la vitre de la voiture, un petit sourire aux lèvres. Elle avait hâte de rentrer chez elle pour donner son livre à sa sœur et montrer à son père qu'elle était capable de tenir ses engagements. Alors qu'elle laissait ses pensées divaguer, Arthur lui répondit : « En fait, j'habitais pas très loin de chez toi et comme j'étais... un peu amoureux de toi au lycée. » Maybelle se figea, complètement choquée. Sa gêne venait d'atteindre un niveau sans précédent et elle était incapable de réagir. Comment était-elle censée réagir, d'ailleurs ? La vérité, c'est qu'elle n'avait jamais réellement remarqué Arthur et qu'elle ignorait qu'il était "un peu amoureux" d'elle au lycée. Son visage lui était vaguement familier, oui... Mais elle n'avait pas plus de souvenirs que cela. Et elle se sentait terriblement honteuse. « Je m'intéressais à toi de loin alors.. c'est le genre de truc que je sais. Je ne te suivais pas ou autre, hein... je veux pas avoir l'air d'un malade mental. Mais on descendait au même arrêt de bus. Et puis je t'ai ramené le soir où... à la fin de la soirée, quoi. J'allais pas te laisser rentrer complètement saoule chez toi. » La jeune fille baissa les yeux, jouant nerveusement avec ses clés pour s'occuper l'esprit. Elle était tellement mal à l'aise... Elle se sentait coupable, honteuse, débile, horrible et tout un tas d'autres trucs. Arthur devait vraiment avoir une sale opinion d'elle - et c'était on ne peut plus compréhensible. « Oh... Je suis désolée, je savais pas. » Elle avait bafouillé, une fois de plus. Pitoyable. L'espace d'un instant, l'idée qu'elle aurait pu vivre une réelle histoire avec lui lui effleura l'esprit... Mais elle devait éviter d'y penser, cela ne ferait que la faire souffrir davantage. Son esprit était déjà bien assez encombré comme ça ! « Tu viens de revenir à Bowen, non ? » Elle reporta son attention sur lui, observant ses traits pendant quelques secondes. Il avait remarqué qu'elle était partie. Whoa. Elle mourrait d'envie de tout lui dire. Là, maintenant. De lui avouer qu'elle était désolée de son comportement, qu'elle était tombée enceinte et qu'ils avaient un fils qu'elle ne connaissait pas (et qu'elle ne connaitrait jamais). Mais elle ne pouvait pas bouleverser sa vie comme ça. « Non... Je suis revenue il y deux ans mais je ne sortais pas beaucoup jusqu'à maintenant, alors je crois que mon retour est un peu passé inaperçu », dit-elle, un léger sourire aux lèvres. La faute à son père qui voulait l'enfermer dans une prison dorée, encore une fois. Elle passa une main dans ses cheveux pour les remettre en place, mal à l'aise, puis elle se racla délicatement la gorge. « Tu sais, je suis désolée. Pour ce qu'il s'est passé il y a trois ans, je veux dire. Faire ce genre de trucs c'est... Enfin, ça me ressemble pas. J'ai pas l'habitude de boire ni de passer la nuit avec des garçons que je connais à peine. Tu dois certainement me prendre pour une fille facile ou je ne sais quoi mais je t'assure que c'est pas ce que je suis. » S'excuser aussi longtemps après n'avait aucun intérêt mais elle se disait que cela l'aiderait peut-être à se sentir mieux. Si elle ne pouvait pas lui avouer toute l'histoire, elle était au moins en partie honnête et cela soulagerait sûrement sa conscience. Ou pas.

« Oh... Je suis désolée, je savais pas. » Evidemment qu'elle ne savait pas. Puis de toute façon, tout le monde se fichait de moi avant - sauf Savannah, bien sûr. J'étais tellement invisible que personne n'a aucun souvenir de moi au lycée. Aujourd'hui, y a beaucoup de gens qui connaissent mon prénom parce que je suis un connard, que je suis gay - et tout un tas d'autres trucs - mais si jamais on dit à ses personnes que j'étais dans leur classe pendant toute leur scolarité, ils diraient "mais non, tu déconnes". Peut-être qu'ils se souviennent qu'ils y avaient des jumeaux ouais, mais c'était certainement pas Arthur, c'est impossible. Ils s'en seraient souvenus. Et pourtant... non. Avant, je ne marquais pas les esprits. C'est comme ça, je m'y suis fait. Et je vivais parfaitement ma vie d'enfoiré jusqu'à ce que Maybelle débarque à nouveau. J'ai beau la détester... y a toujours une partie de moi qui en est dingue. Et je pensais que c'était terminé, que les filles, je pouvaient définitivement faire une croix dessus... faut croire que c'était faux. Elle m'attire au moins autant qu'elle m'insupporte. « T'as pas à t'excuser. » Même si en fait, j'en pense pas un mot. Elle a pourri jusqu'à ma vie de famille avec sa fausse innocence à deux balles ; bien sûr qu'elle me doit des excuses. Elle me doit bien plus même.

Deux ans qu'elle est là et c'est seulement maintenant qu'on se croise ? Putain. « Et pourq-- » Mais comme elle était lancée, elle me coupe et je me dis que c'est pas plus mal. En fait je m'en fou du pourquoi elle s'est cassée. « Tu sais, je suis désolée. Pour ce qu'il s'est passé il y a trois ans, je veux dire. Faire ce genre de trucs c'est... Enfin, ça me ressemble pas. J'ai pas l'habitude de boire ni de passer la nuit avec des garçons que je connais à peine. Tu dois certainement me prendre pour une fille facile ou je ne sais quoi mais je t'assure que c'est pas ce que je suis. » J'ai haussé les épaules avant de tourner à une rue qui nous rapprochait un peu plus de chez elle. « C'était pas mon genre non plus, avant. Je pensais que tu m'avais remarqué pour de vrai, c'est tout. Je me suis trompé mais l'erreur est humaine, non ? » Je l'ai regardé quelques secondes pour lui adresser un sourire sincère. « T'as pas à te justifier. Tu fais ce que tu veux de ta vie et moi, je ne te prends pour rien du tout. J'te connais pas vraiment au fond alors... j'vais pas te juger, se serait malvenu de ma part. » Même si au fond, je pense que c'est une fille facile qui se laisse amadouer par n'importe qui. Et même si moi, je la juge. Je ne fais que ça d'ailleurs. La juger pour tout ce qu'elle m'a fait endurer sans même en avoir conscience.

« T'as pas à t'excuser. » Elle lui adressa un sourire timide, persuadée qu'elle avait toutes les raisons du monde de s'excuser - et de s'en vouloir. Son attitude, même si elle ne l'avait pas voulu, était franchement irrespectueuse. Et le respect était l'une des valeurs auxquelles elle tenait le plus. Elle avait certainement blessé Arthur et qu'elle l'ait souhaité ou non ne changeait rien. Le principal était le résultat.

Elle avait tenu à justifier son comportement mais bizarrement, elle avait l'impression que cela n'avait pas amélioré les choses. En fait, elle se sentait encore plus mal. Comme si le fait de s'excuser et de se chercher des circonstances atténuantes la rendait encore plus coupable. Elle en arrivait parfois à penser que son père avait raison : elle n'était bonne à rien et elle ne méritait aucune attention de personne. Les mots d'Arthur enfoncèrent davantage le couteau dans la plaie. Que pouvait-elle répondre ? Non, elle ne l'avait pas remarqué. Ce n'était pas intentionnel mais le mal était fait, quoi qu'il arrive. Il était amoureux d'elle, elle était ivre pour la première fois de sa vie parce qu'elle ne connaissait pas ses limites. Le destin avait fait le reste. Fin de l'histoire. Le "c'était pas mon genre non plus, avant" l'interpella, mais elle n'osa poser aucune question. « Je... Désolée », dit-elle à nouveau, d'une voix tellement basse qu'elle était à peine audible. Elle déglutit difficilement, les yeux rivés vers ses chaussures. Elle était incapable de regarder Arthur, comme une enfant prise en flagrant délit de vol de bonbons. « N'empêche que c'était pas correct. J'aurais jamais dû aller à cette soirée... » Elle soupira doucement, se remémorant tous ces mauvais souvenirs. Il avait beau dire qu'il ne la jugeait pas, elle était sûre qu'au fond de lui, il la prenait pour une traînée. Ou une garce. Voire même les deux à la fois. « C'est horrible de ne pas avoir de souvenir de sa première fois parce qu'on était trop bourrée pour se rappeler de quoi que ce soit. J'aurais jamais pensé que ça se passerait comme ça... » Une fois de plus, elle avait parlé sans réfléchir et elle regrettait déjà lui avoir révélé ce genre de détails. Encore un peu et elle allait lui dire qu'elle n'avait jamais connu personne après lui. Ou pire : qu'elle était tombée enceinte. Ils n'étaient pas amis, elle n'avait pas à se livrer comme cela. Mais la culpabilité qui la rongeait la poussait à parler. « J’ai quelque chose à te dire. » Elle marqua une courte pause avant de tourner la tête vers lui, regardant ailleurs dès qu’elle sentit le regard d’Arthur se poser sur elle. Non, elle ne pouvait pas faire ça. Pas ici, pas maintenant. « C’est… Enfin, je sais pas vraiment par où commencer mais… » Elle marqua une nouvelle pause, essayant de calmer les tremblements de sa voix. Elle n’avait pas envie de pleurer mais la peur lui nouait la gorge. Elle redoutait la réaction d’Arthur. Et au final, elle n’était même pas sûre de pouvoir réussir à lui dire. « Si je t’ai fait du mal, je le regrette. Ce n’était absolument pas mon intention et je t’assure que si je le pouvais, je ferais en sorte que les choses se passent autrement. » Elle regarda la route une seconde. Ils étaient presque arrivés, elle n’avait plus beaucoup de temps. « Je t’ai cherché. Pendant plusieurs jours. Je savais pas que c’était toi mais je voulais retrouver le garçon avec qui  j’avais passé la nuit. Pour m’excuser de mon comportement et parce que…   » Elle prit une profonde inspiration, se forçant à regarder Arthur dans les yeux. Elle n'avait plus le droit de se dégonfler. Il méritait la vérité, peu importe les conséquences. « Je suis tombée enceinte. » Voilà. La bombe était lâchée et elle n’avait plus qu’à attendre sa réaction. Elle savait que le moment était mal choisi mais y avait-il réellement de bon moment pour dire ces choses-là ?

« N'empêche que c'était pas correct. J'aurais jamais dû aller à cette soirée... » J'ai haussé les épaules. Oui et non. Je suppose que sans cette soirée, je ne serais pas la personne que je suis aujourd'hui et je dois avouer que ça me va très bien de ne plus me laisser marcher dessus ou de plus vivre chez les Bisounours. Alors même si je lui en veux parce qu'elle a blessé ma fierté et que bon, ça a pas toujours été simple d'admettre que j'étais bisexuel, on ne va pas se mentir, mais bon, c'est comme ça alors je ne vais pas me changer. « C'est horrible de ne pas avoir de souvenir de sa première fois parce qu'on était trop bourrée pour se rappeler de quoi que ce soit. J'aurais jamais pensé que ça se passerait comme ça... » Je me suis tourné vers elle un peu surpris avant de me reconcentrer sur la route. « Je suis ta première fois ? A la soirée ? Woah, putain. Je pensais pas. » Je sais pas pourquoi mais j'étais persuadé que c'était le genre de fille qui planifiait sa première fois, avec une dîner, des bougies et des pétales de rose. Mais non, c'était le genre à coucher avec un inconnu à une soirée. Peut-être qu'elle a eu de la chance de tomber sur moi, non ? J'étais cool avant. Elle aurait pu tomber sur un con. Enfin... elle s'en serait pas souvenu alors sa change rien. D'ailleurs, je pourrais jamais savoir pourquoi c'est moi qu'elle a choisi. Qu'est-ce que j'avais de plus que les autres ? Rien faut croire. Je l'ai pas marqué tant que ça. « J’ai quelque chose à te dire. » Faut croire que le feu rouge tombait bien. Je me suis arrêté et je me suis tourné vers elle, l'air un peu étonné. Premièrement parce que ça a pas l'air d'être une bonne nouvelle et deuxièmement parce qu'elle dit ça comme si elle me connaissait depuis des années. « Je t’ai cherché. Pendant plusieurs jours. Je savais pas que c’était toi mais je voulais retrouver le garçon avec qui  j’avais passé la nuit. Pour m’excuser de mon comportement et parce que… Je suis tombée enceinte. » Ah. Ah.

J'attends la chute. Encore et encore. Et encore même. Mais elle ne vient pas. Jamais. Et je reste bloqué comme un con. Ca klaxonne derrière et ça me ramène à la réalité. Bordel. Et j'ai conduit en silence jusque chez elle. Et je me suis garer là. Voilà. « T'y es. Tu m'en voudras pas si je remonte pas l'allée. » Mon ton est complètement neutre. Ni froid, ni cassant, ni rien d'autre. Juste neutre. Cette fille, je la déteste. Genre... j'ai jamais autant détester quelqu'un. Elle m'a cherché parce qu'elle était tombée enceinte. Et elle me dit ça comme si on s'était jamais quitté alors que je suis entrain de conduire. J'ai envie de me dire que je m'en fou, qu'elle a surement avorter et tout ça mais... et si ? « T'es tombé enceinte. Et puis quoi ensuite ? »

« Je suis ta première fois ? A la soirée ? Woah, putain. Je pensais pas. » Maybelle baissa les yeux, un peu gênée. Elle ignorait ce qu'il l'avait poussée à se confier comme cela mais après tout, il avait le droit de savoir. Oui, il était sa première fois. Sa seule et unique fois, même, mais l'avouer les embarrasserait sûrement tous les deux et elle préférait éviter. Cette situation était bien assez étrange, pas besoin d'en rajouter. « Je dois t'avouer que je n'avais pas vraiment imaginé ça comme ça », dit-elle doucement. Elle avait imaginé ce moment si particulier des dizaines de fois mais jamais elle n'avait envisagé le faire dans une soirée, avec un garçon qu'elle connaissait à peine alors qu'elle était ivre. Pour être honnête, elle n'avait jamais pensé le faire avec quelqu'un d'autre que Nick. « Tu devais être spécial. » Elle était persuadée qu'il y avait eu une sorte de "connexion" entre Arthur et elle ce soir là. Quelque chose d'assez fort et incontrôlable pour qu'elle se donne à lui si facilement. Alcool ou pas, elle ne se serait pas laissée faire si elle n'en avait pas eu envie.

Étonnamment, à l'annonce de sa grossesse, Arthur resta silencieux. Un peu trop silencieux au goût de Maybelle, qui ne cessait de le regarder d'un air inquiet. Elle regrettait de tout lui avoir révélé. Ou plutôt non, elle regrettait de l'avoir fait là, maintenant, alors que ce n'était pas l'occasion rêvée. D'un autre côté, la culpabilité pesait bien trop lourd et elle avait eu besoin de se libérer de ce fardeau au plus vite. Elle ignorait si le silence du jeune homme était positif ou négatif. S'il allait lui reparler dans quelques secondes, après avoir digéré la nouvelle, ou s'il ferait comme s'il n'avait rien entendu. Allait-il se mettre en colère ? L'insulter ? La laisser sur le bord de la route ? Toutes les hypothèses étaient envisageables. Lorsque la voiture de derrière klaxonna, Maybelle sursauta sans s'en rendre compte. Elle était tellement perdue dans ses pensées qu'elle en avait oublié la notion du temps. Le reste du trajet se fit dans le silence le plus complet et, alors qu'elle s'apprêtait à prendre son sac et à quitter la voiture d'Arthur, ce dernier se décida enfin à prendre la parole. « T'es tombé enceinte. Et puis quoi ensuite ? » Je levais les yeux vers lui, restant silencieuse pendant quelques secondes. J'aurais pu lui mentir mais à quoi bon ? Il avait le droit de savoir la vérité. « Mes parents m'ont envoyée chez ma tante parce qu'ils avaient trop honte pour me regarder en face... Ils étaient fous de rage. Mon père, surtout. Il pouvait pas accepter que les gens sachent que sa "fille modèle" avait péché, sa réputation de père exemplaire compte tellement pour lui... Enfin bref. » Elle marqua une courte pause, cherchant à se concentrer sur l'essentiel. Arthur n'avait pas besoin de l'entendre baver sur son père. Il voulait savoir ce qu'il s'était passé et elle devait s'en tenir aux faits. « Ils m'ont forcée à le faire adopter. Je ne voulais pas. Je ne voulais pas l'abandonner. Mais ils disaient que ce serait mieux pour tout le monde, pour le bébé comme pour moi, que j'étais incapable de m'en occuper, qu'il serait bien plus heureux avec quelqu'un d'autre... Et je me suis laissée convaincre. Peut-être parce que j'étais jeune et que ça me faisait tellement peur que je préférais opter pour la solution de facilité, j'en sais rien. » Nouvelle pause. Sa voix tremblait un peu sur le coup de l'émotion mais bizarrement, elle n'avait absolument pas envie de pleurer. Elle regarda Arthur à nouveau, sincèrement désolée. « Ils ont trouvé une famille convenable, qui partageaient leurs convictions et je leur ai laissé le bébé. C'était un garçon », précisa-t-elle, souriant un peu. « Je regrette... Y a pas un jour qui passe sans que je pense à lui. Si je pouvais retourner en arrière et changer les choses, je le ferais. » C'était sincère. Si elle pouvait retourner en arrière et oser tenir tête à ses parents pour pouvoir garder son bébé près d'elle, elle le ferait sans hésiter. « Je suis désolée, Arthur. » S'excuser maintenant alors que le mal était fait était un peu facile, certes... Mais comme le disait le dicton : "mieux vaut tard que jamais". Elle ignorait s'il accepterait ou non ses excuses mais elle était soulagée de savoir qu'il connaissait la vérité.

« Je suis désolée, Arthur. » Mais tout ce que j'entends c'est toutes les conneries qu'elle vient de me sortir. Tous ces “désolée, je voulais pas l'abandonner” ne veulent rien dire parce qu'elle l'a quand même fait. Elle s'est laissée convaincre, comme elle dit, et elle l'a abandonné. Et je n'ai même pas eu mon mot à dire parce qu'elle était complètement bourrée quand on a couché ensemble et qu'elle n'a pas été foutu de se souvenir de moi. Mais c'est impossible. Elle n'a pas fait de coma éthylique que je sache alors quand bien même elle aurait eu un trou de deux heures... elle se serait souvenue de moi, de mon visage. On a passé une bonne partie de la soirée et la nuit complète ensemble. Et je suis retourné la voir. Elle aurait pu faire la connexion, même si je me suis pris une veste. J'ai agis comme si on se connaissait, c'est pas anodin quand même ?

J'ai la mâchoire tellement serrée que je ne sais même pas comment j'arrive à articuler ce simple mot : « dégage. » Mais c'est pas assez, j'ai envie qu'elle comprenne à quel point elle vient de me faire mal. « Si t'avais pas voulu l'abandonner, t'aurais pas céder. J'aurais pu m'en occuper moi ! J'aurais pu t'aider ! Et à cause de toi, je suis papa d'un garçon que je verrais jamais. J'étais quelqu'un de bien, avant toi. J'étais quelqu'un de respectable et maintenant c'est plus le cas parce que je savais plus qui je devais être. T'as tout remis en question avec ta pseudo amnésie à la con et je parle quasiment plus à ma famille parce qu'ils encaisse pas vraiment que je sois bisexuel. » J'ai soupiré, toujours sans lâcher le volant - parce que franchement, j'ai envie de lui écraser la tête sur le tableau de bord. « T'as complètement bousillé ma vie avec tes faux airs de Sainte Nitouche et t'ose me dire que t'es désolée ? Putain de merde. T'es vraiment pas chier toi. Qu'est-ce que j'en ai à foutre que ton père toi un connard, hein ? Rien du tout. Parce qu'étant donné que la mère, c'était toi, c'était ta parole qui comptait. C'est toi qui a choisi de l'abandonner. Pas ton père. T'es tellement égoïste que tu m'as lâcher ça pour te déculpabiliser et tu t'es même pas dit que je vivrais mieux sans savoir ça ? Putain mais qui fait ça, d'abord ? Qui annonce à quelqu'un qu'il est père d'un gamin adopté qu'il verra jamais ? » Et finalement, ça m'a prit à la gorge. Tellement que j'ai cru que j'allais pleurer et c'était pas le moment. « Rentre chez toi. »