I wanna be yours - (igloo #9)

Un grand sourire gagna le visage de Reyansh alors que Joséphine complimentait le concept de sa librairie. Dans les faits, il n’avait aucun mérite, comme il le lui avait mentionné ce n’était pas une idée révolutionnaire qui sortait tout droit de sa tête. Le concept avait été vu dans plusieurs villes à travers le monde, c’est juste que lui avait décidé de ramener l’idée au Queensland. Il ne pensait pas qu’il y ait ce genre de librairie ailleurs dans la région, hormis dans une grande ville comme Brisbane. Il avait été heureux de voir qu’une ville moyenne comme Bowen avait bien accueilli son commerce. Et il était ravi de constater que même si la place demeurait inconnue pour certaines personnes, comme Joséphine, l’effet d’agréable surprise demeurait. C’est à force d’en parler qu’il agrandirait sa clientèle. Peut-être que Joséphine serait la prochaine à venir tester l’endroit ! En tout cas, elle semblait convaincue d’y passer un jour. « Je pense aussi que c’en est la définition parfaite ! » Se réjouit-il, le sourire dans la voix. « Je suis en train de mettre en place un système d’accord vin et livre, plutôt que vin et mets. Ça demande pas mal de boulot mais pour le moment, je pense que les gens apprécient l’idée ! » Continua-t-il, visiblement passionné par sa petite business. Reyansh ne vendait peut-être pas ses oeuvres d’art mais il arrivait quand même à vivre de deux autres de ses passions, tout en s’amusant avec le tout. Il se considérait très chanceux. Parlant de passions, le libraire questionna sa partenaire de la soirée sur les siennes. « Ah oui, ça ne doit pas être rose ou joyeux très souvent dans votre domaine. Vous êtes avocate de la défense, ou procureure de la Couronne ? » Reyansh avait suffisamment regardé de séries télévisées australiennes pour connaître un minimum le système de justice du pays. Ses questions n’iraient probablement pas plus loin que ça, mais c’était déjà ça ! Leur conversation prit une courte pause un peu plus tard, lorsque l’artiste se leva pour aller leur commander une bouteille de vin, qu’il ramena à leur igloo plongé dans la pénombre. Ses yeux s’habituèrent de nouveau à l’obscurité, assez vite. « Je ne sais pas si je suis un connaisseur de verser dans le noir, mais j’accepte le défi ! » Se moqua Reyansh, sentant que lui aussi pourrait être bien gauche, privé de ses sens. Il attrapa les deux coupes après plusieurs tentatives à les localiser. Il en définit le contour du bout de ses doigts, emmenant le col de la bouteille tout près des verres, pour être bien certain de rester enligné. Il réussit à verser le liquide dans les deux coupes. « Je ne sais pas quelle quantité j’ai versé, mais bon, il y en a dedans, c’est l’important ! » Il rit légèrement. « Je vous tends la vôtre. » Elle pourrait essayer de la saisir, entre eux deux.

Ecouter Reyansh s'exprimait sur son métier était très intéressant et me donnais vraiment envie de visiter son commerce. Je me voyais déjà avec un bon verre de vin rouge, australien bien sûr, sur la terrasse de mon loft accompagnée d'un livre, les pieds en éventail. Je pourrais très probablement me perdre quelques heures à cette activité tout en laissant de côté mon travail et mes problèmes personnels. Toutefois, j'avais du mal à comprendre comment il allait pouvoir accorder la lecture au vin, c'était assez personnel et en même temps très varié. Je décidais donc de l'interroger sur son idée :

"- C'est une très bonne idée de pouvoir accorder son vin par rapport à sa lecture mais ça doit être assez complexe non ?"

Mon compagnon du jour m'interrogea ensuite sur mon travail qui se trouve également être ma passion. Depuis que j'ai repris le cabinet de mon paternel, je vis pour ce dernier. Je passe un nombre incalculable d'heures à travailler, à gérer mon équipe mais surtout à traiter un nombre incalculable de dossier. J'aime l'idée de défendre une personne, une société ou autre qui ont besoin d'aide. J'aime leur tendre la main et passer des heures à mon bureau pour réussir à trouver la faille quitte à oublier de manger, de dormir ou même d'aller aux toilettes des fois. Heureusement pour moi, ma secrétaire pense souvent à me ramener dans le présent. Je répondis donc à mon interlocuteur d'un soir avec toute la passion que j'ai pour ce métier :

"- Avocate de la défense. Quand j'ai décidé de faire du droit, j'ai hésité mais je me suis bien vite rendue compte que j'avais besoin de défendre ceux qui ne peuvent le faire. Mon père faisait le même métier, il a surement influencé mon choix aussi."

Reyansh nous servit le vin et je gardais le silence pendant ce laps de temps. Servir du vin à la lumière était déjà un art à part entière alors le faire dans la pénombre était une tâche bien compliquée, trop à mon goût. Il sembla le faire avec un certain naturel. Au vu de son métier, rien d'étonnant, pensais-je.

"- Ok, j'essaie de prendre mon verre...Sans en renverser bien sûr. Ce n'est quand même absolument pas pratique. C'est bon, je crois que je l'ai. Oh pardon."

Tout en saisissant le verre qu'il me tendait, j'avais effleuré le bout de sa main. Je battis vite en retraite tout en tenant fermement mon verre. Je n'avais pas prévu ce contact et je préférais m'excuser auprès de Reyansh s'il ne souhaitait pas ce contact. Je savais, par expérience, que toucher quelqu'un n'était pas anodin.

Comme plusieurs autres personnes ayant entendu son idée, Joséphine était assez étonnée et curieuse de comprendre le processus. Il sourit en pensant à Polly, qui l’avait pas mal aidée à sortir des accords. Il hocha la tête bien qu’inutilement, puisqu’ils étaient dans le noir. Au moins, son sourire paraissait dans son ton de voix, il ne souriait donc pas pour rien. On ne sourit jamais pour rien, de toute façon. Reyansh se lança : « Alors oui, c’est assez complexe, mais j’y vais avec mon propre ressenti d’une lecture. Par exemple, si je termine un polar très intense, qui m’a tenu en haleine de la première page jusqu’à la dernière, alors je proposerai, pour accompagner la lecture, un vin très intense, long en bouche. Ou alors, si je lis un livre qui se déroule beaucoup en nature, quelque chose lié au plein air, pourquoi pas un vin qui a un profil boisé ! Bref, vous voyez un peu le genre … ! » Reyansh n’avait pour le moment associé que quelques vins à quelques livres, ce n’était pas encore très élaboré comme proposition, mais assez pour offrir quelques exemples à Joséphine. Il s’arrêta à deux, il jugea que c’était suffisant, plutôt que de la bombarder alors qu’elle avait sans doute compris. Ce fut ensuite au tour de la jeune femme de parler un peu de son métier, un métier qui intéressait également Reyansh. Le monde juridique était tellement montré à la télévision, sous toutes ses coutures, mais il ignorait si cela représentait la réalité. Il ne s’était jamais retrouvé en cour pour le savoir – heureusement d’ailleurs ! « J’imagine qu’on vous a posé la question cent fois déjà et je m’excuse … Mais ça doit être confrontant, non, quand vous savez que votre client est coupable ? Comment arrivez-vous à mettre ça de côté pour bien le défendre ? » Parce qu’elle en défendait sans doute qui se retrouvaient injustement là, mais il y avait sûrement aussi qui auraient mérité de se retrouver derrière les barreaux. Joséphine l’éclaira là-dessus et, lorsqu’ils eurent fait le tour du sujet, l’homme alla leur chercher une bouteille de vin pour débuter le repas. « Ne vous excusez pas … On fait comme on peu dans les circonstances, hein ! » Il sourit. « Et puis … ce n’était pas désagréable de sentir que vous êtes bien là, physiquement. Que vous n’êtes pas qu’une voix devant moi. » Osa-t-il lâcher ensuite, la voix un peu plus suave. C’est à ce moment que le serveur arriva avec les plats qu’ils avaient commandé un peu plus tôt. Il les déposa avec aisance face à chacun d’eux. Il devait avoir fait ça pendant des années, servir dans le noir. Une fois le serveur éclipsé, Reyansh leva son verre dans les airs. « Bon alors, à la vôtre, et bon appétit ! »

Je me sentis un peu gênée en entendant les paroles de Reyansh d'une voix différente d'auparavant. Sentir la présence de l'autre sans le voir était effectivement une expérience nouvelle mais pas déplaisante également de mon côté. Je voulus lui faire savoir mais je fus interrompu par le serveur qui nous amena les assiettes avec une belle dextérité. Je me demandais bien comment il faisait ça. J'avais moi même eut un petit travail de serveuse lors de mes études et je m'étais rapidement rendue compte que ce n'était pas fait pour moi. La moitié de mes commandes se retrouvaient sur le sol et mon responsable n'était pas franchement satisfait de cela. De plus, je le faisais dans des conditions très classiques à savoir dans le jour, avec des baskets et pas dans le grand speed puisque je travaillais dans une petite brasserie peu fréquentée. Je n'imaginais donc pas la contrainte du service dans le noir. J'aurais peut-être tenue quelques heures mais pas plus. Après avoir déposé nos assiettes devant nous, j'en eus immédiatement l'eau à la bouche. Cela semblait encore délicieux rien qu'à l'odeur qui m'était familière étrangement. Je répondis de manière très polie à mon interlocuteur.

"- Bon appétit également."

Je m'attelais rapidement à commencer cette assiette chaude. J'en pris une bouchée puis plusieurs autres avant de reposer ma fourchette. J'entrepris cette fois-ci de répondre aux questions de Reyansh concernant mon métier. Les questions étaient souvent les mêmes : comment je faisais ? Pourquoi défendre les coupables ? Pourquoi ne pas choisir de défendre que les innocents ? La réponse était souvent la même : j'aime le challenge, tout le monde a le droit d'être défendu, j'aime mon métier tout simplement. Lorsque j'ai choisi le droit, c'était une évidence pour moi même si cela peut paraître étrange. Je lui répondis donc à ces questions d'une voix très calme :

"- Je pars du principe que tout le monde mérite d'être représenté. Même si je sais mon patient coupable, j'essaie de limiter sa peine ou ses intérêts. Cela peut sembler contraignant de travailler avec des coupables mais toute personne a le droit d'être représentée."

Alors que je parlais, je sentais une sensation désagréable prendre part en moi. Je ressentais le besoin de me gratter au niveau des bras et du cou. Les démangeaisons s'intensifiaient au fur et à mesure de mes paroles et à la fin de ma tirade, je sentais ma peau à vif. Il ne me fallut que quelques secondes pour faire le lien.

"- Je pense que nous venons de manger de la coriandre... Je suis allergique."

Heureusement que ce repas était dans le noir car je devais être rouge, de honte et de cette allergie et les démangeaisons qui y étaient associés.

Leurs repas leur étaient parvenus au beau milieu d’une conversation. Les questions de Reyansh avaient donc été laissées en suspens, le temps que l’habile serveur dépose leurs assiettes face à eux et qu’ils se souhaitent un bon appétit. Puisque le plat était chaud et qu’il voulait le goûter à son meilleur état, le trentenaire attrapa la fourchette à sa gauche et s’attaqua à son plat, curieux d’en découvrir les saveurs. Les deux interlocuteurs furent donc réduit au silence le temps de vivre cette expérience gustative particulière. Puis, d’une voix calme, Joséphine lui répondit finalement à propos de son métier. « Je comprends. Je ne sais pas si j’aurais ce … détachement, si on peut l’appeler ainsi. Mais je comprends votre point de vue. Et je pense qu’il est très louable. » Répondit-il d’une voix douce. Il continua à manger, quelques bouchées, avant de sentir que Joséphine s’agitait légèrement. « Ça va ? » Avait-il demandé d’abord, soucieux, les sourcils légèrement froncés. Puis, la jeune femme lui apprit qu’elle était allergique à la coriandre, et qu’elle pensait en avoir ingéré. « Effectivement, mon plat a définitivement de la coriandre en tout cas. » Tout de suite, Reyansh se leva de sa chaise. Il ne savait trop pourquoi, sans doute qu’il se préparait à l’urgence. « À quel point êtes-vous allergique ? Dois-je prévenir quelqu’un et qu’on appelle les secours ? » Elle était encore capable de lui parler, ce qui avait fait en sorte que Reyansh ne s’était pas tout de suite mis en mode panique. Elle serait la mieux placée pour lui dire ce dont elle avait besoin, jusqu’où cela pouvait aller et ce qu’il devait faire. L’artiste n’avait pas son cours de secouriste alors il ne savait pas trop comment réagir, là, en toute honnêteté. Il espérait que Joséphine ne courait aucun danger. Ce serait franchement un très mauvais souvenir à rattacher à cette expérience qui aurait dû être si belle.

Les démangeaisons dues à l'ingestion de coriandre n'étaient pour le moins que peu agréable. Je me maudissais un peu mentalement de ne pas avoir eu le réflexe de sentir mon plat calmement avant de l'ingérer. Prise dans notre conversation très intéressante avec mon partenaire du soir, je n'ai pas eu ce réflexe que j'ai pourtant depuis des années maintenant. Je sentais l'agitation et l'inquiétude dans la voix de Reyansh mais également dans ces mouvements. Je le trouvais mignon de s'inquiéter ainsi. Cependant, je le rassurais en lui indiquant que j'avais ce qu'il faut sur moi :

"- Non, ça devrait passer rapidement, je vais prendre mon médicament. Ce n'est pas très grave, ça me démange un peu, ce n'est pas esthétique mais ce n'est pas non plus une urgence vitale."

J'avais déjà eu plusieurs réactions de ce type et le médecin m'avait prescrit un anti-histaminique que je gardais précieusement dans mon sac à main. D'ailleurs, je cherchais ce dernier à taton et finis par mettre la main dessus. Comme beaucoup de femmes, il était bien trop grand et je pouvais donc y glisser ma vie dedans. J'allais devoir fouiller un petit moment pour trouver la plaquette de médicaments. Je mis dans la main dans mon sac et cherchais. Je la trouvais finalement et pris la pilule en question. J'étais soulagée. D'ici une vingtaine de minutes, les démangeais ne seraient qu'un lointain souvenir. En revanche, l'ambiance de ce rendez-vous avait clairement changé. Je décidais de boire une petite gorgée de vin avant de lâcher un petit rire, un peu moins coincé que précédemment afin de détendre de nouveau l'atmosphère.

"- Heureusement qu'on est dans le noir finalement."

Joséphine semble prendre du mieux. Ou plutôt, n’être point sur le bord de mourir. Cette réflexion console Rey, qui ne veut point que cette soirée se solde d’un tel échec. Il hoche du menton même si c’est inutile puisque personne ne peut le voir, plongés en ce noir. « Bon, ok. Vous m’en voyez réconforté. Pour ce qui est de l’esthétique … ne vous en inquiétez point. Nous sommes plongés en ce noir pour un petit moment encore, non ? » Il sourit. « Vous pourrez sûrement reprendre de vos couleurs d’ici le moment de sortir. Et puis, sinon … je vous promets de ne point me moquer. Vous êtes sûrement très jolie même tout en rougeur. » Rey rit un peu plus. Le jeune homme l’entend fouiller en ses effets personnels et, ensuite, un bruit de bouchon de pot de pilule résonne entre les murs de l’igloo. Ouf, tout est réglé et les urgences n’ont point besoin d’être téléphonés. Les secondes défilent le temps qu’elle ingère les pilules, et Rey en profite pour boire une gorgée de vin comme Joséphine. Il rit en ce qui concerne les mots dits du côté opposé du sien. « Effectivement … pour vous c’est moins un inconvénient tout d’un coup ! » Il sourit. « Toutefois je vous promets que ce n’est que comique … Nous pourrons en rire, éventuellement. » Le reste de cette soirée semble toutefois plus compliqué puisqu’elle ne peut ingérer cette nourriture. « Devrions-nous nous tourner directement vers les choix de dessert, peut-être ? » Moins de risques d’y retrouver une fine herbe du démon.

Spoiler:

"- J'espère effectivement retrouver un semblant de couleur naturelle."

Je lâchais un petit rire en entendant mon acolyte du soir. Au début de ce repas, le côté diner à l'aveugle me gênait un peu et je n'arrivais pas trop à m'y accommoder. A présent, j'étais satisfaite de cette obscurité. C'était un petit peu le monde à l'envers. Reyansh était un homme prévenant et m'indiqua vouloir passer au dessert. Une idée que je ne pouvais que valider. A tâtons, je poussais doucement mon assiette et essayais de me concentrer pour ne pas gratter la totalité de mon corps. Il fallait que je respire tranquillement et que je pense à autre chose. Pour cela, je répondis à mon voisin de table :

"- Le dessert me semble être une merveilleuse idée ! J'espère qu'ils ne sont pas du genre à mettre de la coriandre partout en revanche."

Pour passer le goût infâme de cette herbe, en plus d'être toxique pour mon corps, j'essayais de me saisir mon verre de vin. Cela n'était pas une tâche facile car j'avais perdu mes quelques repères avec cette expérience peu agréable. Je finis par mettre la main dessus et en pris une grande gorgée. Il était très bon et permis à mon palais d'avoir un meilleur goût. J'en pris ensuite une autre petite gorgée avant de lâcher un petit rire sur le côté un peu petit comique de cette soirée de Saint Valentin. Un repas qui s'annonçait calme selon mes collègues et voilà que je me retrouvais rouge, probablement pleine de lésions de grattage sur les bras, dans le noir et avec un inconnu. Mes collègues risquent de ne pas me croire quant au déroulé de la soirée. Il me tardait de leur raconter.

"- Voilà une manière originale de passer un diner."

Même si Reyansh n’avait mangé que deux ou trois bouchées de son plat, il s’imaginait mal poursuivre le repas alors que Joséphine ne pouvait continuer le sien. En plus, elle allait être en train de se gratter de douleur et d’inconfort pendant que lui savourait un bon repas ? Non. Ce n’était absolument pas le genre de Reyansh. Il proposa donc de passer au dessert, à la limite s’il avait encore faim en fin de soirée, il n’aurait qu’à se cuisiner quelque chose de rapide chez lui. Ce n’était pas bien grave. Et puis ce soir, il avait davantage payé pour l’expérience que pour le repas. Il ne voulait pas gâcher l’expérience de Joséphine, il voulait plutôt s’assurer de la rescaper. En passant au dessert, si c’était délicieux, elle allait peut-être un peu oublier ses démangeaisons. « Un dessert à la coriandre … nous serions deux à passer notre tour. » Admit-il en riant. Quoique, il avait déjà goûté à une crème dessert au chocolat et à la coriandre, et ce n’était pas si mauvais, alors qui sait ! C’était une herbe assez utilisée dans la cuisine à laquelle il était habitué alors pour lui, rien ne l’étonnait. En attendant que le serveur revienne voir si tout était à leur goût, ils continuèrent à déguster le vin, qui lui, n’avait aucune note de coriandre. « Et moi qui pensais qu’on ne faisait pas plus original que le simple repas dans le noir … Je ne me doutais pas que ce serait plutôt un repas évité, dans le noir, avec une personne en pleine crise de démangeaisons. » Il rit en buvant à son tour une gorgée de vin. « Oh, désolée, il faut que j’évite d’en parler, il faut que vous pensiez à autre chose. » Le serveur revint finalement et Joséphine lui indiqua son allergie à la coriandre. L’homme proposa une alternative mais tous les deux s’entendirent pour passer au dessert, plutôt. Ils ne voulaient pas donner plus de travail aux employé-e-s en cuisine. Évidemment, ils s’assurèrent qu’il n’y aurait plus de coriandre dans aucun des choix. « Bon, au moins, on a gardé le mystère quant à l’identité du dessert, sans cette fois risquer votre vie. » Il rit. Évidemment il exagérait, c’était pour faire un peu d’humour.

Reyansh mit un peu de comique dans la situation et je ne pus m'empêcher un petit gloussement telle une adolescente. Il n'avait pas tord sur le fait que ce repas était original par tous ces aspects.

"- Ce repas est effectivement une première dans tous les sens. Habituellement, c'est plutôt à la lumière, en mangeant plus de quelques bouchées et sans me gratter."

Ce rendez-vous restera pour sûr en mémoire de nos deux côtés je pense. Pour ma part, je sortais pour la première fois avec un homme dans ce genre de repas depuis mon divorce. Je ne m'attendais déjà pas à ce côté à l'aveugle, bien dissimulé par mes collègues, et encore moins à finir rouge. Un vrai désastre sur le papier. Néanmoins, en bonne compagnie, les choses passaient plus facilement et je n'avais pas encore envie que ce repas se termine. Au contraire, j'appréciais la compagnie de Reyansh et sa conversation plus qu'intéressante. Il me tardait de pouvoir le découvrir physiquement, je devais me l'avouer, mais cela inclurait de me dévoiler aussi et actuellement, je n'étais pas au maximum de ma beauté je dirais.

Je fus interrompue dans mes pensées par un petit coup donné à la porte. L'employé vint nous déposer les desserts devant nous avec encore beaucoup d'habilité. Cette fois-ci, j'eus le réflexe de sentir l'assiette. Après tout, il ne fallait jamais être trop prudent comme l'aurait probablement dit ma mère. Ce que je n'avais évidemment pas été il y a de cela quelques minutes. Je ne sentais pas l'odeur caractéristique de la coriandre, c'était bon. Je le fis donc savoir à Reyansh d'un ton assez amusé finalement par la situation :

"- A l'odeur, je dirais que je peux attaquer le dessert."

Une première dans tous les sens, ça aussi, ça pouvait s’interpréter dans plusieurs sens. C’était une première pour le toucher, eux qui n’avaient pas l’habitude de devoir deviner ce qui se trouvait devant eux en analysant la forme, la sensation, la texture. C’était une première pour le goûter, qui n’avait pas le sens visuel pour associer la nourriture à son goût. C’était une première pour l’odorat, sur lequel Reyansh s’appuyait beaucoup pour deviner ce qu’il avait dans son plat. C’était une première pour l’ouïe, qui était la seule sollicitée pour analyser la personne face à lui puisqu’il ne pouvait se fier à son jugement visuel. Bref, leurs cinq sens étaient complètement déboussolés, tout comme eux. « Je pense qu’on appréciera beaucoup de pouvoir voir, quand on sortira ici. » Et c’était sans doute une leçon à retenir, de se rendre compte du privilège qu’ils avaient d’avoir la vue, chose très souvent prise pour acquise. On toqua doucement à la porte, c’était le serveur qui s’annonçait. Il déposa les desserts face à eux et repartit tout aussi vite. Reyansh souleva lui aussi sa petite assiette à la hauteur de son nez. Il visa d’ailleurs un peu mal et le bout de son nez trempa légèrement dans une texture crémeuse. « Oups. Je commence les dégâts. » Il rit en redéposant l’assiette, sans expliquer davantage, et vint lécher son nez. « Au goût aussi, je vous confirme que vous pouvez l’attaquer. » Il prit une vraie bouchée cette fois, et une explosion de saveurs s’en suivit. « Oh, wow. C’est … beaucoup d’informations pour mes papilles gustatives. » Dit-il en riant. « Je n’arrive pas à tout comprendre ce que je suis en train de manger, c’est bizarre. » Fruité, chocolaté un peu aussi, et que dire de toutes ces textures différentes !

Je pensais la même chose que Reyansh et j'osais ajouter silencieusement que j'étais curieuse de le découvrir physiquement aussi. Plus la conversation entre nous se faisait plus je me faisais une image de l'homme en face de moi. J'espérais que mon imagination n'était pas trop frivole. Pour l'instant, je l'imaginais assez grand, mat de peau de part ses origines, peut-être les cheveux mi longs et un code vestimentaire assez classique. Je l'imaginais bien en chemise bleue foncée avec un pantalon beige. Mon imagination n'avait apparemment pas de limite quant à l'aspect de Reyansh. Mes pensées furent interrompues par ce dernier alors qu'il me parlait de dégât.

"- Les dégâts ? Vous avez taquiné ma curiosité là."

Tout comme Reyansh, je commençais également à déguster ce dessert en plongeant ma cuillère dedans. Du moins, ce fut l'impression que j'en avais mais en amenant cette dernière vers ma bouche, elle était vide. Je réprimais un petit rire en me sentant assez ridicule. Je retentais ma chance et cette fois-ci, j'avais pris un petit peu de ce dessert pour le moins particulier et original. Je laissais les goûts s'imprégnaient de mes papilles gustatives avant de répondre à Reyansh.

"- Effectivement, les goûts sont très différents les uns des autres. Je dirais qu'il y a un mélange entre les fruits exotiques, type mangue ou peut-être papaye, avec du chocolat mais tout en légèreté. C'est très bon en tout cas. Ca vous plait ?"

Il avait préféré, Reyansh, ne pas laisser trop libre court à son imagination. Il avait certes dressé le portrait de Joséphine dans sa tête, mais un portrait immatériel, à l’image de cette soirée. Il ne s’était pas demandé si elle était brune ou blonde ou rousse ou colorée, il ne s’était pas posé de question sur la couleur de sa peau, il ne s’était pas demandé la couleur de ses yeux ni celle de son rouge à lèvres. Il n’en avait rien à faire de sa taille ou de son poids. Il la prenait telle qu’elle était, dans toute la beauté de cette personnalité qu’il avait eu la chance d’apprendre à connaître tout au long du repas. Ils en étaient maintenant au dessert et jusqu’à maintenant, Joséphine n’était qu’agréables surprises. Il pouvait juste se dire qu’elle en serait une physiquement aussi, une belle surprise. Peu importe sous quelle forme elle se présentait.

En tentant de capter l’odeur du dessert, Reyansh fourra son nez dans la mousse. Il rit. « Disons que si nous n’avions pas été dans le noir, c’aurait pu être le moment de faire un geste très cliché en m’essuyant la crème sur le bout du nez. » N’était-ce pas le genre de scène qu’on lisait dans la plupart des livres de romance ou qu’on regardait dans tous les films d’amour à l’eau de rose ? Bref, le libraire s’attaqua - avec une cuillère cette fois - à ce dessert haut en saveurs. « Papaye … maintenant que vous le dites. Vous êtes vraiment douée, je suis impressionné. Je n’aurais pas su deviner. » Le chocolat par contre, Rey l’avait goûté, il en raffolait. « C’est délicieux, oui. Le coup de coeur de la soirée je dirais, au niveau culinaire. » Parce que son coup de coeur de la soirée était évidemment Joséphine, autrement.

Tous les deux terminèrent leur dessert. Reyansh n’avait aucune idée de l’heure qu’il pouvait être mais il sentait que cette soirée tirait à sa fin. Ils en étaient à cette étape, en tout cas. À l’étape de se découvrir en apparence physique, donc. « C’est drôle, je me sens fébrile à l’idée qu’on sorte de cet igloo, maintenant. » Dit-il avec un léger rire. « Vous êtes prête ? »