we shouldn't have to negotiate (andreas)

Cela faisait trois semaines tout au plus que leur week-end en amoureux avait tiré à sa fin. Andreas et Lennox avaient survécu au choc brutal du retour à la réalité, s’envoyant des sms et se rencontrant certains soirs après leurs boulots respectifs. Lennox s’était promis de transformer son appartement, de lui insuffler un vent de fraîcheur, et c’est ce qu’il avait fait. À commencer par sa chambre. Andreas avait, à sa première nuit chez Lennox, demandé à ce qu’ils dorment sur le futon du salon. Bien qu’il soit de bonne qualité, ce n’était pas ce qu’il y avait de plus confortable et même si ça l’était, il faudrait un jour ou l’autre qu’ils s’approprient cette chambre. Cette chambre qui avait autrefois été celle de Lou et de Lennox. Cet autrefois n’était d’ailleurs pas bien lointain. Deux mois à peine s’étaient écoulés depuis qu’elle avait poussé son dernier soupir. Deux mois sans elle. Deux mois à culpabiliser. Deux mois à tomber toujours un peu plus amoureux d’Andreas. Lennox avait toujours le cœur et la tête à l’envers, parce que ces blessures étaient de celles qui prenaient du temps à guérir. Mais, peu à peu, il se permettait de laisser tomber quelques barrières entre Andreas et lui. Pour leur bien. Pour aller mieux. Pour prouver au norvégien qu’il n’était pas qu’un pansement qu’il n’aurait qu’à retirer d’un seul coup quand il irait mieux. Andreas était bien plus qu’un bien-être passager.

Malheureusement, son petit ami n’était pas disponible ce soir. Il avait autre chose de prévu, ce qui leur arrivait à tous les deux de temps en temps. Par exemple, Lennox se réservait un soir par semaine pour Sacha, parce qu’ils avaient un cours d’autodéfense bouclé à leur horaire. Un cours auquel ils s’étaient inscrits à deux, pour Sacha, pour qu’elle aille mieux suite à son agression. Pour qu’elle se sente en sécurité de nouveau. Cette activité faisait du bien à Lennox aussi, par le fait-même, parce qu’il réalisait que le fait de se sentir entouré le valorisait, de plus en plus. Son amitié avec Sacha et sa relation avec Andreas étaient sans doute ce qui avait procuré au notaire le plus de joie, cette dernière année.

Bref, plutôt que de passer la soirée seul alors qu’il redoutait constamment ces moments dorénavant, Lennox décida de se rentre au centre de Bowen, à la salle des fêtes, où se déroulait ce soir l’annuel concert de jazz. L’année dernière, il était tombé sur Effy, par hasard, et la soirée avait pris une tournure des plus uniques. C’était toujours comme ça, avec Effy. Ils ne se voyaient toutefois plus, ces deux-là, et sans doute était-ce mieux pour Lennox. Pour elle aussi, en quelque sorte. Ils se tiraient vers le bas, alors que ces temps-ci, Lennox rêvait de voler. En arrivant à la salle, où le band de jazz avait déjà commencé à jouer, le trentenaire chercha une table libre où il pourrait commander un verre d’eau gazéifiée et profiter de la musique. Son regard se posa sur une table occupée, et pas par n’importe qui. Andreas, et un autre homme, qu’il ne connaissait pas. Ils étaient là, ensemble, entourés d’autres gens étrangers aux yeux de Lennox. Il déglutit, pensa à tourner les talons et s’en aller, mais une pulsion des plus négatives le persuada de rester. De se trouver une table solo, de s’y asseoir, et de regarder Andreas. De le surveiller, même, sans doute.  

Incapable de détacher son regard de ce qui ressemblait tellement à un rendez-vous galant, rendez-vous que Lennox et Andreas n’avaient jamais encore eu la chance de vivre ensemble, le notaire ne pouvait s’empêcher de laisser la pointe de jalousie se transforme en un raz de marée de sentiments négatifs. Il avait l’impression d’être un volcan prêt à exploser, sentiment qu’il n’avait pas ressenti depuis cette fois où il avait lu la rumeur concernant l’infidélité de Lou. Ce foutu blog allait avoir sa peau, à Lennox. Si ces gens voulaient le pousser vers le gouffre, c’était réussi. À force de regarder son amoureux sourire à cet homme, cet homme qui n’était pas lui, il avait l’impression que ses pieds étaient bien au bord de la falaise. Pourtant, il savait que c’était sans doute un de ses rendez-vous pour son deuxième boulot. Celui dont ils avaient parlé dans la rumeur. Cette même rumeur qui avait accusé Lennox d’être avec Andreas alors qu’il aurait dû être en deuil de Lou. Cette même rumeur qui n’avait fait que renforcer la culpabilité étouffante qu’il ressentait à chaque fois qu’il prenait conscience de ses actes, de ses sentiments. N’en pouvant plus de cette boule qui pesait sur son être, dans son ventre, dans sa gorge, Lennox arrêta un serveur quand ce dernier fut à la hauteur de sa table, et il lui commanda un gin tonic. Il ne devrait pas, il n’aurait pas dû, et pourtant, dès que le cocktail arriva devant lui, Lennox s’en empara et il l’avala d’un trait. Quand il reposa son regard sur Andreas, sa main était dans celle de l’homme, et ce dernier se penchait à son oreille pour lui murmurer des mots que Lennox ne voulait même pas connaître. Il détourna le regard, malade d’amour face à cette scène qui était bien pire que ce qu’il aurait pu s’imaginer quand Andreas lui avait parlé de son boulot. Il aurait préféré ne jamais venir ici ce soir. D’ailleurs, il se prépara à s’en aller, à réserver sa colère à Andreas pour une autre fois mais le norvégien se leva. Il passa à quelques mètres du trentenaire, ne croisant pas son regard insistant sur lui. Il rentra dans les toilettes, rapidement suivi de l’homme en sa compagnie. Ne voulant pas croire ce qui était en train de se passer devant ses yeux, Lennox commanda un second gin tonic. Peut-être était-ce sa tête qui s’enflammait déjà, après tant de mois passés sans une seule goutte d’alcool, ou peut-être était-ce ses tourments mêlés à sa frustration, mais le notaire se leva d’un bond et se dirigea vers les toilettes. Il voulait qu’Andreas lise dans son regard toute sa tristesse, sa déception, sa désolation.

Il poussa la porte desdites toilettes et il tomba sur l’homme, pressant Andreas contre le mur dans un mouvement qui semblait peu empreint de douceur. Le norvégien semblait tenter de se défaire de son emprise, en vain – du moins, c’était ce que le notaire espérait bien interpréter. Lennox parcourut la distance entre la porte et le mur opposé, où ils se trouvaient, en quelques secondes. Il agrippa l’inconnu par les épaules et le tira vers lui, loin d’Andreas par le fait même. « Get your fucking hands off him ! » Dit-il d’une voix forte, d’une voix dure. Voyant l’homme massif revenir à la charge, l’assenant d’insultes, Lennox n’hésita pas à lui en flanquer une en pleine gueule. Ça lui rappelait cette fois, avec Sacha. À en croire que le notaire perdait plus rapidement le contrôle qu’il ne le pensait. Qu’il pouvait en venir aux poings, à la violence, aussi vite que ça. L’inconnu les injuria tous les deux avant de s’en aller des toilettes, furibond, la main sur sa joue, les laissant seul. Lennox était de dos à Andreas, face à la porte. Sa respiration était haletante, à cause du stress, de l’adrénaline, de cet élan brusque. Il ferma les yeux, le corps raide et droit. « Qu’est-ce que tu faisais avec lui ? » Ici, dans les toilettes, seul avec lui. Que comptait-il faire ? Qu’est-ce qui lui était passé par la tête ?

Il rouvrit les yeux en entendant un bruit de glissement derrière lui, mais il ne se sentait pas prêt à affronter le regard d’Andreas. Il ne savait pas ce qu’il y lirait. De la culpabilité, de la peur, des remords, de la tristesse, Lennox n’en avait aucune idée. Et bien que certaines de ces émotions auraient pu le calmer, d’autres pourraient aussi le faire déguerpir. Il n’était pas prêt à décider s’il préférait rester auprès de l’homme et tenter de comprendre, ou fuir et se refermer. Ces derniers mois avaient réellement challengés Lennox dans sa façon de confronter la vie, dans sa manière de gérer le chaos qu’était son existence, sa personne. Le silence qui avait fait suite à sa question lancée abruptement commençait être s’éterniser. À s’alourdir. Se tourner vers l’homme qu’il aimait, ou lui tourner le dos et s’en aller, tel était le dilemme interne du trentenaire. Avant d’atteindre un choix, avant de prendre une décision qu’il aurait pu regretter, la voix du norvégien s’éleva et fit écho entre les murs de ces toilettes publiques. Lennox tourna la tête vers l’homme au même moment où celui-ci baissait le bras pour déposer son téléphone portable au sol. Les yeux du notaire suivirent d’abord l’appareil, avant de se poser sur le visage déconfit d’Andreas. Les paroles qu’il prononça ensuite envahirent Lennox comme une décharge cruelle et mortelle. Parce qu’il comprit alors que l’ambulancier n’avait rien voulu de ce qui venait de se dérouler devant leurs yeux. Il comprit que l’inconnu qu’il venait de frapper aurait mérité bien plus que ça. Que ce profiteur avait voulu agresser l’homme qu’il aimait. Lennox, inévitablement, fut replongé dans sa torpeur d’il y a deux mois, quand Chase lui avait révélé que Lou ne lui avait pas été infidèle, ou du moins … pas volontairement. Qu’elle avait dit non, qu’elle s’était faite forcée, qu’elle ne le voulait pas. Lou avait été agressée sexuellement. Et la même chose aurait pu se produire ici-même, ce soir, pour Andreas, si Lennox n’était pas arrivé. Les pensées confuses par l’alcool empoisonnant son sang, le mélange avec ses antidépresseurs, et tout le choc de ce qu’il venait de comprendre, Lennox ne réagit pas tout de suite. Puis, sortant de sa transe, il s’agenouilla face à Andreas. D’une voix plus douce, il demanda, tout en caressant son avant-bras : « Est-ce qu’il t’a fait mal ? » Certes, il lui avait fait mal, psychologiquement. Ça ne faisait aucun doute, à en voir le trouble dans les yeux d’Andreas. « Si je le revois, j’te jure … god … il ne s’en sortira pas. (...) Pas aussi facilement. » Parce que là, il s’en était sorti, trop bien pour ce qui aurait pu se passer pour Andreas. Lennox s’était toujours promis que s’il se retrouvait devant l’agresseur de Lou, il lui ferait payer pour cette atrocité. Ce serait la même chose pour cet homme, dont il connaissait le visage, au moins. « J’peux plus supporter que tu fasses ça, Andreas. J’le pouvais déjà pas, j’faisais des efforts mais maintenant … après ce soir … je ne veux plus. » Supplia-t-il en secouant doucement la tête.

Lennox hocha la tête, soulagé qu’Andreas n’ait pas eu mal à cause de ce connard. S’il avait fallu qu’il l’empoigne trop fort, qu’il le brutalise au point de le blesser, le notaire aurait sans doute cherché à aller le retrouver, et dès maintenant. Heureusement, il y avait eu plus de peur que de mal mais ça, ce n’était qu’en raison de l’arrivée de Lennox. Cela n’enlevait rien à ce que cet inconnu avait fait, parce que s’il l’avait pu, il serait sans doute allé plus loin. C’est alors que le trentenaire demanda, ou plutôt implora Andreas, de cesser ses activités pour ce deuxième job. Il n’en pouvait plus, déjà qu’à la base il n’appréciait pas l’idée, alors maintenant il la détestait. Des hommes de ce genre, il y en avait bien plus qu’on pouvait croire, la preuve Lou aussi en avait été victime. Lennox ne supporterait pas l’idée de laisser son petit ami s’en aller dans les bras d’un parfait inconnu ; il n’avait pas assez confiance en les autres pour ça. En Andreas, si. Mais pas en ces gens qui ne répondent que de leurs pulsions les plus basiques. Au plus grand plaisir du trentenaire, le norvégien accepta, et en fit la promesse, d’ailleurs. Il arrêterait. « Je sais, je sais … Je sais que ça a dégénéré, t’inquiète pas. » Maintenant, il le savait, oui. Maintenant qu’il avait vu la peur et le regret dans les yeux d’Andreas, maintenant qu’il avait compris que sa venue aux toilettes était un appel à l’aide, pas un appel au sexe avec cet étranger. Si la jalousie avait dicté tous ses gestes un peu plus tôt, c’était dorénavant le soulagement qui l’habitait.

Jusqu’à ce qu’Andreas lui demande comment il avait su qu’il se trouvait ici, et s’il l’espionnait. Les joues légèrement rosées, Lennox secoua la tête de droite à gauche en se justifiant : « N-non, non … enfin … p-pas vraiment. » Il fronça les sourcils, se calmant pour mieux s’expliquer. Il n’avait rien fait de mal, il n’avait pas à se sentir aussi nerveux. « J’aime beaucoup le jazz, et j’assiste toujours à ce concert annuel … Mais c’est vrai qu’en arrivant, j’t’ai vu et … et que j’t’ai pas quitté des yeux. Ça me rendait malade de t’voir avec cet homme … même si je savais que … que c’était pas du vrai. » Expliqua-t-il. Cela expliquerait peut-être aussi l’odeur de gin qui émanait de lui, même si ça ne le pardonnait aucunement d’avoir ainsi cédé à la tentation. Des mois de sobriété foutus en l’air. Il avait devoir recommencer tout le processus. Et il en avait honte. Andreas le sortit de ses pensées en le remerciait d’être là. Lennox hocha la tête. « Bien sûr. » Il serra le norvégien contre lui, puisque ce dernier avait engagé l’étreinte. À ce moment-là, un homme entra dans les toilettes, les toisa du regard avant d’aller s’installer à un urinoir. Lennox se défit doucement de l’étreinte, esquissant un mince sourire à l’adresse de son petit ami. À la sortie du troisième homme, ce dernier souffla un léger faggots qui troubla Lennox. Il baissa les yeux au sol, ramassa le téléphone portable d’Andreas qu’il lui remit, avant de déclarer : « On peut s’en aller ? » Demanda-t-il, visiblement inconfortable.

Ils se relevèrent tous les deux, après avoir été dérangés par un homme venu aux toilettes au moment même où ils osaient s’étreindre. C’était pour des regards et des commentaires du genre que Lennox vivait aussi mal leur relation à découvert. Il avait lui-même une assez mauvaise estime de lui-même ; il n’avait pas besoin que d’autres viennent s’en mêler et le rabaissent à leur tour. Le notaire suivit Andreas hors des salles de toilette publiques et, avant de quitter, le norvégien réalisa qu’il n’avait pas emporté avec lui tous ses effets personnels. Ils se dirigèrent donc vers la table qu’il occupait précédemment, cette table que Lennox avait fixée pendant de longues minutes, guettant tous les mouvements des deux hommes qui y étaient assis. Andreas n’y retrouvera rien de ce qu’il y cherchait. Grimaçant, tout aussi dépité que son petit ami, Lennox s’assit en face de lui et se retint de poser une main rassurante sur sa cuisse. Il le regarda, tout simplement. « Dis pas ça. Rien d’tout ça n’est d’ta faute, ok ? N’y pense plus … on règlera tout ça demain. » Ensemble. Parce que visiblement, Andreas n’était pas dans son assiette – et il avait toutes les raisons du monde de se sentir de la sorte -, et Lennox ne voulait pas le laisser seul là-dedans. Andreas avait toujours été là pour lui quand ça n’allait pas, quand il atteignait le fond du trou, et jusqu’à maintenant le trentenaire s’était efforcé d’agir de la même façon envers son amoureux. Par des petits gestes comme ceux-là, il arriverait à être à la hauteur de l’homme qu’Andreas était. Le norvégien se releva, d’un coup, et Lennox fit de même, le sentant prêt à partir. Il hocha la tête à sa question, et esquissa un mince sourire quand l’ambulancier mentionna le Lennox tactile. Comme s’il existait plusieurs versions de Lennox … et sans doute était-ce ce qu’il faisait sentir à Andreas. Oh, il avait si hâte de pouvoir être constamment le même avec lui, peu importe les circonstances. « Oui, j’te ramène chez moi … allons-y. » Il avait bien dit qu’il s’en foutait, alors que Lennox lui ne s’en fichait pas. Il préférait de loin être chez lui, rien que tous les deux. Il emboita donc le pas à l’homme et ils regagnèrent la voiture de Lennox. Une fois stationnés, le notaire alla rejoindre Andreas de l’autre côté de la voiture et attrapa sa main. Il était tard, il faisait sombre, la rue était vide. Ils montèrent jusqu’à l’étage de son logement, en silence. Une fois la porte de son appartement refermée, Lennox se tourna vers Andreas et le prit dans ses bras. « Je suis désolé de ce qui t’es arrivé ce soir … Mais maintenant j’suis là, tout va bien aller. » Il passa une main dans les cheveux de l’homme, le menton toujours posé sur son épaule pendant leur étreinte.

Lennox ferma les yeux tout en gardant Andreas bien contre lui. Ils avaient assez attendu, maintenant ils devaient en profiter. Évidemment que ça pesait également le notaire, de se cacher constamment, de compter les heures et les minutes avant de pouvoir embrasser de nouveau son amoureux, alors qu’il ne devrait même pas avoir à se l’interdire. Et pourtant, Lennox s’entêtait à les empêcher de vivre leur amour au grand jour. À ses yeux, il était encore trop tôt par rapport aux autres, par rapport à Lou. Même si lui savait que son amour pour Andreas était vrai, qu’il était justifié, il avait peur que les autres ne puissent comprendre. C’était à travers leurs regards que Lennox n’était pas prêt de vivre sa relation amoureuse. Mais le serait-il un jour ? Après tout, y avait-il vraiment un bon moment pour tourner la page sur sa défunte fiancée ? À partir de quand était-il convenable de tomber amoureux d’une autre personne ? Sans doute était-ce différent pour chacun, et Lennox se comptait chanceux d’avoir pu aimer à nouveau, et aussi vite. Parce que sans Andreas, sans doute ne serait-il plus de ce monde. Malheureusement, il le remerciait d’une bien piètre manière. Il lui faisait subir sa culpabilité, sa réticence, ses doutes, sa peur, son deuil. À chaque pas qu’ils voulaient faire vers l’avant, Lennox les ramenait vers l’arrière. Ce n’était pas juste, mais Andreas savait ce qui l’attendait en tombant amoureux du trentenaire. De la souffrance. Il avait été prévenu.

Leur étreinte prit fin quand le norvégien se détacha de lui pour attraper sa main et l’entraîner sur le canapé. Lennox l’y suivit, en silence, en douceur, et s’assit tout juste à côté de lui, leurs pieds s’entrelaçant. Leur proximité devenait de plus en plus intime. Le notaire leva son regard vers les yeux hésitants d’Andreas, qui osa finalement lui poser la question qui brûlait sans doute ses lèvres depuis qu’ils avaient quitté la salle de spectacle. « Je suis désolé … c’est plus fort que moi … » Il était de nature jaloux, il était possessif, il était dépendant affectif. Il avait tellement peur qu’on l’abandonne qu’il s’imaginait un tas de scénarios. Ce qui avait le don de repousser les gens, et d’avoir l’effet tant redouté. Lennox se ramassait toujours seul, au final. Andreas avait beau croire le contraire, pour le moment, il finirait lui aussi par partir, le quitter, un jour ou l’autre. Quand il lui demanda s’il lui ferait confiance un jour, Lennox sentit son cœur se déchirer. Il pencha légèrement la tête, blessé. « Ce n’est pas que je ne te fais pas confiance, Andreas … Je sais que tu m’aimes, je … je le sais. Mais j’fais pas confiance aux autres, et surtout j’me fais pas confiance à moi … J’finis toujours pas pousser les autres à bout. » Expliqua-t-il, sachant fort bien que ça ne suffirait pas. Mais c’était la vérité. Le problème de Lennox n’était pas envers les autres, il était envers lui-même. « Je ne sais pas ce que j’avais en tête, ce soir, je ne sais pas ce que je m’imaginais … mais quand il t’a suivi j’ai eu … tellement mal. Parce que même si je savais, au fond, que tu n’étais pas réellement avec lui, je savais aussi que tu vivais avec lui ce que tu ne vis pas avec moi … Une relation qui se vit au-delà des murs de chez moi. » Il caressa doucement la main de l’homme, l’émotion le gagnant légèrement. « Et j’ai eu peur que tu te lasses d’attendre après moi. » Avoua-t-il, sachant fort bien que c’était lui le problème. C’était toujours lui, le problème.

Il était vrai qu’au départ, l’attente devait être bien plus longue que cela. Ils avaient prévu se retenir pendant des mois avant d’exprimer la moindre marque d’affection entre eux, même lorsqu’ils étaient cachés du reste du monde. Pourtant, quelques semaines plus tard, ils s’étaient isolés des autres en partant dans ce qui deviendrait éventuellement leur nid d’amour, leur cachette secrète, leur point d’évasion. Ce chalet au bord du lac aurait une grande signification pour eux. Ce serait un endroit rempli de souvenirs, et un endroit qui ferait miroiter leur avenir sur le reflet de son eau à la rosée du matin. Ce week-end en amoureux les avait propulsés dans leur relation, et le temps d’attente s’était donc vu diminué de moitié tout d’un coup. Certes, Lennox ne se sentait pas encore prêt à vivre leur amour au grand jour, déjà qu’il n’était pas encore capable de le dire à voix haute, mais au moins ils pouvaient se toucher, s’embrasser, se caresser. Se faire l’amour, si l’un ou l’autre trouvait le courage de refaire les premiers pas. Quand Andreas releva justement le fait qu’ils n’avaient plus à attendre pour se toucher et s’embrasser, tout en se rapprochant doucement de lui pour l’embrasser et glisser ses doigts sur son bras, Lennox souriait bêtement, excité par ces rapprochements. Il n’avait pas oublié les événements de ce soir, mais le souffle chaud d’Andreas contre sa peau lui permettait de les compartimenter pour le moment. « J’en suis persuadé aussi. J’t’assure que j’ai hâte, moi aussi, de te tenir la main en public, de t’embrasser au coin d’un trottoir, de sortie en compagnie de tes amis … Mais j’veux être prêt justement pour que quand le moment arrivera, tout se passera bien. » Il sourit. Il avait bien trop le don de tout foutre en l’air dès le premier faux mouvement. Cette fois, il désirait s’assurer que rien ne pourrait le faire changer d’avis ou reculer. Il voulait se sentir assez à l’aise dans cette nouvelle relation, dans son … homosexualité, avant de se lancer les yeux fermés dans ce qu’il ne connaissait pas encore.

Andreas l’avait alors tiré vers lui, et ils demeurèrent enlacés l’un contre l’autre, sur le divan. C’est alors que le norvégien parla du sujet dont il ne fallait pas parler, du moins Lennox ne s’en était pas senti capable jusqu’à présent. Mais puisque c’était son copain qui l’avait abordé, il se dit que c’était le temps ou jamais de se vider le cœur sur cet article des Writers. De parler de ses peurs, de ses doutes, de ses frustrations par rapport à cette intrusion dans leur vie privée. « Tu sais à quel point j’ai du mal à ignorer ce qu’on dit de moi … Parce que souvent c’est le reflet de ce que je pense de moi-même. J’en peux plus de ce blog … Je sais que les commentaires en général me soutenaient là-dedans mais … mais peut-être que ça a été dit pour bien paraître, peut-être que ces gens-là pensent exactement comme les auteurs de l’article, au fond … » Il soupira. Il se faisait les pires scénarios, encore. « J’en sais rien … J’vais juste … attendre qu’on m’oublie. » Lâcha-t-il. Un jour, c’est vrai, les gens oublieraient sans doute cette rumeur, ils oublieraient cet homme qui avait tourné la page sur sa défunte fiancée pour aimer un homme, ils oublieraient Lennox. Et alors Lennox pourrait enfin vivre.

Andreas mentionna être fatigué, après tout ce qui s’était passé ce soir. Lennox sourit à la proposition de mettre du jazz. « Non, ça ira … Il y en aura d’autres, de soirées du genre. Et cette fois, c’est à mon bras que tu iras … » Dit-il, confiant qu’au prochain concert, il serait en mesure d’amener Andreas comme partenaire. Il n’irait peut-être pas danser comme il l’avait fait avec Effy, mais ils pourraient écouter ensemble, main dans la main, et profiter à deux. Toujours confortablement collé sur le torse d'Andreas, Lennox releva alors la tête pour embrasser son homme, prolongeant le baiser avant de s'éloigner de son visage de quelques centimètres, afin de lui dire : « Tu sais j’ai … j’ai réaménagé ma chambre … J’avais besoin de changement, t’avais raison. Maintenant tu … tu seras le premier et … et le dernier, à dormir avec moi dans ce décor, sur ce matelas, dans ces draps … » Lui apprit-il, pensant que ça pourrait le convaincre d’enfin délaisser le futon pour aller dormir dans un vrai lit, cette nuit.

Il comprenait que trop bien comment Andreas devait se sentir. Après tout, Lennox vivait constamment dans la peur de faire une gaffe, alors il pouvait très bien transposer ses craintes à celles du norvégien. Pour le rassurer, après avoir doucement haussé les épaules, il lui répondit : « Ce ne serait pas la fin du monde, tu sais … Et puis, ça m’habituerait peu à peu. » Il ne voulait pas qu’Andreas se mette constamment des freins, parce qu’il en viendrait à en vouloir à Lennox, peut-être, et ça, le notaire ne le voulait pas. De toute façon, comme ils en parlèrent rapidement, tout le monde ou presque était maintenant au courant de leur idylle. Se cacher ne servait plus à grand-chose, si ce n’était que de laisser à Lennox le temps de s’habituer à sa nouvelle réalité et aux regards des autres. Pour Andreas, il ferait l’effort de ne pas trop traîner là-dessus. Malgré tout, son manque de confiance fit en sorte qu’il remettait en question même les sages paroles de ceux qui voulaient bien prendre sa défense sur le blog des Writers. Le raisonnement d’Andreas était logique, c’était ce que n’importe qui aurait pensé, mais Lennox se compliquait toujours la vie, et les pensées. « Je sais bien … » Il prit une grande inspiration, puis relâcha tout l’air dans ses poumons. « J’n’ai plus trop envie d’y penser, en fait, à cet article … » Ce blog l’avait déjà assez détruit au fil des années. Il voulait s’en détacher, un peu, une bonne fois pour toute.

Question de changement complètement de sujet et d’air, Lennox parla de sa nouvelle chambre toute redécorée, sachant fort bien que cela pousserait Andreas à aller y jeter un coup d’œil, et y passer la nuit sans doute. Comme de fait, l’ambulancier se leva et entraîna le notaire vers la pièce suivante, juste en haut des petits escaliers en plein milieu salon qui menait à l’autre demi-étage, où sa chambre et la salle de bains se trouvaient. Andreas passa ses bras autour de Lennox et posa son torse contre son dos en contemplant le travail. Lennox souriait. « On en avait besoin tous les deux. Pour passer à l’étape suivante … » Lui confia le trentenaire, avant de rigoler tout légèrement quand son copain le tira vers le lit, caressant doucement sa peau. Lennox leva les yeux vers lui et posa ses lèvres sur les siennes, d’abord bien sagement, avant de laisser l’excitation le gagner et prendre le contrôle de ses gestes de plus en plus assurés et osés. Il s’arrêta un moment, pour regarder Andreas, et lui demander : « Cette fois, je veux que ce soit toi qui … qui prenne le contrôle. » La dernière fois s’était plutôt mal déroulée, et Lennox ne comptait pas refaire la même erreur deux fois. Et puis, il savait bien que tôt ou tard, lui aussi devrait expérimenter l’autre rôle lors des relations sexuelles. Aussi bien en finir avec la crainte et l’incertitude, question que ça ne soit plus un frein pour lui.