here in the dark, these final hours (maxine)

Une autre journée de correction d’examens, une autre soirée passée à la rhumerie. Le niveau de fatigue d’August était toujours accru au moment de la fin des classes, parce qu’il avait une date d’échéance pour la remise des résultats de l’année scolaire, mais il avait aussi une affluence d’universitaires qui rentraient chez eux et qui prenaient un coup à tous les soirs à la rhumerie. Il ne s’en plaignait pas, pas vraiment. August vivait de ses deux passions, l’enseignement de l’histoire et le rhum, alors il ne pouvait en dire grand-chose. Toutefois, il devait avouer que lorsqu’il rentrait chez lui, exténué, il ne prenait pas vraiment le temps de s’adonner à d’autres activités. Ce soir ne ferait pas exception, ou du moins, c'était ce qu’il pensait avant qu’une magnifique jeune femme ne rentre dans son bar et vienne s’asseoir au comptoir. C’était Neela qui se chargeait d’elle pour le moment, car August étant propriétaire, il ne servait les clients qu’en dernier recours si l’endroit devenait surchargé. Lui, il était en train de placer les bouteilles de rhum sur la grande étagère derrière le bar. Il les alignait à la perfection, des rhums les plus doux aux rhums les épicés et forts. Toutefois, la dernière ligne qu’il venait d’installer n’était peut-être pas aussi droite qu’il l’aurait désiré, car son regard se dirigeait toujours vers cette jeune femme aux cheveux peignés en bataille presque volontairement, ce regard maquillé et poignant, et son goût pour le rhum qui était très bien développé puisque Neela venait de s’emparer d’une des bouteilles préférées d’August. Cette femme, c’était Maxine. Elle venait de plus en plus régulièrement à la rhumerie du professeur d’histoire, pour le plus grand plaisir de ce dernier. Il ne se lassait jamais de sa façon de parler, de ses sourires parfois forcés, parfois sincères. August descendit de la chaise sur laquelle il était juché, autant pour pouvoir bientôt interpeller Maxine que parce que, de toute façon, la rhumerie allait bientôt fermer pour le reste de la nuit et du début de la journée. Il ne restait plus beaucoup de clients et, même si à cette heure August avait l’habitude de rentrer chez lui et de laisser Neela fermer par elle-même, il s’approcha cette fois d’elle et lui proposa de prendre les quelques minutes qu’il lui restait pour compter son argent et pouvoir rentrer plus tôt chez elle, ce qu’elle accepta volontiers. August fermerait, ce soir. Quand sa barmaid disparut dans l’arrière de la rhumerie, le professeur d’histoire posa ses deux mains sur le comptoir, les bras bien droits, et regarda Maxine qui était à sa gauche. « Ça fait un moment que je ne t’avais pas croisée ici, Max. T'as trouvé meilleur rhum en ville ? » Dit-il, d’un ton familier, avec un sourire en coin.

Un sourire s’était dessiné sur les lèvres d’August en entendant la voix de Maxine lui dire que ce n’était pas droit. Elle avait toujours quelque chose à dire. Des reproches, des piques, de fausses insultes, des moqueries. Cette femme avait le sens de la répartie, aussi, et August s’amusait de ses répliques cinglantes toujours bien placées, surtout parce qu’il les savait innocentes. À son égard, en tout cas. August se doutait bien qu’il était chanceux d’avoir Maxine de son côté, parce que ces remarques contrariantes mais amusantes pouvaient ne pas l’être pour d’autres qui avaient un peu moins de chance que lui. Le jeune homme descendit donc de sa chaise suite à ces salutations des plus originales, et vint se poser devant elle. « Et c’est toi qui ne marcheras pas droit si tu continues à t’enfiler mon rhum comme ça. » Il savait qu’il était bon, son rhum, de mieux en mieux en tout cas au fil des années, mais ce n’était pas une raison pour Maxine d’en boire jusqu’à ne plus y voir clair. Peut-être était-ce son objectif, sans doute était-ce le but d’une grande majorité de sa clientèle. Mais pour Maxine, ça lui faisait un peu plus de mal, car il voyait bien au fond que c’était une bonne personne, derrière ses airs je-m’en-foutistes et détachés. Le trentenaire lui fit finalement remarquer que ça faisait un moment qu’il ne l’avait pas vue ici, accoudée à son comptoir, là où il aimait tellement l’avoir. Seul à seul maintenant que Neela avait pris congé, August se pencha vers elle, et elle l’imita pour le plaisir, lui soulevant qu’il n’avait qu’à le dire, si elle lui avait manqué. Il esquissa un sourire, ne détachant pas son regard du sien, une petite flamme brillant dans ses yeux. « Tu m’as manquée, Maxine. Tu le sais bien, ça. Je n’ai plus besoin de le dire. » Releva-t-il en haussant un sourcil en la regardant, avant de lui faire un clin d’œil et de se relever pour sécher un verre avec son torchon. C’est à ce moment-là qu’elle lui avoua avoir été frapper chez son frère. August afficha une mine un peu surprise, même s’il savait que ce moment viendrait. « Vraiment ? Et comment ça s’est passé ? » La questionna-t-il, curieux d’avoir la suite de cette histoire dont Maxine lui parlait tellement souvent, dans ces situations similaires, elle le verre à la main, et lui la bouteille prête à couler. « Et j’espérais bien que ton absence n’était pas due à un autre bar. Mon cœur ne s’en serait jamais remis. » Avait-il ajouté sur un ton léger et farceur, attendant tout de même de revenir au sujet principal, le plus sérieux, celui que Maxine avait sans doute sur le cœur.

Dès que Neela eut passé le cadre de la porte pour disparaître derrière la salle réservée aux employés, Maxine sembla tout d’un coup bien plus encline à discuter avec August. De toute la soirée, ils s’étaient échangés des regards furtifs, discrets, se volant des sourires de temps en temps quand ils se regardaient trop longtemps, mais sans plus. Habituellement, August ne se faisait pas prier pour laisser quelques clients de côté le temps de discuter pleinement avec Maxine, sa cliente préférée parmi toutes. Toutefois, il était vrai qu’avec la présence de ses employés, l’homme se montrait parfois plus réticent à l’idée de passer trop de temps avec certains clients. Certes, il était le patron et faisait ce qu’il voulait, mais il ne voulait pas donner l’impression de s’en foutre s’ils avaient besoin d’aide. Heureusement, cette soirée devenant de plus en plus tranquille, il avait pu donner congé à Neela tout en profitant dorénavant de la présence de Maxine. Il aurait certainement à servir quelques verres par-ci et par-là, mais il s’en sortirait bien sans faire trop attendre la belle. « Bien-sûr que je le sais, mais j'aime bien quand tu le dis. » Il sourit à son clin d’œil, soupirant théâtralement en la regardant, la tête posée dans sa main, accoudé au comptoir. Il passa son torchon par-dessus son épaule, battant des cils sans trop en mettre. « Ah, Maxine. Quelle cruauté de me faire sans cesse exprimer mon appréciation pour toi sans jamais en recevoir en retour … » Évidemment, il plaisantait, car le simple fait que Maxine revenait soir après soir dans sa rhumerie et passait des heures à lui parler témoignait très bien son appréciation pour lui. August n’en demandait pas plus, malgré ses dernières paroles qui pourraient laisser croire le contraire. Toutefois, il avait tellement poussé le jeu d’acteur que Maxine n’aurait pas à prendre peur ; elle réaliserait très bien par elle-même que ce n’était qu’une farce. La jeune femme lui parla enfin de sa visite chez son frère, moment attendu autant par elle que par August, qui avait eu l’impression de vivre lui-même cette histoire tellement il s’était intéressé au sujet, se montrant empathique envers Maxine. « Plutôt bien je crois … Il m'a cru c'est déjà ça. Puis bon, tu m'connais … Je vais pas sauter de joie pour si peu. » Pourtant, à sa place, August l’aurait fait. Qu’il ait eut la personnalité de Maxine ou la sienne. À ses yeux, la famille était tellement importante. « Vous vous reverrez ? » Demanda August, bien conscient que sa question était légitime, dans les circonstances. Si ça se trouve, il l’avait crue mais n’avait pas cherché à la connaitre davantage. Quelle triste erreur ce serait. Maxine avait beau se montrer bien distante et indépendante aux premiers abords, August avait pu découvrir une femme exceptionnelle sous ce visage parfois trop dur pour ses traits. Suite à cette mise au point concernant son frère et à quelques plaisanteries, Maxine s’informa de sa situation à lui. « Et toi alors, qu'est-ce que tu as fait pendant mon absence ? » Il haussa les épaules, servant un verre de rhum à un client qui s’était présenté au comptoir entre-temps. Il échangea le verre contre l’argent et, après l’avoir mise dans la caisse, se pencha de nouveau vers Maxine. Il se pencha un peu plus vers elle, comme s’il allait lui révéler le truc le plus impressionnant du siècle. « J’ai … corrigé des copies d’examens. » Annonça-t-il avec un sourire en coin avant de rire. « Alors il était plus que temps que tu viennes me sauver de cette routine et de cette solitude. » Il lui sourit encore une fois, avant de lui resservir du rhum, malgré ses sages paroles d’un peu plus tôt. Grande était sa déception, d’ailleurs, de ne pas pouvoir l’accompagner dans sa soif.

Sur ces mêmes tabourets, August en voyait défiler, des âmes. Des êtres heureux, des êtres torturés, des êtres brisés, des êtres à la recherche du bonheur et de l’amour, des êtres las. Il voyait, soir après soir, ces gens rentrer et sortir, seul ou accompagnés, comblés, délivrés ou encore plus enfoncés. August avait beau s’intéresser à toutes les histoires de toutes ces personnes, tout simplement parce que chacun d’entre eux avaient un bagage bien unique d’expérience, de victoires et de défaites, le propriétaire de la rhumerie ne s’attachait pas forcément à tous ces gens. Il les écoutait, tous, parce qu’August avait toujours l’oreille tendue pour autrui, mais il ne tombait pas forcément sous le charme de leurs histoires. Maxine, elle, avait su s’écarter de la masse, se rendre plus visible, plus démarquée, plus unique. August l’avait vue, réellement vue et surtout, comprise. Il se plaisait à l’écouter parce qu’elle lui donnait une nouvelle perception du monde qui les entourait. Il aimait l’entendre lui raconter ses histoires parce qu’elle avait un parcours bien à elle, à ses couleurs. Elle ne calquait son existence sur aucune autre, elle ne cherchait pas à devenir qui que ce soit d’autre qu’elle-même. Avec ses déboires et ses bons coups. Et c’était ainsi qu’August la cueillait et l’accueillait dans ses nuits et, peu à peu, dans sa vie. Le jeune homme lui sourit lorsqu’elle parla de tout le chemin parcouru pour voir son frère. Il hocha la tête. « J’m’imagine bien, oui. Mais lui n’est peut-être pas conscient de tout ce chemin que tu as parcouru. » Releva August, voulant lui faire comprendre que sa question se dirigeait plutôt sur les intentions de son frère de la revoir. Elle avait beau désirer rentrer dans sa vie, elle ne pouvait pas le forcer à l’accepter. Le professeur d’histoire ne tentait pas là de torturer Maxine avec ses suppositions, il voulait seulement qu’elle lui en dise davantage sur l’état de leur relation, sur sa vision de son évolution possible. Loin de lui le désir de faner ce sourire sincère qui s’installait parfois sur les lèvres de sa cliente. Finalement, ils parlèrent des nouvelles qu’August avait à lui apporter quant à lui, depuis tout ce temps. Malheureusement pour elle, ce n’était rien de très croustillant, et elle ne tarda pas à s’en plaindre. August éclata de rire à sa réaction, et baissa son regard vers sa main qui lui tapotait le bras en signe de compassion. « J’ai encore toute ma vie pour les grandes nouvelles. Pour le moment, ma petite vie tranquille me suffit. » Il haussa les épaules avec un mince sourire. Et puis, ses clients avaient pas mal d’histoires rocambolesques qui lui permettaient d’avoir un semblant d’action dans sa propre vie. Il vivait l’aventure à travers l’histoire du monde, mais aussi des histoires des autres. Maxine lui proposa alors de prendre un verre avec elle, prétextant que ces trois clients bien ivres ne partiraient de toute façon pas si August ne leur forçait pas un peu la main. Il les regarda tous les trois l’un après l’autre, puis hocha la tête d’un coup. « T’as raison, et puis, c’est de leur rendre service, au fond. » Parce qu’ils avaient sans doute mieux à vivre qu’ici, s’ils daignaient au moins ouvrir leurs yeux embrouillés. August se dirigea donc vers eux et les invita poliment à quitter la rhumerie, mentionnant que le last call était passé et que leurs verres étaient terminés. Après cinq minutes à ramasser leurs effets et à se traîner jusqu’à la sortie, ils n’étaient plus qu’un souvenir pour ces tables. August les avait rapidement nettoyées avant de revenir vers Maxine. « Bon, j’ai menti, le last call n’était pas réellement passé. J’te sers la même chose qu’à moi ? » Et August attrapa une bouteille que la plupart des clients n’osait pas se payer, et la brandit devant son amie. Il arqua un sourcil, un sourire malicieux égayant son visage.

Le temps, le fameux temps, celui qui apparemment guérissait tous les maux, effaçait tous les mauvais souvenirs et permettait aux pensées de se faire à l’idée d’à peu près tout. August doutait fortement que le temps était aussi miraculeux que certaines personnes le laissaient croire, mais il avait confiance dans le cas de Maxine. La famille, c’était sacré, alors peu importe ce qui se cachait derrière leurs histoires familiales, il croyait fortement à de belles retrouvailles entre eux deux. Il les souhaitait à la jeune femme, en tout cas. « Absolument. Et vous en avez encore pas mal devant vous. » Il sourit, réconfortant. Il ne connaissait pas l’âge du frère de Maxine, mais elle était plutôt jeune pour sa part, alors il ne devait pas être bien vieux non plus. Certes, on ne sait pas ce que demain nous réserve, mais en suivant le cours naturel des choses, on pouvait se douter qu’ils avaient encore bien des années devant eux pour apprendre à se connaître, à s’apprivoiser. Bien vite, ils bifurquèrent dans leur trajectoire et parlèrent plutôt d’August, lui qui n’avait pourtant rien de bien spécial à raconter. Maxine le réaliserait bien vite. C’était lui, le barman derrière son comptoir, dont les oreilles étaient faites pour écouter les problèmes des autres. Lui aurait pu être muet. « Un papi ? Moi, un papi ? » August se détailla lui-même de bas en haut, découvrant pourtant un style vestimentaire plutôt jeune qu’on lui reprochait d’ailleurs assez souvent au sein du corps professoral du lycée. « Non mais comment tu te permets, toi ! » Avoir eu un penchant pour le manque de respect, August aurait attrapé son jet d’eau sous pression pour en projeter sur Maxine, mais, quand même, il avait un certain savoir-vivre, le trentenaire. Et puis, il était propriétaire des lieux, ce n’était pas le moment de faire fuir les clients. Même s’il s’agissait de Maxine. Plus le temps passait, plus les deux adultes se sentaient dérangés par la présence des autres ivrognes dans la rhumerie, et d’ailleurs dès que la blonde proposa de les mettre à la porte, August obtempéra. Il revint finalement vers sa seule et unique cliente, sa préférée, avouant que le last call n’était pour elle pas encore passé. « Pas menteur. Plein de surprises. » Il lui fit un clin d’œil. En temps normal, il était vrai qu’il se serait apprêté à fermer boutique, mais pour elle, il était prêt à sacrifier encore quelques heures de sommeil. Maxine demanda à être surprise par sa consommation, et elle le serait de par la qualité du rhum dont il venait de prendre possession. « C’est officiel, ma chère ! Bientôt, t’auras un verre à ton nom, et ton portrait accroché au mur. » Blagua-t-il même si, connaissant Maxine, elle le prendrait au mot et lui réclamerait tous ces bonus à sa prochaine visite. Le professeur d’histoire versa le liquide ambré dans deux verres et en poussa un vers sa camarade de soirée. Il referma la bouteille même s’il se doutait bien qu’elle ne tarderait pas à être ouverte de nouveau. « Et si on jouait à un jeu ? Question de retomber dans mon adolescence et que je me sente un peu moins papi … » Mais pas un jeu à la con, non, quelque chose de plus intense. Digne d’eux.

Dès que les autres clients furent partis, l’ambiance changea. Ils se retrouvaient enfin tous les deux, et comme ce n’était pas la première fois qu’ils se retrouvaient seuls à la fermeture de tous les bars de la ville, dans le sien, August savait que le temps ne paraîtrait pas s’éterniser. Au contraire, en compagnie de Maxine, les minutes défilaient comme des fractions de seconde, comme par magie. « Toi, pas photogénique ? My ass. Ça prendrait une sacrée lentille de merde pour qu’une pose puisse t’enlaidir. » La complimenta August, dans la plus grande des sincérités même si son commentaire aurait pu se perdre parmi tous ceux que les grands séducteurs utilisaient. Si Maxine le connaissait aussi bien qu’ils le laissaient paraître aux autres, elle comprendrait. « Mais va pour un verre. Juste ton nom ou bien tu veux me faire une p’tite illustration à y imprimer dessus ? » Demanda August avec un rire, même si au fond, il était sérieux sur l’offre, si Maxine en voulait bien. Il était ce genre de propriétaire à laisser la place d’honneur aux clients fidèles, à les remercier de venir chez lui, nuit après nuit. D’ailleurs, ce n’était pas pour rien qu’August sortait à ce moment-même l’une de ses meilleures bouteilles de rhum. C’était une autre façon de remercier Maxine d’être ici mais aussi d’exister. Dans sa vie. August proposa alors un jeu, après avoir déposé les verres devant eux. Question de mettre un peu de piquant à cette soirée, maintenant que personne ne pouvait rentrer les déranger. Ils étaient dans leur petite bulle. « Ça s’appelle Flip, Sip or Strip. » Affirma August avec un petit sourire en coin, déjà amusé par ce qui approchait. Le propriétaire attrapa une pièce de monnaie parmi le pourboire amassé au cours de la soirée, et présenta la pièce à Maxine. « Tu me dis pile ou face. Si tu as bon, je bois un shooter … enfin, une grosse gorgée. Si tu perds, c’est toi qui bois. Je lance de nouveau la pièce, tu choisis de nouveau pile ou face. Si tu perds une deuxième fois, tu enlèves un morceau de vêtement. Si tu gagnes à nouveau, ce sera à moi de le faire … Et le jeu n'arrête que lorsque l'un des deux trouve que ça va trop loin.» Expliqua August, une voix légèrement plus suave qu’à l’habitude. Puis, il rigola légèrement. « Quoi, tu ne jouais pas à cela, adolescente ? » Il sourit en la regardant. Puis, pour débuter cette soirée avec un peu plus de classe déjà, ils trinquèrent, pour bien profiter de la première gorgée. Maxine s’exclama sur le goût du rhum ambré. « Profites-en, pendant que t’es encore capable de l’apprécier ! » Lâcha-t-il alors qu’il allait leur ouvrir un sac de croustilles pour ne pas boire avec un estomac complètement vide. Il versa le tout dans un bol et revint vers Maxine, cette fois en s’asseyant avec elle de l’autre côté du bar.

Quand Maxine lui affirma ne pas aimer être de ce côté de l’objectif, de ce côté où on se fait scruter sur tous les détails, sous tous les angles, August haussa les sourcils. « Je ne t’aurais jamais pensée timide. » Releva-t-il, même si au fond, il savait bien que ça ne relevait pas que de la timidité, d’être confortable ou non devant un photographe. Il y avait tellement de facteurs qui entraient en jeu pour ajouter à l’inconfort. August n’était pas forcément des plus à l’aise non plus, il préférait largement être celui qui capturait le moment, même s’il n’était pas un grand photographe. Toutefois, il ne refusait jamais de se prêter au jeu du mannequin, trouvant que les photographies étaient un des plus beaux souvenirs que l’on pouvait garder avec soi. D’ailleurs, il aurait bien aimé avoir l’image de Maxine accrochée à son mur de la gloire, pour toujours garder un souvenir de cette cliente si spéciale à ses yeux et dans son cœur. Dommage, elle avait refusé, et August n’allait tout de même pas lui forcer la main. « Ce sera ton cadeau d’anniversaire, alors. » Dit-il avec un sourire, avant de pencher légèrement la tête sur le côté avec un petit air amusé. « C’est quand ton anniversaire donc ? » Demanda-t-il, n’ayant franchement aucune idée de la date. Ils avaient beau bien s’entendre, ils n’étaient pas encore au point de s’ajouter sur les réseaux sociaux et d’avoir accès à toute la vie de l’autre sur support technologique. Bref, afin de profiter du fait qu’ils étaient maintenant seuls, August proposa de poursuivre la soirée avec un jeu d’alcool, comme dans le bon vieux temps. Certes, quelques années séparaient les deux adultes, mais les jeux d’alcool semblaient intemporels. « Faut quand même que je garde un minimum ma réputation de gentleman ! » Répondit-il avec un rire. Il était vrai que l’idée de voir Maxine nue lui avait souvent traversé l’esprit, mais il n’avait pas assez confiance en lui pour présenter directement ses désirs. « C’est ce que tu penses, mais peut-être que j’ai trois paires de boxers et quatre épaisseurs de chandails, là-dessus. » Lança-t-il en se pointant lui-même, ou plutôt en pointant le chandail suffisamment serré pour que Maxine en déduise qu’il s’agissait du seul morceau qu’il portait. Quand Maxine lui apprit qu’elle n’avait pas vraiment d’amis à l’époque de son adolescence, August fut plutôt attristé de la chose. Il ne le montra toutefois pas, parce qu’il savait à quel point un regard de compassion pourrait la blesser. Et puis, elle avait bien tournée, la Maxine. Amis ou pas, elle était devenue une jeune femme admirable, à sa manière. « Tu sais il se trouve que ces jeux sont beaucoup plus fun à jouer quand on a pris quelques années … » Il sourit. C’était sa façon de la rassurer, sans la plaindre. Et puis, c’était vrai. Ado, il était si peu sûr de lui, si peu en confiance, si ignorant de tout ce monde d’alcool et de sexualité, qu’il ne vivait le jeu qu’à travers la nervosité. Maintenant, c’était bien plus drôle. Il en ressentait bien mieux l’excitation, le désir, le plaisir, le danger même, parfois. Maxine choisit de prendre face, et August ne tarda pas à lancer la pièce en l’air, avant de la rattraper et de la poser sur le dessus de sa main, le côté pile vers le haut. « HA ! Bois, Mad Max. » Il sourit à pleines dents, comme un grand enfant.

Afin de pouvoir lui offrir le cadeau promis pour son anniversaire, August se devait évidemment de connaître ladite date d’anniversaire de Maxine. Sa réponse le fit sourire, elle devait bien le connaître pour lui sortir un long récit qui aurait aisément pu se résumer à une simple date. Cependant, August était un homme d’histoire et de n’importe quelle histoire, aimant les détails et les précisions. Le trentenaire la regarda avec un sourire, le regard pétillant. Il se demanda alors pour quelles raisons Maxine portait le nom de famille de sa mère. Ou alors peut-être était-ce sa mère qui avait pris le nom de famille de son père, même si les mariages entraînaient de moins en moins cette formalité. « Ah, j’avais bien cru remarquer que tu avais une pilosité plus abondante que d’autres, comme un loup-garou … » Plaisanta-t-il avec malice. Évidemment, Maxine ne correspondait en rien à la description qu’il venait d’en faire, c’était tout simplement une blague trop facile. Et comme August n’avait pas l’humour d’un humoriste, il se contentait des plaisanteries à laquelle n’importe qui pourrait songer. La blonde lui demanda, à son tour, quand était son anniversaire. « J’ai pas le souvenir que tu m’aies promis un cadeau … » Pas comme lui l’avait fait ! « Le 15 mai. 1984. » Ajouta-t-il après avoir fait un bref calcul, réalisant qu’ils n’avaient qu’un maigre quatre ans d’écart. Ça ne le faisait pas paraître trop vieux. Puis vint le moment de proposer un jeu, mêlant celui-ci à l’alcool de préférence, car les bouteilles de rhum ne s’alignaient pas derrière lui pour aucune raison. August ne se gêna pas plus que ça pour proposer un jeu qui les mènerait loin, beaucoup plus loin que ce à quoi ils s’en étaient toujours tenus l’un envers l’autre. Après tout, ils étaient seuls, il était tard, il faisait chaud. La parfaite combinaison pour enlever quelques couches. « Pas bien épais ? Je ne sais pas comment je devrais le prendre … » Releva-t-il avec un sourire. Il y avait une différence entre un homme mince mais bien défini et un homme-allumette. Finalement, la jeune femme l’attaqua tout de même sur son âge, malgré le faible écart. August leva les yeux au ciel. « J’savais que j’aurais dû m’en tenir au 15 mai seulement. » Il rit. Ils commencèrent finalement à jouer, Maxine perdant dès le premier lancer de la pièce. Une sur deux déjà. Tout de suite, elle accusa la tricherie. « Même pas besoin d’attendre, tiens, j’te prouve que je suis bon joueur. » Il tendit la pièce devant ses vieux, la faisant tourner entre ses deux doigts, pour dévoiler les deux côtés différents. « Statistiquement, c’est 50-50 à chaque tour. Mais tu serais très malchanceuse, ça oui. » Il rigola. Il lança la pièce en l’air, puisqu’elle avait choisi le côté face à nouveau. Quand la pièce retomba dans sa main, August baissa les yeux et éclata de rire, tendant la main pour montrer le résultat à Maxine. « La poisse, oui ! » Il arqua un sourcil, impatient qu’elle enlève un morceau même si, il le savait, elle jouerait avec lui en retirant une seule chaussette. Et ce serait fair play.