c' qui compte c'est pas l'arrivée, c'est la quête - vega

18h. Pour une fois, j'quittais tôt le bureau de l'école de danse. J'étais plutôt efficace dans mon travail ces derniers temps, j'me sentais plutôt dans un bon mood. Il y avait toujours ce froid polaire avec Skye, ma petite soeur, on s'parlait plus, on vivait ensemble, on bougeait ensemble, mais comme si on était sur deux plans différents. Mais j'crois que malheureusement, j'commençais à m'habituer à ça, à cette distance. J'aurais voulu crever l'abcès, j'aurais voulu lui parler, mais on savait pas le faire sans se hurler dessus. On s'reprochait trop de truc, alors ça s'envenimait. Ca m'avait bien bouffé à un moment, cette situation, et puis on finissait par s'habituer à tout. Alors j'tentais de garder ça bien loin dans mon esprit et j'avançais. J'faisais bien mon boulot, du moins, je m'efforçais de le faire aussi bien que possible et ça tournait bien. Alexis avait démarrer en tant que professeur, et ça s'passait plutôt bien, pour l'instant. J'étais satisfait, et quand j'étais satisfait, alors ça roulait. J'avais toujours cette p'tite tendance à vouloir tout contrôler, à tout garder à l'oeil, mais j'apprenais aussi, notamment avec Skye, à devoir lâcher, parfois. Ca me coutait, mais j'm'en sortais. J'rentrais à pied jusqu'à chez moi et j'passais par le centre de la ville. De loin, j'apercevais la p'tite boutique que Vega était en train de monter. J'voyais quelques changements depuis la dernière fois et j'eus envie d'aller lui faire un p'tit coucou, la porte de la boutique était entre-ouverte. Mais avant ça, j'faisais un détour par le café pour nous prendre deux p'tites boissons chaudes. On quittait l'hiver mais il faisait encore bien frais ici, à Bowen. Vega, c'était une fille que j'avais rencontré à une soirée, il y a quelques temps déjà. J'étais probablement dans un bon mood cette soirée là, vu que j'avais pas mal dansé et de fil en aiguille, sans trop savoir comment, on s'était retrouvé à danser ensemble. Ca avait bien feater entre nous et en discutant par la suite, elle m'avait parlé de son projet que j'avais trouvé bien cool. Moi, j'avais pas mal la tête dans l'administratif, j'savais à quel point ça pouvait être coutant de s'occuper de lancer un business, alors j'lui avais promis de venir lui rendre visite. Ce que j'avais fais, quelques jours après, elle était en train dans la rénovation de l'intérieur, un peu débordée mais j'lui avais filé un coup de main. Et aujourd'hui, j'étais bien curieux de voir comment elle avait avancé. Les deux cafés latte dans les mains, je passais la tête par la porte, tout sourire. "Y a quelqu'un là dedans?!" que j'dis bien fort pour faire sortir Vega de je ne sais où. "C'est la livraison de café!" J'étais vraiment de bonne humeur, et ça, c'était suffisamment rare pour le souligner.

@Vega Clark

Vous connaissez la règle des 80/20 ? C’est un truc d’économie à la base qui dit que 20 % des causes font 80 % des conséquences, mais ça fonctionne aussi pour le travail, 20 % du temps travaillé sert à générer 80 % des résultats, au moins un truc que j’ai retenu de mes cours à la fac. Et bien là c’est pareil, j’ai fait 80 % du boulot, il me reste que 20 % mais j’ai l’impression que ces vingt derniers pourcents vont mettre une éternité que rien n’avance. Je fais des petites choses, je coche plein de choses sur ma to-do list mais il m’en reste aussi beaucoup. J’ai hâte que le café ouvre, de voir les premiers clients et vraiment lancer l’aventure, être un peu moins seule aussi. J’ai des gens qui viennent me filer un coup de main de temps en temps et franchement je suis trop heureuse de pouvoir compter sur eux, mais j’ai construit ce projet toute seule et j’ai pas d’associée sur qui compter au cas où. C’est vraiment un pari. Les gros travaux sont terminés, il n’y en avait pas beaucoup, surtout de la peinture et de l’aménagement avec quelques éléments de cuisine derrière le comptoir pour pouvoir faire et servir à manger. Comme je voulais absolument prendre des meubles d’occasion, ça m’a pris plus de temps de tout dénicher mais j’aime bien le résultat. Il reste encore un peu de déco à faire, installer les présentoirs pour les livres de la partie librairie, les créations d’artiste locaux à acheter et finir de mettre au point le menu et bien sûr toutes les autres micro-choses qui constituent les vingt derniers pourcents. Ce matin j’ai travaillé à la bibliothèque donc je suis arrivée qu’en début d’après-midi au café pour continuer d’avancer. J’ai installé de la déco et j’ai aussi été faire des courses pour faire des essais en cuisine. Je ne suis pas du tout une grande cuisinière alors il faut que je m’entraîne un peu pour servir des plats bons aux clients et simples à préparer. Pour les pâtisseries j’ai un partenariat avec les pâtisseries Imogen qui vont me faire des sucreries exclusives pour le café, donc là-dessus je suis assez tranquille. Adossée au plan de travail de la partie cuisine, je prépare mon plan d’attaque pour les recettes que je dois préparer. J’ai prévu de prendre plein de notes pour avoir un maximum d’infos ensuite quand je ferai le bilan. Oui j’essaie d’être organisée. Je relève la tête quand j’entends quelqu’un m’appeler, je vois Ramsay sur le seuil de la porte. « J’suis là ! » je lui dis avant de sortir de derrière le comptoir. « Oh merci ! J’ai prévu de passer la soirée à cuisiner, ça va bien m’aider à tenir. » Je lui dis en le prenant dans mes bras pour le remercier. « T’as vu ça a changé depuis la dernière fois que t’as passé. » Je lui dis fièrement. C’était encore pas mal en travaux quand il était passé me filer un coup de main. A présent on sent vraiment que l’ouverture approche.

Alors que j’passe ma tête par la porte de la boutique, j’cherche du regard Vega, j’cherche un p’tit peu de vie, du mouvement et j’m’annonce. L’idée c’est pas de lui faire peur, l’idée c’est pas de débouler comme ça, et d’m’imposer. Mais j’crois qu’entre Vega et moi, ça feat bien, c’est assez simple, c’est genre une belle amitié, basée sur d’la confiance. Et j’en ai pas mal besoin. J’ai toujours mis un point d’honneur à ne m’entourer que de personnes bienveillantes et positives. Ceux qui m’jugeait, ceux qui me pensait trop jeune pour m’occuper de ma petite sœur, ceux qui pensait que j’avais rien à faire là, j’les laisser parler et j’les mettais de côté. Du coup, aujourd’hui, j’avais une belle base solide de personnes dans mon entourage sur qui je pouvais compter et qui, en retour, pouvait compter sur moi en toute circonstance. Vega, elle avait un sacré projet, un truc vraiment chouette mais qui prend du temps, qui demande de l’énergie. Je l’avais déjà vu un peu dépasser par tout ça, je l’avais vu douter aussi, et c’est pour ça que j’passais la voir, de temps en temps, pour lui donner un coup de main, lui proposer mon aide ou simplement lui donner quelques mots d’encouragement. Une fois que j’me suis annoncée, j’vois Vega derrière le comptoir qui me salue. J’m’approche, elle contourne le comptoir et s’approche pour me donner une étreinte que je lui rends d’un seul bras, mon autre main étant encombré par les cafés bouillants. J’lui souris tendrement, déposant les deux cafés sur le comptoir. « J’me suis dis ouais, qu’un peu de courage liquide, ça s’rait pas en trop. » Cela dit, j’ai bien entendu qu’elle comptait cuisiner, alors, tout en réarrangeant ma casquette sur le haut de ma tête, j’plantais mes yeux un peu malicieux dans les siens. « Surtout, si t’as besoin d’un cobaye pour goûter ce que tu fais, n’hésite pas. » Moi, j’étais pas un très grand cuisinier, par contre, manger, ça je savais parfaitement faire. Cela dit, j’étais toujours de bonne composition, j’avais juste pas les bases de la cuisine, mais j’pouvais prendre plaisir à le faire, de temps en temps. J’regarde un peu autour de moi, marchant de quelques pas vers l’un des murs, j’inspecte avec le sourire. « Ouais, franchement, t’as fais un gros boulot là. » J’regarde les éléments de déco qu’elle a posé un peu partout, j’passe ma main sur l’une des tapisseries. « T’as fais ça vraiment bien. » que j’lui dis avec un grand sourire. Est-ce que j'ai l'air d'un daron qui vient de caresser une plaque de placo? On dirait bien ouais, mais ça m'satisfait bien d'avoir ce genre de remarque. Le bricolage, c’était pas ma spécialité, mais j’étais du genre tellement perfectionniste que si j’me mettais à faire quelque chose, j’allais toujours au bout et j’m’appliquais. Vega avait vraiment fait un travail de dingue. J’reviens vers elle. « Il t’reste beaucoup de truc à faire avant l’ouverture ? » J’étais assez admiratif de la jeune femme, j’aimais ce genre de personnalité, qui reculait devant rien avec de gros projets en tête.

Je suis contente de pouvoir compter sur des gens comme Ramsay pour m’aider et m’encourager. Si je n’avais eu personne ne serait-ce que pour croire en moi, je ne sais pas si j’aurais mené à bien ce projet. Enfin il n’est pas encore ouvert mais vu où ça en est, c’est un peu trop tard pour reculer. Je suis assez obstinée et je sais que je me serais tout de même lancée contre vents et marées, peu importe si personne ne croyait en moi, mais ça aurait été bien plus dur de tenir dans le temps, de réussir à tout faire sans au bout d’un moment jeter l’éponge. Je regarde pas mal de vidéos de gens qui ouvrent des boutiques tout seul ou à deux, qui rénovent des maisons alors qu’ils n’ont pas trop de connaissances à la base. Ça me permet de me dire que je ne suis pas toute seule, que si eux y arrivent, alors moi aussi je peux le faire, il n’y a pas de raison. Et puis ce projet, il m’anime vraiment, il m’a fait revivre, trouvé un objectif dans ma vie, une raison de rester à Bowen et de faire évoluer cette ville, de proposer un lieu aux gens qui se sentent exclus et pour les autres de changer leurs mentalités. Du coup quand je vois Ramsay débarquer avec des cafés, ça me rend heureuse. Je lui souris avant de lui expliquer que je compte passer ma soirée à cuisiner, ce sur quoi il me propose d’être mon cobaye. « Bizarrement y’a du monde qui serait pas contre être cobayes de ma cuisine, c’est bien parce que vous m’avez jamais vu cuisiner ça ! Enfin j’essaie de m’améliorer quand même, je veux avoir des clients. » Sans être une catastrophe en cuisine, on ne peut pas dire que je m’en sorte très bien. Il n’y a qu’à voir ce que ça a donné quand on a cuisiné ensemble avec Elmo une fois, enfin on a eu la bonne idée de boire en même temps, ne faites pas ça. Mais là je vise des recettes simples en mode snack ou repas rapide pour que les gens s’arrêtent le midi rapidement ou des trucs pour un petit brunch ou petit-déjeuner. Rien de trop sophistiqué, je veux que ce soit simple et abordable. Pour cet aspect là j’ai déjà pensé à une manière de correspondre à toutes les bourses sans me mettre dans le rouge. Ramsay inspecte les lieux et je suis contente de voir que ça lui plaît. « Merci. » je lui dis avec me sentant gagner des points de gratitude. Il me demande ensuite s’il me reste beaucoup de choses à faire avant l’ouverture. « Le plus gros est fait mais il reste plein de petits trucs et ça prend beaucoup de temps au final, mais j’en vois le bout quand même. » je lui explique avant d’ajouter. « J’aimerais ouvrir après Noël, ça devrait le faire. » En reposant mon regard sur les cafés je lui dis « Mais tu comptes aussi boire un café à cette heure-là ? T’as prévu d’aller danser toute la nuit ? » je lui demande en souriant.

A l'instant où j'suis dans l'espace de Vega, c'est comme si j'me sentais apaisé. Elle a ce p'tit truc elle, pour avoir le sourire, pour sembler tranquille, et pourtant, elle mène un projet de front, avec un belle intensité. Elle semble un peu dépassée parfois, mais j'ai toute confiance en elle. J'l'ai senti depuis le début qu'elle arrivait à parvenir à son objectif. J'l'ai un peu aidé, comme j'ai pu. Mes compétences de bricolage, elles sont pas dingues. Généralement, quand un truc tourne pas rond à l'école, j'appelle le technicien, et j'me mets à côté de lui, les mains sur les hanches et je regarde, j'apprends comme ça. Mais quand il avait été question d'aider Vega, j'm'étais un peu penché sur le sujet et finalement, j'avais pas mal progressé. Ca avait ça de positif avec cette rencontre, j'lui apportais mon aide autant que j'pouvais, et moi de mon côté, j'devenais un peu moins idiot. C'était donnant-donnant et j'étais toujours partant pour donner un coup de main. Le projet de Vega, ce soir, c'est de tester des recettes de cuisine, histoire de proposer un truc convenable à ses futurs clients. Sa réplique me fait rire. "J'suis certain que c'est pas si pire! T'as prévu de tester quoi comme recette? Avec un peu d'entraînement, j'suis sûr que t'y arrivas!" J'inspecte un peu ce que Vega a fait dernièrement et j'dois dire qu'elle a vraiment bien avancé. En voyant là, les choses, on pourrait croire que c'est terminé, qu'elle est prête mais c'qui reste, c'est les trucs invisibles, les p'tits détails qui feront que ça sera vraiment bien, vraiment carré, vraiment fini. Je l'écoute me donner son programme et ses objectifs et je hoche la tête, plutôt serein. "Franchement, ça va le faire. Si t'as besoin d'aide pour les derniers détails, tu sais où me trouver. C'est plutôt calme à l'école en ce moment." Vega me questionne sur les cafés et j'la regarde en haussant les épaules, le sourire aux lèvres. "Ouais j'avoue c'est pas le meilleur mouv', mais j'me suis dit qu'on en aurait besoin pour goûter tous tes plats." que j'lui dit avec un large sourire. Est-ce que je venais à l'instant de m'inviter pour la soirée cuisine que Vega avait planifié? Ouais, assurément. J'continue de la regarder et j'plisse un peu les yeux. "Enfin, si tu préfères, j'peux m'éclipser aussi.." L'idée, c'est pas non plus de faire le gros forceur, mais j'voyais là une belle occasion de passer du temps avec elle, de poursuivre sur notre lancée, et de continuer à lui apporter mon aide, autant que je pouvais.

Si j’ai vu les choses en grand pour l’ouverture du café, enfin grand, à la hauteur de la taille du local que j’ai. Si je n’ai pas pu y caser toutes les idées que j’ai pour ce lieu hybride parce que sinon on n’aurait pas pu y circuler et moi je n’aurais clairement pas le temps de dormir si je me lance dans dix projets dans mon projet ; j’en ai quand même mises pas mal. Donc pour la cuisine, j’imagine les choses à la hauteur de mes compétences, des plats simples, rapides et faciles à faire pour manger rapidement le midi. Peut-être qu’à terme je pourrais embaucher quelqu’un d’un peu plus calé que moi dans le domaine qui fera des choses plus élaborées mais pour l’instant, on va rester sur du basique. Ramsay m’encourage et me questionne sur ce que j’ai prévu. « Je pensais à des trucs simples genre des pancakes pour le petit dej, j’ai déjà prévu d’avoir des pâtisseries de chez Imogen pour le sucré donc là-dessus ça devrait aller mais sinon des petites salades, des egg sandwich. Des trucs simples à préparer et bons quoi. » Sauf que même si c’est simple, il faut tester avant de le servir aux clients, savoir combien de temps ça prend à faire, les ingrédients qu’il faut, quelle quantité. Je ne suis pas maniaque mais j’aime les listes et faire bien les choses. Comme je n’aurais pas beaucoup d’aide au début quand le café sera ouvert, il faut bien que je sois préparée au maximum pour que tout se passe bien. Ramsay me propose son aide, à nouveau, il en a déjà pas mal fait et je n’ai pas envie de l’accaparer à nouveau. Sur les gros travaux je ne pouvais pas tout gérer toute seule mais maintenant, c’est faisable sans aide, même si j’aime toujours voir mes amis passer pour savoir où ça en est. « Merci. » Je lui dis avec un sourire reconnaissant. Je prends également un des cafés qu’il me tend. Lui n’a pas prévu d’aller danser ensuite mais que le café est là pour qu’on tienne tous les deux toute la nuit (cette phrase n’est à pas sortir de son contexte, évidemment). « Non non tu peux rester ça me dérange pas, ça sera juste peut-être pas très passionnant pour toi. » Je lui dis pour ne pas l’obliger à rester. « En plus là j’allais attaquer une salade vegan donc c’est peut-être pas le truc qui donne le plus envie...j’aimerais bien faire une poutine aussi mais j’en ai jamais fait. » Ce serait histoire de me rapprocher un peu du Canada. Je n’y ais jamais vécu mais je suis canadienne, mes parents sont canadiens et j’ai eu l’occasion de manger plusieurs fois de la poutine, je me dis que ça serait sympa de l’importer ici, même si elle correspond mieux au froid canadien qu’à la chaleur australienne.

Quand j'avais du reprendre les rennes de l'école de danse, je m'étais senti complètement enseveli d'informations, de trucs que j'maîtrisais pas, de dossiers administratives, de demandes de dérogations, de permis pour tel ou tel truc, c'était clairement l'enfer. L'ancien directeur avait été pour me former un peu mais à vrai dire, aussi adorable qu'il était, il avait ultra bordélique, il mettait pas mal sous silence les trucs qui lui demandait trop d'effort alors il avait fallu que j'me mette dedans, que j'règles des soucis de statuts légaux et ce genre de truc. Alors même si j'avais encore aujourd'hui une grande aversions pour la gestion administrative, j'devais reconnaître que j'avais une belle maîtrise pour remplir les dossiers. J'avais pu donné quelques conseils à Vega quand elle avait voulu lancer son affaire et puis j'm'étais improvisé un peu bricoleur quand elle avait besoin. Au final, je n'avais vraiment pas eu la sensation de beaucoup l'aider, ça m'avait pas demandé des jours et des jours mais j'crois que ça l'avait beaucoup aidé. Et j'étais heureux de ça. Alors qu'elle n'était qu'à quelques semaines de l'ouverture de sa boutique, il était question de mettre au point sa carte des menus. Elle avait une idée assez clair de ce qu'elle voulait. Ca sembler sonner plutôt bien comme idées. "Imogen, ils font les meilleurs pâtisseries. Et j'dis pas ça parce que ma soeur travaille là bas." que j'dis avec une p'tite mine amusée. Puis je reprends. "Franchement, ça sonne bien. Et pis, des trucs qui t'prennes pas trop de temps à préparer, au début, j'pense que c'est un bon mouv'. T'aurais probablement pas mal de truc à gérer en même temps." Dans les moments de rush, c'était peut-être ça le plus stressant, devoir être à plusieurs endroits au même moment. J'lui propose sans vraiment beaucoup de délicatesse que j'pourrais rester pour l'aider et je hausse les épaules à sa réflexion. "Clairement, il m'faut juste de la bonne compagnie pour être ok." que j'dis avec un p'tit sourire. Vega m'annonce le programme et je plisse un peu les yeux. "Mmh, ok, vegan, j'connais pas trop. Mais justement, j'suis la bonne personne pour tester. J'serais IN-TRAN-SI-GANT." que j'dis avec une fausse moue autoritaire. Clairement, j'suis pas compliqué. Enfin j'peux l'être lorsqu'il s'agit de mes danseurs pros, mais mon amie qui cuisine, ça, j'peux qu'être doux comme un agneau. "Oh, attends, la dernière fois j'avais trouvé un article sur les poutines justement. J'crois qu'il donnait pas mal de conseils pour choper les bons ingrédients directement en Australie. C'est ça le secret, les ingrédients." que j'dis en sortant mon téléphone à la recherche de l'article en question. "C'est un sacré hasard que tu parles de ça. T'as un lien avec le Canada pour avoir envie d'faire des poutines, ou c'est juste de la gourmandise?" que j'lui demande bien curieux. En vrai, même si Vega on se connaissait bien, qu'on était bien en confiance tous les deux, j'me rendais compte que j'connaissais pas tellement de détails très précis sur sa vie. Et ce jour là, c'était l'occasion parfaite. Clairement.

Je suis vraiment reconnaissante de toutes les personnes qui viennent me filer un coup de main pour le café, même si ce n’est que quelques minutes, même si c’est seulement pour donner son avis sur un truc. Beaucoup de gens montent ce genre de trucs à deux avec une personne dont ils sont proches, ils peuvent partager leurs doutes, leurs joies, leurs peines. Moi parfois je me sens vraiment seule. En plus pendant un temps j’ai géré ça en plus d’être embrouillé avec Elmo et c’était pas toujours simple. Au moins j’avais quelque chose auquel me raccrocher. Sans ça j’aurais peut-être quitté Bowen et laissé tout derrière moi, comme j’y ai songé plusieurs fois depuis mon arrivée. Mais avec le café, le départ semble plus complexe et j’ai vraiment envie de faire quelque chose dans cette ville. Moi qui ai toujours voulu faire bouger les choses, jusqu’à penser à me lancer en politique ou dans le journalisme, je me dis qu’avec le café j’ai une opportunité en or et la motivation qui va avec. Mais avant de changer le monde, je dois mettre au point un menu qui soit à la fois constitué d’ingrédients les plus locaux possibles, bons, sains pour certains plats, gourmands, gras, sucrés, pour d’autres, tout cela avec des compétences en cuisine plutôt limitées. Je m’améliore c’est sûr, mais je n’ai jamais trop pris le temps de cuisiner ni aimé ça, c’est bien le café qui me motive à m’y mettre pour de vrai. « Ah ouais ? Elle travaille là-bas ? » Je demande, un peu curieuse. J’ai surtout discuté avec Charlize, la propriétaire, pour mettre tout au point et trouver un accord. En tout cas Ramsay me conforte dans mes idées et ça me rassure de ne pas complètement être à côté de la plaque. « C’est ce que je me dis. Si je me lance dans des trucs trop galères, je vais pas réussir à suivre. » Je commence déjà suffisamment ambitieux pour ne pas vouloir en plus faire de la concurrence à l’autre monde, le restaurant un peu chic mais pas trop de Bowen qui propose aussi des plats faits avec des ingrédients locaux. « Moi non plus j’connais pas trop les trucs vegan en vrai, mais bon faut bien tester ! Du moment que tu fais des commentaires plus constructifs que ceux d’Elmo qui dit juste : c’est pas bon ou miam, ça me va. » Je lui dis en riant, même si mon meilleur ami essaie quand même de faire des efforts pour m’aider. Après tout c’est lui qui m’a trouvé une super machine à café de seconde main et qui m’a expliqué comment m’en servir. « Ah oui je prends ! C’est galère à trouver ici, j’aimerais bien éventuellement avoir des alternatives pour pas faire venir des ingrédients du bout du monde non plus. Je dois me pencher un peu plus sur la question. » Oui ce n’était peut-être pas ma meilleure idée de vouloir faire une poutine dans un pays à l’opposé géographiquement du Canada. Justement ça ne fit pas trop avec le pays, ce qui intrigue Ramsay. « Un peu des deux en vrai. En fait, j’suis canadienne mais j’ai jamais vécu là-bas. J’essaie de recoller un peu avec ma famille là-bas et quand j’y suis allée, on a mangé de la poutine donc je me suis dit que ça pourrait être cool d’en proposer ici, comme un clin d’œil. » Je n’ai jamais eu l’accent canadien mais plutôt un accent qui ressemble à de l’anglais des quartiers riches mêlé à un petit accent australien, acquis avec le temps passé ici. Et bon je suis un peu une imposteure parce que la poutine c’est québécois et que ma famille vient de Toronto mais là-bas il y a aussi pas mal de poutine de ce que j’ai pu voir.

Assez naturellement, comme à chaque fois qu'on se voit, Vega et moi, on discute un peu de tout et de rien. C'est ultra fluide, j'me sens détendu. C'est vraiment pas le cas en temps normal, j'suis vraiment pas du genre qui lâche. Mais là, j'suis dans un bon mood, j'suis bien, et j'crois aussi de voir mon amie réussir à mener à bien son projet, ça me met de bonne humeur. Les gens combatifs qui font des choses, ça me galvanise. J'ai juste l'impression que le temps est utiliser à bon escient, et ça me satisfait. Ca me change de Skye qui ne fait rien, qui glande, qui sort et qui ne s'investi pas suffisamment dans ses études. C'est toujours le même sujet qui tourne en boucle dans ma tête. J'crois que j'radote et j'arrive même à me saouler moi même. Belle performance. Cela dit, la présence de Vega me fait oublier un peu tout ça, et on en vient à parler de mon autre soeur, Haley qui travaille à Imogen. "Ouais, elle pâtisse là-bas, du coup, quand on s'voit, elle est souvent accompagnée d'un p'tit panel de gâteaux et ouais .. ils sont délices." que j'dis en repensant aux derniers petits choux à la crème qu'elle avait ramené quelques jours auparavant. J'faisais attention à ma ligne, j'mettais un point d'honneur à manger sainement, mais j'pouvais rarement résister à l'appel d'une p'tite pâtisserie, qui plus est si elle était préparée par ma soeur. Je souris aux mots de Vega qui apparement avait déjà fait une séance de test avec l'un de ses amis qui n'avait pas su être très productif. "J'vais essayer de faire mieux. Mais j'ai pas non plus un palais de gourmet hein. J'reste assez primitif comme gars!" que j'dis en riant. Mais ouais, j'allais faire de mon mieux pour apporter mon avis d'une manière constructive. Vega me parla ensuite de son envie de cuisiner des poutines dans son restaurant. "J'te retrouverais le contact de la personne, si ça peut aider.." que j'dis avant d'écouter attentivement ce que me disait Vega. Elle était originaire du Canada mais visiblement elle n'avait pas beaucoup de contact avec ce pays là. Du moins, elle ne semblait pas avoir vécu là-bas. "Oh, ok je vois. En vrai, c'est une bonne idée, tu devrais avoir pas mal de succès ici j'pense avec ce produit là." J'trouve ça assez chouette qu'elle veuille renouer avec son pays d'origine bien que cela soit complètement à l'opposé de moi, l'ayant fuit volontairement. Mais j'pouvais totalement comprendre que certaines personnes ressentent ce besoin. "T'as grandit en Australie right ?' que j'lui demande, en essayant de collecter les informations pour recoller toutes les pièces du puzzle. Les gens qui peuplaient Bowen avaient pour beaucoup des origines, des histoires, des parcours différents et j'trouvais ça super riche de découvrir tout ça.

Je vais peut-être finir par rencontrer la sœur, enfin une des sœurs parce que je sais qu’il en a aussi une qui a à peu près mon âge, je l’ai vu sur bbt, de Ramsay vu que je vais passer régulièrement chez Imogen récupérer les pâtisseries pour le café. J’aimerais bien apprendre à en faire moi-même mais pour l’instant je vais me contenter des cookies, c’est pas trop compliqué globalement, assez rapide et pour le reste on verra plus tard si j’ai le temps de m’y atteler. Depuis le lancement du projet, qu’il n’est plus seulement une idée dans ma tête mais quelque chose qui se construit, j’ai l’impression que je n’ai le temps de rien faire d’autre et que je ne peux pas toujours faire tout aussi parfaitement que ce que j’aimerais si je ne veux pas ouvrir dans dix ans. J’ai un loyer à payer, un prêt à rembourser et c’est pas en réfléchissant à un menu que je gagne de l’argent. « J’imagine ! J’ai goûté pas mal de pâtisseries de là-bas et c’est vraiment bon. » Je ne suis pas trop du genre à aller acheter des pâtisseries ou à grignoter donc avant le café je ne m’étais pas trop rendue là-bas mais j’ai pu tout de même découvrir pas mal de desserts quand on a défini avec Charlize ce qu’on allait faire à manger en sucré pour la boutique. « T’inquiète, j’compte pas ouvrir un restaurant gastronomique donc le principal c’est que ça soit bon globalement et juste que tu me dises ce que tu aimes bien ou que tu aimes pas. » Je ne demande pas une analyse détaillée mais quelque chose d’un peu plus poussé que les commentaires d’Elmo, qui lui non plus n’a pas le palais le plus fin de l’univers. Je parle ensuite de la poutine, que j’aimerais mettre au menu même si je ne sais pas la préparer, pour l’instant. Ramsay a un contact pour les ingrédients et je me dis que ça peut être intéressant. « Merci. » Je lui dis avant d’en dire un peu plus sur moi et sur mes origines canadiennes dont je parle rarement. « Je me dis que c’est un truc que les australiens doivent pas trop connaître alors ça peut surprendre. » Et pourquoi pas devenir aussi une raison de venir au café. « J’suis arrivée à douze ans, avant j’étais au Japon. J’ai passé plus de temps au Japon qu’en Australie au final. Et j’suis arrivée à Bowen y’a huit ans à peu près. Un peu comme toi non, ça fait un moment que t’es là mais t’es pas d’ici à la base ? » On n’a jamais trop parlé de notre passé tous les deux. Les années à Sydney j’essaie de les oublier comme je peux et celles au Japon, j’ai l’impression qu’elles remontent à si longtemps, j’ai l’impression d’avoir tout oublié, y compris le japonais que je parlais plutôt bien quand j’étais petite.

J'étais assez gourmand dans l'idée, j'disais jamais non à un bon repas, pour ce qui est du sucré, c'était moins ma came mais depuis qu'Haley travaillait chez Imogen, j'devais reconnaître que j'avais développé une petite addiction à ces petites pâtisseries. Et apparemment, Vega partageait le même avis que moi, pour l'ouverture de son projet, elle avait du se rapproche de la meilleure boutique de Bowen en terme de desserts et j'devais reconnaître qu'elle avait beaucoup de goût dans les choix de ses partenaires. "C'est la bonne excuse ça, de devoir choisir des pâtisseries pour sa boutique, et d'en goûter tout un tas." J'la taquinais un peu, mais en vrai, elle avait fait les choses bien Vega. J'devais le reconnaître et plus le temps avançait et plus j'étais impatient de découvrir tout ce qu'elle avait préparé pour cet endroit dans lequel elle avait mis beaucoup de son âme. Vega me rassurait quand à mon rôle de gouteur et je hochais la tête, tout à fait sûr de mon coup. "Ok, ça, c'est totalement dans mes cordes!" J'étais pas un fin gourmet mais dire si j'aimais ou pas, et apporter un p'tit oeil critique et constructif, c'était dans mes compétences. Et ça m'plaisait bien d'imaginer passer ce temps là avec Vega. On en venait à parler de la poutine et des origines canadienne de Vega. J'souris à ses mots. "Surprendre ouais, mais clairement, personne peut résister à ce plat là." Surtout s'il était bien fait avec de bons produits. Vega me parla un peu de son parcours, de ses origines, des endroits qu'elle avait connu. J'me rendais compte au final que je ne savais pas grand chose d'elle, de son passé et j'l'écoutais avec beaucoup d'attention. Elle avait connu le Japon puis l'Australie. Un parcours qui me semblait bien riche et qui expliquait aussi son envie de faire découvrir des spécialités d'ailleurs. "Oh, ok, le Japon, c'est cool. T'as grandi là-bas du coup ? T'as pas envie aussi de faire des spécialités japonaises dans ton café? Ca s'rait sympa!" J'sais pas trop quel lien elle entretenait avec ce pays mais j'trouvais que ça pouvait être une bonne idée. Cela dit, réaliser des spécialités japonaises, c'était p'tete encore plus compliqué qu'une poutine. En fait, j'en savais trop rien, j'étais pas assez qualifié dans le domaine. Je hochais la tête à la question de Vega. "Ouaip, j'suis écossais d'origine. Mais j'suis arrivé ici à 23 ans. Ma vie, elle est ici, maintenant. J'suis jamais retourné là-bas." que j'dis un peu pensif. Mon lien avec l'Ecosse, était très très particulier. Ce que j'y avais vécu avec mes parents là bas, j'essayais de l'oublier. Mais force est de constater que mes origines, j'pourrais jamais les renier. Ca faisait partie de moi. Même si ma naturalisation australienne m'avait fait beaucoup de bien. J'effaçais un peu mon passé comme ça. J'tentais de pas trop y penser, pour ne pas plomber l'ambiance alors j'me redressais, plongeant mon regard dans celui de Vega. "Alors, on s'y met à cette cuisine?!" que j'dis avec entrain.

tw : mention de tca

Ces derniers temps entre les tests que je fais pour les plats que je vais proposer et la prospection de partenaire, je n’ai pas besoin de préparer d’autres repas. Je me suis même retrouvée l’autre jour à goûter des carottes alors que bon, pour moi c’est juste des carottes, je n’ai pas vraiment d’expertise sur le sujet et je n’arrive pas à reconnaître une carotte produite dans le coin d’une carotte du supermarché qui vient de je ne sais pas où. J’ai aussi goûté du café australien parce que j’ai envie d’être local au maximum, y compris pour le café. La production locale n’est pas énorme par rapport à d’autres pays mais il y en a un peu, plus cher forcément, mais j’équilibrerais les prix sur d’autres choses je pense. « Ouais, ça me donne bonne conscience. » Je lui dis en riant même si en vrai je m’en fiche d’avoir bonne conscience. J’ai la chance de ne pas avoir une histoire compliquée avec la nourriture grâce un métabolisme et un appétit naturel qui me permettent de maintenir un poids idéal d’après les standards de la société. Du coup je n’ai jamais eu trop de complexes et je n’ai jamais trop regardé ce que je mangeais. Je sais que je suis bien chanceuse et que je fais partie du peu de femmes, parce que ce sont essentiellement des femmes, qui ne se questionne pas si elle a le droit de manger ça, si elle va grossir, tous ces questionnements qui ne devraient pas exister. Enchaîner les séances de dégustation ne me pose donc pas de problème, même s’il peut m’arriver de saturer du sucre au bout d’un moment. Ramsay accepte de me donner ses retours sur mes préparations avec un minimum de critiques et d’arguments pour m’aider. L’idée de la poutine semble lui plaire, je le garde donc, n’étant pas trop sûre à la base de la mettre en place ou non. Je lui explique un peu mon passé, pourquoi une poutine se retrouverait au menu d’un café en Australie. « Ouais ça pourrait être sympa mais je pense que ça serait plus galère que la poutine à faire et puis...j’ai jamais cuisiné japonais, mes parents non plus et on peut pas dire que j’ai été trop bercé par la culture quand j’étais là-bas. J’étais dans une école avec des enfants internationaux donc j’ai un peu tout vu. » Enfin surtout les trucs de riches parce que là-bas un mois de salaire d’une personne normal correspond à peu près au prix d’un t-shirt que les enfants portent. C’était clairement un autre monde. Mais je garde quand même l’idée de pourquoi pas faire quelques spécialités un jour, même si je n’ai pas envie de faire de l’appropriation culturelle. Ramsay ne vient pas non plus de Bowen mais d’Ecosse, sans pour autant m’en dire plus. Étant donné qu’il n’y est jamais retourné et le peu de détails qu’il me donne, je suppose que ce n’est pas un souhait qu’il a. « Ça a l’air super beau l’Ecosse ! » Je lui dis seulement, n’y étant jamais allée. J’ai vu des photos et ça n’a rien à voir avec Bowen, c’est certain. Je n’ai pas envie de le questionner s’il n’est pas à l’aise sur le sujet, je ne suis moi-même pas très bavarde lorsqu’il s’agit de parler de ma famille. « Allez ! » Je lui dis en sortant les ingrédients prévus pour ma salade. Je regarde mes notes avec la recette que j’ai repéré. « Le plus important c’est la sauce dans ce genre de trucs je crois. Tu t’y connais un peu en salade vegan ? » Je lui demande en sortant un paquet de nouilles que je mets à cuire avant de me mettre à la découpe des légumes : chou, carottes, épinards, poivrons, edamame.

tw : évocation d'enfance difficile

La discussion avec Vega, elle est ultra naturelle. Je l'avais bien senti qu'elle et moi, ça matchait dès le départ. C'est comme si on se connaissait depuis toujours et en même temps, j'ai toujours envie d'en savoir plus sur elle. Elle me parle de sa vie au Japon, de son rapport à cette culture et j'comprends bien qu'elle a pas spécialement baigné dans la culture japonaise. Elle était scolarisée dans une école internationale, ce qui est à la fois ultra stylé parce qu'elle a du découvrir tout un tas de chose, de culture, de langue différente, mais d'un autre côté, elle ne s'est pas imprégnée de la culture japonaise comme elle aurait pu le faire. Cela dit, j'la trouve quand même chanceuse d'avoir eu ce parcours là. Le mien, il était beaucoup moins glorieux. C'était plus de la survie, pour moi en Ecosse. "Ouais, faut rester dans des trucs qu'on maîtrise un minimum. Mais t'as du vraiment découvrir un tas de trucs dans cette école internationale. C'est vraiment stylé je trouve." que j'dis avec un sourire. Avant de repenser à l'Ecosse. J'm'épanche pas trop sur le sujet, parce qu'en fait, il n'y a rien à dire. J'avais vécu des trucs vraiment moches là-bas quand j'étais petit et à mes 23 ans, - ce qui est relativement long quand on vit l'enfer - j'avais trouvé cette opportunité, que j'avais provoquée, pour m'éloigner de ce pays, emportant avec moi ma fratrie. Et j'regrettais pas. Jamais. Et j'ressentais nullement le besoin de reconnecter avec mes racines écossaises. Mes parents, je ne les avais jamais revu et c'était très bien ainsi. "Ouais, objectivement, c'est assez beau." que j'dis sans rien rajouter de plus. D'une, j'suis pas hyper enclin à parler de mon enfance habituellement et de deux, j'veux surtout pas plomber l'ambiance qui est plutôt bonne entre Vega et moi. Si un jour j'dois aborder le sujet avec elle, j'le ferais, parce que j'sentais que j'étais en confiance avec elle, mais c'était pas ce soir. Pas dans ses conditions, où la priorité c'était l'ouverture de son café. C'était ça qui comptait. Plus que tout. Et j'étais totalement motivé pour goûter et donner mon avis d'expert. J'nous re-motive et Vega suit le pas. Elle sort tout un tas d'ingrédients et je la regarde faire, accoudé au comptoir. J'relève les yeux à sa question, et dans mes iris, c'est pas mal vide. "Mmmh, honnêtement, rien du tout." que j'dis en me penchant vers elle, pour regarder avec elle ses notes. "Mais si on suit tout bien c'qui a marqué, j'pense qu'on devrait s'en sortir." Elle s'met à l'oeuvre, commençant la découpe des légumes. "Si tu m'dis exactement quoi faire, j'peux te donner un coup de main." J'me déplace pour faire le tour du comptoir, pour me mettre à côté d'elle. J'me remonte les manches, littéralement, prêt à en découdre. J'suis pas un grand cuisinier, mais avec des instructions claires, j'suis certain que j'peux faire des miracles.

Beaucoup de gens pensent que c’est hyper stylé et enrichissant d’être dans une école internationale, Ramsay aussi, et en vrai je comprends, de l’extérieur on se dit que c’est vraiment génial. On peut y rencontrer des personnes de différentes origines, de différentes cultures, apprendre le vivre ensemble, la tolérance, tous ces trucs plutôt cool. Mais ça c’est la brochure, la pub promotionnelle qui donne en vie. Dans les faits, on y découvre surtout la culture des riches et on sort jamais de cet entre-soi de personnes privilégiés qui comparent leurs fringues à plusieurs milliers d’euros et qui croulent sous la pression des parents pour reprendre l’entreprise familiale, pour avoir une grosse carrière. Clairement j’ai été hyper privilégiée d’aller là-bas mais ce n’est clairement pas dans cette école que j’y ai appris le plus de choses et où je me suis sentie le plus à ma place. « Ouais ça va, mais en vrai on s’imagine un tas de trucs dessus mais c’est surtout un repère de gosses de riches déconnectés qui font des soirées à douze ans pour relâcher la pression. » Je casse un peu l’image mais bon, je suis pas du genre à faire semblant. Je regrette de ne pas être allée dans une école japonaise, de ne pas avoir vraiment découvert la culture de ce pays dans lequel j’ai vécu pendant une partie de mon enfance. Je vois que concernant son enfance et son passé avant Bowen, Ramsay est plutôt évasif. Je sens que l’Ecosse pour lui c’est pas les beaux paysages et que ça n’a pas dû être une super période de sa vie. Je suis curieuse et ça m’intrigue mais j’ai aussi appris à calmer mes élans de curiosité pour ne pas brusquer les gens parce que tout le monde n’a pas forcément envie de raconter sa vie, ses traumas et c’est important de laisser les gens choisir si et quand ils veulent en parler. Alors on parle d’autre chose et de mon projet du soir de tester des recettes, notamment végé et vegan. Pour commencer une salade vegan et Ramsay n’a pas l’air de mieux s’y connaître que moi dans le domaine. « Oui ça a pas l’air très compliqué. » Globalement il faut couper les ingrédients et mélanger ceux pour la sauce, tout mettre ensemble et voilà. Il me dit que si je lui donne des instructions précises, il peut m’aider. « Ok, du coup tu peux éplucher les carottes et après il faut les raper en lamelle, comme si tu les épluchais. Tu vois ? » En me voyant lui expliquer comment découper les carottes je me fais une réflexion « En vrai j’crois que j’pourrais jamais être en couple avec un mec et vivre avec, déjà vivre avec des mecs c’est pas toujours simple. Genre faut tout vous expliquer, tout vous dire pour que vous fassiez quelque chose. »

J'écoutais attentivement Vega. Elle avait une belle capacité à être lucide sur les choses qu'elle avait vécu. Moi j'étais un peu plus primaire. J'étais pas idiot hein, mais j'crois surtout que j'avais pas tellement eu la chance de découvrir tout ça. J'avais juste grandi en banlieue d'Edinbourg, avec des parents terriblement mauvais et j'm'étais juste enfui. Alors, tout ceux qui avait eu des enfances plus douces, plus privilégiées, j'trouvais ça vraiment intéressant. J'les enviais pas, parce que j'ressentais rarement de la jalousie pour les autres, mais assurément, ils avaient eu plus de chance que moi. J'pensais pas mal que la chance, le hasard, ça définissait beaucoup de choses. Mais j'pouvais comprendre aussi le point de vue de Vega, qui aurait voulu que les choses soient différentes pour elle. P'tete qu'au fond, on était jamais vraiment satisfait de ce qu'on avait. C'était probablement un trait humain universel. "Ouais j'vois le genre. Ca doit probablement avoir ces bons côtés quand même." que j'rajoute. Clairement, j'avais pas assez de recul sur le sujet pour pouvoir la contredire ou pour alimenter le débat. J'étais juste ignorant sur ce sujet. J'esquive assez rapidement le sujet de l'Ecosse, parce que les trucs que j'y aies vécu, là bas, elles méritent pas d'être racontées. Pas dans ce contexte en tout cas. Je sais que ça m'ferait du bien d'extérioriser, j'en avais déjà un peu parlé avec Noa, mais ça restait très souvent bloqué en dedans, me nouant la gorge et m'immobilisant. C'était un sujet qu'on abordait pas non plus avec la fratrie Lockwood, c'était genre le sujet tabou. Et j'étais assez reconnaissant envers Vega de ne pas aller plus en détail sur le sujet. Finalement, on se mit en marche pour confectionner cette fameuse salade. On avait la recette devant les yeux et clairement, ça semblait dans notre portée. J'lui propose mon aide et elle me met en charge des carottes. C'est dans mes cordes et j'écoute attentivement ce qu'elle attend de moi. Je hoche la tête et j'me mets au travail. Eplucher des carottes et les couper en lamelle, je sais faire. Et j'relève les yeux vers elle lorsqu'elle parle de nous les gars. J'la regarde amusé. "Héé, pourquoi j'prends pour l'entièreté des gars?! C'est pas juste." J'ai un p'tit sourire en coin et j'reprends mon travail. "J'voulais juste que ça soit précis pour pas faire de connerie tu vois. Pour pas gâcher le truc." J'pense un peu à ce qu'elle a dit et j'rajoute. "En vrai, vivre avec quelqu'un, c'est vraiment pas évident. Faut vraiment trouver la bonne personne." J'avais longtemps vécu avec mon frère et ma soeur, et même si aujourd'hui il n'y avait plus que Skye à la maison, j'm'étais jamais accordé l'idée selon laquelle je pourrais vivre avec quelqu'un un jour.