Albahr - Reviendra-t-on à notre complicité d'antan ?

Alba se promenait dans les allées de la bibliothèque, cherchant des livres pour son fils. Jon adorait venir à la bibliothèque et il était calé dans un coin, en train de lire plusieurs albums. C’était son petit intellectuel, toujours tête en l’air et le nez au ciel ou dans les livres. Il n’avait choisi que des livres sur les étoiles, ayant la même passion que son père pour l’astronomie. Ils venaient au moins une fois par semaine à la bibliothèque et ils repartaient toujours avec des livres, beaucoup pour Jon et un ou deux pour Alba qui adorait se poser à côté de sa piscine pour lire un livre. Perdue dans ses pensées, elle sentit les petites mains de son fils sur sa jambe. « Maman, tu peux m’accompagner aux toilettes ? » Il lui prit sa main et la dirigea vers les toilettes. Jon se prenait pour un grand, il voulait aller aux toilettes des adultes, mais évidemment il avait besoin d’aide. Puis têtu comme sa mère, il voulait aller dans ceux des messieurs, alors la jeune maman vérifiait que personne ne la voyait rentrer chez les hommes avant de suivre son fils. La cabine était libre et Alba ouvrait la porte du toilette individuel pour rentrer avec Jon. Quelle fut sa surprise quand elle découvrit un homme dedans, occupé à faire ses besoins. « Oh merde merde merde ! » Disait-elle, sous le regard choqué de son fils devant tous les gros mots d’Alba. Puis l’homme était aussi surpris qu’elle levait ses yeux et elle le vit. « Concho … » Disait-elle dans un souffle. La dernière fois qu’elle l’avait vu ça remontait à l’hôpital, il y a plusieurs mois de cela. Depuis, ils s’étaient peut-être un peu évité, elle ne s’attendait pas à le revoir, dans cette position. « Pardon ! » Disait-elle en reprenant son fils et fermant la porte, sous les rires de Jon. Il voulait attendre pour voir Concho, le papa de Maxwell qu’il aimait bien.

L’heure du conte était sur le point de terminer, mais cela faisait déjà vingt minutes que je me retenais et que la lecture s’éternisait. J’avais tellement mal au ventre c’était en train de me donner des crampes monumentales que je n’arrivais plus à endurer. Une main sur mon ventre, je tentais de masser pour faire passer la douleur mais impossible, ça ne faisait qu’empirer en fait, car le mouvement accentuait mon besoin d’aller chier. J’avais sûrement le temps avant que l’heure du conte ne se termine. Je m’approchai d’un parent que j’avais déjà aperçu à quelques reprises, et je lui demandai de jeter un œil sur Lara le temps que j’aille au petit coin. À la sueur perlant sur mon front il devina sans doute que j’étais mal en point alors il s’empressa d’accepter. Je me dépêchai de me rendre aux toilettes au fond de la bibliothèque. Je m’assurai que personne n’était là et je rentrai dans la cabine individuelle. Je mis du papier tout le tour de la cuvette et je baissai mes pantalons et mes caleçons en vitesse. Aussitôt assis, aussitôt je laissai sortir un mélange de flatulences et de diarrhée. C’était dégueulasse. Je m’empressai de faire un courtesy flush, pour que l’odeur n’emplisse pas toute la place. Je venais de terminer de m’essuyer et je m’apprêtais à me relever quand j’entendis la porte de la toilette s’ouvrir. Je tentai de me faire tout petit et silencieux, et je remarquai trop tard que je n’avais pas pris le temps de bien verrouiller le loquet de ma cabine. On poussait dessus. « Non ! C’est occupé ! » Quelle ne fut pas ma surprise de lever les yeux sur Alba après avoir reconnu Jonah. « Oh, euh … » Mais elle avait déjà refermé la porte et s’était excusée en prenant son fils qui riait aux éclats. Je tirai la chasse une seconde fois, rattachai mes pantalons et sortit me nettoyer les mains. Dommage qu’il n’y ait pas eu une seconde porte pour ressortir du côté opposé. Je l’aurais bien prise. Je quittai la toilette et constatai qu’Alba et Jonah m’attendaient, visiblement, à la sortie. « Hum … Malaisantes, ces retrouvailles, hein ? » Dis-je avec un petit rire gêné.

Des mois s’étaient écoulés depuis cette dernière rencontre à l’hôpital. Alba, elle n’avait jamais repris le temps d’appeler Conchobáhr, ne trouvant jamais les mots justes. Il y avait eu tant de blessures entre eux deux et Conchobáhr s’était retrouvé au milieu d’un triangle amoureuse (encore une fois). Ils avaient tous fini par être triste. Et si elle avait essayé de communiquer avec Léo, elle n’avait pas eu le courage de le faire avec Concho. Alors vous n’imaginez pas la surprise de la photographe, de retrouver son ex dans la pire des positions. Jon il riait aux éclats, et Alba elle lui fit des gros yeux, avant de refermer la porte illico presto. Evidemment son démoniaque enfant, il voulait voir Conchobáhr parce qu’il l’aimait bien. Ils en avaient passé du temps tous les quatre, Jon Max, Concho et elle. Alba, elle avait du mal à respire (et non pas à cause de l’odeur des toilettes) mais parce que ça lui faisait quelque chose de le revoir. Bowen n’était pas une grande ville et ils bossaient à côté. Pourtant, ils ne s’étaient pas recroisés. Peut-être qu’il l’évitait, c’était une possibilité. Il sortait, aussi mal à l’aise qu’elle, alors que Jon il offrait au danseur un beau sourire. « Tu sais ça arrive à tout le monde ! » Disait-il alors qu’Alba regardait son fil outré. « Je suis désolée ! » Non non ce n’était pas elle qui l’avait élevé, c’était bien un Emerson ce gosse. « Va jouer avec les autres. » Disait-elle, alors que Jon partait sans oublier de dire à Concho qu’il était contente de le revoir et qu’il attendait de revoir Max. « Je suis désolée. » Redisait-elle, et il y avait tout un tas de choses pour lesquelles elle était désolée. Cette interruption, son silence, l’avortement, leur histoire.

En même temps il n’avait pas tort, Jonah. Ça arrivait à tout le monde de faire caca. Cela dit généralement j’essayais de garder ça pour mes toilettes privées ou les toilettes de Head Ahead. Mais bon, c’est vrai que ça se contrôle difficilement et que parfois, quand faut y aller, faut y aller. C’est ce qui s’était passé avec moi aujourd’hui. Ce qui n’arrivait pas à tout le monde, cependant, c’était de se faire prendre sur la bol par son ex, si on pouvait appeler Alba ainsi – pas trop mais à défaut d’avoir un meilleur terme, c’est ce que j’utiliserais. Je souris donc à Jonah. « T’as raison, Jon. » Ça n’enlevait pas mon malaise pour autant. Je me grattai la nuque en relevant les yeux vers Alba, qui s’excusait des propos de son fils. Je secouai la tête. Y’avait rien là. « Je suis content de te revoir aussi, buddy. » Lui dis-je avant qu’il ne s’éclipse vers les autres enfants, à la demande de sa mère. Bon, nous voilà seuls, elle et moi. J’avais toujours l’excuse de devoir aller surveiller Lara, je n’allais quand même pas laisser ce gentil monsieur garder un œil sur elle pendant tout l’heure du conte. Encore une fois Alba s’excusa mais je sentis que ce n’était ni pour les propos de Jonah, ni pour la visite impromptue aux toilettes pendant que j’y étais. Je n’avais pas tellement envie de revenir sur toutes les autres raisons de s’excuser. « J’aurais dû bien fermer la porte. J’étais trop pressé. » C’était à ce point-là que je préférais éviter le reste, ouais : au point de préférer me couvrir de ridicule par rapport à mon envie pressante de me lâcher un énorme numéro deux à la bibliothèque. « Comment tu vas, depuis le temps ? » Depuis … tout. Depuis l’avortement. Depuis la dégringolade. Depuis que j’avais perdu les pédales face à Léo.

Il y a des milliers de façons où Alba et Concho auraient pu se recroiser. Ils travaillaient en face de l’un et de l’autre, mais peut-être inconsciemment, ils ne s’étaient pas recroiser depuis l’épisode à l’hôpital. Alba s’en voulait, ce silence était injuste, mais elle avait choisi Léo, même si leur relation était à néant. Mais il fallait qu’elle le recroise à la bibliothèque, dans une situation qu’ils auraient préféré tous les deux éviter. Jon était content de voir Concho, attaché aux souvenirs qu’ils avaient tous les cinq, Jon, Max, Lara, Concho et Alba. Ça remontait à longtemps maintenant. Après quelques échanges entre les deux garçons, Jon retournait jouer, laissant les deux anciens amants ensemble. C’était un moment charnière. Alba aimait beaucoup Concho, il était une personne exceptionnelle, mais le timing n’avait jamais joué en leur faveur. Alors Alba s’excusait, encore une fois, regrettant ses choix passés parce qu’elle avait fait souffrir deux personnes. Il préférait jouer l’ignorance Concho, revenant sur l’épisode des toilettes. « Ce sont des choses qui arrivent. » Disait-elle, se moquant ouvertement d’avoir vu Concho sur les toilettes. Ils avaient été intime, alors vraiment cet épisode était vraiment insignifiant. A sa question, elle haussait les épaules. Ça allait, c’était juste neutre. Alba avait perdu de sa joie de vivre depuis l’avortement et du déchirement de voir Léo et Concho se détester. Un silence s’instaurait entre eux, une sorte de malaise qu’ils n’avaient jamais connu. « J’espère que tu es heureux, que tu trouveras une personne qui t’apportera tout ce que tu souhaites. » Son altercation avec Léo, elle ne lui en tenait pas rigueur, parce qu’elle savait que leur amertume existait depuis longtemps, et qu’elle n’avait été qu’un élément de trop dans cette haine réciproque.

C’était de beaux souvenirs, ceux qu’on partageait, Alba et moi, avec nos enfants. Un mirage, une possibilité d’une belle famille recomposée. La composition musicale n’avait pas été assez douce aux oreilles de la blonde, visiblement, puisqu’elle avait choisi Léo. J’ignorais où ils en étaient aujourd’hui, je n’avais pas cherché à le savoir d’ailleurs. J’avais voulu passer à autre chose, après cet épisode à l’hôpital. Ça avait été trop douloureux pour que je m’y accroche et, surtout, j’avais tellement détesté la personne que j’avais été ce jour-là, que ce n’était pas des souvenirs que je souhaitais revisiter. Il était primordial que je laisse Léo dans le passé, une bonne fois pour toute, et s’il avait fallu que j’y relaye Alba du même coup, alors peut-être était-ce mieux ainsi. Je lui demandai quand même comment elle allait depuis le temps, depuis ce moment terrible à se remémorer, pour toutes sortes de raisons évidentes. Je n’allais pas me comporter froidement en ne prenant pas de ses nouvelles, en continuant mon chemin comme si nous n’avions rien vécu ensemble. Elle avait comptée pour moi. Elle comptait pour moi. Ce n’était pas aussi facile de tourner la page, quand elle se trouvait droit devant moi, dans un malaise palpable. Heureusement que j’avais Pippa, et notre fille à naître, vers qui me tourner dans mes pensées. D’ailleurs, à l’affirmation d’Alba, je réalisai qu’elle n’était au courant de rien de tout ça. Comment aurait-elle pu l’être ? « Pour tout te dire, je l’ai trouvée, cette personne, finalement … » Admis-je, visiblement gêné d’aborder le sujet. Sachant les circonstances dans lesquelles nous nous étions laissés la dernière fois, ça me chamboulait de lui annoncer la nouvelle. « Je suis avec Pippa depuis l’année dernière. On … on attend un enfant. Début du mois de juillet … » Nous étions presque à la mi-juin. C’était une question de quelques petites semaines qui passeraient si vite. J’osai enfin lever les yeux vers Alba, guettant l’émotion dans son regard, un noeud au creux de la poitrine.